L’Institut
national de recherche et de sécurité (INRS) pour la prévention des accidents du
travail et des maladies professionnelles a publié, fin décembre, une analyse
qualitative de ces incidents survenus entre 2012 et 2022. Avec cette donnée qui
se démarque : l’ampleur du nombre de malaises cardiovasculaires, qui
interviennent surtout chez les hommes issus du secteur du bâtiment.
Les
malaises mortels au travail font moins l’objet d’articles de presse locale et
d’enquêtes judiciaires que les accidents causés par un facteur externe - chute,
intoxication, électrocution, accident de la route… -, mais ils sont pourtant la
cause majoritaire des décès en entreprise chez les salariés relevant du régime
général* : en 2022, en France, 57 % des morts au travail étaient consécutives à
un malaise fatal.
En
partant de données collectées dans la base nationale EPICEA (Étude de
prévention par l’informatisation des comptes rendus d’accidents) entre 2012 et
2022, l’INRS a cherché à mieux qualifier ces malaises, définis comme des décès survenus
sur le lieu de travail ou à l’occasion du travail sans cause externe
identifiée, pour comprendre et identifier leurs causes, afin d’ « améliorer
[la] prévention des malaises mortels en entreprise ».
51 ans, l’âge
médian des victimes
Plusieurs
constats issus de l’étude donnent une idée précise des profils concernés :
l’infarctus du myocarde est la principale cause de décès, 93 % des victimes
sont des hommes, et dans trois cas sur quatre, la victime se trouve seule au
moment du malaise. Les secteurs des transports et du bâtiment sont les plus
représentés. L'âge médian de ces victimes : 51 ans. Et parmi les tranches d’âge
les plus concernées, on retrouve notamment les 40-49 ans et les 50-59 ans.
Qu’entend-on
exactement par « malaise » dans le contexte du travail ? Telle qu’entendue
dans le cadre de la formation aux premiers secours dispensée en entreprise (« PSC1 »),
il s’agit « d’une sensation pénible traduisant un trouble du
fonctionnement de l’organisme, sans pouvoir en identifier obligatoirement
l’origine sans appui médical. Cette sensation, parfois répétitive, peut être
fugace ou durable, de survenue brutale ou progressive, et conduire dans
certains cas à la perte de connaissance voire le décès ».
Le
malaise mortel ou mort subite correspond à « un arrêt cardiorespiratoire
brutal, inattendu, sans cause évidente, survenant chez un sujet ne présentant
pas de condition pré-morbide ». Dans le milieu professionnel, les malaises
conduisant à la mort sont principalement des accidents cardiaques (infarctus du
myocarde…), des défaillances respiratoires ou des atteintes neurologiques
(AVC…).
Mais
parfois, d’autres causes entrent en jeu, en lien ou non avec les conditions de
travail : l’exposition à des agents chimiques ou biologiques, des efforts
physiques prolongés, un manque d’hydratation et/ou de sommeil, voire un choc
psychologique important, liste de son côté la Caisse d’assurance retraite et de
santé au travail (CARSAT). « Les malaises au travail peuvent également
trouver tout ou en partie de leurs causes dans des éléments de santé de la
victime (maladie, prise de médicaments, allergie, consommation d’alcool,
stupéfiants dont cannabis, etc.) ».
« Au
vu des récits figurant dans la base EPICEA, les malaises mortels correspondent
à des morts subites de l’adulte, dont le mécanisme principal est l’infarctus du
myocarde. Or,
l’exposition des salariés à de nombreux facteurs de risques professionnels
(risques psychosociaux, horaires atypiques, postures sédentaires, ambiances
thermiques, polyexposition froid-bruit, risque chimique…) peut favoriser, à
court, moyen ou long terme, la survenue de maladies coronariennes », analyse aussi l’INRS.
La
France, une exception en Europe
En
2021, l’Hexagone accusait le quatrième taux le plus élevé d’accidents mortels
au travail, selon Eurostat : 3,32 pour 100 000 travailleurs, soit près du
double de la moyenne de l’Union européenne (1,76). La France est toutefois l’un
des rares pays d’Europe à reconnaître et compter comme accident mortel au
travail les malaises sans cause externe. Cette particularité la place de fait
comme mauvaise élève, comparée à ses voisins européens.
«
Ailleurs, il n’y a pas d’obligation déclarative des AT par les employeurs du
même niveau que la nôtre. Un AVC, par exemple, ne sera pas reconnu dans la
majorité des pays européens »,
explique dans le Monde Raphaël Haeflinger, directeur général d’Eurogip -
un groupement d’intérêt public né sous l’égide de la CNAM, qui défend la
prévention des risques professionnels à l’échelle européenne. Le quotidien
avait consacré en 2024 une enquête sur les morts au travail, révélant « un
problème systémique sur l’état de la santé et de la sécurité au travail dans
les entreprises françaises ».
Renforcer
la culture de prévention
Que
faire, alors, pour mieux prévenir les malaises mortels au travail ? L’INRS
dégage trois pistes : pour agir sur les facteurs de risques professionnels
associés aux maladies coronariennes, elle préconise d’évaluer ces risques en amont
et de mettre en place des actions de prévention. Notamment « analyser
plus précisément certains types de risques auxquels sont exposés les salariés
ou mécaniser certaines tâches ».
L’institut
suggère aussi d’améliorer l’organisation des secours dans l’entreprise, en
sensibilisant les salariés et en formant des sauveteurs secouristes du travail
en entreprise qui sachent comment réagir et qui connaissent les gestes de
premier secours.
Enfin,
pour assurer le suivi individuel de l’état de santé des travailleurs, l’INRS recommande
de « vérifier que le suivi des salariés par les services de prévention
et de santé au travail est effectué dans les temps impartis ; mettre à profit
la visite de mi-carrière pour évaluer le risque cardiovasculaire du salarié et
le retentissement des contraintes professionnelles auxquelles il est, ou a été,
exposé ».
En
2023, le nombre de morts liés au travail a atteint 1 287, soit 60 de plus qu’en
2022.
Mylène Hassany
*L'étude porte sur les salariés relevant du régime général, et ne comprend donc pas les agents de la fonction publique, les marins-pêcheurs, les agriculteurs ou encore les autoentrepreneurs.