Le magnat français de la
télécom, Xavier Niel, vient d'entrer au conseil d’administration du très
critiqué réseau social TikTok. Mais quels sont les intérêts de cette
collaboration surprise entre l’une des plus grandes plateformes mondiales et
l’un des hommes d’affaires français les plus puissants ?
TikTok, le réseau social
prisé des jeunes, cumule quelque 1,5 milliard d’utilisateurs dans le monde. Et
depuis le 30 août dernier, la maison mère de la plateforme, ByteDance, affiche
dans l’organigramme de son conseil d’administration, la photographie de Xavier
Niel. En effet, l’homme d’affaires
français et fondateur de Free vient d’intégrer l’équipe qui est à la
tête de l’entreprise chinoise ByteDance. Une structure spécialisée dans les
nouvelles technologies et très lucrative, puisqu’elle enregistrait, en 2023, un
chiffre d’affaires de 120 milliards de dollars. Xavier Niel y remplace Philippe
Laffont, un homme d’affaires belge.
Mais malgré son succès auprès
des internautes, TikTok, qui se base sur le partage de courtes vidéos virales,
fait face à de multiples controverses depuis sa création en 2016. La plateforme
est notamment accusée d’avoir des accointances avec le régime chinois.
L’entreprise chinoise
ByteDance au cœur des suspicions américaines
Pour en revenir au contexte
de cette nomination française au conseil d’administration de ByteDance, TikTok
est accusé d’être sous la houlette du gouvernement chinois. En effet, le
gouvernement américain soupçonne le réseau social d’utiliser la plateforme à
des fins d’espionnage. Mike Gallagher, un élu républicain de la Chambre des
représentants, développait sa vision de la situation, en décembre 2022, sur la
chaîne CNN : « Le problème fondamental est que TikTok
appartient à ByteDance, qui est lui-même soumis au contrôle effectif du Parti
communiste chinois ». Des inquiétudes qui ont poussé le gouvernement
Biden à interdire l’utilisation de l’application sur les appareils de
fonctionnaires de l’État fédéral américain, en janvier 2023.
Les États-Unis ont ensuite
intensifié la pression sur le réseau social puisque, le 20 avril dernier, la
Chambre des représentants américains votait une loi obligeant ByteDance à
revendre sa filiale à une entreprise américaine. ByteDance a donc neuf mois
pour se mettre en règle et procéder à la revente, sous peine d’une interdiction
de l’application sur l’ensemble du territoire américain. Cette interdiction
concernerait un peu moins de 150 millions d’utilisateurs de TikTok résidant dans
le pays. Mais la plateforme ne compte pas en rester là, puisqu’elle a déposé un
recours en justice, afin de contester cette loi. Les audiences devront se tenir
à partir du 16 septembre prochain.
La plateforme suscite aussi
l’inquiétude du côté de l’Union européenne
Les inquiétudes sont les mêmes
du côté de l’Union européenne. En effet, le Parlement européen et la Commission
européenne avaient aussi demandé, en février 2023, aux eurodéputés et à leurs
32 000 employés de supprimer l’application de leurs appareils professionnels. Les
institutions européennes craignaient que les données des fonctionnaires soient
utilisées par Pékin. Cette décision européenne n’avait pas manqué de faire
réagir le réseau social, dans un communiqué de presse : « Cette
suspension est malavisée et fondée sur des conceptions fondamentalement
erronées. Nous sommes surpris que la Commission ne nous ait pas contactés
directement, ni ne nous ait donné l'opportunité de nous expliquer ». Mais
la réaction de TikTok n’a pas empêché d’autres gouvernements occidentaux d’emboiter
le pas à l’Union européenne, à titre préventif, à l’instar du Canada et du
Danemark. La France en a fait de même : les fonctionnaires ont
l’interdiction d’utiliser TikTok sur leurs appareils professionnels, depuis
mars 2023.
Autre déboire, plus récent, avec
l’Europe : la Commission européenne annonçait, en février dernier,
l’ouverture d’une « procédure formelle » ou
« procédure d’infraction ». Il s’agit d’une enquête menée par
l’institution afin d’établir si TikTok a enfreint ou non le règlement européen
sur les services numériques, le Digital Service Act (DSA). Dans le cadre
de cette enquête, la Commission européenne se penche actuellement sur plusieurs
volets : « la protection des mineurs », « la
transparence de la publicité », « l'accès aux données pour les
chercheurs » et les « contenus préjudiciables ».
Xavier Niel au conseil
d’administration de TikTok pour « apporter une caution à
Bruxelles » ?
Malgré les tensions avec les
pays occidentaux, TikTok se dote d’un homme d’affaires puissant et occidental. « Nous
sommes ravis que Xavier rejoigne notre conseil d’administration et nous nous
réjouissons de pouvoir compter sur ses conseils, sa contribution et son
inspiration », déclarait l’un des représentants de la plateforme, dans
les colonnes du South China Morning Post, le 2 septembre. Dans ce
contexte plus que délicat pour TikTok, l’annonce de l’intégration de l’homme
d’affaires, qui dispose d’un fort capital sympathie, crée la surprise. Selon
Renaud Kayanakis, directeur de Telecoms, Media & Divertissement, «
personne ne s’attendait à cette nomination ». L’expert, interrogé par
nos confrères de Capital, explique que l’intégration de Xavier Niel « n’a
rien d’anodin, car elle survient au moment où la pression juridique s’accentue
sur le réseau social des deux côtés de l’Atlantique ».
Mais quel sera le rôle de
Xavier Niel, en siégeant au conseil d’administration de TikTok ? Pour Renaud
Kayanakis, l’homme d’affaires français « ne dispose d’aucun mandat
exécutif, mais son profil de businessman charismatique, de fondateur de Free et
de président d’Iliad, le cinquième opérateur européen, apporte une caution à
Bruxelles », alors que TikTok est observé de près par la Commission
européenne. « Avec Niel à son board, TikTok devient un peu moins
sulfureux et un peu plus acceptable », ajoute Renaud Kayanakis.
Une collaboration commerciale
prometteuse aussi bien pour Xavier Niel que pour TikTok
Au-delà d’une stratégie de
communication, Xavier Niel et TikTok auraient un avantage commercial plus
direct à travailler ensemble, selon Renaud Kayanakis. D’abord parce que le
fondateur de Free est pourvu d’un carnet d’adresses bien rempli dans le
milieu de la tech et des télécoms, en plus de connaître Thierry Breton, le
commissaire européen chargé du marché intérieur et numérique. L’intérêt
commercial de Xavier Niel serait, selon Renaud Kayanakis, de se rapprocher d’un
mastodonte en diversifiant ses activités.
En effet, TikTok a le vent en poupe chez les jeunes qui ont justement déserté
les SMS – un service proposé par les télécoms telles que Free – au
profit de ce type de plateformes. Renaud Kayanakis précise son propos :
« C’est pour Niel l’occasion d’explorer ce nouveau média, peut-être
même de nouer de nouveaux partenariats entre Iliad et TikTok dans le domaine de
la voix et de la data ».
Selon lui, Xavier Niel y
verrait aussi un intérêt en proposant au réseau social son expertise dans le
domaine de l’intelligence artificielle, puisque l’entrepreneur possède de
nombreuses start-up dédiées à cette technologie. Pour Médina Koné, professeure
de marketing digital, interrogée par Le Parisien, Xavier Niel est un
magnat de la tech à l’image d’Elon Musk ou de Mark Zuckerberg. Ces trois hommes
« sont habités par leurs projets », explique-t-elle. Selon la
professeure, l’homme d’affaires « voit bien que les réseaux sociaux
sont le nouveau pétrole et que les Européens sont hors du jeu, alors que la
Chine est dynamique ». Pour l’heure, Xavier Niel n’a pas communiqué
publiquement sur sa nomination au conseil d’administration de la plateforme.
Inès
Guiza