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Entreprendre est un sport de haut niveau

Entreprendre est un sport de haut niveau
Publié le 06/06/2020 à 11:00


Un webinaire au sommet organisé par Second Souffle


  


Le 8 mai dernier, l’association Second Souffle a organisé un webinar sur le thème « Entreprendre est un sport de haut niveau. Duel au sommet ! » Les témoignages de Julien Renauld, alpiniste expert et entrepreneur dans les assurances et celui de Nicolas Doucerain, autodidacte et entrepreneur ont mis en évidence les similarités entre la gestion d’une entreprise et l’ascension d’une haute montagne. Bien s’entourer, repousser ses limites, surmonter ses angoisses, prendre les bonnes décisions… Autant de qualités indispensables que l’on soit sportif expérimenté ou chef d’entreprise.


 


La conférence en ligne a été animée par William Prot, membre de Second Souffle, association dont la raison d’être est d’aider les entrepreneurs à rebondir. Les intervenants ont commencé par retracer leur parcours personnel.


 


Deux entrepreneurs dans l’âme


À 45 ans, Julien Renauld, originaire de Nancy, non loin des Vosges (« les Vosges, petites montagnes, mais montagnes quand même ! » a-t-il plaisanté), est un alpiniste expérimenté. On compte à son palmarès l’ascension de l’Aconcagua et du Kilimandjaro, l’ascension du Mont-Blanc à ski et descente de la face Nord, l’ascension de la Dent du Géant, la course ultra-trail UTMB Petite Trotte à Léon (300 kilomètres et 30 000 mètres de dénivelé positif), etc. Mais celui-ci est également entrepreneur dans les assurances et créateur de start-up. Comment a-t-il gravi les plus hauts sommets du monde tout en gardant un pied dans le monde de l’entreprise ?


Pour ce dernier, son parcours sportif est en fait totalement lié à son expérience professionnelle.


Julien Renauld est titulaire d’un DESS en droit des assurances. Pourquoi ce domaine ? Comme il l’a raconté, l’assurance s’est présentée à lui un peu par hasard. En effet, au départ, Julien Renauld voulait être avocat fiscaliste, un métier qui l’aurait passionné, « mais sans doute pas très longtemps », c’est pourquoi il s’est plutôt tourné vers l’assurance.


En outre, selon lui, l’assurance permet de « voir du monde », et d’être à son compte. « Depuis tout petit, j’avais envie d’être entrepreneur cela se manifestait par le fait que j’étais assez autonome, assez solitaire » a-t-il déclaré.


Avant de se lancer dans l’entrepreneuriat, Julien Renauld a voulu faire de l’apprentissage. Il a donc été conseiller dans des compagnies d’assurance et des gros cabinets de courtage pendant environ dix ans. Cette expérience lui a permis, selon lui, de se construire un réseau, d’adopter les bons réflexes et de se forger une vraie culture assurantielle.


Au bout de dix ans, ce dernier a décidé de racheter un cabinet d’assurance – ORT Assurances – avec deux associés.


Malheureusement, au bout d’un an, son associé fondateur est décédé. Il a donc été obligé de tout réorganiser : « J’ai réussi à m’en sortir, mais ça m’a coûté un gros burn-out » s’est-il confié.


À l’en croire, Julien Renauld s’en est sorti grâce au sport, à sa famille, à ses amis, mais également grâce à une thérapeute qui lui a appris à faire de l’autohypnose pour repousser la souffrance et la douleur.


Avec cinq collaborateurs, il a pu, par la suite, reprendre le cabinet.


L’assureur s’est ensuite lancé comme objectif de monter une start-up avec un ami, car il avait envie « de révolutionner un peu le monde de l’assurance ». Un univers, selon lui, « un peu sclérosé ». « Je voulais pouvoir développer un nouveau mode de distribution et redonner l’écoute aux clients, des valeurs qui se perdent dans le monde de l’assurance », a-t-il affirmé.


Comment lui est venue la passion pour l’alpinisme ? Julien Renauld a commencé à faire un peu de ski de fond dans les Vosges.


Le père de son ex-compagne était en effet féru de montagne, et c’est lui qui, en quelque sorte, lui a transmis cette passion. « J’ai basculé dedans il y a 25 ans, quand, plus qu’un sport d’hiver, j’ai fait du ski un mode de vie, un challenge un défi, décidant d’en repousser les limites » a-t-il révélé.


Mais avant de passer à l’alpinisme, il y a eu plusieurs étapes. Julien Renauld est passé par une phase de ski à outrance, a ensuite basculé sur le ski de randonnée (« pour contempler la nature »), puis au ski de couloir, beaucoup plus violent. « Je suis allé jusqu’à 40°, ce qui est déjà pas mal. On est là dans l’extrême concentration. Il ne faut pas faire le moindre faux pas », a-t-il raconté.


En 2018, par manque d’attention, le skieur a d’ailleurs eu un grave accident : « j’ai failli y rester, je me suis cassé les deux genoux, les ligaments croisés », s’est-il remémoré.


Celui-ci a ensuite fait de l’ultra-trail, c’est-à-dire du marathon de montagne : « les sportifs partent de nombreux jours et dorment très peu ».


Plus précisément, il a fait l’ultra-trail du Mont-Blanc (UTMB) qu’on appelle aussi la Petite Trotte à Léon, avec ses 300 kilomètres et 30 000 mètres de dénivelé, soit à peu près Nancy-Strasbourg.


« Cette course a complètement changé mon approche de la vie professionnelle et personnelle » a-t-il affirmé, « Je me suis dit que le corps humain pouvait aller loin. On nous parle de l’intelligence artificielle, mais quand je vois où j’ai pu pousser mon corps, je me dis que les machines ont encore à apprendre de nous », a-t-il déclaré.


Bref, en tout celui-ci a couru pendant 136 heures, passé 33 cols, et ce malgré la pluie et la grêle.


Parallèlement à tout cela, le sportif de haut niveau a commencé l’alpinisme. « Cela fait une dizaine d’années que je m’y suis mis pleinement », a-t-il raconté. Il a commencé par le Mont-Blanc, puis a poursuivi en très haute montagne, comme le Kilimandjaro en 2014.


« Je dormais dans des tentes de 3 m², donc j’ai l’habitude du confinement » a-t-il rapporté non sans humour. Il a fallu en outre gérer le mental, l’absence de ses proches et le manque d’oxygène. « On était dix dans notre cordée et finalement ça s’est divinement bien passé » a-t-il affirmé, avant de céder la parole à Nicolas Doucerain, son ami de longue date.


Nicolas Doucerain, entrepreneur, a lui aussi connu des hauts puis des bas avant de rebondir.


« Je serais totalement incapable de faire ce que fait Julien » a-t-il avoué. Nicolas Doucerain a en effet le vertige et ne pense pas avoir les capacités physiques d’un grand sportif.


Néanmoins, pour lui, il existe de nombreux points communs entre leurs deux parcours. « Gravir 8 000 mètres, cela ne se décide pas comme ça en 24 heures. Il faut monter une équipe, réunir un budget, se préparer mentalement, psychologiquement. Il faut savoir reculer, partir au bon moment, et ensuite fonctionner étape par étape. Finalement, quand on monte une entreprise, eh bien c’est exactement la même chose » a-t-il affirmé.


Pour lui, le rôle du chef d’entreprise est d’avoir la capacité de donner vie à une idée. Et pour donner vie à cette idée, il faut réunir des talents autour de soi, des compétences qui vont venir compléter les points faibles de chaque membre de l’équipe. Pour qu’une entreprise soit pérenne, se développe, génère de la richesse, et soit en capacité d’apporter le meilleur service à ses clients, il faut également trouver du budget, des moyens logistiques, des moyens humains et des moyens technologiques. « C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui on est en pleine crise », a-t-il ajouté.


Entrepreneur depuis son plus jeune âge, Nicolas Doucerain est autodidacte. « J’ai créé ma première entreprise quand j’avais 11 ans. Je faisais des livraisons de petit-déjeuner à domicile dans la banlieue parisienne et dans les Yvelines » s’est-il remémoré.


Et puis, à 19 ans, ce dernier a créé son cabinet de conseil en ressources humaines.


« J’ai démarré seul dans un bureau de 10 m². J’ai appris de mes concurrents, j’ai observé parce que je ne connaissais rien à l’informatique, ni aux ressources humaines » a-t-il révélé.


En gros, celui-ci a confectionné son propre modèle avec intelligence, en prenant les bonnes idées à droite et à gauche.


Cette petite entreprise, nommée Solic, a généré à peu près 35 % de croissance par an pendant 12 ans, de manière ininterrompue, « avec des difficultés, des problèmes financiers, des mini-crises, des baisses de moral, des phases d’euphorie… » a-t-il ajouté.


Petit à petit, Solic est passée de 20 salariés à 92 collaborateurs.


Ainsi, jusqu’en 2008, son entreprise réalisait en consolidés 10 millions d’euros de CA. Celle-ci comptait sept bureaux, en France, en Suisse et en Algérie, « où l’on accompagnait nos grands groupes français et européens dans leur déploiement au Maghreb ».


La crise de 2008 a mis un coup d’arrêt à tout cela. La faillite de Lehman Brothers (avec des pertes de près de 600 milliards de dollars), le 15 septembre 2008, lui a fait perdre en deux mois 55 % de son chiffre d’affaires. « Ça a été une chute, une descente aux enfers. Personne n’a vu venir cette crise. Elle est arrivée violemment un matin à 5h sur BFM », a-t-il raconté.


« J’étais très loin d’imaginer en me levant ce matin-là que la faillite de cette banque allait provoquer un tsunami, une vague monumentale capable de renverser toute une partie de l’économie et de frapper ma petite entreprise dont le siège social était basé à Issy-les-Moulineaux » a-t-il poursuivi.


Cette descente aux enfers a duré environ neuf mois. Des deux millions et demi d’euros de trésorerie que Nicolas Doucerain avait sur son compte bancaire, il n’en restait plus que 200 000, sept mois après. Et à cette époque-là, les aides de la BPI n’existaient pas.


Simultanément, les banques étaient asphyxiées, il n’y avait plus de trésorerie. « Il existait une tension extrême entre les entrepreneurs et les banquiers » a-t-il affirmé.


La politique de la France était de se focaliser sur les grands groupes, alors que les PME et les ETI étaient durement impactées avec des chutes vertigineuses et des faillites par dizaines de milliers.


Au total, en moins d’un an, il y avait 1,9 million de chômeurs de plus dans l’Hexagone. Et le PIB a plongé de 2 %, « du jamais vu ». « On a même cité la crise de 2008 comme la plus violente depuis 1929 » s’est rappelé Nicolas Doucerain.


Pour ce dernier, la crise que nous traversons aujourd’hui est une crise sanitaire, certes, mais c’est aussi une crise de confiance, une crise politique et économique.


Il s’agit en effet d’une crise économique majeure, car le PIB va plonger au minimum de 9 % et, pour certains experts, nous devrions tomber entre -12 % et -15 %.


« Cette crise est donc beaucoup plus grave que celle de 2008, elle va demander des entrepreneurs beaucoup plus d’agilité, et une plus grande capacité à s’adapter » a affirmé Nicolas Doucerain.


Optimiste, celui-ci est cependant certain que l’on peut s’en sortir avec de bonnes ressources, une bonne préparation, et à condition d’être bien entouré. C’est d’ailleurs ce que lui-même est parvenu à faire après la crise de 2008. Une histoire qu’il a racontée en 2012 dans un ouvrage intitulé Ma petite entreprise a connu la crise.


Après avoir attentivement écouté les récits de ses invités, William Prot s’est demandé quels étaient les points communs entre une expédition alpine et l’entrepreneuriat ? Quels conseils donner à quelqu’un qui veut monter son entreprise ?


 


Savoir bien s’entourer


Aujourd’hui, selon Nicolas Doucerain, on en demande beaucoup trop à un entrepreneur. Avoir une idée, porter le projet, être gestionnaire, faire de la communication, du commercial… Bref, « on lui demande d’être un mouton à 1 000 pattes ».


Or, pour lui, un entrepreneur doit consacrer 95 % de son énergie là où il est excellent. Par contre, il doit avoir l’intelligence de savoir s’entourer des bons talents, dotés des bonnes compétences.


« C’est en additionnant l’intelligence collective, en additionnant les qualités, que vous donnerez vie à votre projet et que vous lui donnerez le maximum de chance » a-t-il affirmé.


« C’est pareil pour une expédition » a réagi Julien Renauld. « L’alpinisme n’est pas un sport de solitaire comme on peut avoir tendance à le penser. »


En tout cas, pour ce dernier, quand on veut se lancer dans l’ascension d’un 6 000, 7 000, ou 8 000 mètres, c’est un sport d’équipe. « Seul on va vite, mais à plusieurs on va plus loin » a-t-il paraphrasé un proverbe africain. L’essentiel selon lui est de s’entourer de gens de confiance.


Quand on choisit une cordée, par exemple, il faut choisir des personnes qui connaissent la montagne, qui n’ont pas d’ego démesuré…


Il faut en outre trouver le bon guide, car celui-ci est primordial : par exemple quelqu’un d’expérience, qui a de l’empathie et qui sait écouter.


Malheureusement, selon lui, il y a des guides qui ne savent pas décider, ce qui peut aboutir à des tragédies.


Comment constituer une bonne équipe avant de commencer une ascension ?


Julien Renauld préconise d’en constituer une plutôt homogène niveau technique. Il faut également une parité hommes-femmes selon lui. « Les femmes n’ont pas la même approche que les hommes ni le même sens des décisions, et sont plus prudentes, et même parfois plus résistantes à la souffrance » a-t-il affirmé.


Parfois cependant, les alpinistes ne peuvent pas monter eux-mêmes leur cordée. Pour lui, ce fut le cas lors de l’ascension de l’Aconcagua. Les participants arrivent dans un groupe qu’ils ne connaissent pas. Pour Julien Renauld, c’est la même chose lorsqu’une personne rachète une entreprise : elle se trouve confrontée à 200-300 personnes qu’elle ne connait pas et qui ne la connaissent pas.


Lors de l’ascension de l’Aconcagua, les cordées étaient en outre constituées de différentes nationalités, et de participants dont l’âge s’échelonnait entre 25 et 73 ans. Dans cette situation, « il faut aussi savoir s’entourer, mais avec un existant. Il faut s’adapter aux autres. » « Finalement quand tu choisis ta cordée, tu restes dans ta zone de confort, or un leader doit pouvoir s’adapter à diverses personnalités » a-t-il ajouté.


Dans un groupe, selon lui, il faut également que quelqu’un fasse l’intermédiaire entre le haut et le bas, entre le guide et les suiveurs, entre la direction et les salariés.


« Il s’agit d’un facteur-clé de succès pour une entreprise ou dans une cordée. Celle-ci est plus harmonieuse, car l’intermédiaire fait la cohérence entre tous les talents » a-t-il affirmé.


 


Savoir demander de l’aide


Pour les invités de William Prot, un entrepreneur ou un guide doit également savoir demander de l’aide en cas de crise.


Nicolas Doucerain a évoqué le cas du chef d’entreprise qui manque de lucidité quand il travaille trop. « Il ne prend pas toujours la bonne décision. Surtout dans les périodes de crise » a-t-il déclaré.


Pour Julien Renauld, qui a fait un burn-out lors de son parcours, c’est tout à fait vrai.


En montagne également, les alpinistes peuvent connaître des phases très pénibles. Ils se posent des questions sur comment se passera le lendemain, ont des doutes sur leur capacité à atteindre le sommet...


Selon lui, l’erreur qu’il a lui-même commise dans certaines expéditions était l’isolement et l’enfermement sur lui-même.


Lors de sa dernière ascension, il a cependant su puiser dans l’expérience de Jeannot, 73 ans, le doyen de la cordée, qui avait plus de recul par rapport à sa famille, aux difficultés rencontrées. Cela lui a permis de rebondir.


En outre, en haute montagne, la lucidité se perd aussi avec le manque d’oxygène et la faim. Un des dangers consiste également à trop résister, alors qu’il faut s’arrêter. Lui par exemple, n’a pas toujours su s’arrêter à temps et est tombé très bas. « En montagne, j’ai commis de grosses erreurs à cause de ça » a-t-il confessé.


Pour Julien Renauld, il est également nécessaire d’être linéaire dans ses émotions. « Ne pas être trop pessimiste, et ne pas avoir trop d’euphorie » a-t-il précisé.


Il ne faut pas non plus hésiter à donner des coups de main ni à faire état de sa situation d’échec pour essayer de trouver des solutions.


Julien Renauld a ainsi fait part d’une expérience qu’il a connue lors de l’ascension de l’Aconcagua. Un jeune de 25 ans était en échec. Celui-ci pensait que cette expédition serait comme des vacances. L’équipe faisait des briefs à 6h et lui arrivait à 6h30. « Le guide l’avait pris en grippe. Et le jeune jetait son sac contre la montagne, donnait des coups de pieds » a raconté Julien Renauld. Ce dernier a fini par aller trouver le jeune homme afin de lui expliquer qu’il était inutile de « passer sa frustration » sur la montagne (qui de toute façon ne risquait pas de s’écrouler à cause de ses coups de pieds). Il lui a fait comprendre que pour eux aussi c’était difficile. Mais que contrairement à lui, tous se parlaient pendant la pause et faisaient part de leurs difficultés. « Il ne faut pas rester à 10 mètres derrière à maugréer dans son coin. Il faut échanger » lui a-t-il conseillé. Suite à cette conversation, le jeune est redevenu très motivé.


 


Savoir prendre les bonnes décisions


Un bon chef d’entreprise, selon Nicolas Doucerain et Julien Renauld, doit savoir prendre les bonnes décisions même quand celles-ci sont contraires à ce qu’il avait prévu.


Par exemple lors de l’ascension de l’Aconcagua, a rapporté Julien Renauld, un matin lorsque les alpinistes se sont réveillés, il y avait 25 centimètres de neige autour d’eux, alors que la veille il faisait très beau. La question s’est posée de savoir s’ils allaient parvenir jusqu’en haut. Heureusement, le matériel actuel est très bien conçu et est très léger, ce qui permet une ascension plus aisée. Auparavant en effet, les chaussures faisaient 2 kilos et désormais seulement 800 grammes. Cette fois-là, la cordée a pu aller jusqu’au bout. « Bien entendu il faut avoir avec soi un bon météorologue, il y a toute une logistique en bas. Un suivi météo radar » a expliqué l’alpiniste.


« Mais, ça m’est déjà arrivé de rebrousser chemin à cause de mauvaises conditions météo. Et on était seulement à quelques heures du sommet » a-t-il ajouté.


Cela lui est arrivé deux fois. Selon lui, ce qui les a sauvés à ces deux occasions, c’est que le guide, grâce à son leadership, a su leur faire faire demi-tour. Julien Renauld s’est alors souvenu d’une expédition au Mont-Blanc avec son beau-frère. « Tout était bleu. Il y avait pas mal de cordées. Tout semblait parfait, mais le guide nous a montré un petit cumulus au sommet qui l’inquiétait beaucoup » a relaté l’alpiniste de haut niveau. Il a alors pensé que ce n’était pas grave et que le guide exagérait. Or trois quarts d’heure plus tard, la tempête était là, et ils ne voyaient rien à 5 mètres. Ils ont été obligés de redescendre le Tacul (un des sommets du massif du Mont-Blanc). « Si nous avions été tous les deux, on y serait allé sans réfléchir » a confié Julien Renauld.


Même chose en Italie au Mont-Blanc. Ce jour-là, la gendarmerie a même dû aller chercher trois ou quatre cordées qui ont voulu braver le destin.


Bref, pour Julien Renauld, « il y a des fois où c’est plus fort de faire demi-tour que d’arriver au sommet ».


Ces moments où il a dû prendre la décision de rebrousser chemin lui ont fait prendre conscience de sa maturité. « Il y a 25 ans, je n’aurais peut-être pas fait demi-tour. Mais aujourd’hui, j’ai mes quatre enfants, j’ai ma famille » a-t-il déclaré.


En tout cas, pour lui, il ne faut jamais se laisser aveugler par « la quête du sommet ». L’alpiniste a alors évoqué le film Everest qui raconte la tragédie survenue sur l’Everest les 10 et 11 mai 1996, causant la mort de huit personnes dans deux expéditions menées par Rob Hall et Scott Fischer.


« C’était le début de ce qu’on appelle les expéditions commerciales. Rob Hall se trouvait au camp de base avec plusieurs expéditions venues du monde entier. Les cordées étaient sous pression. Il semblait en effet que le succès des expéditions allait dépendre du succès commercial futur. En outre, il n’y avait pas vraiment d’harmonie entre les cordées. Rob Hall avait décidé, avant de commencer à monter, qu’à 14h il fallait redescendre quoiqu’il arrive, car après 14h, en cas de tempête, c’est très difficile de redescendre. Cependant ce jour-là, voyant le beau temps, et parce qu’il a voulu faire plaisir à un client, il a continué l’ascension jusqu’à 16h. Mais, lors de la redescente, il y a eu une tempête et plusieurs cordées se sont retrouvées bloquées par la nuit à plus de 8 000 mètres. Or, à cette altitude, l’espérance de vie est très limitée. On a 24 heures avant que le corps ne se nécrose. Il y a eu huit ou dix morts cette année-là, car les plans arrêtés n’ont pas été respectés. Même Rob Hall est mort cette nuit à 8 700 mètres alors que sa femme allait accoucher » a raconté avec gravité Julien Renauld. « Donc même quand le ciel est bleu, il ne faut jamais oublier les règles de base » a-t-il ajouté.


 


Savoir utiliser la technologie avec pragmatisme et intelligence


Pour Nicolas Doucerain, aujourd’hui, nous avons la chance de vivre dans l’ère du numérique. « Pour certains c’est une crainte et pour d’autres ce sont des opportunités » a-t-il affirmé.


Depuis 20 ans en effet, nous vivons un bouleversement technologique de grande ampleur.


« Les consommateurs que nous sommes avec nos petits smartphones, nous sommes en train de littéralement bouleverser notre manière d’appréhender les choses » a déploré le chef d’entreprise.


Il y a 20 ans, quand on voulait partir en vacances, on allait dans sa ville natale ou auprès d’une agence de voyages, mais aujourd’hui, c’est notre smartphone qui nous permet de comparer des milliers de prix sur des vols. « Nous sommes devenus notre propre agence de voyages ». Même exemple pour les banques : pour passer un ordre de mouvements de titres, il fallait passer à sa banque, signer des papiers, attendre une semaine… Aujourd’hui, on peut acheter ou vendre en temps réel.


De même pour le secteur de l’assurance : « Suite à une tempête, j’ai eu des dégâts chez moi. On m’a envoyé un expert situé à 500 km. On a branché la caméra, j’ai filmé pour montrer les dégâts occasionnés, et il m’a donné son accord directement par Internet. On a validé et 48 heures après j’avais le virement de mon assureur pour rembourser les dégâts occasionnés »


a raconté Nicolas Doucerain.


Pour ce dernier, il faut en tout cas profiter de la période que nous traversons pour remettre en cause les modèles. « C’est un excellent moment pour revoir l’organisation et utiliser la technologie, mais avec pragmatisme et intelligence » a-t-il assuré.


Selon lui en effet, la technologie doit être là pour faire gagner du temps, pour améliorer l’organisation, la qualité, et le travail fourni par ses collaborateurs au quotidien.


L’entrepreneur a ensuite fait part d’une expérience très concrète.


Dernièrement, il a accompagné un électricien dont l’entreprise de 12 salariés fait environ un million de chiffre d’affaires. Or, ce dernier a confié à Nicolas Doucerain son désir d’arrêter le dépannage, car il a trop de factures à gérer.


Nicolas Doucerain a alors analysé son modèle : « je lui ai expliqué qu’en fait il faisait ses réparations comme il y a 20 ans. Or, aujourd’hui, il peut apporter la même qualité de service à ses clients en utilisant la technologie. »


En un mois, tous deux ont donc créé un numéro vert avec un numéro de téléphone unique pour séparer les gros chantiers qui se bonifient dans le temps, des chantiers ponctuels qui sont plutôt des appels d’urgence.


Autre constat : dans l’entreprise de son client, il n’y a aucune personne dédiée aux dépannages d’urgence. Nicolas Doucerain a recommandé à l’électricien de spécialiser deux personnes à temps plein pour ce genre d’intervention.


« Aujourd’hui, quand ils viennent dépanner, ils sont équipés d’une tablette et ils sont capables de faire un devis. Ils disposent également d’un terminal de paiement. Ils font les travaux et à la fin de la mission le client paye directement avec sa carte bancaire. Avant, lors des situations d’urgence, ils allaient chez le client, ils arrêtaient au préalable un grand chantier non urgent, ils faisaient 30 km pour aller retrouver le client, ils se rendaient compte qu’ils n’avaient pas le matériel, ils retournaient alors sur Versailles pour chercher le matériel, ils retournaient chez le client, et à la fin de la journée ils donnaient un papier avec des notes à l’assistante qui s’occupait de faire une facture en bonne et due forme en papier. Elle l’envoyait par la poste, le client ne payait pas tout de suite, il était relancé, etc. »


Aujourd’hui, Nicolas Doucerain a permis de tout optimiser. L’entreprise de son client continue d’offrir la même prestation, mais avec davantage de qualité. Elle est devenue aujourd’hui extrêmement rentable.


« C’est comme ça qu’il faut utiliser la technologie : pour améliorer les process, pour améliorer la qualité de travail de vos collaborateurs. Dans ce cas-là, la technologie est un atout extraordinaire » a-t-il conclu.


 


Savoir gérer les crises


Enfin, un sportif de haut niveau tout comme un entrepreneur doit savoir gérer les moments de crise. Comment s’y prendre ?


Évidemment, en très haute altitude, il est plus difficile de gérer une crise, ont reconnu les intervenants, car il s’agit d’une question de survie. Il y a en outre le manque d’oxygène, et le côté anxiogène de ne pas voir les siens.


Pour Julien Renauld, dans ces conditions, il faut savoir être agile et rapide, tout en restant lucide. Par exemple, accepter de faire demi-tour pour éventuellement remonter, faire une journée avec deux camps de base, avoir des briefings tous les jours... En tout cas, le plus important, c’est de communiquer. Il est également indispensable de prendre des avis extérieurs. Concernant son entreprise d’assurance, il a souvent demandé conseil à Nicolas Doucerain. En cette période de crise, l’alpiniste et entrepreneur a également avoué être plus tolérant avec ses collaborateurs. Il n’impose pas par exemple des objectifs commerciaux, mais leur demande de mieux gérer les clients.


Pour Nicolas Doucerain, l’erreur qu’il ne faut surtout pas commettre est de se laisser accaparer par le stress, s’épuiser physiquement et psychologiquement parce qu’alors on perd ses facultés.


Or, « quand on est en situation de crise, on doit justement prendre énormément de décisions et le moins de mauvaises décisions possibles » a-t-il expliqué.


En 2008-2009, il a connu une période durant laquelle il a travaillé énormément. Il a commencé à être tendu, à avoir des signes d’agacement. « À un moment donné, je me suis fixé des limites, car j’ai senti que mon corps et mon esprit n’étaient plus capables de tenir. »


Ce dernier s’est donc imposé, dans son emploi du temps, trois heures de sport par semaine. « J’ai retrouvé une hygiène de vie et très rapidement j’ai retrouvé un équilibre. Et en retrouvant cet équilibre, j’ai pris les bonnes décisions » a-t-il confié.


Ainsi, quand il a appris que 2 % des entreprises en redressement judiciaire (ce qui était le cas de la sienne) s’en sortaient, Nicolas Doucerain a pris ces 2 % comme un challenge personnel : « J’ai dit à mes collaborateurs que nous ferions partie de ces 2 % ».


Son entreprise a tenu durant la période d’observation qui a duré six mois, son plan de continuation a été validé et c’est comme cela que Nicolas Doucerain a pu sauver sa société.


Il a ensuite écrit son livre pour raconter son expérience. Les ventes de l’ouvrage lui ont permis de continuer à faire fructifier son entreprise.


Si Nicolas Doucerain, a finalement pu sortir de la crise, c’est qu’il était également bien entouré au niveau psychologique et affectif. « L’environnement familial est un élément clé » a-t-il affirmé.


Bref, à la question d’un internaute de savoir si tout le monde peut devenir entrepreneur, le chef d’entreprise est catégorique : « La réponse est non ». Pour lui en effet, au même titre que tout le monde ne peut pas être un sportif de haut niveau, l’entrepreneuriat demande des qualités et des ressources personnelles que tout le monde n’a pas.


« On peut être sportif dans une moindre mesure, mais ça demande quand même des prédispositions, des qualités mentales et physiques. Mais, encore une fois, le plus important c’est que chacun mesure ses forces et ses faiblesses et essaie d’exploiter au mieux ses qualités », a-t-il conclu.



 


Maria-Angélica Bailly


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