Chantal Arens, première
présidente de la cour d’appel de Paris a décidé de promouvoir la médiation dans
cette cour en créant notamment une unité de médiation en 2014, devenue
dernièrement Unité des Modes Amiables de Résolution des Différends (UMARD). Le
projet de loi sur la justice du XXIe siècle, qui vient d’être adopté définitivement le 12
octobre 2016 par l’Assemblée nationale, contient plusieurs dispositions
relatives à la médiation et à la conciliation. Chantal Arens répond à nos
questions sur les enjeux de cette nouvelle loi.
L’année dernière, la Cour d’appel de Paris
lors d’un colloque rassemblant les pionniers de la médiation a fêté les 20 ans de la
loi du 8 février 1995 qui a introduit la médiation judiciaire dans le Code de procédure
civile. Ce colloque avait conclu à la nécessité de développer une politique
publique nationale dans l’objectif d’un développement significatif de la
médiation et afin d’assurer la pérennité des expériences individuelles menées
dans les juridictions, ces expériences aussi concluantes soient-elles, comme
celles menées sur le ressort de votre cour, ayant trouvé leurs limites.
Pouvez-vous nous dire ce que la nouvelle loi
sur la justice du XXIe siècle prévoit dans ce domaine ?
Je noterai d’abord que cette loi, dans son exposé des motifs, entend « placer
le citoyen au cœur du service public de la justice » ce qui « impose
de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges en permettant au
citoyen de régler son litige de manière négociée avant la saisine du juge et
même une fois ce dernier saisi », ce qui conforte tous ceux qui sont
convaincus, comme moi, depuis de nombreuses années, des vertus de ces modes amiables
qui constituent une des réponses du juge pour rendre la justice et qui
permettent à ce dernier d’assurer pleinement sa mission de garant de la paix
sociale.
Par ailleurs cette loi contient, outre des dispositions instaurant la
médiation dans les juridictions administratives, quelques mesures concrètes,
car comme le rappelait justement la garde des Sceaux lors des débats au
Sénat : « Si on se contente de le dire, sans mettre en place un
dispositif incitant les gens à y recourir, nous nous contentons de former un
vœu pieux. »
En effet, jusqu’à présent les incantations appelant au développement de
la médiation, qui proviennent de tous les horizons, ne se sont guère révélées
productives en l’absence d’une politique publique nationale qui doit se
concrétiser par des objectifs assignés aux juridictions en la matière, des
moyens adéquats et une évaluation.
On peut ainsi constater comme mesure concrète que la loi rend
obligatoire, à peine d’irrecevabilité de la demande, une tentative de
conciliation menée par un conciliateur de justice avant la saisine de la
juridiction de proximité ou du tribunal d’instance par déclaration au greffe
pour toute demande initiale inférieure à 4 000 euros.
Cette mesure impactera-t-elle de manière
importante la justice du quotidien ?
Je tiens tout d’abord à saluer l’important travail déjà réalisé par les
175 conciliateurs de justice du ressort de la cour d’appel de
Paris. Le rapport annuel de la cour pour l’année 2015 établit qu’ils exercent leur activité dans 200 lieux de permanence, le plus souvent dans un local de mairie (56 %
des consultations), dans un tribunal d’instance (14 %), dans une maison de
la justice et du droit ou dans un point d’accès au droit. Les conciliateurs de
justice ont reçu en 2015, 15 090 visites. Ils ont été saisis directement par les
justiciables 7 588 (dont 3 584 dossiers conciliés) et 3 426 fois sur délégation des juges (dont 1 349 dossiers conciliés),
Il existe une grande variété du domaine de l’intervention des
conciliateurs : litiges de voisinage (1970), litiges autour de
l’immobilier (1054) et du bail d’habitation (2 388), litiges de consommation et services (3 404), droit rural (106),
baux commerciaux (265) et autres (1232).
Il existe également une grande variété de leurs conditions
matérielles ; certains continuent de bénéficier d’ordinateurs prêtés par
les tribunaux d’instance, d’autres sont hébergés par les mairies qui leur
offrent le matériel bureautique ; certains sont beaucoup moins aidés.
Le colloque organisé cette année à la cour d’appel de Paris réunissant
tous les acteurs de la conciliation de justice a permis de confirmer le rôle
moteur de la cour dans ce domaine, se traduisant notamment, par un taux de
saisine des conciliateurs de justice sur délégation des juges nettement
supérieur au taux national. Le même jour était signée une convention entre la
cour d’appel de Paris et l’association des conciliateurs de justice afin
d’institutionnaliser les relations entre les magistrats et les conciliateurs
dans une perspective de développement du recours à la conciliation judiciaire.
Je tiens également à saluer l’important travail effectué par
l’association nationale des conciliateurs de justice, avec laquelle la cour
travaille en parfaite harmonie, notamment en ce qui concerne la formation
dispensée aux conciliateurs de justice, qui est une clef de la réussite de la
conciliation de justice.
Je me permets d’insister sur la nécessité de favoriser davantage
l’intégration des conciliateurs dans les juridictions, de veiller aux moyens
matériels pour qu’ils exercent pleinement leur mission, de lancer des campagnes
nationales de promotion en vue du recrutement de plus de 600?conciliateurs pour faire face à la réforme de la conciliation préalable
obligatoire contenue dans la loi sur la justice du XXIe siècle. Ce
recrutement est indispensable si l’on veut assurer le succès de ce nouveau
dispositif.
Il serait également souhaitable que lors des décrets d’application de
cette loi, il soit inséré une disposition dans le Code de procédure civile
offrant la faculté pour tout juge (et notamment pour les magistrats des TGI et
des cours d’appel) de déléguer leur pouvoir de concilier à un conciliateur de
justice. Cette faculté, déjà prévue pour les juges consulaires, rencontre un
grand succès, puisque l’année dernière plus de 1 100 affaires au tribunal de commerce de Paris en 2015 ont été orientées vers le circuit de la conciliation, la cour d’appel de
Paris étant encore pilote en la matière.
De nombreux contentieux traités par les TGI et la cour d’appel
(copropriétés, servitudes…) sont déjà résolus par les conciliateurs de justice
sur saisine directe des justiciables. Plusieurs chambres de la cour d’appel de
Paris et de certains tribunaux de grande instance du ressort, dans la tradition
du rôle précurseur de cette cour, ont déjà, dans des dossiers où les parties
disposent de revenus modestes, confié à des conciliateurs de justice une mesure
de médiation à titre gratuit (art. 131-1 CPC) à la
plus grande satisfaction des justiciables.
En matière de médiation judiciaire, quelles
sont les avancées de la loi sur la justice du XXIe siècle ?
Outre des dispositifs prévoyant des expérimentations de médiation
obligatoire en matière familiale, l’article 8 de la loi justice du 21e siècle prévoit pour l’information
des juges l’établissement d’une liste de médiateurs dressée par chaque cour
d’appel, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État dans un délai
de 6 mois à compter de la promulgation de la loi.
L’établissement d’une telle liste pose de nombreuses questions et les
réponses qui y seront apportées impacteront nécessairement le développement de
la médiation dans le domaine judiciaire.
Aucune disposition réglementaire n’organise actuellement en France
l’établissement d’une liste de médiateurs (à destination des juridictions
civiles). Par ailleurs la profession de médiateur n’est pas une profession
réglementée (il sera néanmoins rappelé qu’il existe un diplôme d’État de
médiateur familial). En revanche, de nombreux pays comme les Pays-Bas, la
Belgique ou encore l’Autriche ont mis en place des procédures de certification
en matière de médiation, assorties d’une exigence de formation préalable, et de
conditions d’aptitude à la pratique de médiation. Dans ces pays, des organes
indépendants ou des services ministériels contrôlent l’activité de la médiation
et des règles déontologiques ont été établies.
En France, il n’existe aucun organisme ayant compétence pour certifier,
agréer des médiateurs ou pour labelliser les formations à la médiation (à
l’exception de la médiation de la consommation, secteur dans lequel a été
instituée en 2016 une commission d’évaluation et de contrôle de la
médiation de la consommation qui établit une liste de médiateurs de la
consommation). Il n’existe pas davantage de réglementation nationale fixant des
règles de déontologie pour les médiateurs. C’est d’ailleurs la raison pour
laquelle nous avons élaboré, dans le cadre de l’unité des modes amiables de
résolution des différends de la cour, une charte déontologique du médiateur qui
a été signée par toutes les associations de médiateurs qui travaillent avec la
cour.
L’article 9 de la Directive du 21 mai 2008 prévoit que « les états-membres
encouragent, par tout moyen qu’ils jugent approprié, la mise à la disposition
du public, notamment sur internet, d’informations sur la manière de contacter
les médiateurs et les organismes fournissant des services de médiation ».
Cette obligation a été rappelée par la décision du Conseil des ministres du 6 juin 2014 de créer d’ici 2018 une liste
regroupant les médiateurs dans chaque pays afin de pouvoir retrouver sur le
portail e.Justice un médiateur comme on trouve un avocat ou un notaire.
La France, comme les autres États-membres, se prépare à satisfaire à
cette obligation.
L’établissement d’une telle liste suppose au préalable la création d’un
Conseil national de la médiation composé de magistrats, auxiliaires de justice,
professeurs de droit, chercheurs, représentants d’associations de médiation,
politiques, représentants de la société civile, spécialistes reconnus de la
médiation en France.
Ce conseil pourrait avoir pour mission de :
• Traiter des questions récurrentes relatives à la liste des médiateurs
et à la qualification de ces derniers (en déterminant les critères d’une
formation de médiateur) ;
• recenser et évaluer des
pratiques dans les différents champs de la médiation ;
• capitaliser les acquis
de ces expériences et devenir le fer de lance d’une politique publique
nationale de la médiation ;
• définir les caractéristiques
essentielles de chaque mode amiable de résolution des différends en conservant
à chacun leur spécificité (c’est leur diversité qui en fait toute leur
richesse) ;
• formuler des
propositions aux pouvoirs publics en vue notamment de labelliser les formations
à la médiation existantes et les associations de médiateurs ;
• élaborer un Code
national de déontologie de la médiation.
Il appartiendrait à ce conseil de labelliser les formations à la
médiation et les associations de médiateurs en les contrôlant et les évaluant.
Puis, ces associations indiqueraient à chaque cour d’appel le nom de ses
adhérents susceptibles d’être désignés comme médiateurs sur le ressort de la
cour, chaque cour disposant ainsi d’une liste à titre facultatif à destination
des magistrats.
En revanche, la création d’un diplôme unique de médiateur risquerait
d’en faire une profession réservée à certaines catégories professionnelles,
privant ainsi la médiation de sa diversité.
Par ailleurs, instituer une liste de médiateurs par cour d’appel sur le
modèle des listes d’experts, outre que cela implique une organisation
importante et chronophage, serait très délicat à réaliser en conservant la
diversité et la richesse des profils des médiateurs. Il convient de souligner
que le médiateur n’est pas un auxiliaire de justice qui agit sur délégation du
juge. Il doit agir en toute indépendance, dans un processus souple et
confidentiel, et que par conséquent le parallèle avec l’établissement de la
liste des experts ne paraît pas pertinent.
Retrouvez la suite de cet entretien dans le Journal Spécial des Sociétés
n° 85 du 16 novembre 2016
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