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Entretien avec Évelyne Hanau, bâtonnière élue du Val-d’Oise

Entretien avec Évelyne Hanau, bâtonnière élue du Val-d’Oise
Publié le 17/12/2018 à 10:46

« Avec force et conviction, j’accomplirai cette mission. » a déclaré Évelyne Hanau, future bâtonnière du Val-d’Oise. Élue en juin dernier, celle-ci prendra ses fonctions le 1er janvier prochain et sera la nouvelle porte-parole des avocats du barreau du Val-d’Oise pour la mandature 2019-2020. Comment envisage-t-elle son bâtonnat ? Quelles sont les mesures qu’elle souhaite mettre en place ? Et comment accompagnera-t-elle la profession dans la mutation numérique ? Réponses. 




Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?


Diplômée du CRFPA (Centre Régional de Formation de la Profession d’avocat – appelé aujourd’hui HEDAC Haute école des avocats Conseils, de Versailles –), j’ai prêté serment le 18 décembre 1995, près la cour d’appel de Versailles, et ai toujours exercé au barreau du Val-d’Oise.


Après six années de collaboration au sein d’un cabinet à Pontoise, je me suis installée en 2002 à Sannois, puis en 2018 à Cormeilles, en Parisis.


Membre du Conseil de l’Ordre durant sept ans, j’ai présidé diverses commissions :


taxes : litige concernant les honoraires d’avocat ;


relations avec la juridiction administrative ;


droits et défense des étrangers ;


perspectives.


Mon implication m’a permis d’être entendue par le cabinet de Madame Rachida Dati, alors garde des Sceaux, lors du projet de loi sur la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel en 2008, par le Sénat en 2013?concernant le projet de la réforme de l’aide juridictionnelle (sujet toujours d’actualité).


J’ai participé à un collectif « Besoin de justice » qui est né en 2007, constitué ensuite en association dont j’ai été vice-présidente, qui réunissait avocats, magistrats du siège et du parquet, éducateurs, PJJ.


 


Pourquoi vous êtes-vous présentée au bâtonnat ?


Mon engagement philosophique, mon expérience, mon envie de participer davantage et d’intervenir encore plus dans la défense des justiciables mais également des confrères m’ont naturellement conduite à me présenter au bâtonnat. L’envie continuelle d’une meilleure justice rejoint la défense de la profession d’avocat de plus en plus malmenée.


Or, lorsque l’on malmène les avocats, ce sont les justiciables que l’on attaque, et au-delà, l’équilibre des pouvoirs, l’existence de contre-pouvoir et donc de la démocratie.


 


Comment définiriez-vous la fonction de bâtonnier ? En quoi est-ce important ?


 


Être bâtonnière, c’est naturellement représenter son barreau (près de 500 avocats en Val-d’Oise) dans la vie civile. C’est être un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. C’est également organiser la défense des citoyens sur un territoire et s’assurer d’un accès effectif aux droits et à la justice.


C’est avant tout défendre la profession d’avocat.


Que retenez-vous du mandat de votre prédécesseur, le bâtonnier Éric Bourlion ?


Il a entretenu de bonnes relations avec les juridictions. Il a renforcé le partenariat avec l’université de Cergy-Pontoise et permis un accès pour les avocats à la bibliothèque universitaire, et sur le site, à ses ressources numériques. Cet accès aux fonds documentaires est essentiel.


 


En cette période de mobilisation contre la réforme de la justice, sur quelles priorités souhaiteriez-vous construire votre mandat ?


Ma priorité sera d’accompagner les avocats et faciliter leur exercice professionnel en adaptant notre exercice aux nouvelles technologies dont la profession doit continuer de s’emparer, mais sans jamais oublier qu’il ne s’agit que d’un outil au service de la justice.


L’outil numérique n’est qu’un moyen moderne de communication.


La modernité n’est pas d’éloigner le justiciable des lieux de justice ou d’accès au droit mais de généraliser, de faciliter l’accès au droit et à l’avocat.


Cela n’est assurément pas l’esprit des projets de lois actuels. Les avocats sont des professionnels du monde juridique et judiciaire qui côtoient au quotidien, justiciables, pauvres ou riches, forts ou faibles, tous confrontés à une difficulté. Le recours à l’avocat ou au juge n’a d’autre objectif que celui de rétablir un équilibre entre le plus fort et le plus faible : le tout étant encadré par la loi.


Laisser croire que la modernisation de la justice, c’est le tout numérique, sans prendre en considération les zones blanches, les personnes incapables de se servir des outils modernes (personnes âgées, illettrées, en difficulté…) que les petits litiges peuvent trouver des solutions par l’algorithme est un mensonge.


La privatisation de la justice est dangereuse, elle ne fera qu’accroître les inégalités.


La déshumanisation est vivement critiquée parce que la justice est aussi le moyen d’apaiser les conflits et les relations sociales.


Le projet de loi de programmation de la justice examiné à l’Assemblée nationale est à regarder pour le comprendre sous l’angle budgétaire. L’objectif est de réaliser des économies et il y parviendra aux détriments des droits des justiciables. De précédentes réformes l’ont démontré.


Par exemple, la réforme de la procédure d’appel (décret Magendie 2009 réformé en 2011 puis 2017) qui affichait un objectif de « plus d’efficacité » et rapidité, (vous relèverez que le vocable n’a guère évolué depuis) a, en réalité, augmenté les difficultés procédurales qui aboutissement à une augmentation de sinistres au sein de la profession desservant le justiciable souhaitant critiquer une décision rendu en premier ressort.


En réalité, des délais très stricts de procédure sont imposés à l’avocat, et donc au justiciable, mais pas au juge pour juger ! Les statistiques le montrent, les délais de traitement ne sont pas plus courts. La volonté affichée d’une meilleure justice plus rapide et efficace est mensongère.


Il n’y a pas d’efficacité là où il y a refus de juger.


Je ne cesserai de marteler la nécessité de la présence de l’avocat pour une meilleure justice. Il y a quelques mois, j’aurais pu soutenir la nécessité de la présence de l’avocat dans le système judiciaire. Force est de constater que ce vocable « judiciaire » renvoie à la présence d’un juge dont il m’avait été enseigné qu’il était le garant des libertés individuelles et fondamentales. Or demain, le juge ne sera plus au cœur de l’appareil judiciaire, au cœur de la justice.
Mais l’avocat, si !


Il l’est dans le cadre de déjudiciarisation de procédure, telle que la procédure de divorce par consentement mutuel. Nous nous sommes emparés de cette réforme qui conduit à des divorces sans juge mais en présence d’avocats, dont la présence est indispensable pour assurer la sécurité juridique des actes et l’équilibre des forces entre les parties.


Nos compétences sont prouvées.


Je solliciterai mon barreau pour s’exprimer sur les réformes annoncées des mineurs de l’aide juridictionnelle qui impactent la défense des citoyens.


J’entends également moderniser les outils numériques décidés par mes prédécesseurs, Messieurs les bâtonniers Éric Bourlion et Frédéric Zajac, au sein de l’Ordre, de nature à favoriser les échanges et améliorer les services à destination des confrères et des justiciables.


Mais surtout, j’entends soutenir les avocats du barreau du Val-d’Oise dans leur exercice quotidien au sein des juridictions, des administrations, du Val-d’Oise et du ressort de la cour d’appel de Versailles.


 


Numérisation, algorithmes, legaltech… Comment envisagez-vous l’avocat de demain ? Comment accompagner la profession vers cette mutation ?


Malgré les critiques, les dangers évoqués de la mise en place de manière intensive et sans contrôle de tels outils, c’est le monde de la justice qui change, se modifie.


Des craintes sur l’avenir et le devenir de notre profession sont légitimes, mais le réflexe d’opposition n’est pas corporatiste, il est visionnaire de la justice de demain.


Les conflits seront pour certains traités de manière totalement déshumanisée dans un monde où les personnes, parfois en état de vulnérabilité qui sont à la recherche d’une solution, se sentent méprisées, oubliées. La justice de demain ne les considère pas.


Elle est d’ailleurs envisagée et pensée par des cabinets d’affaires. Les attentes et besoins de justice ne sont pas équivalents.


La numérisation est efficace et souhaitable ; elle permet aux avocats d’être éloignés du lieu de justice tout en assurant un lien social sur l’ensemble du territoire, et donc aux justiciables, quelque soit leur lieu d’habitation ou de travail, de trouver un professionnel qualifié qui saura résoudre leurs difficultés.


Une partie des justiciables ne peut être pénalisée du fait de son éloignement géographique et de la volonté de concentration des services dans un même lieu, au prétexte d’économies ou de spécialités.


Laisser penser que le numérique est la solution aux manques de moyens du budget de la justice et permettra par « téléportation » à tous d’accéder à des services est fantaisiste.


La modernité rime avec changement, mais non régression des droits ou accroissement des inégalités que la règle de droit est censée réparer.


La justice numérique aujourd’hui permet la dématérialisation des procédures et réduit les déplacements des avocats mais pas la relation au client ou au juge. Celle qui est préconisée est de remplacer le juge, et donc une autorité indépendante, sans lien avec aucune des parties en conflit.


L’algorithme, la justice prédictive ou l’intelligence artificielle sont des moyens de nature à faciliter le travail du juge ou de l’avocat en permettant, par des logiciels perfectionnés, de rendre compte par statistiques des décisions de justice. Il s’agit d’une banque de données.


Cela peut être un outil très confortable. évidemment, en tant qu’avocat, nous recherchons des jurisprudences, et ces outils sont aujourd’hui plus performants qu’hier. En cela, ces outils sont utiles en ce qu’ils sont des outils de travail, de recherche de solutions destinés à étayer un raisonnement juridique.


Par exemple, vous souhaitez connaître le montant de la prestation compensatoire à laquelle votre cliente peut prétendre. Rien ne vaut l’expérience,
la connaissance de vos juges.


Les legaltechs prévoient, sur la base d’un ou deux critères légaux encadrant la fixation de la prestation compensatoire, tels que les revenus et la durée du mariage, d’indiquer le montant exact de l’indemnité.


Il s’agit d’une indication.


Tant que cela sera débattu, les avocats et juges prendront en compte les autres critères (état de santé, l’âge, etc.). Cela ne sera plus le cas si la legaltech ou la justice prédictive s’affirment comme vérité judiciaire.


La règle de droit évolue en tenant compte, souvent avec retard, des évolutions sociétales. L’algorithme est une analyse de données à un instant T, mais il n’est donné aucune garantie sur le contenu,
la source, la fiabilité.


En réalité, le mot legaltech ne veut pas dire grand-chose si ce n’est la haute technologie appliquée aux métiers du droit.


Derrière ce vocable, se cache une multitude de services qui ont tous un point commun en ce qu’ils s’identifient comme faisant partie d’un écosystème (rien à voir avec l’écologie, on pourrait s’y tromper) mais bien évidemment l’économie !


Affichée pour certaines comme la solution pour pallier le manque de moyens matériels, je dois dire qu’il paraît difficile d’imaginer que la mise en place de ces legaltechs onéreuses est la solution à un accès pour tous à une justice rapide, efficace et moins coûteuse.


Les plateformes juridiques se développent à une vitesse incroyable.


Nos clients exigent compétence et rapidité, ce que nous savons faire.


Les plateformes juridiques sont une innovation qui fait suite au développement des sites web, aux moyens de communications.


Nous ne pouvons les ignorer et devons nous en emparer.


Les jeunes générations, souvent, découvrent le lien social au travers des applications smartphones.
Ce sont nos clients d’aujourd’hui et de demain. Nous devons donc techniquement être à la pointe pour répondre aux attentes des justiciables. Mais cela n’est qu’un outil.


Notre profession, nos règles déontologiques nous protègent, ainsi que nos clients, et nous donnent un très net avantage face aux autres professions du chiffre et du droit. Nous ne devons pas abandonner ces règles et veiller à leur respect.


Les plateformes juridiques, certaines accessibles sept jours sur sept, doivent répondre aux exigences de compétence et de qualité. Le périmètre du droit doit être respecté.


Le marché ne peut s’autoréguler par une ouverture à la concurrence sans protection du justiciable, du citoyen, qui est bien plus qu’un consommateur.


Ces plateformes doivent nécessairement être constituées d’avocats et soumises à nos règles de déontologies et professionnelles. Il ne peut y avoir plateforme sans existence d’un véritable cabinet répondant aux règles de confidentialité,
de compétences…


La surveillance et le contrôle de nature à protéger les justiciables, nécessiteront sûrement des moyens nouveaux de contrôle et vérification, peut-être la création d’un comité d’éthique pour l’exercice des droits des personnes.


 


Propos recueillis par Constance Périn


 


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