Frédéric Gabet, avocat à Saint-Ouen, a prêté
serment le 29 novembre 1989. Le 1er janvier dernier, il a
succédé à Valérie Grimaud à la tête du barreau de Seine-Saint-Denis pour la
période 2019-2020, lui qui en a déjà été le bâtonnier en 2005-2006. Quelles
sont les priorités de son bâtonnat ? Quel regard porte-t-il sur la réforme
de la Justice et sur l’avenir de la profession d’avocat ? Entretien.
Pouvez-vous revenir sur
votre parcours ? Pourquoi vous êtes-vous présenté au bâtonnat ?
Investi depuis longtemps dans la vie ordinale, j’ai
déjà exercé le mandat de bâtonnier de ce barreau en 2005-2006. J’ai également
présidé la Commission Accès au Droit de la Conférence des Bâtonniers de 2007 à 2011.
J’ai eu à cœur de mettre à nouveau cette expérience
au profit des 600 avocats de mon barreau.
Comment définiriez-vous la
fonction de « bâtonnier » ? Quelles sont ses principales
missions et quelles sont les spécificités du barreau de
Seine-Saint-Denis ?
Le barreau de la Seine-Saint-Denis connaît une
croissance soutenue et je suis frappé de la qualité et de l’engagement des
jeunes avocats qui nous rejoignent chaque année.
Dans ce barreau jeune et dynamique, le bâtonnier a
bien sûr un rôle essentiel : il est le confident attentif et bienveillant
qui veille en permanence à l’unité du barreau et au respect des principes
essentiels de notre profession, c’est-à-dire à notre déontologie. J’ai aussi
pour ambition de sauvegarder l’esprit de convivialité et d’altruisme qui
caractérisent mon barreau.
Le bâtonnier est aussi, à l’égard de nos partenaires
de justice, et, plus largement, à l’égard de tous nos interlocuteurs, la voix
de l’Ordre. Et cette voix sera appelée à se faire entendre dans les temps à
venir…
Sur quelles priorités
souhaitez-vous construire votre mandat ? Quelle orientation souhaitez-vous
lui donner et, en cette période de mobilisation, quel regard portez-vous sur la
réforme de la Justice ?
Cette réforme de la Justice que nous combattons,
celle à venir de l’aide juridictionnelle, toutes deux inspirées par des
considérations principalement budgétaires, sont autant de sujets de profondes
inquiétudes pour des avocats dont l’expérience et les positions sont
aujourd’hui au mieux ignorées, au pire méprisées.
Ils le sont d’autant plus pour un barreau comme
celui de Seine-Saint-Denis, très orienté vers le droit des personnes et
l’activité judiciaire, et viscéralement attaché aux valeurs humanistes qui sont
le socle de notre profession.
D’une façon générale, on ne peut qu’observer une
évolution mortifère, que l’on nous présente comme inéluctable mais que, fort du
soutien de mes confrères, je m’attacherai à combattre : la bunkérisation
des cabinets des juges et des greffes dont l’accès nous est interdit, les
atteintes toujours plus graves à l’oralité des débats, la déshumanisation de la
justice qui résulte de la mise en place croissante de la vidéo-audience ou de
la visio-conférence.
Numérisations,
algorithmes, legaltech… Comment envisagez-vous l’avocat de demain ?
Comment souhaitez-vous accompagner la profession vers cette mutation ?
Les avocats ne sont pas opposés à la
modernité : ils en sont depuis longtemps des acteurs investis.
Le barreau de Seine-Saint-Denis, en lien avec la
juridiction, est même à la pointe de cette évolution technologique, et
demandeur d’une généralisation du RPVA, tant dans le domaine civil que pénal.
Pour autant, nous n’accepterons pas d’être confinés
aux portes des salles d’audience et invités « à énoncer brièvement nos
arguments ».
La profession d’avocat est également confrontée à
l’arrivée massive de nouvelles technologies, souvent portées par des acteurs
étrangers au monde du droit, qui bouleversent les pratiques et interrogent sur
ce que sera la justice de demain, sur l’avenir de nos exercices et celui de ses
valeurs essentielles.
L’inquiétude ne nous prémunit pas des dangers qui en
résultent. Bien qu’à titre personnel, j’ai toujours éprouvé la plus extrême
réticence face à ce développement à bien des égards invasif, je suis pleinement
conscient du danger bien plus important encore qui consisterait à négliger ou
ignorer cette évolution.
Bien au contraire, il faut nous en emparer et nous
inscrire dans ces processus, y imposer des règles et une éthique : les
avocats sont par nature « innovants » et la révolution qui
s’annonce ne sera pas sans conséquences sur nos exercices.
Je prendrai des initiatives en ce domaine afin que le
barreau devienne un partenaire actif dans l’évolution de ces technologies, dans
le respect bien sûr de nos principes essentiels.
Quel regard portez-vous
sur la formation d’avocat telle qu’elle est actuellement ?
La formation des avocats est un sujet récurrent de
débats au sein de la profession : la formation continue ne pose pas de
difficulté. Les avocats sont, dans leur très large majorité, conscients de la
nécessité de se former, de mettre à jour leurs connaissances dans un monde du
droit en perpétuelle évolution.
La formation initiale, dans sa réforme en cours, nous
renvoie pour partie à des obligations anciennes, celle notamment d’engager sa
carrière sous couvert d’un accompagnement à défaut de contrat de collaboration.
J’y suis pleinement favorable. En Seine-Saint-Denis, nous accompagnons et
encadrons les plus jeunes dans le cadre de dispositifs
sui generis tel que le tutorat. Nous encourageons et continuerons
d’encourager sans relâche nos jeunes à se structurer et à se spécialiser.
J’entends non seulement les y appeler, mais également les aider à le
faire, leur fournir des outils pour réussir cette évolution essentielle dans un
parcours professionnel.
Quel autre métier
auriez-vous pu exercer et pourquoi ?
Cette profession, que j’aime avec passion, je l’ai
choisie pendant mes études universitaires : une carrière de diplomate ou
de journaliste sportif m’ont attiré un temps... Je n’ai jamais regretté mon
choix.
Je suis, comme tous les avocats de mon barreau, fier d’exercer cette profession
dans ce département.
Propos recueillis par Constance Périn