Élu le 25 juin dernier, le nouveau bâtonnier du barreau de l’Essonne, Maître
Laurent Caruso, a officiellement pris ses fonctions le 1er janvier
dernier. Suite au passage de bâton, nous avons souhaité interroger le nouveau
porte-parole des avocats du 91 pour la période 2021/2022 sur ses
motivations en tant que bâtonnier, sur le statut d’avocat en entreprise qui
pourrait prochainement être expérimenté, comme l’a annoncé le garde des Sceaux
début novembre, mais aussi sur la crise sanitaire et son impact sur la
profession.
Pour commencer, pouvez-vous revenir sur votre
parcours ?
J’ai prêté
serment le 30 juin 2004 et ai débuté en tant que collaborateur au
cabinet de Maître Jean Michel Scharr, où j’ai pu commencer à apprendre le métier d’avocat dans de très bonnes conditions.
J’ai
ensuite eu l’occasion de m’installer en 2006 à Évry, où j’exerce encore aujourd'hui en cabinets groupés avec deux consœurs
sympathiques et très compétentes, Stéphanie Pedro et Célia Danielian.
Mon
activité dominante, et exclusive, est le droit pénal, c’est-à-dire que je suis
amené à plaider au tribunal de police, mais surtout devant le tribunal
correctionnel et la cour d’assises.
Je suis par
ailleurs membre d’honneur de l’Union des Jeunes Avocats de l’Essonne (1er
syndicat de France et apolitique) dont j’ai assuré la présidence pendant
plusieurs années au cours desquelles j’ai essayé de défendre les intérêts
professionnels des confrères.
J’ai été
élu au Conseil de l’Ordre pour y siéger à compter du 1er janvier 2016 pour trois ans avec une réélection en 2018, et j’ai notamment eu la confiance des
bâtonnières Hélène Moutardier et Sylvie Franck pour assumer la responsabilité
de la commission pénale du barreau.
Pourquoi avez-vous choisi de vous présenter au
bâtonnat ?
Mon
parcours de militant syndical, puis d’élu ordinal, m’a amené à beaucoup
m’investir, ma candidature m’apparaissait par conséquent comme une suite
logique à cet engagement auprès des confrères.
Après une
longue réflexion, compte tenu du contexte actuel qui annonce une très lourde
responsabilité en tant que bâtonnier, j’ai décidé de soumettre ce choix aux confrères, non sans
être encouragé par certains dans cette démarche.
Sur quelles priorités souhaitez-vous construire
votre mandat ? Quelle orientation souhaitez-vous lui donner ?
Si la crise
sanitaire nous le permet, je voudrais reconstruire du lien entre les confrères,
dans l’espoir d’une cohésion du barreau plus forte et plus humaine, afin de
compenser les conséquences de la dématérialisation qui ne cesse d’éloigner
l’avocat de l’enceinte judiciaire.
Je souhaite
également être un bâtonnier accessible et proche des confrères, la porte du
bâtonnier sera donc toujours grande ouverte pour venir me voir.
Sur le plan
institutionnel, j’entends poursuivre le travail de mes prédécesseurs qui ont su
entretenir d’excellentes relations avec les chefs de juridiction, Monsieur le
président Benjamin Deparis et Madame la procureure de la République Caroline
Nisand, lesquels ont à cœur de rester à notre écoute pour favoriser la
nécessaire collaboration des acteurs du monde judiciaire.
Je
m’efforcerai de le faire également avec les autres présidents de juridiction et
la directrice de greffe.
Enfin, je
serai particulièrement attentif aux atteintes portées aux libertés et aux
droits de la défense, car c’est encore trop souvent le cas aujourd’hui. Le
dernier exemple en date étant l’ordonnance du 18 novembre 2020, qui permet notamment le recours généralisé à
la visioconférence en matière pénale, nous ne pouvons l’accepter !
Le fait que
cette ordonnance soit portée par le ministre de la Justice est d’autant plus
inquiétant, car en sa qualité d’avocat pénaliste, il aurait certainement été en première ligne pour s’opposer à cette
ordonnance.
Nous savons
ainsi que nous ne pouvons avoir confiance dans la politique gouvernementale car
entre les projets de réforme des retraites, toujours en suspens, et les coups
de boutoir portés contre les droits de la défense, ainsi que la réforme très
insuffisante pour ne pas dire dérisoire de l’Aide Juridictionnelle, nous sommes
loin d’être rassurés sur les perspectives de notre profession.
C’est pourquoi
il sera important que le bâtonnier soit également présent sur le terrain pour
défendre les confrères en toutes circonstances, par exemple lors d’incidents au
cours d’une audience.
À l’heure de la crise sanitaire, comment
envisagez-vous l’accompagnement de la profession ?
En ces
temps difficiles, le bâtonnier doit veiller à éviter l’isolement des confrères
qui seraient affectés par la situation économique et qui n’oseraient pas
pousser la porte du bâtonnier.
Par
ailleurs, je continuerai à faire ce que le barreau a toujours fait, à savoir
aider les confrères dans leurs relations avec les organismes chargés du
recouvrement de nos (trop) nombreuses charges professionnelles puisqu’elles
représentent entre 60 et 65 %
(voire plus) de notre chiffre d’affaires.
Les
bâtonniers successifs ont toujours cherché à rencontrer les confrères pour
étudier avec eux les possibilités existantes et les accompagner dans leurs
démarches, j’en ferai de même.
J’aimerais
également faire davantage connaître notre barreau et ses avocats, pour
permettre aux justiciables d’être mieux informés sur nos compétences, dans
l’espoir que mes confrères soient reconnus et sollicités pour intervenir auprès
du plus grand nombre.
En plus de la crise sanitaire, le pays est
frappé de plein fouet par une crise économique et sociale. Dans ce contexte
inédit, quel est, selon vous, le rôle de l’avocat ?
La Justice
est un pilier de la démocratie. Dans ce contexte, l’avocat est amené à jouer un
rôle encore plus important dans la défense de tous et être le rempart contre
l’arbitraire.
Hélas, le coût des honoraires peut décourager et l’accès au droit reste
un enjeu majeur dont l’État refuse d’en prendre la mesure, notre actuel garde
des Sceaux, qui s’enorgueillit de son budget, est très loin du compte.
À titre d’exemple, l’ANAAFA (organisme de
gestion agrée des avocats) estime que sur 1 200 euros versés par le client, il reste à l’avocat seulement 350 euros qu’il convient de ramener aux nombre
d’heures nécessaires à la mission confiée.
Autre
exemple, un avocat qui intervient à la commission d’office pour une personne
convoquée devant le tribunal correctionnel a droit à une indemnité de 256 euros brut (entre 110 et 130 euros net environ) pour toute la procédure (rendez-vous,
étude du dossier, audience) soit plusieurs heures de travail et donc un taux
horaire de 10 à 20 euros ne couvrant absolument pas les charges de nos cabinets.
Cet
exemple est loin d’être une exception, car cette réalité concerne toutes les
missions dévolues à l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle.
Ainsi,
alors que l’avocat en cette période doit prendre toute sa place auprès de tous
et surtout des plus démunis, ces obstacles nous empêchent de jouer complètement
notre rôle et nous ne pouvons que le déplorer.
Quelles actions retenez-vous de votre prédécesseure, Madame la
bâtonnière Sylvie Franck ?
Madame la bâtonnière
Sylvie Franck a dû faire face à des évènements exceptionnels (grève hors norme
pendant deux mois, crise sanitaire) qu’elle a parfaitement gérés.
Elle a pleinement assuré son rôle de bâtonnière et j’espère pouvoir en faire
autant.
Elle a été
chaleureusement félicitée par le Conseil de l’Ordre, et plus généralement par
les confrères, il convient toutefois de ne pas oublier l’action des bâtonniers précédents, car chacun constitue un maillon important de la
chaîne de transmission des valeurs traditionnelles de notre profession.
Comment décririez-vous le barreau du 91 ?
Le barreau
de l’Essonne est un barreau à taille humaine, convivial et sous-évalué par les
justiciables qui pensent souvent que des avocats d’autres barreaux vont être
meilleurs.
Pourtant,
de plus en plus d’avocats du barreau sont des spécialistes dans leurs domaines
d’intervention, et nous connaissons bien notre juridiction, ajouté au fait que
nous avons également de très bons praticiens, j’estime que c’est un barreau qui
mérite d’être davantage reconnu pour sa compétence.
Numérisation, algorithmes, legaltech… Comment
envisagez-vous l’avocat de demain ? Et comment envisagez-vous
d’accompagner la profession vers cette mutation ?
Depuis des
années, ma ligne politique est de conserver nos valeurs et notre tradition en
les adaptant, car modernité n’est pas toujours synonyme de progrès, et non en
sacrifiant la déontologie sur l’autel de la sacro-sainte Économie.
Or, les
algorithmes et les legaltech constituent pour moi une forme certaine de
déshumanisation et de reniement de notre déontologie. En tant qu’avocat
humaniste, j’ai une défiance non dissimulée envers ces évolutions qui sous une
apparence de progrès constituent la négation de ce qu’est un avocat.
La
numérisation peut-être un outil intéressant car pratique, il convient toutefois
d’être prudent car c’est aussi une source de dématérialisation des rapports et
j’ai peur qu’un jour, les palais de justice soient complètement désertés par
les avocats, cela a d’ailleurs déjà commencé.
C’est
d’autant plus un risque que l’État nous chasse d’une manière sournoise, mais évidente,
des salles d’audience et des palais.
Les avocats
doivent lutter pour ne pas perdre leur place naturelle dans les enceintes
judiciaires auprès des justiciables.
Quel regard portez-vous sur le statut de l’avocat
en entreprise ?
Depuis
toujours, je me suis opposé à l’avocat salarié en entreprise, qui n’est
souhaité que par les avocats d’affaires, les juristes d’affaires et le Cercle
Montesquieu, lesquels cherchent à imposer un statut antinomique à notre métier
et son indépendance.
Sans
l’appui du barreau de Paris sur ce sujet, les milieux d’affaires seraient bien
en peine de porter cette réforme et la faire aboutir, la profession étant contre ce projet.
Cette
tendance illustre bien la volonté d’une domination de l’Économie aux dépens du
métier de la robe représentant pour moi l’essence de notre profession, j’invite
ceux qui veulent devenir avocats salariés en entreprise à aller dans les pays
anglo-saxons et laisser la grande majorité des 163 barreaux décider de notre avenir.
J’espère
que notre garde des Sceaux n’oubliera pas son récent passé d’avocat de robe
(qu’il reprendra probablement) et non avocat d’affaires. Hélas, la politique
semble frapper d’amnésie les confrères occupant des fonctions de ministres ou
de députés, et l’Histoire montre que nous sommes souvent trahis par nos
proches.
Enfin, quel autre métier auriez-vous pu exercer
et pourquoi ?
J’ai eu la
volonté de devenir avocat dès l’âge de 11 ans, mais je suis également passionné de sport et
j’aurais aimé être professionnel dans le tennis ou le football. Je ne regrette
rien, car je suis fier de porter la robe d’avocat et d’exercer cette si belle
profession.
Propos
recueillis par Constance Périn