Réforme du parquet, rétention de sûreté,
budget de la Justice, prisons, rapatriement de djihadistes… Le JSS fait le point sur les premières annonces et
prises de position de notre nouveau ministre de la Justice.
Près d’un mois après la nomination d’Éric Dupond-Moretti
comme nouveau garde des Sceaux, la stupéfaction générale a laissé place à une
grande curiosité. De quel bois sera donc fait notre nouveau ministre de la
Justice ? Quelles réformes va-t-il porter ? Quelle est sa vision pour
ce grand ministère ? Au cours de multiples prises de parole, l’ancien
ténor des prétoires a pu poser les premiers jalons de la politique qu’il compte
mener pour ses quelques 600 jours en poste. « J’entends déjà que certains me caricaturent en laxiste qui veut vider
les prisons, d’autres en ultra-répressif qui veut les remplir. Je ne serai ni
l’un ni l’autre », prévient-il dans un entretien pour le Journal du
dimanche. Connu pour ses avis très tranchés sur l’École nationale de la
magistrature ou sa volonté de réformer le parquet, ce fort en gueule est
attendu au tournant autant par ses détracteurs que par ses soutiens.
Un budget revu à la hausse
Une des premières promesses, et pas des moindres,
concerne le budget alloué à la Justice. En effet, Éric Dupond-Moretti connaît
de première main l’immense « besoin
de moyens » des tribunaux. En déplacement dans un centre éducatif à Épinay-sur-Seine,
lundi 13 juillet, il a annoncé son intention d’augmenter considérablement le
budget de la Justice afin « d’accroître
le rythme des créations de postes ». « La Justice va connaître un
budget qu’elle n’a pas connu depuis longtemps », s’est-il félicité. Il
a déjà prévu 530 millions d’euros pour la transition numérique.
La réforme du parquet passe à la trappe
Lors de sa prise de fonctions, le 7 juillet dernier,
Éric Dupond-Moretti avait déjà réaffirmé vouloir être « le garde des Sceaux qui portera enfin la
réforme du parquet tant attendue ».
Cette révision constitutionnelle prévoit que les procureurs
soient nommés, comme les juges, sur « avis conforme » du Conseil
supérieur de la magistrature (CSM), organe indépendant composé de magistrats et
de personnalités extérieures. Mais très vite, le nouveau ministre a dû revoir
ses ambitions à la baisse. Mercredi 22 juillet, devant la commission des lois
au Sénat, le garde des Sceaux rappelle que cette réforme est « essentielle » citant la phrase de
Dominique Coujard, ancien président de la Cour d’assise de Paris : « C’est quand même le seul sport où l’un des
arbitres porte le même maillot qu’un des joueurs. » Cependant, il est
bien obligé d’ajouter que c’est une réforme qu’il ne pourra porter faute de
temps. Il s’engage tout de même à réformer le mode de nomination des procureurs
par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), mais la prétention est loin
d’être la même.
La rétention de sûreté adoptée
Autre revirement, spectaculaire celui-ci, qui concerne
la rétention de sûreté. La proposition de loi, déposée en mars par Yaël
Braun-Pivet et Raphaël Gauvain (LREM), veut imposer des mesures de sûreté à
l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. Alors
qu’il n’avait pas encore troqué sa robe noire pour des habits de ministre,
« EDM » s’y était férocement opposé. « J’étais totalement opposé à la rétention de sûreté, parce qu’on
n’imputait pas à un homme ce qu’il avait fait, mais ce qu’il allait faire. »
Aujourd’hui, il défend cette loi après un « long cheminement » qui lui a fait revoir radicalement sa
position. En effet, il est prévu dans ce texte que les détenus présentant une
« particulière dangerosité
caractérisée par une probabilité très élevée de récidive » devront,
par exemple, porter un bracelet électronique. Ce dispositif a convaincu le
nouveau garde des Sceaux puisque ce sont « des personnes qui de toute façon seraient surveillées par nos services
de renseignement » et qu’il « ne
s’agit pas ici d’une détention, et c’est singulièrement différent. »
Cette vision est contestée par de nombreux professionnels du droit pour qui un
bracelet électronique est un écrou, rien de moins. De même, le 15 juin, le
Conseil national des barreaux dénonçait dans un communiqué ces dispositifs
revenant à instaurer « une nouvelle
peine » après que « celle
prononcée a été purgée ». « On
ne peut pas croire un instant que ce soit réellement sa position à lui »,
avance un avocat parisien dans les colonnes de Libération. Quelle que soit sa
position profonde, le texte a été définitivement voté par les députés lundi
27 juillet.
Lutte contre les violences conjugales
Le garde des Sceaux a également défendu, le 22 juillet,
une proposition de loi destinée à mieux « protéger les victimes de violences conjugales ». Un choix très
symbolique alors que le nouveau ministre est très fortement critiqué pour ses
propos sexistes ou son positionnement de détracteur envers le mouvement #MeToo
qui avait permis de libérer la parole des femmes victimes de harcèlement ou
d’agressions. Le locataire de la Place Vendôme met donc le paquet :
« Je veux que les hommes suspectés
de violences conjugales, s’ils ne sont pas déférés, soient convoqués par le
procureur et reçoivent un avertissement judiciaire solennel. […] On m’a déjà
dit que ça pourrait heurter la présomption d’innocence : j’ai montré les
dents. Il ne s’agit pas d’une condamnation, c’est le moyen de montrer à un
homme que la justice est attentive et qu’elle ne laisse rien passer. »
Mais le nouveau garde des Sceaux a déjà été épinglé pour sa méconnaissance des
chiffres concernant les viols en France… chiffres comptabilisés par son propre
ministère.
Conflit sur le rapatriement de djihadistes
Sur ce sujet, pas de revirement de la part d’Éric
Dupond-Moretti qui reste favorable au rapatriement des djihadistes français.
« Je serai un militant infatigable
pour défendre des Français – car ils sont français qu’on le veuille ou non –
qui encourent la peine de mort. Nous continuerons d’agir en ce sens auprès des
pays concernés », s’est-il exprimé dans un entretien au Journal du
dimanche. Il reconnaît cependant appartenir « à un gouvernement qui défend l’idée que ces prisonniers doivent être
jugés là où ils ont commis leurs actes et qui examine au cas par cas la
situation des mineurs pour leur rapatriement ». Ce désaccord cordial
avec la majorité est une déception pour Emmanuel Domenach, victime du
13-Novembre et défenseur du rapatriement, cité dans Libération : « On a l’impression qu’il a renoncé avant même
de se battre, comme si la rage au ventre qui l’animait auparavant avait
disparu. »
Une justice pour mineurs plus efficace
« Je souhaite
évidemment qu’il y ait le moins d’incarcérations possible de mineurs chaque
fois que c’est possible, ça va de soi », a confié le garde des Sceaux,
plaidant de manière générale pour une diminution de la détention provisoire,
qui doit rester « exceptionnelle ».
« Je veux être raisonnable et il est
des cas où, malheureusement, la prison est un mal nécessaire ».
Toutefois, a-t-il insisté, ces jeunes doivent sortir « moins mauvais » de détention que
lorsqu’ils y sont entrés. Pour ce faire, le ministre de la Justice a annoncé
souhaiter reprendre une loi déposée par Éric Ciotti sur l’accueil des jeunes
délinquants dans des Établissements publics d’insertion de la défense. « J’envisage avec le ministre des Armées de
reprendre une proposition qui a trotté dans la tête de Monsieur Éric Ciotti »,
a-t-il glissé. « Ça n’est évidemment
pas prêt, j’ai beaucoup beaucoup, beaucoup de travail, mais je voudrais vous
faire part de ça, parce que ça peut résumer un peu ma vision des choses. »
Il dit d’ailleurs préférer qu’un « jeune
ait un militaire pour idole [plutôt] qu’un islamiste radical ou un caïd ».
Les prisons dans le viseur
À noter également que le nouvel occupant de la Place
Vendôme a fait sa première visite ministérielle à la prison de Fresnes
(Val-de-Marne), l’une des plus vétustes de France, où il s’est félicité des
taux d’occupation « historiquement
bas ». Lors de cette sortie, il s’est toutefois dit « préoccupé par la liberté, par les conditions
de détention, par les conditions de travail du personnel pénitentiaire ».
Un sujet sur lequel il n’y a pas encore eu d’annonces et où donc beaucoup
d’espoirs sont placés.
Le dimanche 19 juillet sur France 2, Éric Dupond-Moretti
le reconnaissait volontiers : « Il
y a un certain nombre de rêves que je portais, je ne pourrai pas les mettre en
œuvre. » Dans le milieu juridique, le couperet tombe, cinglant.
« Contrairement à ce qu’il veut
faire croire, il a déjà avalé son chapeau sur plein de sujets », tacle
dans Libération une magistrate.
Contradictions, conflits internes, revirements, toujours dans Libération, Martin Méchin, un ancien
confrère, appuie ce verdict : « J’ai
été surpris de la rapidité avec laquelle il a dû avaler des couleuvres et la
taille de celles-ci. » Un magistrat s’étonne même : « Je ne vois pas comment il pourrait ne pas
imploser… » Si le jugement est dur, c’est que, connaissant la carrure
de ce grand avocat, les attentes sont très élevées. Un autre magistrat préfère
lui laisser encore du temps : « On
est en droit d’attendre beaucoup d’un type pareil. Je fais partie de ceux qui
espèrent. »
Maïder Gérard