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Éric Dupond-Moretti : ses premiers pas Place Vendôme

Éric Dupond-Moretti : ses premiers pas Place Vendôme
Publié le 12/08/2020 à 10:00


 

Réforme du parquet, rétention de sûreté, budget de la Justice, prisons, rapatriement de djihadistes… Le JSS fait le point sur les premières annonces et prises de position de notre nouveau ministre de la Justice.


 


Près d’un mois après la nomination d’Éric Dupond-Moretti comme nouveau garde des Sceaux, la stupéfaction générale a laissé place à une grande curiosité. De quel bois sera donc fait notre nouveau ministre de la Justice ? Quelles réformes va-t-il porter ? Quelle est sa vision pour ce grand ministère ? Au cours de multiples prises de parole, l’ancien ténor des prétoires a pu poser les premiers jalons de la politique qu’il compte mener pour ses quelques 600 jours en poste. « J’entends déjà que certains me caricaturent en laxiste qui veut vider les prisons, d’autres en ultra-répressif qui veut les remplir. Je ne serai ni l’un ni l’autre », prévient-il dans un entretien pour le Journal du dimanche. Connu pour ses avis très tranchés sur l’École nationale de la magistrature ou sa volonté de réformer le parquet, ce fort en gueule est attendu au tournant autant par ses détracteurs que par ses soutiens.


 


Un budget revu à la hausse


Une des premières promesses, et pas des moindres, concerne le budget alloué à la Justice. En effet, Éric Dupond-Moretti connaît de première main l’immense « besoin de moyens » des tribunaux. En déplacement dans un centre éducatif à Épinay-sur-Seine, lundi 13 juillet, il a annoncé son intention d’augmenter considérablement le budget de la Justice afin « d’accroître le rythme des créations de postes ». « La Justice va connaître un budget qu’elle n’a pas connu depuis longtemps », s’est-il félicité. Il a déjà prévu 530 millions d’euros pour la transition numérique.


 


La réforme du parquet passe à la trappe


Lors de sa prise de fonctions, le 7 juillet dernier, Éric Dupond-Moretti avait déjà réaffirmé vouloir être « le garde des Sceaux qui portera enfin la réforme du parquet tant attendue ».


Cette révision constitutionnelle prévoit que les procureurs soient nommés, comme les juges, sur « avis conforme » du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), organe indépendant composé de magistrats et de personnalités extérieures. Mais très vite, le nouveau ministre a dû revoir ses ambitions à la baisse. Mercredi 22 juillet, devant la commission des lois au Sénat, le garde des Sceaux rappelle que cette réforme est « essentielle » citant la phrase de Dominique Coujard, ancien président de la Cour d’assise de Paris : « C’est quand même le seul sport où l’un des arbitres porte le même maillot qu’un des joueurs. » Cependant, il est bien obligé d’ajouter que c’est une réforme qu’il ne pourra porter faute de temps. Il s’engage tout de même à réformer le mode de nomination des procureurs par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), mais la prétention est loin d’être la même.


 


La rétention de sûreté adoptée


Autre revirement, spectaculaire celui-ci, qui concerne la rétention de sûreté. La proposition de loi, déposée en mars par Yaël Braun-Pivet et Raphaël Gauvain (LREM), veut imposer des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine. Alors qu’il n’avait pas encore troqué sa robe noire pour des habits de ministre, « EDM » s’y était férocement opposé. « J’étais totalement opposé à la rétention de sûreté, parce qu’on n’imputait pas à un homme ce qu’il avait fait, mais ce qu’il allait faire. » Aujourd’hui, il défend cette loi après un « long cheminement » qui lui a fait revoir radicalement sa position. En effet, il est prévu dans ce texte que les détenus présentant une « particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive » devront, par exemple, porter un bracelet électronique. Ce dispositif a convaincu le nouveau garde des Sceaux puisque ce sont « des personnes qui de toute façon seraient surveillées par nos services de renseignement » et qu’il « ne s’agit pas ici d’une détention, et c’est singulièrement différent. » Cette vision est contestée par de nombreux professionnels du droit pour qui un bracelet électronique est un écrou, rien de moins. De même, le 15 juin, le Conseil national des barreaux dénonçait dans un communiqué ces dispositifs revenant à instaurer « une nouvelle peine » après que « celle prononcée a été purgée ». « On ne peut pas croire un instant que ce soit réellement sa position à lui », avance un avocat parisien dans les colonnes de Libération. Quelle que soit sa position profonde, le texte a été définitivement voté par les députés lundi 27 juillet.


 


Lutte contre les violences conjugales


Le garde des Sceaux a également défendu, le 22 juillet, une proposition de loi destinée à mieux « protéger les victimes de violences conjugales ». Un choix très symbolique alors que le nouveau ministre est très fortement critiqué pour ses propos sexistes ou son positionnement de détracteur envers le mouvement #MeToo qui avait permis de libérer la parole des femmes victimes de harcèlement ou d’agressions. Le locataire de la Place Vendôme met donc le paquet : « Je veux que les hommes suspectés de violences conjugales, s’ils ne sont pas déférés, soient convoqués par le procureur et reçoivent un avertissement judiciaire solennel. […] On m’a déjà dit que ça pourrait heurter la présomption d’innocence : j’ai montré les dents. Il ne s’agit pas d’une condamnation, c’est le moyen de montrer à un homme que la justice est attentive et qu’elle ne laisse rien passer. » Mais le nouveau garde des Sceaux a déjà été épinglé pour sa méconnaissance des chiffres concernant les viols en France… chiffres comptabilisés par son propre ministère.


 


Conflit sur le rapatriement de djihadistes


Sur ce sujet, pas de revirement de la part d’Éric Dupond-Moretti qui reste favorable au rapatriement des djihadistes français. « Je serai un militant infatigable pour défendre des Français – car ils sont français qu’on le veuille ou non – qui encourent la peine de mort. Nous continuerons d’agir en ce sens auprès des pays concernés », s’est-il exprimé dans un entretien au Journal du dimanche. Il reconnaît cependant appartenir « à un gouvernement qui défend l’idée que ces prisonniers doivent être jugés là où ils ont commis leurs actes et qui examine au cas par cas la situation des mineurs pour leur rapatriement ». Ce désaccord cordial avec la majorité est une déception pour Emmanuel Domenach, victime du 13-Novembre et défenseur du rapatriement, cité dans Libération : « On a l’impression qu’il a renoncé avant même de se battre, comme si la rage au ventre qui l’animait auparavant avait disparu. »


 


Une justice pour mineurs plus efficace


« Je souhaite évidemment qu’il y ait le moins d’incarcérations possible de mineurs chaque fois que c’est possible, ça va de soi », a confié le garde des Sceaux, plaidant de manière générale pour une diminution de la détention provisoire, qui doit rester « exceptionnelle ». « Je veux être raisonnable et il est des cas où, malheureusement, la prison est un mal nécessaire ». Toutefois, a-t-il insisté, ces jeunes doivent sortir « moins mauvais » de détention que lorsqu’ils y sont entrés. Pour ce faire, le ministre de la Justice a annoncé souhaiter reprendre une loi déposée par Éric Ciotti sur l’accueil des jeunes délinquants dans des Établissements publics d’insertion de la défense. « J’envisage avec le ministre des Armées de reprendre une proposition qui a trotté dans la tête de Monsieur Éric Ciotti », a-t-il glissé. « Ça n’est évidemment pas prêt, j’ai beaucoup beaucoup, beaucoup de travail, mais je voudrais vous faire part de ça, parce que ça peut résumer un peu ma vision des choses. » Il dit d’ailleurs préférer qu’un « jeune ait un militaire pour idole [plutôt] qu’un islamiste radical ou un caïd ».


 


Les prisons dans le viseur


À noter également que le nouvel occupant de la Place Vendôme a fait sa première visite ministérielle à la prison de Fresnes (Val-de-Marne), l’une des plus vétustes de France, où il s’est félicité des taux d’occupation « historiquement bas ». Lors de cette sortie, il s’est toutefois dit « préoccupé par la liberté, par les conditions de détention, par les conditions de travail du personnel pénitentiaire ». Un sujet sur lequel il n’y a pas encore eu d’annonces et où donc beaucoup d’espoirs sont placés.


Le dimanche 19 juillet sur France 2, Éric Dupond-Moretti le reconnaissait volontiers : « Il y a un certain nombre de rêves que je portais, je ne pourrai pas les mettre en œuvre. » Dans le milieu juridique, le couperet tombe, cinglant. « Contrairement à ce qu’il veut faire croire, il a déjà avalé son chapeau sur plein de sujets », tacle dans Libération une magistrate. Contradictions, conflits internes, revirements, toujours dans Libération, Martin Méchin, un ancien confrère, appuie ce verdict : « J’ai été surpris de la rapidité avec laquelle il a dû avaler des couleuvres et la taille de celles-ci. » Un magistrat s’étonne même : « Je ne vois pas comment il pourrait ne pas imploser… » Si le jugement est dur, c’est que, connaissant la carrure de ce grand avocat, les attentes sont très élevées. Un autre magistrat préfère lui laisser encore du temps : « On est en droit d’attendre beaucoup d’un type pareil. Je fais partie de ceux qui espèrent. »

 

Maïder Gérard

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