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Espaces aménagés sur les pistes de ski : une attention particulière des juridictions

Espaces aménagés sur les pistes de ski : une attention particulière des juridictions
Publié le 16/02/2020 à 09:30

L’étendue de la responsabilité de l’exploitant des pistes et du skieur ou du surfeur qui se blesse plus ou moins gravement continue de susciter des interrogations.

 


Les zones d’entraînement


Tout d’abord, il peut s’agir de zones particulières d’entraînement que l’exploitant, et plus particulièrement le service des pistes, met à la disposition d’un organisme sportif.


La première question soulevée par les juridictions consiste à rechercher ce que le contrat de mise à disposition prévoit exactement : accès à cette zone, damage, mise en place des protections, détermination des tracés d’entraînement.


L’existence d’une convention écrite permet de clarifier la répartition des obligations entre l’exploitant et l’organisateur bénéficiaire de cet espace, mais dans certaines situations qui deviennent, fort heureusement, de plus en plus rares, soit la convention est ancienne et succincte, soit elle n’est pas formalisée, au nom de l’adage « c’est l’usage depuis longtemps ».


C’est dans ce dernier contexte que la Cour de cassation, par un arrêt du 27 juin 2018, a approuvé une décision de la cour d’appel de Chambéry.


Un moniteur stagiaire s’est gravement blessé (paraplégie) lors d’un entraînement libre sur une piste de slalom dédiée, confiée à une école de ski. La vitesse étant induite dans ce type de préparation sportive, il chute suite à une erreur technique et vient heurter violemment une cabane située en dehors de la piste. Il reproche à l’encontre de l’école de ski une absence de protection suffisante de cet obstacle.


La haute juridiction ne se prive pas de reprocher – à mots couverts – tant à l’école de ski délégataire de cet espace qu’au service des pistes, de ne pas s’expliquer « sur les conditions juridiques de la mise à disposition » de cette piste d’entraînement. Et pour cause : il n’existait aucune convention écrite sur les conditions d’utilisation…


Toutefois, par un raisonnement exempt de critique, la Cour de cassation retient qu’en dehors des entraînements et compétitions organisés par l’école de ski, il ne peut exister « une obligation de sécurité permanente » dans cet espace réservé.


Le choix du moniteur stagiaire d’utiliser cette zone à titre personnel et librement conduisait à écarter toute responsabilité de l’école de ski.


 


Cour de cassation, civ. 1, 27 juin 2018

Madame Batut, présidente

Madame Le Gall, conseiller référendaire rapporteure

Madame Kamara, conseillère doyenne


 


« Mais attendu qu’après avoir constaté que la piste sur laquelle a eu lieu l’accident dépend du domaine skiable accessible par gravité à partir du sommet des remontées mécaniques, et que, si aucune partie ne s’est expliquée sur les conditions juridiques de la mise à disposition de cette piste à l’école de ski, il est toutefois admis par tous que la société concessionnaire de la mission de service public d’exploitation des remontées mécaniques, en assure l’entretien et le damage ; l’arrêt retient qu’il n’incombe pas au syndicat, une obligation générale de sécurité, à défaut de preuve d’un engagement contractuel de sa part, qui seul pourrait être à la source d’une telle obligation ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a déduit, à bon droit, que le syndicat n’était pas tenu d’une obligation de sécurité permanente sur cette piste en dehors des entraînements et compétitions organisées par lui ; que le moyen n’est pas fondé… rejette le pourvoi. »


 


les snow parks


Les snow parks (pour reprendre cet anglicisme) peuvent être à l’origine de graves blessures lorsque le comportement de l’utilisateur n’est pas adapté aux lieux spécifiquement aménagés.


C’est la position retenue par la cour d’appel de Grenoble dans un arrêt du 18 septembre 2018.


Un jeune homme se lance sur une bosse « big air », effectue une figure de style et chute au moment de la réception, avec pour conséquences de graves lésions corporelles.


Plusieurs aspects de cette décision permettent d’apprécier le raisonnement suivi par les magistrats grenoblois.


Tout d’abord, dès lors que la zone ne comporte pas de défaut technique (par exemple blocs de glace, mauvais damage…), l’analyse s’oriente clairement sur le devoir d’information de la station.


En l’espèce, il est relevé que l’entrée dans la zone « snow park » se fait au moyen d’un passage réduit, avec des banderoles installées qui précisent clairement le degré de difficulté des modules, conformément à la norme.


Faut-il qu’un moniteur ou un pisteur soit positionné à l’entrée de cette zone ? La victime soutenait « qu’il aurait été » nécessaire que soit délivré oralement un conseil et une information à chaque pratiquant.


Mais comment orienter et estimer le niveau technique réel du pratiquant pénétrant dans cette zone, alors qu’il doit mesurer lui-même ses capacités pour choisir un parcours adapté ?


La cour d’appel de Grenoble a éclarté cette argumentation en retenant qu’une telle présence ne s’imposait pas.


Ensuite, au visa des témoignages produits, l’origine de l’accident était attribuée à une vitesse excessive et à une prise d’élan trop importante du pratiquant.


Pour les magistrats, il appartient à l’utilisateur d’une zone spécifique, de décider de son élan, en fonction de son niveau, sans que ladite zone d’élan n’ait besoin d’être matérialisée, le référentiel AFNOR relatif aux pistes spécifiquement aménagées ne l’imposant pas.


 


Cour d’appel de Grenoble, 18 septembre 2018

Monsieur Dubois, président

Madame Lamoine, conseillère

Monsieur Grava, conseiller


 


« … L’exploitant du domaine skiable est tenu d’une obligation de sécurité de moyens à l’égard des usagers de ce domaine skiable... Si cette obligation est renforcée dans le cadre d’aménagements spécifiques apportés au terrain naturel de nature à en augmenter la dangerosité, ce renforcement ne change pas la nature de cette obligation, et la juridiction saisie doit donc apprécier si des moyens suffisants ont été mis en œuvre par l’exploitant pour assurer la sécurité des usagers… au vu de l’ensemble des éléments du dossier, c’est à bon droit que le tribunal a retenu qu’il n’était démontré aucun manquement de l’exploitant de la station à son obligation de moyens tel qu’il ait directement concouru à la survenance du dommage et qu’il a, par conséquent rejeté les demandes de Monsieur X. Confirme le jugement déféré. »


 


Le water slide


L’information des pratiquants utilisateurs d’un « water slide » nécessite une attention particulière.


Cet aménagement consiste en une étendue d’eau artificielle, d’une longueur de 15 mètres, mise en place en bas d’une piste damée et qu’il convient de franchir en évitant de chuter.


Une skieuse adulte, après avoir laissé son jeune fils emprunter ce parcours sans difficulté, s’élance : filmée par son époux, elle se positionne trop en arrière et chute, ce qui lui provoque une torsion de la colonne vertébrale.


Dans un premier temps, le tribunal de grande instance d’Albertville (devenu tribunal judiciaire depuis le 1er janvier 2020), par un jugement du 15 décembre 2017, retient que la pratiquante qui s’élance sur ce type de parcours, a conscience du risque que comporte une telle activité – notamment en cas de chute. Dès lors, en l’absence de faute de l’exploitant dans l’aménagement de ce secteur visible et annoncé par des panneaux, aucune responsabilité ne pouvait être retenue.


Telle n’est pas l’analyse de la cour d’appel de Chambéry qui, dans un arrêt du 27 juin 2019, réforme ce jugement sur la base d’un défaut d’information de l’exploitant pour cet aménagement spécifique.


Pourtant, des panneaux de préconisations étaient en place, incitant le candidat à vérifier si l’aire d’arrivée était dégagée, à respecter l’ordre de départ, puis à libérer rapidement l’aire d’arrivée – avec le port du casque vivement conseillé.


Mais pour les magistrats de la Cour, « aucune mention n’est relative aux risques spécifiques de cet exercice, au niveau de difficulté potentiel et aux compétences requises pour réussir l’entreprise escomptée ».


Ainsi, même si le parcours est visible, l’obligation de sécurité qui incombe à l’exploitant se trouve étendue à une information spécifique et renforcée dans une zone spécifiquement aménagée.


La Cour ajoute que la vidéo met en exergue une différence de niveau entre la piste de ski et la piscine, « élément de déséquilibre venant nécessairement accentuer le risque de chute ».


Une part de responsabilité incombe-t-elle à la skieuse qui n’a pas adopté la position adéquate alors que son époux, audible sur la vidéo versée aux débats, lui enjoignait de corriger sa position et de se redresser ? Pour les magistrats chambériens, la responsabilité de l’exploitant doit être entièrement retenue « indépendamment du comportement personnel de la victime à qui il ne peut être reproché une faute de posture en l’absence de toute information sur la conduite à tenir ».


Cette analyse découle sans doute du fait qu’il s’agit là d’une activité non-présente dans la configuration naturelle des pistes de ski d’une station et que les magistrats considèrent que de telles zones ne se résument pas à un simple espace ludique sans risque ni danger. C’est sans doute réduire le rôle actif du skieur lorsqu’il emprunte une piste ou pénètre dans un espace spécifiquement aménagé.


 


Cour d’appel de Chambéry, 27 juin 2019

Monsieur Madinier, présidente

Madame Oudot, conseillère

Monsieur Therolle, conseiller rapporteur

 


« … L’examen de la photographie de l’attraction ainsi que la vidéo de la chute de Madame B mettent en exergue une différence de niveau entre la piste de ski et la piscine, éléments de déséquilibre venant nécessairement accentuer le risque de chute. En conséquence, il est établi que l’exploitant a manqué à son obligation de sécurité de moyen en n’avertissant pas les usagers des risques de chute et d’accident encourus. Sa responsabilité dans l’accident de Madame B doit être retenue indépendamment du comportement personnel de celle-ci à qui il ne peut être reproché une faute de posture en l’absence de toute information sur la conduite à tenir. La décision de première instance sera donc réformée en ce sens… »



Maurice Bodecher,

Bâtonnier 2019/2020 du Barreau d’Albertville,

Avocat (Avocatcimes), Albertville,

Membre du réseau GESICA



Élisabeth Arnaud-Bodecher,

Avocat honoraire,

Co-auteur de « Carnet Juridique du Ski »


Margot Mondon,

étudiante en Master 2

droit de la montagne

(Université Chambéry-Grenoble).


Morgane Mari,

étudiante en Master
droit de la montagne
(Université Chambéry – Grenoble).






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