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Étude sur la situation professionnelle des avocats en période de Covid-19 – e-débat du Conseil national des barreaux

Étude sur la situation professionnelle des avocats en période de Covid-19 – e-débat du Conseil national des barreaux
Publié le 12/05/2020 à 18:07

Le 21 avril dernier, Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB, Xavier Autain, président de la Commission communication du CNB, Jean-Michel Calvar, bâtonnier et président de l’Observatoire national de la profession d’avocat, et Christophe Thévenet, membre du bureau du CNB ont présenté les résultats de l’étude menée par l’Observatoire national de la profession d’avocat sur la situation de la profession en cette période de crise sanitaire. Les réponses de plus de 10 000 avocats ont fait ressortir l’ampleur et la dureté de la crise.


« Les avocats sont, comme beaucoup d’autres professions, directement impactés par la crise. Et le rôle de notre institution, le rôle du Conseil national des barreaux, c’est de mesurer cet impact, de le traiter, de négocier les aides adéquates, de les imaginer si celles proposées par l’État sont inadaptées aux avocats » a solennellement déclaré Christiane Féral-Schuhl en préambule de ce débat en ligne.C’est donc dans cette optique que l’Observatoire national de la profession d’avocat du CNB a lancé en avril – plus précisément du 8 au 12 avril – un questionnaire pour mesurer l’impact de la crise Covid-19 sur la profession.

Comme s’en est félicité la présidente du Conseil, il s’agit d’un sondage inédit puisque plus de 10 000 avocats ont répondu aux questions sur près de 70 000 que compte la profession, « une première en termes de participation » a précisé Maître Féral-Schuhl.

Moins réjouissantes, les réponses apportées par les professionnels du droit témoignent de l’ampleur et de la dureté de la crise, laquelle n’est pas prête de prendre fin.

L’étude menée par l’Observatoire révèle également que les avocats ont des craintes par rapport au déconfinement qui a commencé le 11 mai dernier. En effet, comme l’a rappelé la présidente du CNB, au début de la crise, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a confié aux chefs de juridictions la gestion du confinement. Les tribunaux sont donc aujourd’hui «  à l’arrêt en ordre dispersé » a dénoncé la présidente du CNB. Pour Christiane Féral-Schuhl, le gouvernement a pris le risque d’instaurer une justice à 164 vitesses, soit autant que de tribunaux et de barreaux en France. « Nous craignons que les conditions d’un déconfinement judiciaire soient tout autant disparates » a-t-elle affirmé. Cette étude révèle également que malgré la crise, les avocats continuent majoritairement à payer leurs charges et leurs cotisations sociales et professionnelles. Ils remplissent donc leur devoir même si cela leur en coûte.

Bref,  «  on voit des avocats qui assument quasiment seuls, souvent sur leurs propres deniers, sur leurs propres économies, du fait de l’insuffisance des solutions proposées par l’État » a dénoncé Maître Féral-Schuhl, avant de rappeler à quel point le statut de libéral est un statut fragile en ces temps troublés. Déjà, la profession l’avait scandé pendant la grève contre le projet de réforme des retraites. Le statut du libéral ne peut se confondre avec celui du salarié ni avec celui du fonctionnaire, parce que les libéraux ne disposent pas des protections sociales du salarié ni de la garantie de l’emploi. « Nous sommes vulnérables en présence d’accidents de la vie, et la crise actuelle est un accident de la vie » a déclaré la présidente du CNB.


UNE CRISE TRÈS DURE POUR LA PROFESSION

 

Jean-Michel Calvar, bâtonnier et président de l’Observatoire national de la profession d’avocat a ensuite présenté les résultats de l’étude[1]. Il a commencé par féliciter tous ceux qui ont pris le temps de répondre au questionnaire : « Si nous n’avons pas ces réponses à ces sondages, à ces questions nos institutions sont aveugles. Seules vos réponses permettent d’avoir une image à un instant T » a-t-il déclaré.


Le profil des répondants


Globalement, 65  % de femmes et 35  % d’hommes avocats ont répondu aux questions envoyées par l’Observatoire. Il s’agit majoritairement de «  confrères » qui ont opté pour le régime fiscal des BNC (Bénéfices non commerciaux). 70 % de ceux qui ont répondu ont un revenu inférieur au fameux seuil étatique de 60 000 euros par an, un seuil fixé pour 2019 comme référence pour pouvoir bénéficier du Fonds de solidarité.

Quant à leur statut d’exercice, il s’agit principalement d’avocats en exercice individuel à hauteur de 53 %, 28 % sont des associés dans des structures, 19 % des collaborateurs libéraux et 1 % des collaborateurs salariés.

Les répondants sont également 36 % à avoir moins de 40 ans, 30 % entre 40 et 49 ans, 23 % entre 50 et 59 ans et 10 % à avoir plus de 60 ans. « Vous avez été majoritairement très jeunes à répondre : 66 % des répondants ont moins de 49 ans, ce qui correspond exactement à l’image de la profession aujourd’hui » a précisé le bâtonnier Calvar.

Enfin s’agissant de leur activité, 70 % des répondants exercent une activité judiciaire ou du moins à grandes dominantes judiciaires, 15 % à avoir une activité mixte et 15 % à avoir une activité juridique ou à dominante juridique.


Niveau d’activité à l’issue de la première période de confinement


À l’issue de la première période de confinement, c’est-à-dire après les trois premières semaines, 41 % des répondants ont déclaré avoir arrêté toute activité, 56 % ont déclaré être partiellement arrêtés. Et même à temps partiel, « vous avez été nombreux à nous répondre, à 66 %, que votre activité est en réalité réduite de plus de moitié » a précisé le président de lObservatoire.

En outre, 89 % des répondants ont indiqué que la possibilité de facturation est réduite quasiment entre 50 à 0 %, et 86 % ont répondu qu’ils ne pouvaient plus se rémunérer.

La plupart des collaborateurs libéraux étant dans une situation de dépendance vis-à-vis des cabinets, 59 % d’entre eux sont partiellement arrêtés, 9 % n’ont plus aucune activité et 32 % d’entre eux ont une activité normale.

Quant aux collaborateurs salariés, 14 % d’entre eux sont totalement arrêtés, 14 % sont partiellement arrêtés et 4 % ont une activité  à peu près normale. En outre, 60 % d’entre eux sont en télétravail et 21 % sont au chômage partiel.


Les mesures prises pour faire face au confinement 


À une très grande majorité, ceux qui possèdent un cabinet ont confié qu’ils avaient dû recourir au chômage partiel : 71 % d’entre eux ont opté pour cette forme de protection. 46 % ont essayé de mettre en place le télétravail (il s’avère que cela n’est pas toujours facile à mettre en pratique), et 1 % seulement ont eu recours à des mesures de licenciement.

«  Nous pouvons être fiers de notre profession qui respecte ses engagements, que ce soit vis-à-vis de ses collaborateurs libéraux ou vis-à-vis de ses salariés » s’est réjoui le président de l’Observatoire national de la profession d’avocat.

En outre, il ressort des réponses que pour sauver leur cabinet, 77 % des répondants sont prêts à renoncer à leur rémunération, 32 % ont indiqué qu’ils allaient essayer d’obtenir un renouvellement des crédits, et 31 % vont recourir à des prêts de trésorerie. De même 62 % des répondants ont déjà sollicité le fameux Fonds de solidarité de 1 500 euros promis par l’État.


Les principaux obstacles à la continuité de l'activité


84 % des avocats qui ont répondu au questionnaire ont indiqué que l’obstacle principal pour la continuité de leur activité était la fermeture totale ou partielle des institutions, « c’est-à-dire des tribunaux, des greffes… de toutes ces institutions auxquelles nous avons tous les jours besoin de faire appel pour pouvoir régler nos actes, nos problèmes de procédures, pour pouvoir avancer dans notre activité » a précisé Maître Calvar.

Pour 62 % d’entre eux, un autre obstacle majeur concerne le dysfonctionnement des services postaux. « Jusqu’à aujourd’hui, les levées de courriers étaient particulièrement maigres, ou bien le courrier n’arrive pas. Or la plupart de la documentation transite par les services postaux » a rappelé le bâtonnier.

61 % ont en outre dénoncé, dans leurs réponses, le fait qu’il n’y ait aucune visibilité sur les plans de continuité des juridictions. En effet, «  chaque juridiction a fait son plan de continuité à sa sauce. Certains sont importants, d’autres sont médiocres, d’autres sont quasiment inexistants » a lui aussi dénoncé le président de l’Observatoire.

Enfin, les répondants ont déploré le non-traitement du RPVA/RPVJ. Certes, le RPVA fonctionne : « jusqu’à preuve du contraire, nous pouvons toujours introduire nos pièces de procédure, nous pouvons toujours questionner et envoyer des lettres » a affirmé Maître Calvar. Cependant, les avocats n’ont pas de réponse en retour : «  le RPVJ est apparemment muet » a souligné le bâtonnier.

Bref, ces quatre difficultés essentielles sont des obstacles majeurs pour l’exercice de la profession, et comme l’a précisé Maître Calvar, il s’agit principalement d’obstacles administratifs.


Quelles priorités pour demain ?


Comment les avocats envisagent-ils l’avenir après cette crise ?

Pas moins de 28 % d’entre eux envisagent une nouvelle orientation de l’activité dominante de leur cabinet ou de la leur personnellement, et 28 % ont clairement indiqué envisager de changer de métier…

23 % ont indiqué envisager une mesure de protection de leur cabinet, c’est-à-dire recourir à une procédure de sauvegarde, voire de redressement judiciaire.

10 % des répondants envisagent des mesures de résiliation des contrats de collaboration, 6 % des mesures de licenciement de salariés, 6 % une retraite anticipée et 5 % une fermeture définitive du cabinet. «  Bref, vous êtes 28 000 avocats sur 70 000, si l’on extrapole ce sondage, à vous interroger quand même sur votre maintien dans la profession » a déclaré avec gravité le président de lObservatoire et initiateur de l’étude.

Or, selon lui, «  il faut demeurer confiant, il ne faut pas demain un barreau qui serait réduit de moitié. Nous serions vraiment dans une situation indigne de la France » s’est-il ému.


CE QUE PEUT FAIRE LE CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX


Comme l’a rappelé la présidente du CNB, au-delà du constat, le Conseil national des barreaux doit agir. C’est pourquoi, depuis le début du confinement, le CNB tente de faire modifier les aides de l’État pour que celles-ci soient consistantes et satisfaisantes.

Ainsi, quelques jours après la diffusion de ce débat, le 23 avril, le CNB s’est entretenu avec la garde des Sceaux. Le Conseil national des barreaux a réclamé un plan d’urgence et de sauvegarde pour les cabinets d’avocats.

Avant cette rencontre, Christiane Féral-Schuhl a rappelé que toutes les professions réglementées du droit ont réclamé unanimement, à l’initiative du Conseil national des barreaux, une exonération des charges sociales.

Le CNB réclame également un plan de résorption des délais dans les tribunaux en priorisant la délivrance des décisions en attente et de jugement pendant la période de confinement.

Quant aux vacations judiciaires, «  nous sommes nombreux à penser que la période estivale ne peut pas être une période sans justice après quasiment deux mois de confinement… nous avons donc demandé des chiffres, des statistiques pour s’assurer que le stock des décisions, tant attendues par les justiciables, est en train de se réduire de manière à ce que nous n’ayons pas eu une double peine à la sortie » a ajouté la présidente du Conseil.

Enfin, Christiane Féral-Schuhl souhaiterait qu’à l’instar des pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, les avocats soient désignés en France comme des acteurs essentiels (key workers) au bon fonctionnement de la nation (puisque la justice est essentielle dans un pays), et qu’à ce titre ils soient protégés au mieux par l’État.

«  L’enjeu qui est le nôtre, c’est de préserver l’accès au droit dans notre pays, protéger la formidable place de droit qu’est la France en Europe et dans le monde » a-t-elle conclu. 


Maria-Angélica Bailly

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