Le 21 avril dernier, Christiane Féral-Schuhl,
présidente du CNB, Xavier Autain, président de la Commission communication du
CNB, Jean-Michel Calvar, bâtonnier et président de l’Observatoire national de
la profession d’avocat, et Christophe Thévenet, membre du bureau du CNB ont
présenté les résultats de l’étude menée par l’Observatoire national de la
profession d’avocat sur la situation de la profession en cette période de crise
sanitaire. Les réponses de plus de 10 000 avocats ont fait ressortir
l’ampleur et la dureté de la crise.
« Les avocats sont, comme beaucoup d’autres
professions, directement impactés par la crise. Et le rôle de notre institution,
le rôle du Conseil national des barreaux, c’est de mesurer cet impact, de le
traiter, de négocier les aides adéquates, de les imaginer si celles proposées
par l’État sont inadaptées aux avocats » a solennellement déclaré Christiane Féral-Schuhl en préambule de ce débat
en ligne.C’est donc dans cette optique que l’Observatoire
national de la profession d’avocat du CNB a lancé en avril – plus précisément
du 8 au 12 avril – un questionnaire pour mesurer l’impact de la crise Covid-19
sur la profession.
Comme s’en est félicité la présidente du Conseil, il
s’agit d’un sondage inédit puisque plus de 10 000 avocats ont répondu aux questions sur près de 70 000 que compte la profession, « une première en termes de participation » a précisé Maître Féral-Schuhl.
Moins réjouissantes, les réponses apportées par les
professionnels du droit témoignent de l’ampleur et de la dureté de la crise,
laquelle n’est pas prête de prendre fin.
L’étude menée par l’Observatoire révèle également que
les avocats ont des craintes par rapport au déconfinement qui a commencé le
11 mai dernier. En effet, comme l’a rappelé la présidente du CNB, au début
de la crise, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a confié aux chefs de
juridictions la gestion du confinement. Les tribunaux sont donc aujourd’hui «
à l’arrêt en ordre dispersé » a
dénoncé la présidente du CNB. Pour Christiane Féral-Schuhl, le gouvernement a
pris le risque d’instaurer une justice à 164 vitesses, soit autant que de
tribunaux et de barreaux en France. « Nous craignons que les conditions
d’un déconfinement judiciaire soient tout autant disparates » a-t-elle affirmé. Cette étude révèle également que malgré la crise, les
avocats continuent majoritairement à payer leurs charges et leurs cotisations sociales et professionnelles. Ils remplissent donc leur devoir même si cela leur en coûte.
Bref, « on voit des avocats qui assument quasiment seuls, souvent sur
leurs propres deniers, sur leurs propres économies, du fait de l’insuffisance
des solutions proposées par l’État » a dénoncé Maître Féral-Schuhl, avant de rappeler à quel point le statut de libéral est un statut
fragile en ces temps troublés. Déjà, la profession l’avait scandé pendant la
grève contre le projet de réforme des retraites. Le statut du libéral ne peut
se confondre avec celui du salarié ni avec celui du fonctionnaire, parce que
les libéraux ne disposent pas des protections sociales du salarié ni de la
garantie de l’emploi. « Nous sommes vulnérables en présence d’accidents
de la vie, et la crise actuelle est un accident de la vie » a déclaré la présidente du CNB.
UNE CRISE
TRÈS DURE POUR LA PROFESSION
Jean-Michel Calvar, bâtonnier et président de l’Observatoire national de
la profession d’avocat a ensuite présenté les résultats de l’étude. Il a
commencé par féliciter tous ceux qui ont pris le temps de répondre au
questionnaire : « Si nous
n’avons pas ces réponses à ces sondages, à ces questions nos institutions sont
aveugles. Seules vos réponses permettent d’avoir une image à un instant T » a-t-il déclaré.
Le
profil des répondants
Globalement, 65 % de femmes et 35 % d’hommes
avocats ont répondu aux questions envoyées par l’Observatoire. Il s’agit
majoritairement de « confrères »
qui ont opté pour le régime fiscal des BNC (Bénéfices non commerciaux). 70 % de ceux
qui ont répondu ont un revenu inférieur au fameux seuil étatique de 60 000 euros par an, un seuil fixé pour 2019 comme référence pour pouvoir
bénéficier du Fonds de solidarité.
Quant à leur statut d’exercice, il s’agit
principalement d’avocats en exercice individuel à hauteur de 53 %,
28 %
sont des associés dans des structures, 19 % des collaborateurs libéraux et
1 %
des collaborateurs salariés.
Les répondants sont également 36 % à avoir moins de 40 ans, 30 % entre 40
et 49 ans, 23 %
entre 50 et 59 ans et 10 %
à avoir plus de 60 ans. « Vous avez été majoritairement très jeunes à répondre : 66 %
des répondants ont moins de 49 ans, ce qui correspond exactement à l’image de
la profession aujourd’hui » a
précisé le bâtonnier Calvar.
Enfin s’agissant de leur activité, 70 % des
répondants exercent une activité judiciaire ou du moins à grandes dominantes
judiciaires, 15 %
à avoir une activité mixte et 15 %
à avoir une activité juridique ou à dominante juridique.
Niveau
d’activité à l’issue de la première période de confinement
À l’issue de la première période de confinement, c’est-à-dire après les
trois premières semaines, 41 % des répondants ont déclaré avoir arrêté
toute activité, 56 % ont déclaré être
partiellement arrêtés. Et même à temps partiel, « vous avez été
nombreux à nous répondre, à 66 %, que votre activité est en
réalité réduite de plus de moitié » a
précisé le président de l’Observatoire.
En outre, 89 % des répondants ont indiqué
que la possibilité de facturation est réduite quasiment entre 50 à 0 %, et 86 % ont répondu qu’ils ne pouvaient plus se
rémunérer.
La plupart des collaborateurs libéraux étant dans une situation de
dépendance vis-à-vis des cabinets, 59 % d’entre eux sont
partiellement arrêtés, 9 % n’ont plus aucune activité
et 32 % d’entre eux ont une activité
normale.
Quant aux collaborateurs salariés, 14 % d’entre eux sont totalement arrêtés, 14 % sont partiellement arrêtés et 4 % ont une activité à peu près normale. En outre, 60 % d’entre eux sont en télétravail et 21 % sont au chômage partiel.
Les
mesures prises pour faire face au confinement
À une très grande majorité, ceux qui possèdent un
cabinet ont confié qu’ils avaient
dû recourir au chômage partiel : 71 % d’entre eux ont opté pour
cette forme de protection. 46 %
ont essayé de mettre en place le télétravail (il s’avère que cela n’est pas
toujours facile à mettre en pratique), et 1 % seulement ont eu recours à des
mesures de licenciement.
« Nous
pouvons être fiers de notre profession qui respecte ses engagements, que
ce soit vis-à-vis de ses collaborateurs libéraux ou vis-à-vis de ses salariés »
s’est réjoui le président
de l’Observatoire national de la profession d’avocat.
En outre, il ressort des réponses que pour sauver
leur cabinet, 77 %
des répondants sont prêts à renoncer à leur rémunération, 32 % ont
indiqué qu’ils allaient essayer d’obtenir un renouvellement des crédits, et 31 % vont
recourir à des prêts de trésorerie. De même 62 % des répondants ont déjà sollicité
le fameux Fonds de solidarité de 1 500 euros promis par l’État.
Les
principaux obstacles à la continuité de l'activité
84 % des avocats qui ont répondu au questionnaire ont
indiqué que l’obstacle principal pour la continuité de leur activité était la
fermeture totale ou partielle des institutions, « c’est-à-dire des
tribunaux, des greffes… de toutes ces institutions auxquelles nous avons tous
les jours besoin de faire appel pour pouvoir régler nos actes, nos problèmes de
procédures, pour pouvoir avancer dans notre activité » a précisé Maître Calvar.
Pour 62 % d’entre eux, un autre obstacle majeur
concerne le dysfonctionnement des services postaux. « Jusqu’à
aujourd’hui, les levées de courriers étaient particulièrement maigres, ou bien
le courrier n’arrive pas. Or la plupart de la documentation transite par les
services postaux » a rappelé
le bâtonnier.
61 % ont en outre dénoncé, dans
leurs réponses, le fait qu’il n’y ait aucune visibilité sur les plans de continuité des juridictions. En effet, «
chaque juridiction a fait son plan de continuité à sa sauce. Certains sont
importants, d’autres sont médiocres, d’autres sont quasiment inexistants »
a lui aussi dénoncé le président de l’Observatoire.
Enfin, les répondants ont déploré le non-traitement
du RPVA/RPVJ. Certes, le RPVA fonctionne : « jusqu’à preuve du contraire, nous pouvons toujours introduire nos pièces
de procédure, nous pouvons toujours questionner et envoyer des lettres » a affirmé Maître Calvar. Cependant, les avocats n’ont pas de réponse
en retour : « le RPVJ est
apparemment muet » a souligné le bâtonnier.
Bref, ces quatre difficultés essentielles sont des
obstacles majeurs pour l’exercice de la profession, et comme l’a précisé Maître
Calvar, il s’agit principalement d’obstacles administratifs.
Quelles
priorités pour demain ?
Comment les avocats envisagent-ils l’avenir après
cette crise ?
Pas moins de 28 % d’entre eux envisagent une
nouvelle orientation de l’activité dominante
de leur cabinet ou de la leur personnellement, et 28 % ont
clairement indiqué envisager de changer de métier…
23 % ont indiqué envisager une mesure de protection
de leur cabinet, c’est-à-dire recourir à une procédure de sauvegarde, voire de
redressement judiciaire.
10 % des répondants envisagent des mesures de
résiliation des contrats de collaboration, 6 % des mesures de licenciement de
salariés, 6 %
une retraite anticipée et 5 %
une fermeture définitive du cabinet. «
Bref, vous êtes 28 000 avocats
sur 70 000, si l’on extrapole ce sondage, à vous interroger quand même sur
votre maintien dans la profession »
a déclaré avec gravité le président de
l’Observatoire et initiateur de l’étude.
Or, selon lui, « il faut demeurer confiant, il
ne faut pas demain un barreau qui serait réduit de moitié. Nous serions
vraiment dans une situation indigne de la France » s’est-il ému.
CE QUE PEUT FAIRE LE CONSEIL
NATIONAL DES BARREAUX
Comme l’a rappelé la présidente du CNB, au-delà du
constat, le Conseil national des barreaux doit agir. C’est pourquoi, depuis le
début du confinement, le CNB tente de faire modifier les aides de l’État pour
que celles-ci soient consistantes et satisfaisantes.
Ainsi, quelques jours après la diffusion de ce débat,
le 23 avril, le CNB s’est entretenu avec la garde des Sceaux. Le Conseil
national des barreaux a réclamé un plan d’urgence et de sauvegarde pour les
cabinets d’avocats.
Avant cette rencontre, Christiane Féral-Schuhl a
rappelé que toutes les professions réglementées du droit ont réclamé
unanimement, à l’initiative du Conseil national des barreaux, une exonération des charges sociales.
Le CNB réclame également un plan de résorption des
délais dans les tribunaux en priorisant la délivrance des décisions en attente
et de jugement pendant la période de confinement.
Quant aux vacations judiciaires, « nous
sommes nombreux à penser que la période estivale ne peut pas être une période
sans justice après quasiment deux mois de confinement… nous avons donc demandé
des chiffres, des statistiques pour s’assurer que le stock des décisions, tant
attendues par les justiciables, est en train de se réduire de manière à ce que
nous n’ayons pas eu une double peine à la sortie » a ajouté la présidente du Conseil.
Enfin, Christiane Féral-Schuhl souhaiterait qu’à
l’instar des pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, les avocats soient
désignés en France comme des acteurs essentiels (key workers) au bon
fonctionnement de la nation (puisque la justice est essentielle dans un pays),
et qu’à ce titre ils soient protégés au mieux par l’État.
« L’enjeu
qui est le nôtre, c’est de préserver l’accès au droit dans notre pays, protéger
la formidable place de droit qu’est la France en Europe et dans le monde »
a-t-elle conclu.
Maria-Angélica Bailly