En août 2018, je tentais dans le JSS un 1er bilan de la
loi quota ou Copé-Zimmermann1 en questionnant sur ce que
la mixité pourrait changer au sein des conseils d’administration et de
surveillance, voire au-delà, dans les Codir/Comex, et interrogeais sur l’effet
d’entraînement sur la politique d’égalité des entreprises. J’y écrivais :
« Le monde bouge vite, le moteur de pouvoir passe la main à celui de la
responsabilité. Les membres du conseil sont responsables de la conduite de
l’entreprise au nom de l’intérêt social, dans une perspective pérenne et
inclusive. » En 2021, en pleine pandémie et bouleversement économique, les
interrogations sur la place des parties prenantes, la mission de la société ou
la place des administrateurs salariés au conseil sont autant d’éléments de
gouvernance qui viennent abonder cette perspective. Et la question posée de la
place des femmes au sein des CA est désormais étendue aux espaces de
« dirigeance », pour des raisons d’égalité, mais également de « business
case », car les femmes doivent pouvoir être agents de changement,
étant moins tolérantes aux petits arrangements entre amis et souvent porteuses
d’une vision RSE engagée. On a fêté les dix ans de cette loi qui a changé
la donne, mais reste à compléter. Nombre de propositions émanant du HCE, de
l’AFEC, d’un collectif de 120 réseaux, etc., ont été présentées aux instances
gouvernementales. J’ai souhaité ici reprendre quelques éléments un peu
différents présentés lors de mon audition à l’Assemblée nationale, désireuse
que nos député.es adoptent un angle de tir plus global.
L’après loi Copé/Zimmermann
Alors que
des voix s’élèvent pour des quotas sur les Codir/Comex et autres questions complexes, il est important de conserver une vision
globale tout en allant dans le détail, car le diable est dans les détails.
UN EFFET QUOTA INDÉNIABLE MAIS INCOMPLET
L’effet incontestablement positif
d’un quota sur les Conseils d’administration en France
Gender Equality Index 2019 (European Institute for Gender Equality)
Des incomplétudes sur les données
en deçà du périmètre de la cote
Comme le dit Floriane de Saint-Pierre, disposer de chiffres permet de
situer les questions, se fixer des objectifs de progression. Or, nous faisons face à un problème de data
en deçà de la cote. Les rares études menées (Karima Bouaiss et Viviane de
Beaufort - CEDE 20152 et AFECA Télescop 20173) démontrent le besoin criant.
à cet
égard, parmi les pistes proposées, je retiens celles-ci :
•
enrichissement de l’Index Penicaud avec un reporting sur la composition des CA
valorisé avec le système de points (préconisation reprise par le HCE le 26 janvier 20214) ;
• trois
propositions de l’AFEC : obligation déclarative annuelle au Registre
national du commerce et des sociétés de la composition de leurs organes de
gouvernance et de dirigeance avec le dépôt des comptes annuels ; créer un
indice de parité dans la gouvernance calculé à partir de cette déclaration qui
devient un élément de la fiche d’identité d’une entreprise ; instaurer un
contrôle de ces informations par les greffes des tribunaux de commerce5.
Déployer la mixité des Conseils
d’administration car même au cœur du SBF120, des espaces
demeurent à conquérir
• Quid de l’influence des
administratrices nommées ? Elle est à mesurer objectivement en fonction du
nombre de présidences dans les comités, etc. Un ou une nouvelle nommée fait ses
classes au sein d’un Conseil, ce qu’il faut vérifier, c’est si après quelques
années, elles prennent les postes à responsabilités au sein des Comités…
• Pourquoi ne pas imposer la mixité du duo
d’administrateur salarié lorsqu’un 2e administrateur.e est prévu
dans les Conseils (+ de 8 membres) ?
• étendre le périmètre du quota sur les conseils des filiales importantes
des têtes de groupe ?
• Limiter le cumul des mandats et la durée pour
ouvrir les possibilités de nominations (Cette question peu soulevée est un
verrou majeur de mixité et de diversité, car les nouvelles nominations
concernent souvent de nouveaux profils de compétences et des personnes plus
jeunes)
• Focus sur les sanctions : la
sanction relative aux rémunérations peut jouer sur les grandes entreprises mais
pas sur les plus petites où les rémunérations sont inexistantes ou très
faibles. La nullité des décisions du conseil (pour le moment, hypothèse
d’école, puisque le manque de data crée un risque juridique si ce principe
n’est pas assorti de cas de force majeure (décès, démission, santé…), car il
est difficile de remplacer un membre de conseil si l’entreprise n’est pas en
compliance pour l’AG n+1, alors la sanction aura vocation à s’appliquer.
QUELS OUTILS POUR ACCÉLÉRER LA MIXITÉ DES ESPACES DE DIRIGEANCE (COMEX/CODIR OU ENCORE COPIL) ?
La diffusion sur les espaces de
dirigeance (Codir…) a démarré récemment
La corrélation entre le
pourcentage de femmes dans le conseil d’administration et le pourcentage de
femmes au Comité exécutif est très faible (coefficient de corrélation = -
0,0117)6, mais la dynamique monte.
Politiques publiques : quotas,
transparence, incitations
Quotas or not ?
Des difficultés à appliquer des
quotas en dirigeance
Il est
difficile de légiférer sur des entités multiformes dont les pratiques de
renouvellement ne sont pas « normées », ni les dates de
renouvellement fixées… Ensuite interviennent divers problèmes potentiels:
insuffisance de parcours dirigeants des femmes (stock) ; risque
d’appauvrissement prématuré du vivier de relève (flux). Un argument
souvent entendu est lié au fait que les entreprises jouent leur survie avec des
mutations lourdes : Plans de transformation digitale et RSE,
changement de business models, la crise de la Covid accélère cette
situation d’urgence (plans sociaux). Cet argument doit être entendu mais peut
cependant être renversé : on a d’autant plus besoin, et vite, de talents
féminins. Il demeure clair que le rôle et la composition des Comex/Codir
se joue en termes de compétences et de diversité et n’est pas seulement avec un
impératif de mixité7.
S’il faut des quotas :
fixons-les avec progressivité et souplesse
Il
appartient à l’entreprise d’identifier elle-même ce qu’est son organe de
direction, ce qui évite le problème de la définition puisque les pratiques sont
variables. Ensuite, le périmètre peut être différencié entre des
entreprises concernées par un quota légal et des objectifs pour le hors cote.
Imaginons un quota obligatoire sur la cote en distinguant à nouveau entre le
périmètre du SBF120 et la cote en deçà, avec une exigence variable selon la taille
de l’organe de direction : > 5 membres : 20 % puis 1/3 ou 40 et < 5 membres : 1 femme parmi les 5 (pour comparaison en Allemagne 2 000 salariés) et un quota appliqué avec une
progressivité dans le temps (3/6 ans soit 2024-2027). Quid des sanctions à présent ? On peut
reprendre le principe de nullité des nominations intervenues, mais ayons aussi
en tête les conséquences indirectes liées à l’adoption de politiques
publiques incitatives genrées et les conséquences en termes de réputation Women’s
non friendly.
Le mouvement
de féminisation des espaces de dirigeance a été tardif mais il est entamé !
Entre les objectifs volontaires des codes de place et syndicats professionnels
et des politiques proactives individuelles d’entreprises au titre de la RSE,
les choses bougent.
Autres outils
égalitaires ?
Une
politique publique d’éga-conditionnalité (Brigitte Gresy – HCE)
Il s’agit
d’intégrer la mixité comme critère préférentiel d’une offre à valeur égale pour
l’obtention des marchés publics nationaux et régionaux et locaux et l’octroi de
financements publics (BPI) et d’investissements des fonds institutionnels
(CDC).
La piste de
l’enrichissement de l’Index Penicaud
Le reporting
est un levier : communiquer sur la part des femmes dans les instances de
direction ou bien la part des femmes dans les 10 % des cadres dirigeants
avec une valorisation importante en points qui peut être progressive dans le
temps. Il serait possible de prévoir que, si en 2024, les progrès ne sont pas sensibles, la loi
étendra le quota légal réservé aux entreprises cotées.
Engagements de l’entreprise
Des objectifs de place
L’AFEP a
pris une position engagée8 : le Code Afep-Medef en 29 janvier 2019 – Chap. 7?Politique de mixite femmes/hommes au sein des
instances dirigeantes : 7.1 Sur
proposition de la direction générale, le conseil détermine des objectifs de
mixité au sein des instances dirigeantes. La direction générale présente au
conseil les modalités de mise en œuvre des objectifs, avec un plan d’action et
l’horizon de temps dans lequel ces actions seront menées. La direction générale
informe annuellement le conseil des résultats obtenus.
7.2 Le conseil décrit, dans le rapport sur le gouvernement
d’entreprise, la politique de mixité appliquée aux instances dirigeantes ainsi
que les objectifs de cette politique, leurs modalités de mise en œuvre, les
résultats obtenus au cours de l’exercice écoulé, en incluant le cas échéant,
les raisons pour lesquelles les objectifs n’auraient pas été atteints et les
mesures prises pour y remédier ».
En décembre 2019, le HCGE indique à cet égard vouloir parvenir à une
représentation équilibrée dans les instances de direction : « Nous
n’hésiterons pas à saisir les sociétés qui ont une politique insuffisante dans
ce domaine » (Patricia Barbizet).
La pression des
Investisseurs institutionnels
L’égalité
hommes-femmes monte en puissance auprès des investisseurs : Morgan Stanley
a lancé en 2013 son Parity-Portfolio qui investit dans des entreprises dont le conseil
d’administration ou de surveillance compte au moins trois femmes. Barclays a
son nouvel indice composé d’entreprises américaines « WomeninLeadershipIndex »,etc.
Les fonds de pension sont de plus en plus sensibles à cette question et font
pression refusant d’investir dans des groupes non paritaires (ex. : le
fonds norvégien, Calpers, Blackrock…), d’autres demandent une progression
notable 30 % (CDC-France). Dès lors, le sujet est de plus en plus
régulièrement évoqué en AG : les entreprises anticipent avec
différentes mentions (rapport du Comité de nomination ; clip vidéo sur une
politique proactive de réduction des écarts salariaux ; mention de la
diversité comme « richesse » du Groupe ; mention dans des
discours des P/DG sur l’importance de la présence des femmes).
Business case
Les
entreprises recherchent des talents féminins pour leur valeur ajouté propre,
c’est avant tout un Business case9.
• Recruter des femmes et des hommes permet
d’élargir la taille du marché du travail et donc d’accroître la probabilité de
recruter des ressources humaines de meilleure qualité et plus compétentes.
• La moitié des consommateurs sont des femmes.
• La diversité des expériences et des
convictions améliore les processus de décision et la créativité.
• La promotion de femmes est une motivation
pour les femmes de l’entreprise.
• La diversité est une preuve d’ouverture que
les clients, pouvoirs publics, actionnaires, médias scrutent désormais.
• Comme tout nouvel entrant, les femmes ont des
attentes importantes.
écartées de ces espaces de pouvoir, elles ont
développé une version idéalisée du fonctionnement des espaces de gouvernance et
de dirigeance. En tant que minoritaires, le complexe de l’Imposteur fait son
œuvre et elles recourent aux compétences pour se rassurer sur leur légitimité
de « femme quota », préparant leurs dossiers. Des « patrons »
le disent, leur Conseil mixte est « plus professionnel, plus
efficient ».
Les travaux
« Gender and Governance » menés en 2011 au CEDE10 et vérifiés maintes fois depuis en divers
cercles et au sein du programme Women Board Ready - ESSEC11,
puisent leur source dans la littérature académique concernant les rapports
minoritaires/majoritaires entre ethnies dans les universités aux USA et
permettent de distancier de la problématique Femme/Homme. Le minoritaire
apprend l’écoute, développe une capacité de coopération, de médiation et a une
capacité d’anticipation parce qu’il a appris à « écouter » (… le
majoritaire). Le complexe de l’Imposteur le conduit à être assidu et à
s’emparer des sujets. Son potentiel passé de discriminé/e le conduit à
s’opposer à ce qui est non conforme à ses convictions, et à être attaché/e aux
règles.
UNE POLITIQUE DE SOUTIEN DES INDIVIDUES DANS LEUR CARRIÈRE
N’oublions
pas l’autre côté du miroir : la nécessité d’adopter une démarche globale
sur les freins récurrents à l’évolution de carrière des femmes, car imposer des
quotas, c’est demeurer dans l’incantatoire si on n’accompagne pas le vivier
(action dite de rattrapage).
• Faciliter l’accès des femmes aux formations
certifiantes et diplômantes executive (généralistes ou dédiées sur la
dirigeance et la gouvernance) pour créer un effet de rattrapage de carrière
lié ; insister sur les soft skills (lutte contre le complexe de
l’Imposteur) ; prévoir des bourses et accepter le temps de formation, donc
un allègement provisoire de charge de travail.
• Déployer le Mentoring en interne12 et le Coaching.
• Développer les réseaux internes et favoriser
l’appartenance à des réseaux externes.
• Recruter plus de femmes dans les secteurs
masculins et encourager par tous les moyens la mixité des filières notamment
dans les STEM13.
• Promouvoir – rendre visibles les femmes
dirigeantes en interne et externe.
CONCLUSION, UN DOUBLE CRI DU CŒUR
• L’impérative sensibilisation des dirigeants
à l’ouverture à la diversité au-delà de la mixité. La reproduction des parcours
est en France avec le syndrome du miroir qui crée des castes, une réalité. Ces
phénomènes ne permettent pas d’autres clés de lecture dans un monde en
bouleversement outre qu’ils créent des tensions sociales. Lire à ce sujet entre
autres l’étude de mon estimé collègue Michel Ferrary et se référer aux
engagements du club XXIe siècle14.
Il est nécessaire de resituer ces
politiques de mixité dans le cadre de l’interpellation sur la transformation du
rôle de l’entreprise actrice au sein de la société (loi PACTE), avec les
exigences RSE, l’interpellation sur la raison d’être, l’« incentive »
(motivation) sur les variables de rémunérations (critères ESG, valorisation du
critère de nomination de femmes à des postes dirigeants).
Viviane de Beaufort,
Professeure à l’ESSEC, Directrice du CEDE et
des programmes Women ESSEC et gender Empowerment - Fondatrice du Club Gen
« Startuppeuse »
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