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Féminisation des Boards ou prisme d’égalité plus large de notre société et de notre économie ?

Féminisation des Boards ou prisme d’égalité plus large de notre société et de notre économie ?
Publié le 14/03/2021 à 09:30


En août 2018, je tentais dans le JSS un 1er bilan de la loi quota ou Copé-Zimmermann1 en questionnant sur ce que la mixité pourrait changer au sein des conseils d’administration et de surveillance, voire au-delà, dans les Codir/Comex, et interrogeais sur l’effet d’entraînement sur la politique d’égalité des entreprises. J’y écrivais : « Le monde bouge vite, le moteur de pouvoir passe la main à celui de la responsabilité. Les membres du conseil sont responsables de la conduite de l’entreprise au nom de l’intérêt social, dans une perspective pérenne et inclusive. » En 2021, en pleine pandémie et bouleversement économique, les interrogations sur la place des parties prenantes, la mission de la société ou la place des administrateurs salariés au conseil sont autant d’éléments de gouvernance qui viennent abonder cette perspective. Et la question posée de la place des femmes au sein des CA est désormais étendue aux espaces de « dirigeance », pour des raisons d’égalité, mais également de « business case », car les femmes doivent pouvoir être agents de changement, étant moins tolérantes aux petits arrangements entre amis et souvent porteuses d’une vision RSE engagée. On a fêté les dix ans de cette loi qui a changé la donne, mais reste à compléter. Nombre de propositions émanant du HCE, de l’AFEC, d’un collectif de 120 réseaux, etc., ont été présentées aux instances gouvernementales. J’ai souhaité ici reprendre quelques éléments un peu différents présentés lors de mon audition à l’Assemblée nationale, désireuse que nos député.es adoptent un angle de tir plus global.

 

L’après loi Copé/Zimmermann

Alors que des voix s’élèvent pour des quotas sur les Codir/Comex et autres questions complexes, il est important de conserver une vision globale tout en allant dans le détail, car le diable est dans les détails.

 

UN EFFET QUOTA INDÉNIABLE MAIS INCOMPLET

L’effet incontestablement positif d’un quota sur les Conseils d’administration en France



Gender Equality Index 2019 (European Institute for Gender Equality)




Des incomplétudes sur les données en deçà du périmètre de la cote

Comme le dit Floriane de Saint-Pierre, disposer de chiffres permet de situer les questions, se fixer des objectifs de progression. Or, nous faisons face à un problème de data en deçà de la cote. Les rares études menées (Karima Bouaiss et Viviane de Beaufort - CEDE 20152 et AFECA Télescop 20173) démontrent le besoin criant.

à cet égard, parmi les pistes proposées, je retiens celles-ci :

enrichissement de l’Index Penicaud avec un reporting sur la composition des CA valorisé avec le système de points (préconisation reprise par le HCE le 26 janvier 20214) ;

trois propositions de l’AFEC : obligation déclarative annuelle au Registre national du commerce et des sociétés de la composition de leurs organes de gouvernance et de dirigeance avec le dépôt des comptes annuels ; créer un indice de parité dans la gouvernance calculé à partir de cette déclaration qui devient un élément de la fiche d’identité d’une entreprise ; instaurer un contrôle de ces informations par les greffes des tribunaux de commerce5.

 

Déployer la mixité des Conseils d’administration car même au cœur du SBF120, des espaces demeurent à conquérir

Quid de l’influence des administratrices nommées ? Elle est à mesurer objectivement en fonction du nombre de présidences dans les comités, etc. Un ou une nouvelle nommée fait ses classes au sein d’un Conseil, ce qu’il faut vérifier, c’est si après quelques années, elles prennent les postes à responsabilités au sein des Comités…

Pourquoi ne pas imposer la mixité du duo d’administrateur salarié lorsqu’un 2e administrateur.e est prévu dans les Conseils (+ de 8 membres) ?

étendre le périmètre du quota sur les conseils des filiales importantes des têtes de groupe ?

Limiter le cumul des mandats et la durée pour ouvrir les possibilités de nominations (Cette question peu soulevée est un verrou majeur de mixité et de diversité, car les nouvelles nominations concernent souvent de nouveaux profils de compétences et des personnes plus jeunes)

Focus sur les sanctions : la sanction relative aux rémunérations peut jouer sur les grandes entreprises mais pas sur les plus petites où les rémunérations sont inexistantes ou très faibles. La nullité des décisions du conseil (pour le moment, hypothèse d’école, puisque le manque de data crée un risque juridique si ce principe n’est pas assorti de cas de force majeure (décès, démission, santé…), car il est difficile de remplacer un membre de conseil si l’entreprise n’est pas en compliance pour l’AG n+1, alors la sanction aura vocation à s’appliquer.

 

QUELS OUTILS POUR ACCÉLÉRER LA MIXITÉ  DES ESPACES DE DIRIGEANCE (COMEX/CODIR OU ENCORE COPIL) ?

La diffusion sur les espaces de dirigeance (Codir…) a démarré récemment

La corrélation entre le pourcentage de femmes dans le conseil d’administration et le pourcentage de femmes au Comité exécutif est très faible (coefficient de corrélation = - 0,0117)6, mais la dynamique monte.

 




Politiques publiques : quotas, transparence, incitations

Quotas or not ?

Des difficultés à appliquer des quotas en dirigeance

Il est difficile de légiférer sur des entités multiformes dont les pratiques de renouvellement ne sont pas « normées », ni les dates de renouvellement fixées… Ensuite interviennent divers problèmes potentiels: insuffisance de parcours dirigeants des femmes (stock) ; risque d’appauvrissement prématuré du vivier de relève (flux). Un argument souvent entendu est lié au fait que les entreprises jouent leur survie avec des mutations lourdes :  Plans de transformation digitale et RSE, changement de business models, la crise de la Covid accélère cette situation d’urgence (plans sociaux). Cet argument doit être entendu mais peut cependant être renversé : on a d’autant plus besoin, et vite, de talents féminins. Il demeure clair que le rôle et la composition des Comex/Codir se joue en termes de compétences et de diversité et n’est pas seulement avec un impératif de mixité7.

 

S’il faut des quotas : fixons-les avec progressivité et souplesse

Il appartient à l’entreprise d’identifier elle-même ce qu’est son organe de direction, ce qui évite le problème de la définition puisque les pratiques sont variables. Ensuite, le périmètre peut être différencié entre des entreprises concernées par un quota légal et des objectifs pour le hors cote. Imaginons un quota obligatoire sur la cote en distinguant à nouveau entre le périmètre du SBF120 et la cote en deçà, avec une exigence variable selon la taille de l’organe de direction : > 5 membres : 20 % puis 1/3 ou 40 et < 5 membres : 1 femme parmi les 5 (pour comparaison en Allemagne 2 000 salariés) et un quota appliqué avec une progressivité dans le temps (3/6 ans soit 2024-2027). Quid des sanctions à présent ? On peut reprendre le principe de nullité des nominations intervenues, mais ayons aussi en tête les conséquences indirectes liées à l’adoption de politiques publiques incitatives genrées et les conséquences en termes de réputation Women’s non friendly.

Le mouvement de féminisation des espaces de dirigeance a été tardif mais il est entamé ! Entre les objectifs volontaires des codes de place et syndicats professionnels et des politiques proactives individuelles d’entreprises au titre de la RSE, les choses bougent.

 

Autres outils égalitaires ?

Une politique publique d’éga-conditionnalité (Brigitte Gresy – HCE)

Il s’agit d’intégrer la mixité comme critère préférentiel d’une offre à valeur égale pour l’obtention des marchés publics nationaux et régionaux et locaux et l’octroi de financements publics (BPI) et d’investissements des fonds institutionnels (CDC).

 

La piste de l’enrichissement de l’Index Penicaud

Le reporting est un levier : communiquer sur la part des femmes dans les instances de direction ou bien la part des femmes dans les 10 % des cadres dirigeants avec une valorisation importante en points qui peut être progressive dans le temps. Il serait possible de prévoir que, si en 2024, les progrès ne sont pas sensibles, la loi étendra le quota légal réservé aux entreprises cotées.

 

Engagements de l’entreprise

Des objectifs de place

L’AFEP a pris une position engagée8 : le Code Afep-Medef en 29 janvier 2019 – Chap. 7?Politique de mixite femmes/hommes au sein des instances dirigeantes : 7.1 Sur proposition de la direction générale, le conseil détermine des objectifs de mixité au sein des instances dirigeantes. La direction générale présente au conseil les modalités de mise en œuvre des objectifs, avec un plan d’action et l’horizon de temps dans lequel ces actions seront menées. La direction générale informe annuellement le conseil des résultats obtenus. 

7.2 Le conseil décrit, dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise, la politique de mixité appliquée aux instances dirigeantes ainsi que les objectifs de cette politique, leurs modalités de mise en œuvre, les résultats obtenus au cours de l’exercice écoulé, en incluant le cas échéant, les raisons pour lesquelles les objectifs n’auraient pas été atteints et les mesures prises pour y remédier ».

En décembre 2019, le HCGE indique à cet égard vouloir parvenir à une représentation équilibrée dans les instances de direction : « Nous n’hésiterons pas à saisir les sociétés qui ont une politique insuffisante dans ce domaine » (Patricia Barbizet).

 

La pression des Investisseurs institutionnels

L’égalité hommes-femmes monte en puissance auprès des investisseurs : Morgan Stanley a lancé en 2013 son Parity-Portfolio qui investit dans des entreprises dont le conseil d’administration ou de surveillance compte au moins trois femmes. Barclays a son nouvel indice composé d’entreprises américaines « WomeninLeadershipIndex »,etc. Les fonds de pension sont de plus en plus sensibles à cette question et font pression refusant d’investir dans des groupes non paritaires (ex. : le fonds norvégien, Calpers, Blackrock…), d’autres demandent une progression notable 30 % (CDC-France). Dès lors, le sujet est de plus en plus régulièrement évoqué en AG : les entreprises anticipent avec différentes mentions (rapport du Comité de nomination ; clip vidéo sur une politique proactive de réduction des écarts salariaux ; mention de la diversité comme « richesse » du Groupe ; mention dans des discours des P/DG sur l’importance de la présence des femmes).

 

Business case

Les entreprises recherchent des talents féminins pour leur valeur ajouté propre, c’est avant tout un Business case9.

Recruter des femmes et des hommes permet d’élargir la taille du marché du travail et donc d’accroître la probabilité de recruter des ressources humaines de meilleure qualité et plus compétentes.

La moitié des consommateurs sont des femmes.

La diversité des expériences et des convictions améliore les processus de décision et la créativité.

La promotion de femmes est une motivation pour les femmes de l’entreprise.

La diversité est une preuve d’ouverture que les clients, pouvoirs publics, actionnaires, médias scrutent désormais.

Comme tout nouvel entrant, les femmes ont des attentes importantes.

écartées de ces espaces de pouvoir, elles ont développé une version idéalisée du fonctionnement des espaces de gouvernance et de dirigeance. En tant que minoritaires, le complexe de l’Imposteur fait son œuvre et elles recourent aux compétences pour se rassurer sur leur légitimité de « femme quota », préparant leurs dossiers. Des « patrons » le disent, leur Conseil mixte est « plus professionnel, plus efficient ».

Les travaux « Gender and Governance » menés en 2011 au CEDE10 et vérifiés maintes fois depuis en divers cercles et au sein du programme Women Board Ready - ESSEC11, puisent leur source dans la littérature académique concernant les rapports minoritaires/majoritaires entre ethnies dans les universités aux USA et permettent de distancier de la problématique Femme/Homme. Le minoritaire apprend l’écoute, développe une capacité de coopération, de médiation et a une capacité d’anticipation parce qu’il a appris à « écouter » (… le majoritaire). Le complexe de l’Imposteur le conduit à être assidu et à s’emparer des sujets. Son potentiel passé de discriminé/e le conduit à s’opposer à ce qui est non conforme à ses convictions, et à être attaché/e aux règles.

 





UNE POLITIQUE DE SOUTIEN DES INDIVIDUES DANS LEUR CARRIÈRE

N’oublions pas l’autre côté du miroir : la nécessité d’adopter une démarche globale sur les freins récurrents à l’évolution de carrière des femmes, car imposer des quotas, c’est demeurer dans l’incantatoire si on n’accompagne pas le vivier (action dite de rattrapage).

Faciliter l’accès des femmes aux formations certifiantes et diplômantes executive (généralistes ou dédiées sur la dirigeance et la gouvernance) pour créer un effet de rattrapage de carrière lié ; insister sur les soft skills (lutte contre le complexe de l’Imposteur) ; prévoir des bourses et accepter le temps de formation, donc un allègement provisoire de charge de travail.

Déployer le Mentoring en interne12 et le Coaching.

Développer les réseaux internes et favoriser l’appartenance à des réseaux externes.

Recruter plus de femmes dans les secteurs masculins et encourager par tous les moyens la mixité des filières notamment dans les STEM13.

Promouvoir – rendre visibles les femmes dirigeantes en interne et externe.


 CONCLUSION, UN DOUBLE CRI DU CŒUR

L’impérative sensibilisation des dirigeants à l’ouverture à la diversité au-delà de la mixité. La reproduction des parcours est en France avec le syndrome du miroir qui crée des castes, une réalité. Ces phénomènes ne permettent pas d’autres clés de lecture dans un monde en bouleversement outre qu’ils créent des tensions sociales. Lire à ce sujet entre autres l’étude de mon estimé collègue Michel Ferrary et se référer aux engagements du club XXIe siècle14.

Il est nécessaire de resituer ces politiques de mixité dans le cadre de l’interpellation sur la transformation du rôle de l’entreprise actrice au sein de la société (loi PACTE), avec les exigences RSE, l’interpellation sur la raison d’être, l’« incentive » (motivation) sur les variables de rémunérations (critères ESG, valorisation du critère de nomination de femmes à des postes dirigeants).

 

Viviane de Beaufort,

Professeure à l’ESSEC, Directrice du CEDE et des programmes Women ESSEC et gender Empowerment - Fondatrice du Club Gen « Startuppeuse »


 

NOTES :

1) Loi quota Copé-Zimmermann ? L’heure d’un 1er bilan en lien avec une montée relative de l’activisme actionnarial sur le thème de la politique RH en matière de mixité JSS n° 25 août 2018 n° 60 p. 8

2) https://fr.slideshare.net/VivianedeBeaufort/first-presentation-of-research-cede-essec-women-network-conference-13-dec?from_action=save)

3) http://www.femmes-experts-comptables.com/wp-content/uploads/2017/06/TELESCOP_AFECA_2017V2.pdf

4) https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/parite/actualites/article/10-ans-apres-l-adoption-de-la-loi-cope-zimmermann-le-haut-conseil-a-l-egalite

5) http://www.femmes-experts-comptables.com/3-propositions-concretes-de-femmes-experts-comptables-pour-une-meilleure-application-de-la-loi-cope-zimmermann/

6) Michel Ferrary, Observatoire Skema de la féminisation des entreprises 2019.

7) Femmes et fonctions « supports » : 24 % finances / juridique / éthique / conformité / risques - 17,4 % marketing et communication - 15,1 % RH.

8) https://afep.com/publications/vade-mecum-sur-la-feminisation-des-instances-dirigeantes-des-entreprises

9) Crédit Suisse August 2012, Gender diversity and corporate performance.

The CS Gender 3000 : Women in Senior Management September 2014 - Ferrary M. (2010). Les femmes influencent-elles la performance des entreprises? Travail, genre et sociétés, (1), 181-190

10) https://www.economieetsociete.com/downloads/files/129633/

11) http://knowledge.essec.edu/fr/leadership/femmes-et-pouvoir-le-grand-tabou.html

12) http://www.diafora-leadership.com/boardwomen-partners/

13) https://www.economie.gouv.fr/rapport-femmes-au-coeur-economie-chiara-corraza

14) https://club21siecle.org/le-club/

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