Cass. com.,
31 mars 2021, n° 19-12.045
La fixation de la rémunération du dirigeant dans une SA est un
pouvoir exclusif appartenant au conseil d’administration. Une société assurant
une mission de commissaires aux comptes semblait avoir omis ce détail et, par
la même occasion, ne pas avoir bien saisi l’étendue de sa propre mission. C’est
donc tout naturellement que la Cour de cassation est venue l’éclaircir.
En matière de fixation de
la rémunération du dirigeant dans une SA moniste, la position est claire dans
les textes comme dans la jurisprudence : cette compétence relève du conseil
d’administration. Dans un arrêt du 31 mars 2021, la chambre commerciale de la
Cour de cassation vient le rappeler, et préciser par la même occasion, la
mission du commissaire aux comptes.
M. B. est devenu
président directeur général d’une société anonyme en 2006 ; cette dernière
faisait appel à la société Fiduciaire comptable du Nord (ci-après « la FCN »)
en tant que commissaire aux comptes. Suite à des malversations sous forme
d’importantes augmentations de rémunération, M. B. est révoqué de ses
fonctions, et la FCN en informe le procureur de la République ; le dirigeant
est condamné pour abus de biens sociaux. Cependant, la société assignera la FCN
en justice le 18 juin 2013 pour ne pas l’avoir alerté de ces malversations.
Après un jugement
donnant initialement raison à la FCN, la société, en la personne de son
mandataire liquidateur, interjette appel devant la cour de Reims qui, le 11
décembre 2018, infirme le premier jugement et condamne la FCN à lui verser 71
088,50 euros en réparation de son préjudice, aux motifs que celle-ci a manqué à
son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération du
dirigeant et qu’elle a commis une négligence fautive.
La FCN forme alors un
pourvoi en cassation en invoquant deux moyens. D’une part, la cour de Reims a
omis une pièce qui constituerait une ratification par le conseil
d’administration de la société des augmentations que s’était octroyé le
dirigeant. D’autre part, elle a mis à sa charge une mission de contrôle
permanent de la comptabilité et enfin retenu à tort sa responsabilité civile
pour les infractions commise par le dirigeant, M. B.
Les deux questions qui
se posent alors à la Cour de cassation sont les suivantes : le conseil
d’administration d’une société anonyme peut-il ratifier la décision du
dirigeant d’augmenter sa rémunération ?
Que faut-il entendre par
« mission permanente de contrôle » pour un commissaire aux comptes ?
La chambre commerciale
répond à la première par la négative, et vient éclaircir la seconde avec une
certaine subtilité. Demeure que, faute de ratification valable – l’eut-elle
été, l’issue n’aurait pas forcément différé – la FCN a bien manqué à ses
obligations, et de telle sorte que ces manquements constituaient une négligence
fautive justifiant d’engager sa responsabilité civile pour l’infraction commise
par le dirigeant.
I. Un garde-fou
nécessaire : l’impossible
ratification
La Cour
vient justement rappeler que les décisions afférentes à la rémunération du
dirigeant de SA relèvent du pouvoir exclusif du conseil d’administration (A).
La ratification s’en trouve logiquement condamnée ; une condamnation à laquelle il fallait s’attendre et qui vient renforcer
la protection de la société (B).
A. Un pouvoir
exclusif
La
détermination de la rémunération du dirigeant revient, selon l’article L.
225-47 du Code de commerce, au conseil d’administration, pouvoir qui lui est
exclusif. À la lecture des faits, il apparaît pourtant que le président
directeur général de la société M. B. a procédé, et ce à plusieurs reprises, à
l’augmentation de sa propre rémunération sans obtenir aucune décision préalable
du conseil.
Avant
même les faits litigieux, à savoir l’augmentation décidée le 1er avril 2009,
d’autres augmentations ont en effet été décidées, dans des proportions bien
moindres, ce qui n’éveillera pas les soupçons de la FCN, d’autant que ces
augmentations ont été approuvées a posteriori par le conseil d’administration.
C’est
derrière cette approbation a posteriori que la FCN tentera de s’abriter ; en
effet, dans la logique de cette dernière, si le conseil d’administration a le
pouvoir de décider a priori l’augmentation de la rémunération du président, il
devrait logiquement pouvoir la ratifier. Cette argumentation, si elle a pu séduire
en première instance, ne convaincra pas la cour d’appel, pas plus que la Cour
de cassation.
B. Une réponse
aussi heureuse que prévisible
La première branche du
moyen de la société FCN vient reprocher une dénaturation par omission d’une
pièce aux juges du fond rémois, à savoir le procès-verbal de la réunion du
conseil d’administration du 1er avril 2010 qui validait les rémunérations de M.
B. pour l’exercice 2009-2010. Pour la FCN, cette pièce constituait une décision
au sens de l’article L. 225-47 du Code de commerce et, partant, elle a donc
déduit que la rémunération était normale, ne s’inquiétant donc pas de son
augmentation pour le moins substantielle.
La Cour de cassation se
montre claire et confirme immédiatement la position de la cour d’appel : le
conseil d’administration n’a pas le pouvoir de ratifier la décision du
président – prise sans décision préalable du conseil – d’augmenter sa
rémunération. Le raisonnement de la FCN peut éventuellement être compris : dans
la mesure où le conseil est compétent pour prendre cette décision, il pourrait
ratifier celle prise sans pouvoir par le président, à l’instar de la
ratification des actes accomplis sans mandat pour la société en formation.
En soutenant les juges
rémois et leur refus de la ratification, la Cour vient poursuivre et étendre
une logique institutionnelle constante. Déjà en 1996 (Cass. Com., 13 février
1996, n° 94-11.094), la chambre commerciale précisait que cette compétence
relevait exclusivement du conseil d’administration. Ici, les juges du Quai de
l’Horloge viennent renforcer ce caractère exclusif qui ne saurait être exercé a
posteriori : le conseil d’administration est seul à pouvoir prendre
l’initiative de la fixation de la rémunération du dirigeant.
Ce garde-fou est heureux
: si une telle ratification était possible, le président pourrait décider
lui-même de sa rémunération et, pour peu qu’il reste modéré sur les
augmentations qu’il s’octroie, le conseil d’administration les ratifierait
valablement sans que cela ne puisse raisonnablement éveiller les soupçons du
commissaire aux comptes, et ainsi conduire à d’éventuelles malversations.
La position de la Cour
ne surprend donc pas, en ce qu’elle est constante depuis maintenant plus de 25
ans ; puisqu’elle la maintient et la renforce, il est clair qu’aucun revirement
en la matière n’est à attendre prochainement.
II. Un contrôle
aux implications subtiles
Si la notion de contrôle
permanent appelle à la subtilité (A), la négligence grossière de la FCN
appelait logiquement à la sanction (B).
A. Un devoir de vigilance permanent nuancé
L’autre question qui se
posait dans cette affaire était l’étendue de la mission du commissaire aux
comptes. La cour d’appel ayant visé une « mission permanente de contrôle »,
l’interprétation de cette formule appelle à la subtilité, ce dont les juges de
cassation ne manqueront pas de faire preuve.
La Cour de cassation ne
vise pas ici un contrôle permanent au sens de vérifications comptables permanentes,
mais d’un devoir de vigilance permanent. En effet, ce qui est reproché à la FCN
est de ne pas avoir réagi après une augmentation massive – de l’ordre de 50 % –
et de ne pas avoir, par suite, entrepris les diligences qui s’imposaient.
Le quantum des augmentations
est ici important : l’arrêt précise que ce quantum, « qualifié de très
substantiel, aurait dû conduire la société FCN à effectuer des vérifications
plus approfondies, cependant que la rémunération du dirigeant avait déjà été
augmentée, certes dans des proportions moindres […] ».
En raisonnant
inversement, on peut estimer que, si le quantum de l’augmentation était resté
de l’ordre des 6-7 %, l’inertie de la FCN n’aurait, au moins, pas été qualifiée
de fautive.
C’est donc l’absence de
réaction face à une augmentation si drastique qui est ici critiquée ; la FCN
aurait dû remarquer une telle anomalie et en avertir les organes compétents
pour l’exercice 2009-2010, puis entreprendre des vérifications plus
approfondies pour l’exercice suivant. C’est donc un manque de vigilance qui est
d’abord reproché à la FCN, son inertie en étant le fruit.
Ainsi, la mission
permanente de contrôle s’entend bien ici d’un devoir de vigilance et non pas
d’une vérification comptable permanente. Il n’est pas reproché à la FCN de ne
pas avoir exercé des recherches approfondies pour déceler une anomalie mais
l’inverse, soit de ne pas avoir décelé l’anomalie et ne pas avoir entrepris les
recherches approfondies qui s’imposaient.
B. Une
négligence grossière justement condamnée
L’ultime point de désaccord de la FCN portait sur
l’engagement de sa responsabilité civile du fait de l’infraction commise par le
dirigeant. Là encore, la société tente de se retrancher derrière sa croyance en
la ratification des décisions du dirigeant, l’exonérant de toute diligence,
mais de tels arguments ne peuvent pas convaincre, et ne convaincront pas.
D’une part, la ratification n’est pas possible, ce que
rappelle la Cour au début de sa réponse ; d’autre part, une telle ratification
eut-elle été admise, le quantum de l’augmentation est tel qu’il aurait tout de
même dû alerter le commissaire aux comptes et le conduire à procéder à des
vérifications. Dès lors, sa négligence est nécessairement fautive, et c’est en
toute logique que sa responsabilité se trouve engagée.
Thibault Heitz,
Étudiant de M2 Droit de l’Entreprise – Besançon.
Partenariat entre l’Université de
Franche-Comté et le Journal Spécial des Sociétés
L’Université de Franche-Comté et le Journal Spécial
des Sociétés ont mis en place un partenariat concernant la rédaction régulière
de commentaires d’arrêts ou de décisions de jurisprudence par les étudiants du
master Droit de l’Entreprise. Ces commentaires sont rédigés par les étudiants,
sous le contrôle et la supervision du professeur Jean-Pierre Legros, directeur
du master Droit de l’entreprise.