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Fixation de la rémunération du dirigeant de SA et mission du commissaire aux comptes : les rappels de la Cour de cassation

Fixation de la rémunération du dirigeant de SA et mission du commissaire aux comptes : les rappels de la Cour de cassation
Publié le 09/09/2021 à 13:40

Cass. com., 31 mars 2021, n° 19-12.045

 

La fixation de la rémunération du dirigeant dans une SA est un pouvoir exclusif appartenant au conseil d’administration. Une société assurant une mission de commissaires aux comptes semblait avoir omis ce détail et, par la même occasion, ne pas avoir bien saisi l’étendue de sa propre mission. C’est donc tout naturellement que la Cour de cassation est venue l’éclaircir.


En matière de fixation de la rémunération du dirigeant dans une SA moniste, la position est claire dans les textes comme dans la jurisprudence : cette compétence relève du conseil d’administration. Dans un arrêt du 31 mars 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient le rappeler, et préciser par la même occasion, la mission du commissaire aux comptes.


M. B. est devenu président directeur général d’une société anonyme en 2006 ; cette dernière faisait appel à la société Fiduciaire comptable du Nord (ci-après « la FCN ») en tant que commissaire aux comptes. Suite à des malversations sous forme d’importantes augmentations de rémunération, M. B. est révoqué de ses fonctions, et la FCN en informe le procureur de la République ; le dirigeant est condamné pour abus de biens sociaux. Cependant, la société assignera la FCN en justice le 18 juin 2013 pour ne pas l’avoir alerté de ces malversations.


Après un jugement donnant initialement raison à la FCN, la société, en la personne de son mandataire liquidateur, interjette appel devant la cour de Reims qui, le 11 décembre 2018, infirme le premier jugement et condamne la FCN à lui verser 71 088,50 euros en réparation de son préjudice, aux motifs que celle-ci a manqué à son obligation légale de vérification de la sincérité de la rémunération du dirigeant et qu’elle a commis une négligence fautive.


La FCN forme alors un pourvoi en cassation en invoquant deux moyens. D’une part, la cour de Reims a omis une pièce qui constituerait une ratification par le conseil d’administration de la société des augmentations que s’était octroyé le dirigeant. D’autre part, elle a mis à sa charge une mission de contrôle permanent de la comptabilité et enfin retenu à tort sa responsabilité civile pour les infractions commise par le dirigeant, M. B.


Les deux questions qui se posent alors à la Cour de cassation sont les suivantes : le conseil d’administration d’une société anonyme peut-il ratifier la décision du dirigeant d’augmenter sa rémunération ?


Que faut-il entendre par « mission permanente de contrôle » pour un commissaire aux comptes ?


La chambre commerciale répond à la première par la négative, et vient éclaircir la seconde avec une certaine subtilité. Demeure que, faute de ratification valable – l’eut-elle été, l’issue n’aurait pas forcément différé – la FCN a bien manqué à ses obligations, et de telle sorte que ces manquements constituaient une négligence fautive justifiant d’engager sa responsabilité civile pour l’infraction commise par le dirigeant.

 

I.  Un garde-fou nécessaire : limpossible ratification


La Cour vient justement rappeler que les décisions afférentes à la rémunération du dirigeant de SA relèvent du pouvoir exclusif du conseil d’administration (A). La ratification s’en trouve logiquement condamnée ; une condamnation à laquelle il fallait sattendre et qui vient renforcer la protection de la société (B).

 

A.       Un pouvoir exclusif


La détermination de la rémunération du dirigeant revient, selon l’article L. 225-47 du Code de commerce, au conseil d’administration, pouvoir qui lui est exclusif. À la lecture des faits, il apparaît pourtant que le président directeur général de la société M. B. a procédé, et ce à plusieurs reprises, à l’augmentation de sa propre rémunération sans obtenir aucune décision préalable du conseil.


Avant même les faits litigieux, à savoir l’augmentation décidée le 1er avril 2009, d’autres augmentations ont en effet été décidées, dans des proportions bien moindres, ce qui n’éveillera pas les soupçons de la FCN, d’autant que ces augmentations ont été approuvées a posteriori par le conseil d’administration.


C’est derrière cette approbation a posteriori que la FCN tentera de s’abriter ; en effet, dans la logique de cette dernière, si le conseil d’administration a le pouvoir de décider a priori l’augmentation de la rémunération du président, il devrait logiquement pouvoir la ratifier. Cette argumentation, si elle a pu séduire en première instance, ne convaincra pas la cour d’appel, pas plus que la Cour de cassation.

 

B.       Une réponse aussi heureuse que prévisible


La première branche du moyen de la société FCN vient reprocher une dénaturation par omission d’une pièce aux juges du fond rémois, à savoir le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 1er avril 2010 qui validait les rémunérations de M. B. pour l’exercice 2009-2010. Pour la FCN, cette pièce constituait une décision au sens de l’article L. 225-47 du Code de commerce et, partant, elle a donc déduit que la rémunération était normale, ne s’inquiétant donc pas de son augmentation pour le moins substantielle.


La Cour de cassation se montre claire et confirme immédiatement la position de la cour d’appel : le conseil d’administration n’a pas le pouvoir de ratifier la décision du président – prise sans décision préalable du conseil – d’augmenter sa rémunération. Le raisonnement de la FCN peut éventuellement être compris : dans la mesure où le conseil est compétent pour prendre cette décision, il pourrait ratifier celle prise sans pouvoir par le président, à l’instar de la ratification des actes accomplis sans mandat pour la société en formation.


En soutenant les juges rémois et leur refus de la ratification, la Cour vient poursuivre et étendre une logique institutionnelle constante. Déjà en 1996 (Cass. Com., 13 février 1996, n° 94-11.094), la chambre commerciale précisait que cette compétence relevait exclusivement du conseil d’administration. Ici, les juges du Quai de l’Horloge viennent renforcer ce caractère exclusif qui ne saurait être exercé a posteriori : le conseil d’administration est seul à pouvoir prendre l’initiative de la fixation de la rémunération du dirigeant.


Ce garde-fou est heureux : si une telle ratification était possible, le président pourrait décider lui-même de sa rémunération et, pour peu qu’il reste modéré sur les augmentations qu’il s’octroie, le conseil d’administration les ratifierait valablement sans que cela ne puisse raisonnablement éveiller les soupçons du commissaire aux comptes, et ainsi conduire à d’éventuelles malversations.


La position de la Cour ne surprend donc pas, en ce qu’elle est constante depuis maintenant plus de 25 ans ; puisqu’elle la maintient et la renforce, il est clair qu’aucun revirement en la matière n’est à attendre prochainement.

 


II. Un contrôle aux implications subtiles


Si la notion de contrôle permanent appelle à la subtilité (A), la négligence grossière de la FCN appelait logiquement à la sanction (B).


A.       Un devoir de vigilance permanent nuancé


L’autre question qui se posait dans cette affaire était l’étendue de la mission du commissaire aux comptes. La cour d’appel ayant visé une « mission permanente de contrôle », l’interprétation de cette formule appelle à la subtilité, ce dont les juges de cassation ne manqueront pas de faire preuve.


La Cour de cassation ne vise pas ici un contrôle permanent au sens de vérifications comptables permanentes, mais d’un devoir de vigilance permanent. En effet, ce qui est reproché à la FCN est de ne pas avoir réagi après une augmentation massive – de l’ordre de 50 % – et de ne pas avoir, par suite, entrepris les diligences qui s’imposaient.


Le quantum des augmentations est ici important : l’arrêt précise que ce quantum, « qualifié de très substantiel, aurait dû conduire la société FCN à effectuer des vérifications plus approfondies, cependant que la rémunération du dirigeant avait déjà été augmentée, certes dans des proportions moindres […] ».


En raisonnant inversement, on peut estimer que, si le quantum de l’augmentation était resté de l’ordre des 6-7 %, l’inertie de la FCN n’aurait, au moins, pas été qualifiée de fautive.


C’est donc l’absence de réaction face à une augmentation si drastique qui est ici critiquée ; la FCN aurait dû remarquer une telle anomalie et en avertir les organes compétents pour l’exercice 2009-2010, puis entreprendre des vérifications plus approfondies pour l’exercice suivant. C’est donc un manque de vigilance qui est d’abord reproché à la FCN, son inertie en étant le fruit.


Ainsi, la mission permanente de contrôle s’entend bien ici d’un devoir de vigilance et non pas d’une vérification comptable permanente. Il n’est pas reproché à la FCN de ne pas avoir exercé des recherches approfondies pour déceler une anomalie mais l’inverse, soit de ne pas avoir décelé l’anomalie et ne pas avoir entrepris les recherches approfondies qui s’imposaient.

 


B.      Une négligence grossière justement condamnée


L’ultime point de désaccord de la FCN portait sur l’engagement de sa responsabilité civile du fait de l’infraction commise par le dirigeant. Là encore, la société tente de se retrancher derrière sa croyance en la ratification des décisions du dirigeant, l’exonérant de toute diligence, mais de tels arguments ne peuvent pas convaincre, et ne convaincront pas.


D’une part, la ratification n’est pas possible, ce que rappelle la Cour au début de sa réponse ; d’autre part, une telle ratification eut-elle été admise, le quantum de l’augmentation est tel qu’il aurait tout de même dû alerter le commissaire aux comptes et le conduire à procéder à des vérifications. Dès lors, sa négligence est nécessairement fautive, et c’est en toute logique que sa responsabilité se trouve engagée.

 

Thibault Heitz,

Étudiant de M2 Droit de l’Entreprise – Besançon.

 


Partenariat entre l’Université de Franche-Comté et le Journal Spécial des Sociétés

L’Université de Franche-Comté et le Journal Spécial des Sociétés ont mis en place un partenariat concernant la rédaction régulière de commentaires d’arrêts ou de décisions de jurisprudence par les étudiants du master Droit de l’Entreprise. Ces commentaires sont rédigés par les étudiants, sous le contrôle et la supervision du professeur Jean-Pierre Legros, directeur du master Droit de l’entreprise.

 

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