JUSTICE

Google condamné à verser 26,5 millions d'euros à la société Equativ pour pratiques anticoncurrentielles

Google condamné à verser 26,5 millions d'euros à la société Equativ pour pratiques anticoncurrentielles
Publié le 02/11/2024 à 07:00

Dans la saga des condamnations de Google pour pratiques anticoncurrentielles, un nouveau chapitre vient de se clôturer. Attaqué par l’entreprise parisienne Equativ, le mastodonte américain devra s’acquitter d’un dédommagement de 26,5 millions d’euros auprès de son concurrent, pour avoir favorisé ses services de publicités en ligne.

Ce lundi 21 octobre, le tribunal de commerce de Paris a condamné Google, en première instance, à verser 26,5 millions d’euros à la société française Equativ, pour « pratiques anticoncurrentielles » sur le marché de la publicité en ligne. En effet, la société américaine avait avantagé ses propres services de publicité sur internet, au détriment de son concurrent français direct. Cette récente décision fait suite à une affaire similaire dans laquelle Google était impliqué, outre-Atlantique. Ainsi, en août 2024, la justice américaine avait déclaré la firme coupable de pratiques anticoncurrentielles et d’abus de position dominante. Le juge de Washington confirmait que l’entreprise avait nui à la concurrence, en passant des accords financiers avec des constructeurs de smartphones. Google aurait déboursé 20 milliards de dollars par an auprès d’Apple pour que ce dernier propose, par défaut, le moteur de recherche Google Chrome, sur ses iPhones.

Et les ennuis outre-Atlantique ne se sont pas arrêtés là. En effet, le 9 octobre dernier, le département de la justice américaine avait menacé Google de l’empêcher « d’utiliser ses produits comme Chrome, Google Play et Android pour avantager son moteur de recherche ». Le département l’accusait aussi d’utiliser à son avantage les données des recherches des utilisateurs pour faciliter ses ventes de publicités ciblées sur internet. Selon la plainte, « Google a utilisé des moyens anticoncurrentiels illégaux pour éliminer ou réduire considérablement toute menace à sa domination sur les technologies de publicité numérique ». Alors que la décision de la justice américaine est attendue au cours du premier semestre 2025, le tribunal de commerce de Paris a, quant à lui, déjà rendu sa décision. Et pour ce faire, il s’est appuyé sur la position prise par l’Autorité de la concurrence, trois ans auparavant, en 2021.

Déjà 220 millions d’euros d’amende à l’encontre de Google

Des éditeurs de publicités tels que les groupes Newscorp (regroupant The Wall Street Journal, The Sun) et Rossel (incluant La Voix du Nord, Le Soir), avaient saisi l’Autorité de la concurrence en accusant Google de pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la publicité en ligne. Après une enquête, l’institution avait condamné Google, en 2021, à s’acquitter d’une amende historique de 220 millions d’euros pour « abus de position dominante ». Un abus opéré par la firme américaine sur le marché des SSP (Supply-side platform), ces logiciels permettant aux éditeurs de contenus sur internet de commercialiser leurs espaces publicitaires. Ce système automatise et optimise les ventes des éditeurs, tout en générant des revenus. Il s’agit d’une ressource financière faisant partie intégrante du fragile équilibre économique du secteur de la presse.

Et sur le marché de « l’adtech » (pour « technologie publicitaire »), Google est le grand acteur dominant puisqu’il possède une plateforme d’achats d’espaces publicitaires, une plateforme de ventes et un « adserver », qui se charge de la diffusion des publicités sur les sites internet. Pour l’Autorité de la concurrence, l’entreprise californienne avait profité de sa mainmise sur ce marché lucratif pour favoriser, auprès des annonceurs, ses offres de publicités en ligne. À titre d’exemple, l’Autorité avait confirmé que des conditions d’achat préférentielles avaient été accordées par le serveur publicitaire de Google à sa propre plateforme de mise en vente de publicités. L’institution avait ainsi rappelé « qu’une entreprise en position dominante est soumise à une responsabilité particulière, celle de ne pas porter atteinte, par un comportement étranger à la concurrence, par les mérites, à une concurrence effective et non faussée ».

Pour la présidente de l’Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva, « Google a profité de son intégration verticale pour biaiser le processus à son profit et être presque gagnant à tous les coups ». Elle avait ajouté que les pratiques de l'entreprise « ont permis à Google non seulement de préserver, mais aussi d’accroître sa position dominante », tout en ayant eu un impact néfaste sur le fragile équilibre économique des éditeurs. Pour l’Autorité de la concurrence, « ces pratiques sont d’autant plus graves qu’elles se sont déroulées sur un marché encore émergent à forte croissance et qu’elles ont pu affecter la capacité des concurrents à se développer sur le marché ». En 2021, Google n’avait pas contesté ces griefs, ni sa responsabilité et avait même pris une multitude d’engagements auprès de l’autorité, en plus d’avoir accepté le montant de son amende.

Une victoire judiciaire pour Equativ

Pourtant, le géant américain a récidivé. En effet, en 2022, soit un an après la décision de l’Autorité de la concurrence, Equativ, l’un des concurrents directs de Google sur le marché de l’adtech, saisissait le tribunal de commerce de Paris. La société française, dont le siège social se trouve à Paris, s’estimait lésée par les pratiques de l’entreprise américaine. À ce titre, Equativ lui réclamait un dédommagement de 369,1 millions d’euros, pour le préjudice qu’elle considérait avoir subi sur le continent européen. Pour elle, Google a opéré un nouvel « abus de position dominante », en privilégiant ses services de publicités en ligne. Des pratiques qui, selon la société française, auraient directement affecté ses activités d’adserver, c’est-à-dire de diffusion des publicités et ses activités de SSP, d’achats et de reventes d’espaces.

Le tribunal de commerce de Paris a donc confirmé ces accusations et a condamné Google à verser 26,5 millions d’euros à Equativ, en guise de dédommagement des préjudices subis. Mais malgré la victoire judiciaire de la société française, le tribunal s’est déclaré incompétent pour « connaître des demandes relatives à des préjudices subis hors de France ». Une déclaration qui explique pourquoi la somme de dédommagement arrêtée par le tribunal demeure bien loin des 369,1 millions d’euros réclamés par Equativ. Pour autant, le montant décidé reste également en deçà des estimations des pertes sur le marché français, chiffrées à hauteur de 116,2 millions d’euros, par la société plaignante.

Après la décision du tribunal de commerce, Google a déclaré, auprès de l’AFP : « Nous sommes en désaccord avec cette décision qui repose sur des interprétations erronées du secteur de la technologie publicitaire ». La multinationale a par ailleurs évoqué ses engagements pris, en 2021, après sa condamnation par l’Autorité de la concurrence, en mettant en avant « l’ampleur du travail effectué avec les régulateurs afin de répondre aux questions concernant [son] activité ». Pour l’heure, ni Google, ni Equativ n’ont communiqué d’informations quant à une volonté de faire appel de cette décision. Pour autant, celle-ci pourrait, à l’avenir, inciter d’autres start-ups de la tech à tenir juridiquement tête à des mastodontes historiques du secteur, et devenir un cas de jurisprudence dans de futures affaires similaires.

Inès Guiza

 

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