Dans la saga des
condamnations de Google pour pratiques anticoncurrentielles, un nouveau
chapitre vient de se clôturer. Attaqué par l’entreprise parisienne Equativ, le
mastodonte américain devra s’acquitter d’un dédommagement de 26,5 millions
d’euros auprès de son concurrent, pour avoir favorisé ses services de
publicités en ligne.
Ce lundi 21 octobre, le
tribunal de commerce de Paris a condamné Google, en première instance, à verser
26,5 millions d’euros à la société française Equativ, pour « pratiques
anticoncurrentielles » sur le marché de la publicité en ligne. En
effet, la société américaine avait avantagé ses propres services de publicité
sur internet, au détriment de son concurrent français direct. Cette récente
décision fait suite à une affaire similaire dans laquelle Google était
impliqué, outre-Atlantique. Ainsi, en août 2024, la justice américaine avait
déclaré la firme coupable de pratiques anticoncurrentielles et d’abus de
position dominante. Le juge de Washington confirmait que l’entreprise avait nui
à la concurrence, en passant des accords financiers avec des constructeurs de
smartphones. Google aurait déboursé 20 milliards de dollars par an auprès
d’Apple pour que ce dernier propose, par défaut, le moteur de recherche Google
Chrome, sur ses iPhones.
Et les ennuis
outre-Atlantique ne se sont pas arrêtés là. En effet, le 9 octobre dernier, le
département de la justice américaine avait menacé Google de l’empêcher « d’utiliser
ses produits comme Chrome, Google Play et Android pour avantager son moteur de
recherche ». Le département l’accusait aussi d’utiliser à son avantage
les données des recherches des utilisateurs pour faciliter ses ventes de
publicités ciblées sur internet. Selon la plainte, « Google a utilisé
des moyens anticoncurrentiels illégaux pour éliminer ou réduire
considérablement toute menace à sa domination sur les technologies de publicité
numérique ». Alors que la décision de la justice américaine est
attendue au cours du premier semestre 2025, le tribunal de commerce de Paris a,
quant à lui, déjà rendu sa décision. Et pour ce faire, il s’est appuyé sur la
position prise par l’Autorité de la concurrence, trois ans auparavant, en 2021.
Déjà 220 millions d’euros
d’amende à l’encontre de Google
Des éditeurs de publicités
tels que les groupes Newscorp (regroupant The Wall Street Journal, The
Sun) et Rossel (incluant La Voix du Nord, Le Soir), avaient
saisi l’Autorité de la concurrence en accusant Google de pratiques
anticoncurrentielles sur le marché de la publicité en ligne. Après une enquête,
l’institution avait condamné Google, en 2021, à s’acquitter d’une amende
historique de 220 millions d’euros pour « abus de position
dominante ». Un abus opéré par la firme américaine sur le marché des
SSP (Supply-side platform), ces logiciels permettant aux éditeurs de
contenus sur internet de commercialiser leurs espaces publicitaires. Ce système
automatise et optimise les ventes des éditeurs, tout en générant des revenus.
Il s’agit d’une ressource financière faisant partie intégrante du fragile
équilibre économique du secteur de la presse.
Et sur le marché de « l’adtech »
(pour « technologie publicitaire »), Google est le grand
acteur dominant puisqu’il possède une plateforme d’achats d’espaces
publicitaires, une plateforme de ventes et un « adserver »,
qui se charge de la diffusion des publicités sur les sites internet. Pour
l’Autorité de la concurrence, l’entreprise californienne avait profité de sa
mainmise sur ce marché lucratif pour favoriser, auprès des annonceurs, ses
offres de publicités en ligne. À titre d’exemple, l’Autorité avait confirmé que
des conditions d’achat préférentielles avaient été accordées par le serveur
publicitaire de Google à sa propre plateforme de mise en vente de publicités.
L’institution avait ainsi rappelé « qu’une entreprise en position
dominante est soumise à une responsabilité particulière, celle de ne pas porter
atteinte, par un comportement étranger à la concurrence, par les mérites, à une
concurrence effective et non faussée ».
Pour la présidente de
l’Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva, « Google a profité de
son intégration verticale pour biaiser le processus à son profit et être
presque gagnant à tous les coups ». Elle avait ajouté que les
pratiques de l'entreprise « ont permis à Google non seulement de
préserver, mais aussi d’accroître sa position dominante », tout en
ayant eu un impact néfaste sur le fragile équilibre économique des éditeurs.
Pour l’Autorité de la concurrence, « ces pratiques sont d’autant
plus graves qu’elles se sont déroulées sur un marché encore émergent à forte
croissance et qu’elles ont pu affecter la capacité des concurrents à se
développer sur le marché ». En 2021, Google n’avait pas contesté ces
griefs, ni sa responsabilité et avait même pris une multitude d’engagements
auprès de l’autorité, en plus d’avoir accepté le montant de son amende.
Une victoire judiciaire pour
Equativ
Pourtant, le géant américain
a récidivé. En effet, en 2022, soit un an après la décision de l’Autorité de la
concurrence, Equativ, l’un des concurrents directs de Google sur le marché de
l’adtech, saisissait le tribunal de commerce de Paris. La société
française, dont le siège social se trouve à Paris, s’estimait lésée par les
pratiques de l’entreprise américaine. À ce titre, Equativ lui réclamait un
dédommagement de 369,1 millions d’euros, pour le préjudice qu’elle considérait
avoir subi sur le continent européen. Pour elle, Google a opéré un nouvel « abus
de position dominante », en privilégiant ses services de publicités en
ligne. Des pratiques qui, selon la société française, auraient directement
affecté ses activités d’adserver, c’est-à-dire de diffusion des
publicités et ses activités de SSP, d’achats et de reventes d’espaces.
Le tribunal de commerce de
Paris a donc confirmé ces accusations et a condamné Google à verser 26,5
millions d’euros à Equativ, en guise de dédommagement des préjudices subis.
Mais malgré la victoire judiciaire de la société française, le tribunal s’est déclaré
incompétent pour « connaître des demandes relatives à des préjudices
subis hors de France ». Une déclaration qui explique pourquoi la somme
de dédommagement arrêtée par le tribunal demeure bien loin des 369,1 millions
d’euros réclamés par Equativ. Pour autant, le montant décidé reste également en
deçà des estimations des pertes sur le marché français, chiffrées à hauteur de
116,2 millions d’euros, par la société plaignante.
Après la décision du tribunal
de commerce, Google a déclaré, auprès de l’AFP : « Nous sommes en
désaccord avec cette décision qui repose sur des interprétations erronées du
secteur de la technologie publicitaire ». La multinationale a par
ailleurs évoqué ses engagements pris, en 2021, après sa condamnation par
l’Autorité de la concurrence, en mettant en avant « l’ampleur du travail
effectué avec les régulateurs afin de répondre aux questions concernant [son] activité ».
Pour l’heure, ni Google, ni Equativ n’ont communiqué d’informations quant à une
volonté de faire appel de cette décision. Pour autant, celle-ci pourrait, à
l’avenir, inciter d’autres start-ups de la tech à tenir juridiquement tête à
des mastodontes historiques du secteur, et devenir un cas de jurisprudence dans
de futures affaires similaires.
Inès
Guiza