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Grands procès et risques judiciaires - Les cas Patrick Henry et Dieter Krombach

Grands procès et risques judiciaires - Les cas Patrick Henry et Dieter Krombach
Publié le 03/05/2021 à 10:17



 

Le Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD) de la Faculté de droit de l’Université catholique de Lille a présenté, le 31 mars dernier, les travaux de recherche des étudiants du master II Professions Juridiques et Judiciaires réalisés dans le cadre du séminaire de recherche « Grands Procès et risques judiciaires ». À cette occasion, les élèves sont revenus sur quatre affaires judiciaires qui ont défrayé la chronique à la fin du 20e et au début du 21e siècle. Nous revenons ci-dessous sur la présentation des deux premiers groupes de travail qui ont respectivement analysé les procès des criminels Patrick Henry et Dieter Krombach.

 


L’article préliminaire du Code de procédure pénale détermine les règles générales d’un procès pénal : impartialité des juridictions pénales, présomption d’innocence, principe du contradictoire, droit à être jugé dans un délai raisonnable, caractère limité et proportionné des mesures de contrainte, droit à exercer des voies de recours, garantie des droits des victimes… Tout cela en vue d’assurer un procès le plus équitable possible.

Malgré tout, les procès pénaux, plus que les autres formes de règlement des litiges, sont exposés aux risques judiciaires, car les magistrats y jugent des affaires souvent sordides, fortement médiatisées.

Si les juges, en tant que professionnels, sont préparés à garder la tête froide même devant les pires des hommes, la population se trouve, elle, totalement démunie face à un criminel qui s’en prend à l’un de ses membres. Difficile en effet de rester objectif et impartial devant un tueur d’enfants, deux qualités que l’on attend de la part des juges.

Le problème, c’est qu’il arrive fréquemment que l’opinion publique et les médias - et même certaines instances politiques - se mêlent aux délibérations judiciaires qui devraient pourtant être menées strictement, par les magistrats, dans le cadre d’une cour d’assises.

Or, l’opinion publique peut-elle être un juge à part entière ? Quand le tribunal médiatique et populaire se substitue au tribunal judiciaire, quid de la légitimité de la justice pénale et du respect des principes fondamentaux qui irriguent la matière pénale ? En même temps, quand la justice tarde ou refuse de faire son office, alerter l’opinion publique n’est-elle pas la seule voie de recours pour les victimes ?

À la fin du 20e et au début du 21e siècle, les procès de Patrick Henry et de Dieter Krombach (présentés par les élèves de la factulté de droit de l’université catholique de Lille) font partie de ces procès qui ont enflammé l’opinion et ont exposé la procédure pénale à de nombreux risques judiciaires. Ces affaires, et les remous qu’elles ont engendrés dans l’opinion, ont cependant eu le mérite d’interroger la société sur ses propres fonctionnements, les États sur leur système judiciaire et leur coopération, et même d’annoncer des bouleversements sociétaux de grande ampleur.

 

L’AFFAIRE PATRICK HENRY OU LE PROCÈS DE LA PEINE DE MORT

Comme l’ont rappelé en préambule les deux étudiantes du master, ce procès a été appelé plus tard « le procès de la peine de mort », car ce dernier a favorisé l’abolition de la peine de mort en France en 1981.

Le criminel Patrick Henry a d’ailleurs été défendu par deux avocats, Maître Robert Bocquillon assisté par Maître Robert Badinter qui, comme chacun le sait, a porté le projet de loi portant abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale en 1981.

Dans cette affaire, Maître Bocquillon a fait appel à Maître Badinter parce que ce dernier était déjà un fervent abolitionniste :

« Tout accusé qui risquerait sa tête et qui me demanderait de le défendre, quel que soit le crime, je le défendrai » affirmait Maître Badinter.

 

Un crime odieux

Les étudiantes ont commencé par relater les faits.

Le 30 janvier 1976, Philippe Bertrand, un petit garçon âgé de 7 ans, est enlevé, et une rançon d’un million de francs est réclamée à sa famille.

À cette époque, il y avait beaucoup d’enlèvements d’enfants contre rançon, mais c’était la première fois qu’une famille modeste était touchée.

Durant l’enquête, les policiers parviennent à géolocaliser le ravisseur et à l’identifier. Ils décident de ne pas alerter la presse, mais le ravisseur en profite pour disparaître.

Les parents s’expriment alors à la télévision pour demander à celui-ci de se faire connaître. Le kidnappeur se manifeste quelques jours plus tard par un message déposé dans la boîte aux lettres d’un curé de Troyes, proche de la famille Bertrand. Il y donne les instructions pour le dépôt de la rançon.

La police soupçonne Patrick Henry, un proche de la famille, déjà connu des forces de l’ordre, qui devient alors le suspect n°1. Arrêté, celui-ci nie les faits avec véhémence. Faute de preuves et d’aveux,  il est relâché. Celui-ci va alors clamer son innocence dans de multiples médias.

Cependant, un aubergiste le reconnaît à la télévision, car Patrick Henry loue une chambre chez lui. Les policiers se rendent donc sur les lieux, et c’est là qu’ils découvrent le corps du petit garçon sous le lit, enroulé dans un tapis.

Patrick Henry est de nouveau arrêté, le  17 février 1976.

 

La peine de mort remise en question

Le procès de Patrick Henry a lieu le 18 janvier 1977 à la cour d’assises de Troyes. Pendant deux jours, 40 témoins et une dizaine d’experts sont entendus.

L’avocat général, Maître Émile Fraisse, requiert la peine de mort. Une grande partie de l’opinion publique s’exprime également en faveur de la condamnation à mort du meurtrier.

Durant le procès, et alors que les deux familles sont présentes, Patrick Henry garde un visage fermé, méprisant, sans émotion. Il ne dit presque rien.

Les plaidoiries de ses avocats durent 1h30 chacune.

Le 20 janvier 1977, Patrick Henry est déclaré coupable et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, au lieu de la peine de mort, car seuls sept membres du jury sur douze ont voté sa condamnation à mort. [À cette époque, il fallait huit voix sur douze, refusant les circonstances atténuantes, pour que l’accusé soit condamné à la peine capitale, ndlr]

Comment les avocats de Patrick Henry ont-ils plaidé la cause de leur client ?

Lors du procès, Maîtres Bocquillon et Badinter n’ont évidemment pas pu plaider afin de démontrer linnocence de leur client, tant les preuves étaient évidentes. Ils n’ont pas non plus fait le choix de plaider en sa faveur pour atténuer son crime en se fondant sur sa personnalité. En effet, puisqu’il était froid et sans remords, cela aurait été inconvenant.

« Si les avocats avaient opté pour une ligne de défense classique, il aurait été ardu pour eux d’emporter la sympathie et d’éviter le prononcé de la peine capitale », ont expliqué les étudiantes.

Les avocats ont donc fondé leur plaidoirie sur une notion philosophique, extérieure à l’affaire, c’est-à-dire la question de la peine de mort.

Ils ont voulu que les jurés prennent conscience qu’ils avaient « le pouvoir aberrant, exorbitant de lui interdire à continuer à vivre » (Maître Badinter).

Maître Bocquillon a de son côté tenté de créer un lien entre la famille de Patrick Henry et la Cour, en expliquant que chacun des membres de la Cour pourrait un jour peut-être se retrouver dans la position des parents du meurtrier.

Maître Badinter a également rappelé [sans doute l’argument le plus convaincant et rationnel, ndlr] que la peine capitale n’a pas de pouvoir de dissuasion. Il s’agit seulement d’une forme de vengeance.

Bref, par l’émotion et la responsabilisation, les avocats de Patrick Henry ont démontré que le prononcé de la peine de mort n’est jamais proportionné et adapté, quel que soit le crime.




 


Une cour d’assises sous pression

Le crime de Patrick Henry a bouleversé la ville, et au-delà la France entière, qui s’est alors enflammée. Les médias ont relayé cette colère et cette incompréhension.

Ces derniers ont d’ailleurs représenté, pendant le procès, un risque majeur d’influence sur la Cour, ont indiqué les élèves lors de leur présentation.

En effet, les journaux de l’époque ont largement donné leur opinion concernant la peine capitale et ont relayé l’avis de nombreuses personnalités – ce qui, en soi, n’est pas un problème, car cela relève de la liberté de la presse –, cependant ils l’ont partagé avant même que Patrick Henry soit inculpé.

Cela aurait pu remettre en cause l’impartialité de la Cour et entièrement influencer l’issue du procès.

À cette époque, des membres du gouvernement se sont eux aussi prononcés, remettant en cause la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Le garde des Sceaux et le ministre de l’Intérieur se sont ainsi déclarés favorables à l’application de la peine capitale pour les meurtriers d’enfants.

Comble du cynisme suprême du meurtrier, dans de multiples interviews avant son inculpation, Patrick Henry lui-même a déclaré que le meurtrier de l’enfant devrait être exécuté !

Du côté de ceux qui appellent à se prononcer contre la peine de mort (outre les parents catholiques du petit garçon qui ont demandé à ce que ne soit pas appliquée la loi du talion), on retient surtout l’intervention de l’évêque de Troyes, Mgr André Fauchet qui, dans un message publié dans deux journaux de la région, a appelé à « résister à la tentation de la colère justicière » et donc à se prononcer contre la peine capitale. Rappelons que l’évêque étant la plus haute autorité locale dans la religion catholique, il exerce un magistère moral et hiérarchique sur les croyants. Sa prise de position était donc aussi susceptible d’influencer les jurés catholiques dans les délibérés.

Pendant les deux jours du procès, les avocats et les jurés ont subi des pressions, ont reçu des lettres de menaces, des appels téléphoniques anonymes… au cas où le verdict ne serait pas celui de la peine de mort. Les avocats n’ont donc pas pu préparer leur défense avec sérénité.

 

Un verdict inattendu

Toutefois, comme nous l’avons vu, à la stupeur générale et sous la huée de l’assistance, Patrick Henry a été (seulement) condamné à la perpétuité.

On apprendra plus tard, après le procès, qu’au moins trois membres du jury – sur les cinq qui ont voté contre la peine capitale – l’ont fait en raison de leur foi catholique et suivant les directives de l’évêque de Troyes. Même si ce n’est pas dans le sens que l’on attendait, « on peut considérer qu’en l’espèce, le risque d’influence sur la Cour s’est réalisé », ont affirmé les deux élèves.

Dans un article publié dans Libération en 2000, le journaliste Claude Fouchier a également rappelé l’influence de la prise de parole de l’évêque sur l’issue du procès : « On lit partout que c’est grâce à la plaidoirie “historique” de Robert Badinter que Patrick Henry a échappé, le 20 janvier 1977, à la guillotine (…). Elle y a certainement contribué, mais (…) n’avait que peu de chance de convaincre un jury s’il n’y avait eu un hasard déterminant (…), que sur les neuf jurés titulaires tirés au sort, il y en ait eu au moins trois auxquels leurs convictions religieuses interdisaient de voter la mort. Convictions confortées par leur évêque et aussi par l’attitude de dignité extraordinaire de la mère de la petite victime, également catholique. »

À la fin de l’audience, Patrick Henry s’est adressé aux jurés : « vous n’aurez pas à le regretter ! », s’est-il écrié. Mais c’est uniquement par conviction, et non pour faire « plaisir » au meurtrier, que les jurés ont voté contre la peine de mort le 20 janvier 1977. Et heureusement, car Patrick Henry n’a jamais exprimé de véritable pardon et n’est jamais rentré dans le droit chemin.

Plus de 4 ans après, le 9 octobre 1981, la peine de mort est abolie en France.

 

L’AFFAIRE DIETER KROMBACH OU LE CONFLIT DIPLOMATIQUE FRANCO-ALLEMAND

Le deuxième groupe de travail a présenté l’affaire Krombach, une affaire où la politique et la diplomatie ont eu un rôle déterminant.

L’Affaire Dieter Krombach a débuté le 10 juillet 1982. Kalinka Bamberski, une jeune fille française de 14 ans, est retrouvée morte dans la maison de son beau-père, Dieter Krombach, qui devient le principal suspect. Problème : si la France l’a reconnu coupable lors d’un procès, l’Allemagne – dont il est citoyen – l’a immédiatement écarté des suspects de l’enquête (enquête qu’elle ne va d’ailleurs pas mener).

 

Le caractère international de l’affaire

Après son divorce avec le père de Kalinka Bamberski – André Bamberski –, la mère de la victime s’est remariée en 1977 avec un cardiologue allemand, Dieter Krombach. Lors de l’été 1982, pendant les vacances chez son beau-père, la jeune fille est retrouvée morte. Dieter Krombach est suspecté. Mais selon les médecins légistes allemands, le rapport d’autopsie ne permet pas de se prononcer sur une cause nette du décès, et malgré la présence de traces de sang et de substances blanchâtres étrangères au corps, ces derniers n’effectuent aucune analyse complémentaire.

Lors d’une seconde expertise, les enquêteurs notent des incohérences entre les propos du médecin et l’heure de la mort de la jeune fille, mais Dieter Krombach n’est ni convoqué ni placé en garde à vue. En 1982, le parquet en Allemagne classe l’affaire.

Cependant, le père de la jeune fille, André Bamberski, convaincu de la culpabilité de Dieter Krombach (le cardiologue avait déjà été condamné en Allemagne à deux ans de prison avec sursis, en mars 1997, pour avoir violé, sous anesthésie, Laura Stehle, une de ses patientes âgée de 16 ans…) dépose une plainte auprès du tribunal de Paris en 1984.

En décembre 1985, l’Institut médico-légal français exhume le corps de Kalinka Bamberski. Les médecins légistes s’aperçoivent que les échantillons de la première autopsie ont disparu, ils constatent aussi que les organes génitaux de la jeune fille ont été entièrement retirés (pour quelles raisons les médecins légistes allemands ont-ils fait cela ?) rendant impossibles d’autres tests. Les experts français ont pu néanmoins établir que l’injection d’un produit avait immédiatement précédé la mort, et donc que « Kalinka n’est pas morte plusieurs heures avant que le beau-père ne la retrouve, comme celui-ci l’avait affirmé », ont indiqué les élèves qui ont présenté l’affaire. L’heure de la mort a donc été remise en cause, et par conséquent, toute l’affaire s’en est trouvée bouleversée.

Avertie, l’Allemagne n’a toutefois pas voulu rouvrir le dossier. En 1991, la 4e chambre de Paris a de son côté estimé qu’il existait des charges suffisantes contre le médecin allemand. Le 9 mars 1995, la cour d’assises de Paris a statué par contumace, et Dieter Krombach a été condamné à 15 ans de réclusion criminelle pour homicide volontaire.

Cependant, aucun mandat d’arrêt international n’est délivré. C’est seulement en février 1997 que celui-ci a été lancé via Interpol. Mais, comme l’ont précisé les étudiantes, cet arrêt est resté sans effets suite à une entente entre la France et l’Allemagne.

À la même époque, l’Allemagne a menacé l’Hexagone de le traduire devant la Cour européenne de Justice. En effet, selon Berlin, Paris avait fait une faute en niant le classement sans suite qui avait été établi chez eux.

En février 2001, Dieter Krombach a obtienu auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) la condamnation de la France en raison de la violation de l’article 630 du Code de procédure pénale (l’absence de l’accusé lors de son procès) et de l’article 2 du  Protocole 7 de la CEDH. Elle a même condamné la France à verser 100 000 francs au médecin allemand pour frais et dépens !

Le 2 décembre 2004, la France a persisté en délivrant un mandat d’arrêt européen contre Dieter Krombach, mais l’Allemagne a de nouveau refusé d’y donner suite.

Voyant que le médecin était toujours en liberté, André Bamberski, le père de Kalinka, a organisé l’enlèvement de Dieter Krombach pour le livrer à la justice française.

 

L’enlèvement de Dieter Krombach

Le médecin allemand a été retrouvé le 18 octobre 2009, devant le tribunal de Mulhouse, bâillonné et ligoté. Le père a reconnu l’enlèvement et a été condamné à un an de prison avec sursis en 2014. « Cela devait être fait, même si je dois faire un petit peu de prison » a déclaré le père de la victime avant son procès.

Le procès de Dieter Kombrach s’est déroulé en 2011 aux assises du palais de justice de Paris. Après 3 heures de délibération, le médecin a été reconnu coupable de violences volontaires ayant entrainé la mort, sans intention de la donner et condamné à 15 ans de réclusion criminelle.

Le père a été soulagé du verdict français quoiqu’un peu déçu que le terme de « meurtre aggravé » n’ait pas été retenu.

Mais cette audience a provoqué un malaise « juridico-diplomatique » entre Paris et Berlin. L’ambassade allemande a tout simplement refusé de coopérer avec la France.

Après sa condamnation, Dieter Krombach a fait appel. Son procès en appel s’est déroulé en 2012 dans le tribunal du Val-de-Marne. André Bamberski a défendu seul ses convictions. L’accusé a quant à lui basé sa défense sur l’hypothèse de l’erreur médicale. L’avocat général a dénoncé les dysfonctionnements de la justice française et surtout de la justice allemande. Compte tenu de l’absence de regrets de la part de Dieter Krombach, il a demandé encore plus de sévérité contre lui.

Le médecin a finalement de nouveau été condamné à 15 ans en appel. En outre, la cour d’assises a fait état d’une agression sexuelle établie sur la jeune fille.

Dieter Krombach a contesté cette décision en appel et s’est pourvu en cassation. Selon lui, les accords internationaux n’avaient pas été respectés. Mais par un arrêt du 2 avril 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté tous les arguments du pourvoi rendant ainsi la condamnation définitive.

Le médecin n’en est pas resté là. Il a saisi la CEDH, laquelle a rejeté cette fois ses arguments par une décision du 29 mars 2018, estimant que le principe pénal du « Non bis in idem » n’a pas une portée interétatique (rien ne s’oppose à ce que quelqu’un soit jugé pour la même chose dans deux États de l’Union européenne différents).

 

De nombreux risques judiciaires

Au total, l’affaire Krombach aura duré plus de 35 ans, et connu de nombreux rebondissements judiciaires. Par son retentissement européen et l’intérêt qu’elle a suscité dans l’opinion publique, les différentes phases de la procédure ont été exposées à de nombreux risques judiciaires.

C’est d’abord, selon les élèves, l’incursion de la diplomatie franco-allemande qui a fragilisé l’impartialité de la justice.

Rappelons que Kalinka Bamberski était une ressortissante française. Les juridictions françaises se sont donc saisies de l’affaire en application des articles 113-7 et 113-9 du Code pénal, le classement sans suite en Allemagne ne constituant pas pour elles un jugement définitif et n’apportant pas de réponse pénale ferme.

Comme dit précédemment, en 1995, les juridictions françaises ont condamné le médecin à 15 ans de réclusion criminelle, mais du fait des blocages de la CEDH et de l’Allemagne, le cardiologue n’a jamais exécuté sa peine.

Comme les étudiants du master l’ont rappelé, en 1996, les États de l’Union européenne ont signé une Convention d’extradition. Cette dernière permet à u n État membre d’extrader un de ses citoyens vers un autre pays membre dans lequel il a été condamné.

En 2004, la cour d’appel de Paris a transmis un mandat d’arrêt européen aux autorités allemandes pour obtenir l’arrestation et l’extradition de Dieter Krombach, mais le parquet du tribunal supérieur de Munich s’y est opposé (Dieter Krombach aurait été protégé par certains membres de la diplomatie allemande).

Malgré la signature de la Convention d’extradition, l’Allemagne s’est opposée à celle de Dieter Kombrach, « ce qui illustre parfaitement l’inefficacité du mécanisme de l’extradition européenne », ont commenté les étudiantes.

En France, quelques jours après la transmission du mandat d’arrêt européen, le procureur général a finalement adressé une lettre au garde des Sceaux, en lui demandant de suspendre l’arrêt, sous prétexte que « cette affaire commence à sérieusement empoisonner les relations entre Paris et Berlin ». On le voit, c’est donc pour des raisons politiques que le mandat d’arrêt européen n’a pas été suivi d’effets.

Bien que cela ne constitue évidemment pas un exemple à suivre, c’est parce qu’il s’est senti abandonné par les systèmes judiciaires des deux pays, et parce que les e nquêteurs allemands ont complètement bâclé l’enquête, qu’André Bamberski a pris les choses en mains.

« Dans cette histoire, il y a eu tant de manquements procéduraux ! » ont affirmé les étudiantes : pourquoi les médecins légistes allemands n’ont pas estimé nécessaire d’effectuer des tests concernant la substance blanchâtre qu’ils ont retrouvée dans les parties intimes de Kalinda, ni d’effectuer des prélèvements sanguins ? Pourquoi ont-ils mutilé le corps de la jeune fille de ses organes génitaux si ce n’est pour dissimuler quelque chose ?

En tout cas, la question s’est posée de la partialité des autorités allemandes. D’autant plus qu’en 1995, un diplomate allemand a reconnu avoir fait pression sur le président de la cour d’assises pour que Dieter Krombach ne soit pas jugé.

Ces incursions de la diplomatie ont été de graves entraves à la justice, et elles ont jeté le discrédit sur l’indépendance des magistrats.

De son côté, l’avocat du père de l’accusé a décidé d’alerter la presse afin de faire prendre conscience à l’opinion publique « des enjeux cachés de cette affaire ».

Ainsi, en 2011, une foule impressionnante de journalistes attendait la sortie des protagonistes après le procès. De nombreuses télévisions étrangères étaient également présentes.

« La portée médiatique de l’affaire a donné au combat d’André Bamberski une portée plus large, de nombreuses victimes de viol ont ressenti le combat de ce père comme une justice pour elles-mêmes », ont commenté les deux étudiantes.

On peut donc dire que cette fois, les médias et l’opinion publique ont eu un effet positif, car ils ont permis à la vérité d’éclater au grand jour. En outre, l’affaire Krombach a mis en exergue l’imperfection de la justice européenne et l’attitude partiale de l’Allemagne. À la suite de cette affaire, beaucoup d’Allemands ont pris conscience de la responsabilité de leur État et ont remis en cause la justice allemande qu’ils ont accusée de protéger davantage les notables que les populations.

Enfin, l’affaire Krombach a révélé l’ingérence de l’exécutif dans le monde judiciaire.

Une des leçons que l’on peut néanmoins tirer de cette affaire, selon les élèves, est celle de « l’évolution nécessaire des États membres de l’Union européenne quant à l’uniformisation des textes réglant les difficultés procédurales, mais également leur application ».

En effet, la coopération imparfaite entre la France et l’Allemagne a longtemps profité à Dieter Krombach, qui n’a connu aucune sanction pénale dans son pays et qui n’aura en outre passé que huit ans en prison en France, puisqu’il a été libéré le 21 février 2020, du fait de son grand âge et de sa santé défaillante.

Après des décennies de combat, André Bamberski a considéré qu’il avait enfin rendu justice à sa fille. « J’ai tenu ma promesse à Kalinka » a déclaré, après le procès, celui qui a toujours refusé d’être considéré comme un justicier ou un héros, mais plutôt comme un père « obstiné par amour ».

 

 

Maria-Angélica Bailly

 

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