La sénatrice Laurence
Rossignol, co-rapporteure d’une mission d’information sur les femmes sans-abri,
espère que l’adoption à l’unanimité du texte, le 8 octobre dernier, pèsera dans
les débats à venir, budget et immigration en tête, pour améliorer la vie de ces
femmes invisibilisées.
JSS : Vous dressez un
constat glaçant sur la situation des femmes sans-abri en France : qu’est-ce qui
vous a le plus marquée au cours de cette mission d’information ?
L.R. :
D’abord, je retiens le grand nombre de femmes concernées par le sans-abrisme,
le nombre de femmes avec enfants à la rue et la diversité des situations : des
femmes françaises et étrangères, en situation régulière ou irrégulière. De
fait, rien ne vous protège du risque de tomber dans la rue !
Ensuite, il faut se rendre
compte aussi de ce qu’est la vie d’une femme sans domicile : la précarité de
l’hébergement d’urgence, les déplacements perpétuels, l’état d’épuisement. Avec
cette spécificité pour les femmes : le risque élevé d’agressions sexuelles et
de viol. Mais je retiens aussi le travail des équipes et des associations
socio-médicales, innovantes, très présentes sur le terrain, qui effectuent un
travail remarquable pour éviter que ces femmes ne se dégradent trop vite à la
rue.
JSS : Votre rapport
pointe l’absence de statistique publique récente sur la question des femmes
sans domicile. Comment l'interprétez-vous ?
L.R. :
La dernière enquête INSEE a plus de 10 ans, nous n’avons pas eu de recensement
depuis 2012, alors qu’on sait que pendant la même période, le mal-logement et
le sans-abrisme ont augmenté en France dans des proportions spectaculaires. (Le
nombre de personnes sans domicile a doublé en dix ans, pour atteindre 330 000
en 2024, dont environ 120 000 femmes, ndlr).
JSS : Donc la situation
des femmes à la rue n’intéresse personne ?
L.R. :
Je n’irais pas jusque-là, parce que notre rapport pointe aussi une augmentation
réelle du nombre de places d’hébergement. Mais on ignore tout du parcours de
ces femmes, de ce qui les mène à la rue.
JSS : Pour répondre à
l'urgence, votre rapport d’information préconise la création de 10 000 places
d’hébergement supplémentaires dans le projet de loi de finances 2025. Les
amendements prévoyant cette hausse n’avaient pas été conservés lors de
l’adoption en novembre dernier, par un 49.3, du PLF 2024. Croyez-vous pouvoir
être entendue cette année ?
L.R. :
Nous avons eu une majorité au Sénat l’année dernière qui s’est ensuite perdue à
l’Assemblée nationale avec un 49.3. Je me dis que ceux qui l’ont voté au Sénat
et qui sont maintenant au gouvernement vont peut-être se souvenir de leur vote
!
En attendant, comme la
demande est plus forte que l’offre, les critères pour accéder à un hébergement
d’urgence sont durcis et des hôpitaux se mettent à garder des femmes, ce qui,
compte tenu du prix d’une journée d’hospitalisation, constitue une très mauvaise
opération financière pour l’État.
JSS : Votre rapport
d’information demande aussi un effort particulier en faveur des femmes sans
domicile en situation irrégulière dans le cadre de la circulaire Valls, qui
permet aux préfets de procéder à des régularisations au cas par cas. Le
ministre de l’Intérieur vient d’annoncer qu’il souhaitait revenir sur cette
circulaire…
L.R. :
Circulaire dont les préfets font déjà un usage très malthusien ! L’irrégularité
du séjour maintient les femmes dans l’hébergement d’urgence. Certaines de ces
femmes travaillent en France et vivent depuis des années dans ces centres
d’hébergement, ce qui participe à l’embolie du système d’accueil ! Pourtant, un
grand nombre d’entre elles coche les cases de la circulaire Valls qui leur
permettrait d’être régularisées. Sans titre de séjour, pas de demande de
logement social. On maintient des personnes dans des situations de
non-droit.
JSS : Quel avenir
envisagez-vous pour ce rapport ?
L.R. :
Nos recommandations sont politiquement tenables, elles peuvent être suivies,
elles sont raisonnables et pesées, car notre rapport est transpartisan. L’autre
intérêt de ce rapport, c’est qu’il a été adopté à l’unanimité à la délégation
Droits des femmes qui représente la diversité politique du Sénat. J’espère
qu’au moment où les débats surgiront, celles et ceux qui ont voté à
l’unanimité ce texte se le rappelleront.
Delphine
Schiltz