S’il rencontre un succès
fulgurant depuis son lancement le 19 janvier 2024, le jeu vidéo de survie
Palworld, développé par le studio japonais Pocketpair, se retrouve sous le feu
des critiques, accusé d’avoir « plagié » l’emblématique franchise Pokémon.
Alors que Nintendo a annoncé son intention d’« enquêter » et de « prendre
les mesures appropriées » le cas échéant, quel avenir pourrait attendre
Palworld ? L'avocat François Godfrin nous explique les enjeux derrière cette affaire, l’occasion
de faire un point en matière de propriété intellectuelle.
JSS : Le nouveau jeu
Palworld fait face à des critiques l'accusant de « plagier » Pokémon. À quel moment une œuvre qui s’inspire d’une autre franchit-elle la ligne vers
le plagiat ? Que prévoit le droit japonais ?Haut du formulaire
François Godfrin : La
sortie du jeu vidéo Palworld a fait beaucoup de bruit, que ce soit dans le
domaine du gaming, mais également dans le monde de la propriété intellectuelle.
Et pour cause, de nombreux
fans de la célèbre franchise Pokémon n’ont pas manqué de relever de nombreuses
similarités entre les designs des « Pals » et ceux des Pokémon,
allant jusqu’à affirmer que Palworld serait une évidente copie contrefaisante
de Pokémon. Un nombre important de comparatifs visuels fleurissent sur les
réseaux, et témoignent en effet de certaines ressemblances qu’il serait
difficile de contester.
Toutefois, une forte
inspiration n’est pas nécessairement constitutive de plagiat. À cet égard, il
me semble préférable d’utiliser le terme « contrefaçon de droit d’auteur »,
plutôt que « plagiat » qui n’est finalement pas une notion juridique,
et n’est d’ailleurs pas visé par le Code de la propriété intellectuelle.
Le régime juridique du droit
d’auteur au Japon est fortement similaire au modèle français, et permet ainsi
de protéger une œuvre dès sa création et pendant 70 années à compter du décès
de l’auteur.
Comme en France, la
protection ne nécessite aucune formalité particulière et est seulement
conditionnée à la caractérisation de l’originalité de l’œuvre, cette dernière
pouvant être de nature littéraire, scientifique, artistique ou musicale.
L’originalité est acquise dès lors que l’œuvre est le fruit d’une expression
créative.
Toutefois, si le dépôt n’est
pas nécessaire, il peut faciliter la preuve en cas de litige, et est donc
fortement recommandé au Japon, ce qui n’est pas le cas avec le système
français, où il est uniquement nécessaire de pouvoir démontrer la date de
création de son œuvre, par exemple par le dépôt d’une enveloppe e-Soleau qui
permet d’obtenir une date certaine.
JSS : Et en droit
français, quelles sont les particularités à retenir ? La preuve est-elle
facile à rapporter ?
F.G. : En France,
l’originalité nécessaire pour qu’une personne soit titulaire de droit d’auteur
sur une œuvre du simple fait de sa création, sans qu’il soit nécessaire de
procéder à un quelconque dépôt, est caractérisée lorsque la création est le
fruit de l’activité créative empreinte de la personnalité de son auteur.
Les personnages dessinés ou
tirés d’une œuvre audiovisuelle peuvent en eux-mêmes être protégés par le droit
d’auteur indépendamment de l’œuvre dans laquelle ils apparaissent.
Dès lors, sont subordonnés à
l’autorisation expresse de l’auteur (contrat de licence ou de cession de ses
droits d’auteur) non seulement la reproduction ou la représentation pure et
simple de son œuvre, mais aussi tout emprunt à cette œuvre dès lors qu’il porte
sur des éléments donnant prise à la protection légale.
« Si
ces créatures surnaturelles appartiennent à une certaine culture, alors il est
possible que d’autres auteurs puissent s’en inspirer pour créer de nouveaux
visuels, qui pourront à leur tour être protégés par le droit d’auteur »
François
Godfin, avocat
Faute de consentement de l’auteur,
toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle de l’œuvre est
constitutive d’une contrefaçon au sens du code de propriété intellectuelle. Le
législateur a par ailleurs prévu une protection complémentaire sur le terrain
de la concurrence déloyale et parasitaire.
Une reprise partielle et
contrefaisante d’une œuvre peut consister dans la reproduction ou la
représentation d’une partie de la composition et/ou de l’expression de l’œuvre
première. En cas de litige, le juge apprécie les ressemblances et non les
différences afin de caractériser l’existence ou non d’une contrefaçon. Les
éléments probatoires, produits en justice au soutien d’une action en
contrefaçon, sont donc soumis à l’aléa judiciaire, à savoir l’appréciation
souveraine des juges qui se prononceront sur le bien-fondé de l’action.
JSS : On peut voir un
peu partout que Palworld est une parodie de Pokémon. En droit japonais comme en
droit français, est-ce que le terme de « parodie » peut justifier l’inspiration
un peu exagérée ?
F.G. : Certains
relèvent en effet que le jeu présente un côté satirique, eu égard à son
caractère cynique et violent, dans un univers initialement pensé pour les
enfants.
Issue du principe de liberté
d’expression, la parodie constitue une exception légale au droit d’auteur. La
liberté repose d’abord sur le constat que la personne qui reprend l’œuvre y
apporte quelque chose de personnel. Ces œuvres ne sont possibles que si le but
poursuivi est, en principe, de faire sourire sans pour autant chercher à nuire
à l’auteur de l’œuvre initiale, ou encore créer un risque de confusion avec
cette dernière.
Les contentieux relevant de
cette exception ne sont pas rares, notamment en raison de la susceptibilité de
certains auteurs ou à cause de mobiles commerciaux inavoués des parodistes.
La parodie suppose deux
éléments : un élément intentionnel qui n’est autre que la manifestation
d’une intention humoristique de l’auteur, et un élément matériel qui est
correspond à un emprunt distancié avec l’œuvre parodiée. En effet, la parodie
doit évoquer l’œuvre préexistante en présentant des différences perceptibles
avec celle-ci, afin d’éviter tout risque de confusion et ne pas constituer une
atteinte à l’honneur ou à la réputation.
La jurisprudence a sur ce
point précisé qu’un simple « clin d’œil » en direction du
public ne suffit pas toujours dans la mesure où la « volonté ludique »
de l’auteur de l’œuvre seconde et la recherche de la « complicité
amusée » sont des « motifs inopérants ». Dans le même
sens, il a été jugé que l’utilisation sur un site internet d’un célèbre
personnage de bande dessinée n’a pas permis de se prévaloir de l’exception de
parodie.
La parodie doit respecter un
juste équilibre entre, d’une part, les intérêts et les droits des personnes
visées et, d’autre part, la liberté d’expression de l’utilisateur d’une œuvre
protégée se prévalant de l’exception de parodie. Toutefois, les juges semblent
attacher une certaine importance au détournement de notoriété, reconnaissant
implicitement un abus de liberté d’expression lorsque la parodie n'est qu'un
prétexte pour bénéficier indûment de la notoriété de l'œuvre parodiée.
En l’espèce, je ne suis pas certain qu’une
intention humoristique évidente serait retenue en cas de litige, étant
toutefois rappelé que cette qualification est laissée à l’appréciation
souveraine des juges du fond.
JSS : Pocketpair, le
développeur du jeu, s'inspire de la riche culture des « Yokai » (créatures
surnaturelles) de son pays d'origine. D'autres jeux japonais comme Yokai Watch,
axés sur la capture de créatures, ne semblent pas poser de problèmes à
Nintendo. Digimon, dans la même veine, offre également un concept similaire à
Pokémon. À l'époque, la franchise Pokémon elle-même s'était inspirée des
créatures du jeu Dragon Quest sans être pointée du doigt. Finalement, si
Nintendo et The Pokémon Company portent plainte, ne serait-ce pas pour chercher
à éliminer une éventuelle concurrence pour leurs jeux ?
F.G. : La
reprise des visuels de personnages protégés par le droit d’auteur peut
constituer un moyen déloyal de s’octroyer un public déjà conquis, une clientèle
déjà acquise, permettant ainsi de faire l’impasse sur des investissements
conséquents, qu’ils soient financiers ou créatifs.
Toutefois, si la copie
servile de visuels protégés par le droit d’auteur est proscrite, il n’en va pas
de même de la simple inspiration artistique. En effet, la liberté de création
découle naturellement de la liberté d’expression. Ainsi, si ces créatures
surnaturelles appartiennent à une certaine culture, alors il est possible que
d’autres auteurs puissent s’en inspirer pour créer de nouveaux visuels, qui
pourront à leur tour être protégés par le droit d’auteur.
Cependant, la création de ces
« Pal », que la société n’a pas manqué d’attribuer à des créateurs,
personnes physiques, est remise en question, eu égard aux suspicions
d’utilisation d’une intelligence artificielle dite « générative ». Or,
cela constitue actuellement l’un des problèmes majeurs liés à l’essor très
voire trop rapide de l’intelligence artificielle et de ses applications dans le
domaine artistique, que de nombreuses législations
tentent
d’encadrer par différents projets de texte législatifs ou règlementaires, sans
qu’il n’y ait pour l’instant de réel cadre juridique.
En effet, l’art génératif
repose sur des algorithmes d’apprentissage qui se basent sur les créations
antérieures, décomposées puis recomposées pour aboutir à une nouvelle œuvre.
Dès lors, ces œuvres
« créées par IA » sans l’autorisation des auteurs et artistes dont
les œuvres sont la source d’inspiration de l’IA, et auprès de qui une demande
d’autorisation aurait dû être formulée avant que leurs créations ou interprétations
ne soient utilisées par l’algorithme qui s’en sert ou s’en inspire aux côtés de
milliers d’autres, sont susceptibles de constituer des contrefaçons de ces
œuvres, ou à tout le moins ne respectant pas le droit moral de l’auteur, en
omettant son droit à la paternité sur son œuvre.
Par ailleurs, en matière de
jeux vidéo, il existe des précédents judicaires fondés notamment sur la
contrefaçon de personnages de jeux vidéo, protégés par le droit d’auteur.
JSS : Est-il fréquent de
voir des affaires pour plagiat dans le domaine des jeux vidéo portées devant
les tribunaux ? Avez-vous des exemples à nous donner ?
F.G. : La
situation de Palworld rappelle celle du jeu mobile Flappy Bird, qui avait
rencontré un fort succès très rapidement en 2013, et qui présentait de
nombreuses similarités, tant sur le design que sur le gameplay, avec le jeu Piou Piou
sorti 2 années auparavant, mais aussi avec l’univers graphique de Mario.
Toutefois, bien que le créateur de ce jeu controversé ait réfuté toute
accusation formulée à l’encontre de son jeu, il a fait le choix de retirer son
jeu des plateformes de téléchargement, avant même qu’une action ait pu être
initiée.
En l’espèce, il sera très
intéressant d’analyser l’éventuelle réaction et action que pourrait initier The
Pokémon Company, qui a annoncé enquêter afin de prendre les mesures appropriées
pour traiter tout acte qui enfreindrait les droits de propriété intellectuelle
liés à Pokémon.
Palworld s'inspire de plusieurs jeux comme Pokémon, The Legend of Zelda ou encore Ark: Survival Evolved @ Pocketpair
JSS : Que peut-on
retenir des précédents procès en la matière ?
F.G. : Si
la copie servile doit nécessairement être condamnée, il est nécessaire de
garantir une certaine liberté de création, et donc d’inspiration, afin de
permettre le développement d’une certaine concurrence, qui favorise finalement
l’innovation, afin justement de motiver les sociétés de jeux vidéo à créer de
nouveaux jeux, de nouveaux univers, et se démarquer des jeux déjà existants.
JSS : Une autre
controverse entoure Palworld : celle de la maltraitance animale. Dans ce jeu,
les créatures sont perçues comme des ressources, voire des « esclaves »
chargés d'accomplir des tâches pour permettre aux joueurs d'améliorer leur
camp, bien qu'il soit également possible de bien les traiter. Cette approche
diffère de celle de Pokémon, qui malgré ses combats, encourage l'amitié entre
les humains et les Pokémon. Peut-on parler de maltraitance animale dans un jeu
vidéo ? Y a-t-il des droits nationaux qui se sont déjà penchés sur le sujet ?
F.G. : À ma
connaissance, il n’y a pas de législation en France ou à l’étranger qui
réglementerait le risque de maltraitance animale dans les jeux vidéo, ce qui me
semble plutôt logique, dans la mesure où le personnage de jeu vidéo est un
programme informatique, qui n’est donc pas un sujet de droit.
En revanche, la question se
pose désormais pour les avatars de joueur qui subissent des violences par
d’autres joueurs dans le monde virtuel. Mais c’est un autre sujet.
Dès lors, il semble normal
que la liberté de l’utilisateur soit assurée, ce qui explique la
commercialisation (et le succès) de jeux plus ou moins controversés, en raison
notamment de leur violence et de leur immoralité, comme GTA, Red Dead
Redemption ou Duke Nukem par exemple.
D’ailleurs, ce type de jeu s’adresse
à un public averti, à même de faire la part des choses, sans être influencé
dans la vie réelle. À cet égard la classification PEGI renseigne l’âge du
public cible auquel le jeu est destiné.
Propos
recueillis par Romain Tardino