À quelques jours du congrès
de la profession, qui se tiendra jeudi 3 octobre à Reims, celui qui est arrivé à la tête de l’organisation en janvier
dernier veut poursuivre le travail dans la lutte contre la criminalité
financière. Il compte aussi plaider au niveau gouvernemental pour le transfert
de la gouvernance du Guichet unique à Infogreffe.
JSS : Le thème du 136e
congrès des greffiers des tribunaux de commerce est celui du potentiel de la
francophonie. Pourquoi ce choix ?
Victor Geneste : Le
19e sommet de la francophonie se tient cette année en France, c'est l’un
des grands thèmes du président de la République. Il se tiendra à
Villers-Cotterêts le 4 octobre, le lendemain de notre congrès. Notre objectif
est de démontrer qu’il existe des cas concrets de réalisations liées à la francophonie,
notamment la coopération entre registres du commerce et des sociétés.
Les échanges que l'on peut
avoir avec tous les pays francophones nous permettent d'échanger pour améliorer
la tenue des registres. Nous sommes membres fondateurs de l’Alliance
francophone des registres du commerce (AFREC), créée il y a deux ans et qui
réunit 21 pays francophones, du Luxembourg à la Belgique en passant par le
Québec, la Tunisie et le Congo. Ce congrès doit nous aider à déterminer comment
la francophonie peut potentiellement nous permettre d'améliorer nos pratiques.
Nous aurons la chance de
recevoir le secrétaire permanent de l’Organisation pour l’harmonisation en
Afrique du droit des affaires (OHADA), qui a un rang protocolaire de chef
d'État. C’est une personnalité importante en termes d'harmonisation du droit
des affaires au niveau africain. Nous aurons également un certain nombre
d'intervenants émérites en matière de justice ou de teneur de registre, pour échanger
tout au long de cette journée sur nos pratiques et réfléchir à la façon de
prendre le meilleur des deux mondes entre nos registres. Cela permettra aussi de
promouvoir le modèle français, une référence en matière de registre du commerce
et des sociétés.
JSS : En juin 2023, le CNGTC a pris la
présidence de l’AFREC pour une durée de deux ans.
Quel est le premier bilan de cette présidence et que reste-t-il encore à faire
?
V.G. : Thomas
Denfer, le président honoraire du Conseil national, a pris la tête de cette
alliance dans une pensée nationale et nous avons eu l'idée de jumeler notre
congrès national avec le deuxième sommet de l’AFREC, qui aura donc lieu le 4
octobre, également à Reims.
L'alliance se porte bien et
nous avons beaucoup d'échanges entre les différents pays. Son objet est
d’échanger sur toutes les matières judiciaires ou registres entre les 21 pays
membres, dont certains sont en train de construire leurs outils, là où d’autres
sont beaucoup plus mûrs, comme le Québec où je me suis rendu en début d'année
pour échanger avec eux notamment sur la police économique, la lutte contre la
fraude ou sur nos registres. J’ai aussi signé à Montréal un partenariat avec la
sous-ministre en charge des registres du Québec. L’AFREC était associée à ce
déplacement.
JSS : En janvier
dernier, vous avez été élu
président du CNGTC pour une durée de deux ans. Comment se
sont déroulés la transition avec Thomas Denfer et vos premiers mois de
mandat ?
V.G. : La
transition s'est faite dans la continuité, puisque lors de notre dernier
congrès, Thomas Denfer a signé une convention d'objectifs avec l'État avec les
ministres de la Justice, de l'Économie, des PME, de l'Europe et de l'Intérieur,
et mon mandat s’organise autour de cette convention.
Nous avons présenté un livre
blanc pour lutter contre la criminalité financière. Un certain nombre de
mesures ont déjà pu être retenues par l'État, notamment l'accès pour les
greffiers des tribunaux de commerce au fichier réunissant l’ensemble des
comptes bancaires français (FICOBA) que nous sommes en train d’obtenir. Ce
fichier nous permet, dans nos contrôles au registre du commerce et des
sociétés, de vérifier que l'attestation bancaire qui nous est produite pour
l'ouverture d'une société est une attestation réelle et que le compte bancaire
existe bien.
« Demain,
confier la gestion de ce registre des associations aux greffiers des tribunaux
de commerce permettrait de lutter contre le blanchiment et le financement du
terrorisme. »
Victor
Geneste, président du CNGTC
Nous avions également fait
des demandes en matière de bénéficiaires effectifs. Nous sommes en passe
d'obtenir que le greffier puisse radier d'office des sociétés qui n'ont pas
déclaré leurs bénéficiaires effectifs ou qui ne les ont pas mis à jour. C'est
un moyen de pression extrêmement important pour que les sociétés régularisent
leurs obligations déclaratives en cette matière.
Nous travaillons toujours à
intégrer les associations dans le dispositif, car elles ne font pour l’heure pas
véritablement l'objet d'un registre et doivent simplement déclarer ces
informations en préfecture. On se rend compte que certaines associations ont un
poids économique extrêmement important et le fait qu'il n'existe pas de
registre pose un problème au regard du dispositif LAB-FT. Le Groupe d’action
financière (GAFI), qui avait rendu en 2022 son rapport
sur les actions que mène la France en matière de lutte anti-blanchiment et
financement du terrorisme, avait indiqué que la France était un
bon élève, mais avait signalé un trou dans la raquette en ce qui concerne les
associations.
L’État envisage la création
d'un guichet unique sur ces associations, et nous aimerions être l'opérateur en
charge de ce guichet et tenir un véritable registre des associations avec un
contrôle en amont, un pendant la vie de l'association et un à la fin de
l'association. Demain, confier la gestion de ce registre des associations aux greffiers des tribunaux de commerce permettrait de lutter contre le blanchiment
et le financement du terrorisme à travers la déclaration des bénéficiaires
effectifs et des données sécurisées et fiables. Nous estimons que cela
n’entravera pas la liberté d'association, tout comme le registre du commerce et
des sociétés n'a pas entravé la liberté d'entreprendre.
JSS : Après une
année compliquée en 2023, le Guichet unique des
formalités d’entreprises a-t-il trouvé son rythme de croisière ?
V.G. : Non,
malheureusement, les difficultés sont toujours là. Le Guichet unique devait
être prêt pour les professionnels en juillet 2021. Trois ans plus tard, il n’est
toujours pas opérationnel. Près d’un million de dossiers ont été initiés sur la
procédure de secours gérée par Infogreffe. C'est presque un tiers du flux qui
passe toujours par là. Le gouvernement avait demandé à l'INPI, qui est en
charge de ce Guichet unique, d'améliorer la qualité du registre. Or depuis
janvier 2023 et son ouverture au grand public, la qualité ne s’est pas
améliorée et s’est même en partie dégradée. Avant, pour la délivrance d'un Kbis,
il fallait 24 heures. Aujourd'hui les délais ont explosé à presque 10 jours
s'agissant d'une immatriculation, et ils peuvent être beaucoup plus longs en
matière de modifications.
Le Guichet unique est une
très bonne idée pour simplifier la vie du chef d'entreprise, quitte à nous la
complexifier, mais c'est notre métier. Encore faut-il que l'opérateur en charge
du Guichet unique soit le bon. L'INPI n'était pas le bon choix. Bruno Le Maire l'a
d’ailleurs dit devant le Sénat. Nous estimons donc qu’il faut revoir la
gouvernance de la plateforme en changeant d’opérateur.
JSS : Qui pourrait
récupérer le Guichet unique ?
V.G. : Infogreffe
s’est proposé de prendre la totalité de son périmètre et de substituer l’INPI pour
sa gestion, comme nous le faisons depuis des décennies. C'est notre cœur de
métier. Nous avons tendu la main au gouvernement, sachant que la procédure de
secours s'arrête à la fin de l'année. À partir de janvier 2025, les chefs
d'entreprise vont encore plus souffrir alors qu’ils sont déjà les principales
victimes des dysfonctionnements du Guichet unique. Nous espérons une réponse
politique de la part du nouveau gouvernement.
JSS : L’instabilité politique de
ces derniers mois a-t-elle posé des problèmes au CNGTC et
aux entrepreneurs ?
V.G : À la
suite à la dissolution de l'Assemblée nationale, le projet de loi de simplification
de la vie économique et le projet de loi antifraude ont été mis en suspens.
Nous nous réjouissons d'avoir un nouveau gouvernement et un Parlement
opérationnel pour pouvoir poursuivre les travaux en matière de simplification
et de fraude. Sur le Guichet unique, nous espérons une forme de pragmatisme et
que l'on puisse faire ensemble les constats des difficultés existantes.
JSS : Dans votre bilan national des
entreprises pour le premier semestre 2024,
vous annoncez un nombre de procédures collectives au plus haut. Comment
l’expliquez-vous ?
V.G. : À la
sortie du covid, crise durant laquelle un certain nombre d’aides comme les
prêts garantis par l’État ont eu lieu, nous avons connu une conjoncture assez
difficile, notamment avec la hausse des taux mais aussi un retour à un cycle
économique normal : le « Quoi qu'il en coûte », qui mettait l'économie
sous perfusion, s’est arrêté. Nous projetons 65 000 procédures collectives
sur l'année 2024. C'est un cycle haut, mais pas inédit et nous avons la
capacité de gérer ces flux. Nous sommes plutôt favorables à ces cycles
économiques avec effet de hausse, qui permettent au marché économique de s'autoréguler.
C’est le fonctionnement normal de la vie économique.
Concernant l’analyse des
chiffres des PME cependant, il faut savoir que depuis la mise en place du
Guichet unique nous rencontrons des difficultés à avoir accès à toutes les
informations.
JSS : Quels sont vos
objectifs pour la suite de votre mandat ?
V.G. : Outre
l’amélioration nécessaire du Guichet unique, je souhaite faire avancer notre
convention d'objectifs, avec deux gros chantiers pour la profession dans
l’année qui vient.
« Nous
voulons être un tiers de confiance pour contrôler les informations
données par les entreprises en matière de responsabilité sociétale des
entreprises. »
Victor
Geneste, président du CNGTC
Le premier concerne l’expérimentation
dès janvier 2025 de 12 tribunaux des activités économiques, qui élargissent la
compétence des tribunaux de commerce en matière de prévention et de traitement
des difficultés des entreprises, du redressement à la liquidation par l’extension
aux agriculteurs, associations, professions libérales et sociétés civiles.
C’est historique, et c’est une marque de confiance qui nous a été faite par le
ministère de la Justice. Nous avons donc constitué des groupes de travail pour
nous préparer techniquement et juridiquement à la réussite de cette
expérimentation.
Le deuxième chantier concerne
le tribunal digital. L'idée est de créer un espace numérique pour saisir le
tribunal et obtenir sa décision. Les juges pourront rendre une décision signée
électroniquement. Toutes les parties prenantes (avocats, mandataires
judiciaires, commissaires de justice) accèdent à ce tribunal digital pour
pouvoir effectuer leur mission. En bout de chaîne sera présente une
signification électronique avec une décision signée électroniquement. La voie
papier restera présente de façon facultative pour la lutte contre la fracture
numérique. Nous avons obtenu l’accord du ministère de la Justice pour modifier
les textes afin de permettre la généralisation de ce tribunal.
Nous avons aussi engagé une
démarche RSE au sein de la profession, puisque nous voulons demain être un
tiers de confiance pour contrôler les informations données par les entreprises
en matière de responsabilité sociétale des entreprises. J'ai signé le 19
septembre la charte numérique responsable qui définit cette politique. C’est un
engagement sur l'utilisation de nos outils, sur la façon de de gérer nos équipes,
sur la façon de travailler.
Propos
recueillis par Alexis Duvauchelle