Le 7 juillet, la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris
a organisé une journée de formation entièrement en ligne sur le thème de
l’innovation au service de la transformation. À cette occasion, la CRCC de
Paris a présenté les grands axes de sa nouvelle stratégie d’innovation,
développée afin de répondre aux nouveaux défis qui attendent la profession,
suite à l’entrée en vigueur de la loi PACTE.
La loi PACTE (entrée en vigueur en mai 2019), et particulièrement le
relèvement des seuils de l’audit légal obligatoire, a été vécue comme un
traumatisme par la profession. Cependant, pour la CRCC de Paris, au lieu de
regretter le passé, il faut désormais repenser l’organisation des cabinets et
réfléchir aux nouvelles missions et prestations à mettre en place pour que la
profession soit davantage en adéquation avec les besoins des entreprises.
« Dès le milieu de l’année 2018,
voyant la tournure que prenaient ou semblaient prendre les débats du projet de
loi PACTE, nous avons commencé à réfléchir à l’après et aux conséquences (…). À
l’été 2019, nous avons entamé un processus de réflexion structuré, et, suite à
de nombreuses discussions avec des spécialistes de l’innovation, nous avons
pris contact avec un consultant pour qu’il nous aide à mettre en œuvre un
projet d’innovation à destination des membres de la Compagnie de Paris (…) qui
sont en train de prendre le virage digital », a expliqué Olivier
Salustro, en ouverture de l’ultime table ronde de la matinée (« Innover
pour se transformer », du même nom que l’évènement).
Au cours des échanges, Olivier Salustro, président de la CRCC de Paris,
Nathalie Lutz, Jean-Marc Fleury, Mélanie Charles, Frédéric Burband, tous les
quatre vice-présidents de la CRCC de Paris, et Arnaud Banoun, cofondateur de
Performance Lab, enseignant-chercheur en management, ont présenté, en détails,
le nouveau projet de la CRCC de Paris.
Pourquoi innover pour se transformer ?
Dans un discours introduisant l’évènement, Olivier Salustro est revenu sur
les raisons et les objectifs de la nouvelle stratégie mise en œuvre par la
Commission de Paris : « Innovation
parce que nouveaux services et nouveaux usages s’installent ; (…)
Transformation parce que les modes de production, de relation, de
fonctionnement changent avec le numérique. »
Les commissaires aux comptes doivent, selon lui, s’emparer de ces nouveaux
enjeux pour rester dans la course : « Notre intime conviction est qu’il ne faut pas laisser l’innovation aux
seules start-up, mais la susciter et la cultiver dans nos propres équipes,
qu’il s’agisse de l’innovation d’usage, de l’innovation technologique ou de
l’innovation sociale. »
Mais comment la stratégie d’innovation qu’ambitionne de déployer la
Compagnie dans la plupart des cabinets a-t-elle vu le jour ?
Olivier Salustro a raconté, lors de la table ronde, que les équipes de la
Compagnie de Paris avaient commencé à réaliser un état des lieux général en
faisant le tour des innovations proposées actuellement par les instances de la
profession. Ils se sont alors rendu compte que « l’impact opérationnel et la lisibilité des actions, dispositifs, outils
et formations pouvaient être améliorés. »
Une « innovation map » a alors été tracée et à partir de là, la
Compagnie a construit une nouvelle stratégie avec trois ambitions :
renforcer le rôle moteur de la CRCC de Paris dans les changements de la
profession, aider les membres de la CRCC à se développer malgré la loi PACTE en
tirant parti de l’intelligence artificielle, et mettre davantage en avant les
clients et les entrepreneurs au cœur des préoccupations.
Les équipes ont ensuite présenté une feuille de route concrète, avec trois
objectifs généraux, trois axes de travail, sur trois horizons.
« Les objectifs généraux sont
assez simples », a assuré Olivier Salustro. Plus précisément, il s’agit
d’objectifs internes (comme acculturer, former, et accompagner les membres de
la Compagnie), d’objectifs externes (comme veiller et animer l’écosystème) et
d’objectifs internes et externes à la fois (tels que communiquer et informer).
Une fois les objectifs généraux définis, la CRCC de Paris a révélé trois
axes de travail qui couvrent trois thèmes :
• mission et prestation pour répondre au besoin d’aller au-delà des
missions légales actuelles et envisager les revenus futurs, mais aussi donner
toutes les clés pour réaliser et vendre les prestations ;
• performance des cabinets pour travailler sur l’efficacité et l’efficience
afin de délivrer plus vite et mieux, notamment grâce à des nouveaux outils
numériques ;
• les ressources humaines, ou les soft
skills, pour faire monter en compétences les membres de la compagnie à
titre individuel, mieux gérer l’organisation du cabinet et ses collaborateurs,
ainsi que les interactions avec les partenaires.
Au-delà de ces trois axes, afin de hiérarchiser les priorités, la Compagnie
de Paris a fixé trois horizons : le court terme, c’est-à-dire l’année en
cours, le moyen terme, l’horizon 2024, et le long terme, au-delà de 2025.
« Au bout du bout, nous sommes
arrivés à une matrice de travail à triple entrée qui fixe les actions, une
vingtaine, et détaille les travaux des commissions » a résumé Olivier
Salustro.
Des commissions en mouvement
Chacun à leur tour, les présidents des différentes commissions de la CRCC
de Paris ont présenté les travaux entrepris, à leur niveau, pour répondre à la
stratégie globale de la Compagnie.
Nathalie Lutz, chargée de la commission Performance des cabinets, a
expliqué que lors du lancement du chantier innover pour se transformer, elle a
préféré, à la demande de nombreux confrères, « capitaliser sur l’existant plutôt que de se lancer dans la promotion de
nouvelles missions ».
« Qu’est-ce que je fais de
mal ? En quoi certains outils ou process peuvent améliorer ma démarche
d’audit ou mon mode de management de cabinet ? Comment faire en sorte que
mon client perçoive mieux ma valeur ajoutée ? » : voici les
questions sur lesquelles s’est basée sa commission, composée d’élus et de non
élus, pour amorcer ses travaux.
Nathalie Lutz a également dû s’assurer que les travaux de sa commission
n’étaient pas redondants avec ceux des autres commissions. Quels sont alors les
axes de réflexion et les livrables de la commission Performance des cabinets
pour l’année 2020 et jusqu’à la fin de la mandature ?
Le premier livrable, a précisé la présidente de commission, est un parcours
auditeur (un parcours CAC) qui reprend « les points de douleur et les points de frustration des commissaires aux
comptes à chaque étape de la démarche d’audit, mais aussi de la démarche de
manager ». Ce parcours réfléchit sur les process que les cabinets
devraient mettre en place pour être plus performants, et sur les formations que
les auditeurs pourraient suivre.
Le deuxième livrable de cette commission est un catalogue des outils de
performance. Il s’agit d’affiner et de segmenter ces outils par typologie de
cabinets.
Le troisième axe de réflexion consiste en l’organisation de webinaires sur
la performance.
La commission continuera également de proposer à la rentrée les
« sacrées soirées », soit des réunions en petit comité, co-animées
par un binôme composé d’un commercial et d’un commissaire aux comptes.
Celles-ci permettent, aux participants entre autres, d’échanger sur leurs
difficultés à vendre des missions, à développer leur chiffre d’affaires…
Enfin, le dernier axe de réflexion porte sur la mise en place d’un process
pour identifier les besoins des clients et évaluer leur satisfaction.
Ensuite, Jean-Marc Fleury s’est exprimé sur les actions menées par la
commission Missions et prestations.
Cette commission a pour objectif de trouver des missions complémentaires,
voire de remplacement, à celles qui sont en train de disparaître à cause de la
loi PACTE. La commission a commencé par identifier les nouvelles prestations et
en a décompté 25 (peu utilisées par la profession ou pas du tout fournies aux
clients). Elle les a ensuite regroupées en cinq catégories.
L’idée est de faire en sorte que les professionnels s’approprient les
concepts de ces nouvelles prestations, puis de développer des méthodologies et
des outils pour en assurer la conduite et la vente, et de proposer des
formations pour que ces derniers puissent acquérir les savoir-faire
nécessaires, a expliqué Jean-Marc Fleury.
Après analyse d’une vingtaine de prestations, la commission a décidé de
travailler sur huit d’entre elles. Celles-ci font partie des trois catégories
suivantes (parmi les cinq identifiées par la commission) :
• le domaine de la conformité légale réglementaire qui comprend l’audit de
conformité sociale, l’audit de conformité fiscale, la conformité loi Sapin, et
la conformité lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ;
• le diagnostic financier qui comprend le diagnostic solvabilité, la due
diligence et la cartographie des risques ;
• le contrôle interne et process. « L’idée étant d’aboutir à ce que nous devenions des professionnels non
seulement de l’audit externe, mais aussi de l’audit interne » a
précisé l’intervenant concernant ce dernier point.
« Nous avons un programme de
travail pour plusieurs années, mais à l’issue de cette période, je pense qu’on
aura un catalogue extrêmement développé de missions nouvelles » a-t-il
assuré pour finir.
Mélanie Charles, chargée de la commission RH et compétences, a ensuite
évoqué les travaux entrepris par son équipe.
Les objectifs de cette commission sont au nombre de quatre : faire
monter en compétences les CAC sur le management, la gestion de la relation
client, l’innovation ; enrichir les parcours existants, en concevoir des
nouveaux avec des objectifs métiers ; tester de nouvelles modalités
d’apprentissage en faisant appel à des acteurs innovants ; et enfin mieux
accompagner les CAC dans le choix de leur formation.
Durant la période de confinement, plus particulièrement, la commission a
élaboré un recensement exhaustif des formations qui existent à l’heure actuelle
afin de pouvoir les catégoriser en différentes thématiques telles que le
management, la relation client, et tout ce qui a trait aux nouvelles
technologies, a expliqué Mélanie Charles.
Celles-ci ont ensuite été stratifiées par niveau (débutant, initiation,
développement), ce qui a permis d’élaborer des parcours.
Le premier d’entre eux est un parcours sur l’analyse de données. Sept
formations font partie de ce parcours : des formations d’acculturation,
l’analyse des données avec Excel… « Aujourd’hui,
on travaille avec l’Asforef pour pouvoir atteindre un niveau de certification »,
a ajouté l’intervenante.
Le deuxième parcours concerne la réalisation de missions de diagnostic sur
la partie IT, notamment la réalisation du diagnostic RGPD, les risques cyber…
Enfin, la commission RH est en train de tester des nouvelles méthodes
d’apprentissage, comme les micro-learning (petites formations sur des sujets
précis et sur des durées très courtes) et la gamification, c’est-à-dire
l’apprentissage par le jeu.
Également chargée de la commission Communication et attractivité, Mélanie
Charles a évoqué les travaux réalisés dans ce groupe. Cette commission a deux
objectifs : la communication auprès des membres de la Compagnie, avec
notamment le site Internet (refondu en début d’année), la mise en place de
newsletters depuis mars, ainsi que la rédaction d’articles « philosophiques », un peu « décalés » sur le métier ; et
la promotion de la profession auprès des jeunes et des chefs d’entreprise, avec
notamment le projet café-match qui consiste à faire une très courte vidéo pour
présenter la mission de commissaire aux comptes, et une FAQ à destination des
dirigeants d’entreprise sur les conséquences de la Covid-19.
Pour finir, Fédéric Burban a présenté les travaux de la commission Audit
informatique. Celle-ci existe depuis trois ans, et son objectif général, comme
l’a rappelé l’expert, est d’acculturer les commissaires aux comptes
généralistes aux enjeux de l’audit des systèmes d’information, et cela à
travers deux axes : le développement d’outils, le développement de
parcours et de formations sur les techniques d’audit informatique.
La commission a également mis en place une veille sur les risques et les
besoins des entreprises dans ce domaine, via des conférences matinales
(malheureusement interrompues pendant la crise). Elle anime également un
écosystème de partenaires participant au développement de ces missions (qui
comprend notamment l’AFAI, des free-lance, l’université Paris-Dauphine, etc.). Bref,
« beaucoup d’initiatives de façon à
intégrer les commissaires aux comptes dans un écosystème qui intègre les
systèmes d’information », a-t-il affirmé.
Quels sont les projets de cette commission ? Celle-ci a élaboré deux
nouveaux guides qui viennent compléter celui qui existe sur l’audit
informatique ; il s’agit d’un guide d’audit informatique des process et un
recueil de tests d’audit de données. Autres projets de la commission : un
parcours de formation audit informatique, une plateforme pour venir en soutien
aux professionnels, etc.
Frédéric Burban étant également le co-président du comité scientifique du
Lab 50, ce dernier a expliqué comment s’articule le Lab avec les
commissions et le projet d’innovation de la Compagnie de Paris.
« Le Lab 50 est un observatoire
de culture (…), il vient en prospective », a-t-il précisé. Il est
construit autour de quatre groupes de travail. Le premier est consacré à la
data (quelles sont les sources de données que l’on pourra utiliser
demain ? Quelles utilisations en faire ?), le deuxième aux clients et
au marché, le troisième à l’open innovation (les partenariats avec des start-up
et des entreprises technologiques pour faire émerger des solutions d’innovation
au bénéfice de la profession), et enfin un groupe de travail sur la prospective
internationale (veille sur ce qui se passe dans d’autres pays comme le Canada,
les USA, etc.).
Le Lab 50 est l’observatoire du futur des métiers du chiffre, né à
l’initiative de la Compagnie régionale de Paris et en collaboration avec
l’Ordre des experts-comptables de Paris. Il a deux principaux objectifs :
le premier est d’acculturer les professionnels sur l’avenir des métiers du
chiffre, le deuxième est d’apporter des solutions concrètes pour la profession
et pour les cabinets, a ajouté de son côté Cyril Degrilart, chef de projets,
interrogé à distance sur le Lab 50.
Il s’intègre donc parfaitement avec le projet mené par la Compagnie de
Paris.
Le baromètre de la profession : comprendre et anticiper
Après les interventions des présidents de commission, Olivier Salustro a
donné la parole à Arnaud Banoun, cofondateur de Performance Lab avec Lucas
Dufour, enseignant-chercheur en management, qui a présenté le baromètre de la
profession « Comprendre et anticiper » lancé à l’occasion de cet
évènement. La CRCC de Paris a en effet décidé de mettre en place un baromètre
scientifique annuel pour suivre les grandes évolutions du métier de commissaire
aux comptes liées à l’entrée en vigueur de la loi PACTE et à la transformation
digitale.
Quelles sont les particularités de ce baromètre scientifique par
rapport à un baromètre classique ?
Il se base sur la diffusion d’un questionnaire construit scientifiquement
par rapport à d’autres études traditionnelles, a expliqué Arnaud Banoun.
Le questionnaire est en effet composé de questions issues de la
« littérature scientifique » et qui, selon le cofondateur du
laboratoire, « permettent de mesurer
un certain nombre de choses, de variables intéressantes pour suivre l’évolution
de la profession ».
Ces questions sont ce qu’on appelle des « échelles de mesure »,
c’est-à-dire des questions qui ont été validées scientifiquement. Par
exemple, sur la question « mesurer
la satisfaction au travail », des scientifiques se sont penchés sur
l’élaboration de la liste des réponses. En outre, les résultats du
questionnaire ont été analysés avec des tests statistiques eux aussi réalisés
de manière scientifique.
Enfin, Arnaud Banoun a précisé que le questionnaire avait été construit à
partir d’une vingtaine d’interviews de commissaires aux comptes. « C’était pour coller au maximum avec la
réalité de vos enjeux, de ce que vous vivez, de ce que vous ressentez »
a-t-il affirmé.
Pourquoi l’élaboration de ce baromètre a-t-elle été confiée à deux
chercheurs en management ?
« Les sciences de gestion ont en
fait vocation à étudier l’action collective, à comprendre ce qui se passe dans
les organisations à un niveau individuel, à un niveau collectif, et bien sûr au
niveau de l’organisation toute entière, c’est-à-dire la stratégie et
l’organisation des cabinets » a expliqué Arnaud Banoun.
Ce baromètre est à destination de l’ensemble des membres de la Compagnie de
Paris, soit 2 700 membres.
Concrètement, les membres de la CRCC de Paris ont reçu le 9 juillet dernier
le questionnaire sus-cité. « Toutes
les réponses que vous allez nous donner via ce questionnaire resteront anonymes
et confidentielles, et seront traitées exclusivement par les chercheurs sans
aucun partage direct avec la CRCC » a précisé Arnaud Banoun, afin de
rassurer ceux qui prendraient le temps de répondre aux questions.
Après réception des questionnaires, Performance Lab prendra quelques
semaines pour traiter et analyser les résultats. « Fin septembre début ou octobre, vous aurez un partage large des
résultats auprès de l’ensemble des membres de la CRCC de Paris » a
annoncé le co-fondateur de Performance Lab.
Une FAQ sera également à disposition des membres pour répondre à
d’éventuelles interrogations : « Votre
contribution est vraiment importante. C’est une quinzaine de minutes une fois
dans l’année. Donc on compte vraiment sur vous pour participer »
a-t-il insisté. Pour encourager le plus possible ses confrères à donner leur
avis, Olivier Salustro a promis à ceux qui participeraient au questionnaire
qu’ils bénéficieraient d’un webinaire de formation sur le pitch, ou l’art de
présenter avec impact. Combien de commissaires aux comptes vont entendre son
appel ?
Maria-Angélica Bailly