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Insectes : aliments du futur ?

Insectes : aliments du futur ?
Publié le 16/01/2021 à 09:23

La Société d’encouragement pour l’industrie nationale – en partenariat avec l’Association française pour l’avancement des sciences, la Société des ingénieurs et scientifiques de France – Île-de-France et l’Association Bernard Gregory – a organisé, le 17 décembre, une visioconférence PDSI (Pour le développement de la Science et l'innovation au service des Transitions) sur le thème « Insectes : aliments du futur ? ». Avec l'accroissement de la population mondiale et des revenus, la demande mondiale en protéines animales va augmenter de 100 % d’ici 2050. Les insectes seront-ils la solution pour nourrir tout le monde ? Les consommateurs sont-ils prêts à évoluer ? Les industriels préparent-ils une nouvelle révolution des pratiques tenant compte des transitions dans ce secteur économique ?

 

Cette conférence, on ne peut plus originale et innovante, a été animée par Sylvianne Villaudière, vice-présidente de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, avec les interventions de Jeanne Brugère-Picoux, professeure honoraire à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, spécialiste des questions de pathologies du bétail, des animaux de basse-cour, membre de l’Académie nationale de médecine et vétérinaire, et de Jean Gabriel Levon, un des quatre fondateurs d’Ÿnsect, une entreprise française leader mondial dans l’élevage d’insectes et leur transformation en ingrédient premium à destination de la nutrition animale et végétale.

Pour comprendre pourquoi nous en arrivons aujourd’hui à nous demander si les insectes seront oui ou non dans nos assiettes dans quelques années, il faut d’abord se pencher Sur la croissance démographique mondiale.

Actuellement, nous sommes 7,7 milliards d’habitants sur la planète. Selon les statistiques, en 2050, nous serons environ 9,7 milliards, et en 2100, 10,9 milliards. Les neuf pays responsables, à eux seuls, de la moitié de la croissance mondiale d’ici 2050, seront l’Inde, le Nigéria, le Pakistan, le Congo RDC, l’Éthiopie, la Tanzanie, l’Indonésie, l’Égypte et les USA. C’est dans les pays en voie de développement (Asie et Afrique) que les populations vont le plus augmenter. Ces populations seront urbaines : 70 % habiteront en ville contre 49 % aujourd’hui.

Comme l’a expliqué Jeanne Brugère- Picoux, cette explosion démographique va tout naturellement entraîner une demande grandissante en protéines. De même, la hausse des revenus va occasionner une augmentation de la production alimentaire de 70 %. Il est donc urgent de se poser les questions suivantes : y aura-t-il suffisamment de nourriture en 2050, ou en 2100, pour tous les habitants de la terre ? Que mangerons-nous et quelles seront nos habitudes alimentaires ? De même, comment nourrirons-nous les animaux domestiques et le bétail ? Les insectes seront-ils la solution face à l’accroissement de la demande mondiale en protéines animales ?


De plus en plus de bouches à nourrir


La professeur Jeanne Brugère-Picoux a d’abord exposé en détail ce que l’humanité consomme aujourd’hui en un an. Concernant la viande, ce sont surtout les porcs et les volailles qui sont consommés. La dégustation de volaille va d’ailleurs bientôt dépasser celle du porc, car il n’existe pas de tabous religieux avec les volailles. Plus précisément, chaque année, 115,5 millions de tonnes de porcs sont consommées ; 108,7 millions de tonnes de volailles ; 68 millions de tonnes de viande bovine, et 14 millions de tonnes d’ovins et de petits ruminants.

Depuis quelques décennies, on note que la consommation de viande augmente dans les pays en voie de développement (l’Europe est restée au même niveau). C’est ainsi le cas en Chine ou dans certains pays d’Afrique. L’Inde par exemple, où l’on mange peu de viande, est un grand exportateur de viande bovine, « ses clients sont des pays émergents qui ont faim de viande », a indiqué la professeure honoraire à l’École nationale vétérinaire d’Alfort.

On remarque cependant que les pays émergents consomment plus de volailles par rapport aux pays développés, car la volaille coûte moins onéreuse. Les bovins sont en effet une viande noble, beaucoup plus chère.

Les poissons et les fruits de mer sont encore plus appréciés que la viande. En effet, chaque année, la pêche et la pisciculture produisent 154 millions de tonnes de nourriture. Les scientifiques prévoient que la production mondiale de poissons et fruits de mer équivaudra à 172 millions de tonnes en 2021, soit une hausse de 15 % par rapport au niveau moyen de la période 2009-2011. Depuis dix ans, l’aquaculture a ainsi augmenté de 33 % et la pêche de 3 %.

L’humanité consomme également 728 millions de tonnes de lait et ses dérivés. Il est d’ailleurs assez amusant, a fait remarquer Jeanne Brugère-Picoux, de voir que l’Inde est l’un des premiers producteurs de lait au monde. La vache y est sacrée là-bas, la manger est interdit, mais elle est considérée comme la mère universelle parce qu'elle donne son lait à tous.

Dans le monde, la production de lait est dominée par le lait de vache (en 2010, le lait de vache représentait 83 % des quantités produites). Loin derrière, il y a le lait de bufflonne (13 %) peu prisé en Europe, mais beaucoup en Inde, en Chine et au Pakistan.

L’humanité mange également 62,4 millions de tonnes d’œufs. On en consomme donc toujours beaucoup, sauf dans certains pays d’Afrique.


L’alimentation : un enjeu de santé


Depuis quelques décennies, on observe un bouleversement dans les habitudes alimentaires, notamment dans les pays occidentaux où l’alimentation est devenue un véritable enjeu sanitaire.

En France, en effet, les deux premières causes de mortalité sont le cancer et les maladies cardiovasculaires. Or, celles-ci ont pour facteur de risque, du moins en partie, les pratiques alimentaires.

Les médecins sont très clairs. Il faut préserver notre santé (et notre environnement) en adoptant une alimentation riche et équilibrée, en évitant les excès de sucre, de graisse, de sel, ainsi que les aliments ultra-transformés. Les Français sont également invités à consommer plus de végétaux. Certains incitent même à manger moins de viande, car elle contiendrait de mauvaises graisses.

Pourtant, a pointé Jeanne Brugère-Picoux, la viande est néfaste seulement si on en mange plus de 500 grammes par semaine. Si la professeure approuve les régimes végétariens ou flexitariens (on mange un peu de viande), elle est contre les régimes vegan qui sont, à son avis, très dangereux. Ses adeptes ont en général des carences en vitamine B12, ils sont souvent très pâles et carencés. Celle-ci recommande de ne pas suivre ce type de régime et d’absorber des protéines qui sont nécessaires à notre alimentation.

Aujourd’hui, 80 % des Français consomment moins de viande (viande cuite hors volaille) que le seuil de 500 grammes maximum par semaine, donc on ne peut pas dire qu’on en consomme trop. Cela n’empêche pas de nombreuses personnalités ou associations de se prononcer contre la consommation de viande. « Il existe plus de livres médiatiques anti viande que pro viande » a signalé l’experte.

À en croire certaines associations, la viande cultivée en laboratoire (ou viande in vitro) pourrait être la solution aux problèmes environnementaux que nous rencontrons (la production de viande classique représente 18 % des émissions de gaz à effet de serre) et à la maltraitance animale. Jeanne Brugère-Picoux n’est encore une fois pas convaincue. Selon elle, cette novel food n’aura pas de succès. D’une part, parce que ça coûte très cher, d’autre part car elle n’est pas naturelle, or, « en général, le consommateur n’aime pas quand ce n’est pas naturel ».

Bref, la méfiance vis-à-vis de la viande est de plus en plus prégnante dans l’Hexagone, sans compter que les crises sanitaires « qui jouent un rôle déterminant sur la consommation des Français » sont passées par là. Il y a d’abord eu la vache folle. Quand on a fait les premiers tests et qu’on a constaté qu’il y avait plus bêtes infectées que l’on imaginait, la consommation de viande bovine a chuté dans tous les pays de l’Union européenne en 1996 et surtout en 2000. Sauf qu’en réalité, a précisé Jeanne Brugère-Picoux, ce n’était pas la viande qui était dangereuse, mais les abats.

La crise de 1996 prend ses racines au Royaume-Uni qui, selon elle, n’a rien fait pour contenir l’épidémie. Au début des années 90 en effet, c’est-à-dire pendant la période la plus critique, la « perfide Albion » (expression employée par la professeure) a multiplié par 20 ses exportations d’abats. Or, tout le cheptel britannique était contaminé. En France, nous sommes alors passés de 300 tonnes d’abats à 6 000 tonnes d’abats consommées. 16 ans et demi plus tard, en 2006 et 2007, les deux tiers des cas en France de variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob liés à la viande bovine avaient pour origine les abats contaminés de 1990.

Il y a eu ensuite la grippe aviaire. Certains scientifiques avaient estimé qu’elle se transformerait en zoonose, et un médecin avait même prédit plus de 500 000 morts en France. Heureusement, le H5N1 ne s’est pas du tout adapté à l’Homme. Cette grippe n’est donc pas très dangereuse pour l’Homme, mais elle a cependant été à l’origine d’un arrêt de la consommation de volaille un peu partout dans le monde. Les stocks en abattoir ont alors considérablement augmenté.

 


Alimentation animale et ses écueils


Si la viande est sujette à de vives polémiques, le poisson a, lui, le vent en poupe. Comme nous l’avons dit, en 2021, on prévoit une hausse de 15 % de la production mondiale de poissons et fruits de mer par rapport au niveau moyen de la période 2009-2011. L’aquaculture est quant à elle en hausse de 10 % par an. Cette situation va entraîner une forte demande en protéines, notamment les farines de poisson, pour nourrir les poissons et d’autres animaux qui seront ensuite eux-mêmes consommés.

Actuellement, l’élevage industriel (de volailles, bovins, porcins, lapins…) utilise abondamment les farines de poissons. Celles-ci sont également utilisées dans la nourriture pour animaux de compagnie, en tant que compléments alimentaires ou même dans la fabrication de certains engrais.

La production intensive de farines de poisson présente cependant de nombreux inconvénients. On assiste peu à peu à la disparition de la biodiversité dans les mers (on a par exemple beaucoup moins d’anchois en Patagonie), car de nombreuses espèces sont pêchées pour en nourrir d’autres. La raréfaction des poissons en mer n’est pas anodine, et va à l’encontre de la protection de l’environnement.

L’usage de protéines animales transformées (PAT) pour nourrir les animaux pourrait être la solution. Les PAT sont des sous-produits impropres à la consommation (morceaux non nobles, pas attirants visuellement) issus d’animaux sains tandis que les farines animales sont issues de cadavres d’animaux impropres à la consommation alimentaire.

Cependant, à l’heure actuelle, au nom du principe de non-cannibalisme, les protéines animales transformées sont autorisées seulement pour nourrir les poissons. Depuis le 1er janvier 2017 en effet, seuls les animaux aquatiques (sole, turbot, rouget, barbet, etc.) peuvent être nourris avec des PAT de non-ruminants. « C’est un peu regrettable, car quand on voit le coût de production de la farine de poisson, on pourrait peut-être envisager pour les porcs et les volailles de revenir aux protéines animales transformées (les farines de viande) qui sont toujours interdites » a préconisé Jeanne Brugère-Picoux.

Mais sera-t-il possible de les réintégrer en France ? Rien n’est moins sûr. Dans un article publié en 2013, la spécialiste avait dénoncé l’inquiétude de certains éleveurs à réintroduire les farines animales transformées dans leur élevage à cause de la crise du prion en 1996. Mais les farines de viande ne sont plus du tout les mêmes maintenant. En outre, ce serait seulement pour nourrir les porcs et les volailles, et non les bovins afin d’éviter le cannibalisme qui a été à l’origine de la crise d'encéphalopathie spongiforme.

Si l’Europe est d’accord pour les réintroduire, en France, la répulsion du consommateur persiste. Selon l’intervenante, l’utilisation des PAT permettrait également de régler le problème du soja. Tous les ans, l’Europe importe environ 15 tonnes de tourteau de soja (il s’agit d’un produit dérivé du soja), qui assurent 60 % de nos besoins en protéines pour l’alimentation animale. Or, il s’agit de soja transgénique. « Est-ce logique que l'on augmente comme ça nos importations de soja pour régler nos problèmes en protéines ? » s’est interrogée l’intervenante.

Une autre solution consisterait à produire des farines d’insecte. À ce jour, il s’agit en tout cas de la seule alternative autorisée en Europe. Ces farines pourraient donc aisément remplacer les PAT, mais aussi les farines de poisson, ce qui mettrait fin à la pêche minotière qui entraîne une perte de la biodiversité marine et un dépeuplement des mers.


Des insectes pour nourrir les animaux


En 2019, le ministère de l’Agriculture a publié un rapport, rédigé par des vétérinaires, qui démontre l’importance de diversifier les ressources protéiques en alimentation humaine et animale, « En tant que vétérinaire et spécialiste des volailles, ça m’amuse de voir des nuisibles devenir des novel foods » s’est exclamée Jeanne Brugère- Picoux.

Par exemple, les coléoptères Alphitobius diaperinus sont à la fois des nuisibles (présents dans les litières) qu’il faut éliminer des poulaillers, car ils sont vecteurs d’agents pathogènes, mais leurs larves sont en même temps transformées en farine pour nourrir des animaux.

Selon l’article 14 du règlement (CE) n° 1069/2009, sept espèces d’insectes d’élevage sont autorisées en Europe : la mouche soldat noire, la mouche domestique, le ver de farine, le petit ténébrion mat et trois espèces de grillons. L’élevage d’insectes présente de nombreux avantages par rapport à l’élevage de bestiaux : une excellente conversion alimentaire (la conversion définit le rapport entre le poids sec des aliments distribués et le gain de production obtenu) et une faible consommation d’eau lors de la production. Pour la professeure, il n’y a en tout cas rien de choquant à donner des insectes aux volailles, car c’est leur alimentation naturelle quand elles sont à l’air libre.

Dans de nombreux pays, cela se fait depuis longtemps. Ce sont surtout les ténébrions qui sont utilisés. Les Chinois se servent même des fientes de volailles pour préparer des matières premières en alimentation animale, mais cela est interdit en Europe. En effet, dans les fientes de volailles, il y a parfois des cadavres d’insectes, ce qui a autrefois provoqué des cas de botulisme dans les élevages.

L’Union européenne a donc interdit leur usage. Les mentalités concernant la consommation d’insectes évoluent cependant. Cette année, pour la première fois en France, le site vétérinaire Tomojo a fait la promotion de croquettes à base d’insectes, Entovet, pour les chats et les chiens. Le site a mis en avant le fait que celles-ci sont écologiques : il faut 100 fois moins de CO2 pour produire un kilo de protéines d’insectes que pour produire un kilo de protéines de bœuf. Les croquettes Entovet nécessitent également moins d’eau, et ne contiennent pas de conservateurs… Ces protéines peuvent aussi être utilisées pour nourrir les oiseaux.


Ÿnsect : le leader mondial sur le marché de l’insecte


Élever des insectes pour nourrir les animaux domestiques et les poissons, c’est l’idée qu’a eue Jean-Gabriel Levon, l’un des quatre cofondateurs d’Ÿnsect, il y a dix ans.

Créée en 2011, Ÿnsect est une entreprise du Next 40, leader mondial dans l’élevage d’insectes et leur transformation en ingrédient premium à destination de la nutrition animale et végétale. L’entreprise emploie plus de 150 collaborateurs et est en train de recruter 100 personnes à Amiens pour sa future usine.

Ÿnsect élève surtout des scarabées (ténébrion molitor ou ver de farine), des insectes grégaires, nocturnes et très dociles, car ils ne volent pas. Il y a des centaines de milliers d’années, cet insecte vivait dans les régions d’Afrique. Puis il a suivi l’Homme dans ses déplacements, partout dans le monde. Aujourd’hui, le molitor est naturellement présent en France.

Sur leur site, les fondateurs d’Ÿnsect indiquent également que le molitor est composé de 72 % de protéines de haute qualité, et possède des nutriments essentiels à la santé humaine, animale et des plantes tels que des acides gras polyinsaturés oméga 6 et des vitamines.

Tout a commencé par une réflexion autour de la question de l’alimentation durable. Comment construire une chaine agroalimentaire respectueuse de la biodiversité, de l’environnement, et capable de nourrir la population mondiale ? L’idée d’élever et de transformer des insectes a donc germé, car contrairement à l’alimentation traditionnelle des animaux, la production d’insectes nécessite 25 % d’eau en moins, 100 fois moins de surface agricole qu’un kilo de protéines animales, et ne nécessite pas d’antibiotiques.

En 2012, Ÿnsect intègre l’incubateur Agoranov et coordonne l’un des plus grands programmes de R&D dans le monde basé sur l’insecte. Pour construire leurs fermes verticales de ténébrions, les entrepreneurs se sont inspirés des fourmilières. Dans ces fermes, les scarabées vivent dans leur substrat et mangent principalement du son de blé, du blé en grain, du tournesol. Leur nourriture est en tout cas adaptée à leur âge et à leur stade.

Ÿnsect développe sans cesse des innovations pour élever des insectes à grande échelle, et automatiser les procédés pour les transformer en matières premières telles que des huiles, des protéines et des engrais. Les produits d’Ÿnsect sont principalement utilisés en aquaculture, mais aussi pour nourrir les animaux domestiques.

Ÿnmeal, par exemple, est un ingrédient naturellement riche en protéines fabriqué à base de larves de ténébrion qui peut nourrir les poissons et les crustacés d’élevage, mais aussi les chats, les chiens, les rongeurs, les oiseaux et les reptiles. De même, Ÿnoil est une huile riche en acides gras polyinsaturés extraite par un procédé mécanique des larves de ténébrion qui peut aussi nourrir le même genre d’animaux.

Pour les plantes, la société fabrique un engrais naturel qu’elle a appelé Ÿnfrass. Cet engrais est fabriqué à partir de déjections d’insectes pendant qu’ils sont élevés. À l’heure actuelle, Ÿnsect est la première entreprise au monde à avoir obtenu une homologation de mise en marché d’un engrais naturel à base d’insectes.

Au printemps 2021, Algoflash, une marque très connue, va sortir une référence avec un des produits d’Ÿnsect. « Vous pourrez faire pousser vos tomates pendant le troisième confinement avec l’engrais d’Ÿnsect » a promis l’entrepreneur. À long terme, la société Ÿnsect aimerait proposer des aliments à base d’insectes pour les êtres humains. Les insectes suscitent en effet de plus en plus la curiosité des cuisiniers, mais aussi des nutritionnistes. Les insectes deviendront-ils la nourriture du futur ?


L’entomophagie : bonne ou  mauvaise idée ?


La FAO (organisation pour l’alimentation et l’agriculture) recommande de diversifier son alimentation, notamment avec des insectes. D’ailleurs, deux milliards de personnes, dans 50 pays du monde, en mangent déjà des insectes. En Asie et en Amérique, on en consomme jusqu’à 300 types différents. Il y a en tout cas plus de 1 900 espèces d’insectes qui peuvent être consommées dans le monde. Un chiffre en fait assez faible à côté des 900 000 espèces d’insectes connues à cejour sur la planète.

Jeanne Brugère-Picoux a précisé, lors de son allocution, que nous mangions déjà des insectes sans le savoir. Tous les ans, nous ingérons 500 grammes d’insectes présents par accident dans notre alimentation. Quant à ceux qui sont volontairement consommés, il s’agit principalement de coléoptères (à 31 %) comme les scarabées, de lépidoptères (18 %) tels que les chenilles, d’hyménoptères (14 %) comme les abeilles, guêpes, fourmis… d’orthoptères (13 %) tels que les sauterelles, les criquets, les grillons des hémiptères (10 %) comme les cigales, les cicadelles, les cochenilles et les punaises (dont une punaise puante !), etc.

En 2012, a même été créée une plateforme internationale des insectes pour l’alimentation humaine et animale. Celle-ci regroupe plusieurs sociétés, dont Ÿnsect. On y explique qu’il faut des insectes pour nourrir le monde, et que c’est la solution viable au déficit en protéines qui nous guette.

Faire manger des insectes reste cependant un défi dans nos sociétés européennes. Il y a en effet une absence d’histoire culturelle de l’entomophagie, et une perception négative des insectes en tant que nuisibles ou vecteurs de maladies.

Jean-Gabriel Levon est cependant très optimiste : « ce n’est pas un problème, on a réussi à convaincre les Français de manger des grenouilles et des escargots ! » Pour lui, manger des insectes n’est pas culturel. Il est très facile de changer l’alimentation des personnes à partir du moment « où on trouve ça bon ». Il y a 25 ans, on ne mangeait pas de pizzas, encore moins de sushis (manger du poisson cru était inimaginable).

À son avis, il faudra à peu près une génération pour modifier les habitudes alimentaires des Occidentaux. Pour lui cependant, il n’est pas question que les insectes remplacent tous les autres aliments, il faudra toujours diversifier son alimentation.

De son côté, Jeanne Brugère-Picoux a émis plus d’incertitudes. Pour que les consommateurs modifient leurs habitudes, il faudrait plus de transparence, qu’ils soient réellement convaincus. Rappelons-nous, en 2013, le scandale des lasagnes à base de cheval étiquetées « viande de boeuf » ! Après ça, pendant très longtemps, les consommateurs n’ont plus voulu consommer de lasagnes.

Il est cependant possible de rendre appétissants les insectes en usant de certains procédés. Des études ont ainsi été faites sur « les mécanismes cognitifs d’acceptation d’innovation alimentaire ». Elles ont démontré que si l’on cache les insectes dans un gâteau, alors cette novel food est plus acceptée par le consommateur.

À partir de 2015, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) a cependant commencé à s’inquiéter sur le fait qu’on ne dispose pas de données scientifiques et suffisamment d’informations quant aux bienfaits de la consommation d’insectes par les Hommes, y compris la consommation d’insectes par les animaux. On ne connaît pas non plus les risques sanitaires (bactéries, virus, parasites…) qui peuvent en découler. En outre, les processus de production ne sont pas bien définis et l’impact sur l’environnement non plus. 

De son côté, l’ANSES (Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale) a rendu un avis sur les risques liés à la consommation d’insectes. Pour cet organisme, il faudrait faire plus de recherches afin d’établir la liste des espèces pouvant être consommées, définir un encadrement spécifique des conditions d’élevage, fixer des mesures de prévention du risque allergique, etc.

Il faudrait également réfléchir à la conservation de ces insectes. En effet, à cause d’une conservation inadaptée, les insectes comestibles peuvent devenir impropres à la consommation humaine. Des toxines naturelles peuvent en effet être produites par des insectes. On pense par exemple aux phanérotoxiques contenus dans les poils des chenilles ou le dard des abeilles.Certains scarabées produisent aussi des substances toxiques ou répulsives dans leur organisme pour sedéfendre ; celles-ci peuvent engendrer des cancers ou des insuffisances rénales ; chez certains insectes, on a également trouvé des mycotoxines, des métaux lourds (plomb, cadmium), et de l’arsenic (dans la pupe de ver à soie, notamment).

Bref, il reste beaucoup de choses à faire avant d’autoriser la mise sur le marché d’insectes en alimentation humaine. Pourtant, on en trouve déjà sur Internet : en apéritif, sucettes, gâteaux…

Les insectes sont-ils l’aliment du futur ? Pour Jeanne Brugère-Picoux, ce qui est certain, c’est que nous avons besoin d’accroître la production de protéines en Europe. Il nous faut absolument mettre en place un plan protéines végétales sans soja importé OGM. Pour elle, il faut donc autoriser l’utilisation des protéines animales transformées pour l’alimentation des porcs et des volailles, mais aussi les protéines d’insectes pour l’aquaculture, pour les porcs et les volailles. En revanche, en ce qui concerne l’alimentation humaine, la professeure a appelé à la prudence.

Maria-Angélica Bailly

 


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