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Journée citoyenne de l’Institut National des Formations Notariales, la place des femmes dans les métiers du droit

Journée citoyenne de l’Institut National des Formations Notariales, la place des femmes dans les métiers du droit
Publié le 09/04/2020 à 11:45

L’Institut National des Formations Notariales (INFN) et la Chambre des Notaires de Paris ont organisé le 9 mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, une journée citoyenne sur le thème de « La place des femmes dans les métiers du droit ». Au cours de deux tables rondes, les intervenants se sont interrogés sur les raisons, les conséquences et les limites de la féminisation des métiers du droit. Quelles sont les raisons d’une forte féminisation des bancs des Facultés de droit ? Celle-ci a-t-elle des conséquences sur l’organisation de certaines professions ? Et quid du plafond de verre présent dans l’ensemble des professions du droit ?


Depuis quelques décennies, les métiers du droit connaissent un fort taux de féminisation. Ce constat n’est pas nouveau, mais malgré les nombreuses études consacrées aux notaires, aux magistrats, aux avocats, aux greffiers, etc., des zones d’ombre persistent. Quelles sont les motivations des étudiants choisissant les filières juridiques ? Cette féminisation pourrait-elle avoir une incidence sur la légitimité des décisions de justice ? A-t-elle entraîné la mise en œuvre d’une politique spécifique des instances dirigeantes ? C’est à ces questions que l’INFN a tenté de répondre, le 9 mars dernier, à l’occasion d’une journée consacrée à la place des femmes dans les métiers du droit.


FÉMINISATION ET TRANSFORMATION DES MÉTIERS

Le premier débat sur « Le phénomène de féminisation et la transformation des métiers », modéré par Patricia Chapelotte, directrice générale de Hopscotch décideurs (agence de communication qui accompagne, entre autres, la chambre des notaires sur sa stratégie de communication), a réuni Corinne Delmas, professeure de sociologie à l’université de Nantes, David Vivien, magistrat, président du Conseil national du droit et Valérie Duez-Ruff, avocate et membre de la Commission égalité du Conseil national des barreaux. 

Le taux de féminisation des métiers du droit est actuellement de 56,4 % chez les avocats, 43-46 % chez les notaires, 68 % chez les magistrats ; quant aux greffes, ils sont composés d’environ 88 % de femmes. En revanche, les professions d’huissiers, de commissaires-priseurs, de mandataires et d’administrateurs judiciaires restent globalement des professions masculines, bien que les femmes se tournent de plus en plus vers ces métiers. Selon un rapport du Conseil national du droit, évoqué par David Vivien, cette tendance à la féminisation des métiers du droit se renforce au fil des années, notamment chez les magistrats. Comme l’a indiqué Corinne Delmas, parmi les principales raisons de cette tendance, se trouvent la féminisation des études de droit et l’obtention du diplôme. En effet, dès lors qu’il a fallu un diplôme pour pouvoir accéder aux professions du droit, cela a plutôt favorisé les femmes.

La diversification des voies d’accès à ces métiers a aussi joué un grand rôle dans ce phénomène. Les choses ont véritablement basculé dans les années 1990, a affirmé la professeure. Il y a eu par exemple une augmentation importante du taux de femmes parmi les notaires, ce qui coïncide avec l’insertion du salariat dans la profession. Les femmes optent en effet plus massivement pour le statut de salarié que les hommes, pour des raisons de stabilité, même si la majorité d’entre elles aspirent, à terme, à devenir indépendantes. 

En ce qui concerne la profession d’avocat, dès le départ, 70 % des étudiants de droit sont des étudiantes. Dans cette profession, il n’existe pas de salariat, a également rappelé Maître Valérie Duez-Ruff. Les femmes sont principalement des collaboratrices ou des avocates qui s’installent. Cependant, dans les cinq premières années d’exercice, plus de femmes quittent la profession que d’hommes, souvent du fait de la maternité. « La maternité demeure un frein dans la carrière des avocates » a regretté Maître Duez-Ruff. Pour Patricia Chapelotte, il y a cependant « un travail à faire avec les jeunes filles pour leur dire qu’elles peuvent réussir en faisant des enfants et en ayant une vie de famille, même si c’est très difficile ».

Au-delà des chiffres généraux, selon David Vivien, il faut en plus s’intéresser à la localisation des professionnels sur le territoire national, aux spécialisations et aux statuts qui sont, selon lui, genrés. Ainsi, en zones rurales, il y a davantage de femmes. « La diversification des voies d’accès aux professions est un élément de diversité » a ajouté le magistrat. Dans la magistrature par exemple, certaines voies d’accès, comme les voies scientifiques, peuvent parfois être plus favorables à un recrutement d’hommes. 

Pour David Vivien, la question de la « représentation » est également un élément très important. Ce dernier a ainsi mené une étude auprès d’étudiants en droit pour savoir quelles valeurs ceux-ci associaient à telle ou telle profession du droit. Pour eux, la compétition est liée à l’avocature, l’impartialité au métier de magistrat. En outre, ces derniers perçoivent l’écoute et la conciliation comme des qualités féminines, et la combativité comme une qualité masculine. « Ces représentations et stéréotypes ont des incidences sur la manière dont on perçoit une profession », a insisté le président du Conseil national du droit. 

Aujourd’hui, on parle parfois de la magistrature comme une profession du care. Et puisque l’on considère le fait de « prendre soin de » comme étant une qualité féminine, naturellement le regard porté sur cette profession a évolué.

En effet, dans les années 1960-1970, quand on interrogeait les étudiants, ces derniers mettaient en avant la notion de pouvoir lorsqu’ils parlaient de la magistrature. « Cela démontre que c’est déjà dans les représentations de certaines de ces professions qu’il y a eu une évolution ». « Mais les représentations sont peut-être aussi un des leviers d’action pour parvenir à corriger certaines fausses idées », a ajouté le magistrat. Dans la profession d’avocat par exemple, quand on parle de « ténor du barreau » on pense immédiatement à un homme. Cependant, a rétorqué Maître Valérie Duez-Ruff, les femmes ténors existent également, toutefois « celles-ci éprouvent moins le besoin d’en faire des tonnes ». Quant à la profession de magistrat, elle nécessite parfois de trancher et de prendre des décisions dures (peines d’emprisonnement), et pas seulement d’être dans la conciliation et l’écoute. 

Concernant la profession notariale, a précisé Corinne Delmas, lorsqu’une femme rejoint un office, en tant que notaire salariée, on ne s’attend pas à ce qu’elle veuille devenir notaire. À l’inverse, un homme, s’il est notaire salarié, on suppose qu’il voudra devenir notaire pour être indépendant. « Cela renvoie à deux choses, a expliqué la professeure de sociologie à l’université de Nantes, à une double censure de la part des femmes, qui sont trop dans la discrétion, mais aussi à des normes genrées, sociales, ancrées historiquement, qui font référence aux représentations que les autres ont du comportement et des attentes qui doivent être celles des femmes. » Pour Corinne Delmas, ces représentations stéréotypées permettent de comprendre les blocages et le sentiment de se heurter à un plafond de verre qu’éprouvent certaines femmes durant leur carrière. 


David Vivien, Corinne Delmas, Patricia Chapelotte et Valérie Duez-Ruff


« La féminisation massive des métiers du droit dévalorise-t-elle les métiers du droit ? » s’est ensuite interrogée, sans langue de bois, Patricia Chapelotte. 

Cette dernière a en effet eu l’occasion de rencontrer des étudiantes qui affirmaient elles-mêmes que ça ne leur plaisait pas que ces professions deviennent trop féminines, car « ça les dévalorisait ». Quant aux garçons, cela ne leur plaît pas non plus, car ils ne veulent pas faire « un job de filles ». 

Pour David Vivien, il ne faut pas parler de dévalorisation, cependant, a-t-il admis, « à un moment donné, quand une profession devient déséquilibrée, d’un côté comme de l’autre, il y a un phénomène d’autocensure. Concernant la magistrature, le fait qu’elle renvoie peu à peu l’image d’une profession plutôt féminine, qu’elle soit investie massivement par les femmes, cela peut empêcher certains hommes de s’y identifier. » Corinne Delmas s’est également demandé si une vision uniquement féminine au sein d’une profession ne conduirait pas le justiciable à s’interroger sur la légitimité des décisions prises. En effet, la profession de magistrat par exemple, qui ne reflète pas vraiment la société dans laquelle hommes et femmes sont en nombre égal, peut susciter de la méfiance de la part des clients.

En réalité, pour David Vivien, on assiste actuellement à un changement dans la manière de conduire l’audience, mais en définitive sur la décision elle-même, « aucune différence notable qui soit liée au sexe du juge » n’a été relevée ». Il reste qu’à son avis, pour qu’un justiciable ait la garantie d’impartialité et de neutralité dans la manière dont il sera jugé, il est préférable que le corps judiciaire soit diversifié.

Quoi qu’il en soit, a repris Patricia Chapelotte, on parle de féminisation, mais dès lors qu’on arrive à des postes de responsabilité, les femmes sont de moins en moins présentes, « quels que soient les diplômes et l’intelligence des unes et des autres ». 

Cependant, a tempéré David Vivien, on constate une évolution depuis quelques années, notamment dans la magistrature : « à la Cour de cassation, par exemple, la moitié des présidentes de chambre sont des femmes », a-t-il affirmé. De même, sur certains postes, des hommes sont écartés, car « on leur dit, presque explicitement, qu’ils ne sont pas du bon sexe », a-t-il ajouté. 


POUR UNE ÉGALITÉ RÉELLE ENTRE FEMMES ET HOMMES

La deuxième table ronde, modérée par Mustapha Mekki, professeur à l’université Sorbonne Paris Nord, directeur général de l’INFN, a réuni Isabelle Rome, haute fonctionnaire en charge de l’Égalité femmes-hommes au ministère de la Justice et magistrate, Valérie Duez-Ruff, avocate, membre de la Commission Égalité du Conseil national des barreaux, Sophie Sabot- Barcet, notaire, 2e vice-présidente du Conseil supérieur du notariat, et Aida Kemelmajer de Carlucci, professeure honoris causa de l’université Paris XII et de l’université de Montpellier, ancienne présidente de la Cour de cassation de Mendoza en Argentine. 

Les intervenants se sont notamment interrogés sur les mesures, les remèdes qui pourraient être pris à l’avenir pour répondre à cette inégalité d’exercice entre hommes et femmes. Comment lutter contre le phénomène du « plafond de verre » ? Quelle est la situation au-delà de nos frontières ? 

D’abord, pour Isabelle Rome, « la question de l’égalité femmes-hommes, c’est l’affaire de toutes et de tous ». Quand on parle de cela, on parle de l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, a-t-elle ajouté. En ce qui concerne les magistrats par exemple, celle-ci a pu remarquer que les femmes se heurtaient à un plafond de verre à peu près à l’âge de 44 ans : « Il y a un décrochage des femmes qui ne se rattrape jamais jusqu’à la retraite. »

On se rend compte en effet qu’à cette période-là, les femmes postulent moins aux postes les plus élevés, qui exigent souvent de déménager, parce qu’elles ont du mal à concilier leurs deux vies. C’est pourquoi, pour Isabelle Rome, « si on travaille tous ensemble à faire en sorte, par exemple, que la mobilité géographique ne soit pas la situation sine qua non de l’avancement, on aboutira à un meilleur déroulement de carrière, plus paisible, plus confortable, moins briseur de ménage pour les femmes comme pour les hommes ». Ce sujet de l’égalité renvoie donc pour elle « au progrès d’une institution qu’on prend à bras le corps, et il ne faut pas tomber dans le piège de renvoyer les hommes face aux femmes, et vice-versa, ou de tomber dans une revanche des femmes », a-t-elle mis en garde. Cet état d’esprit, la haute fonctionnaire en charge de l’Égalité femmes-hommes au ministère de la Justice le porte très vivement. 

Cependant, a fait remarquer Mustapha Mekki, l’égalité hommes-femmes ne se décrète pas, mais il faut une évolution des mentalités, des mesures d’engagements internationaux comme la Journée internationale des droits des femmes, et des initiatives prises par les pouvoirs publics et les professionnels. 

Chez les avocats, il y a eu ainsi l’instauration de quotas pour les élections relatives à la profession, a expliqué Maître Valérie Duez-Ruff. Cette dernière a également fait voter, alors qu’elle était membre du Conseil de l’ordre du barreau de Paris, une résolution pour sanctionner le harcèlement et la discrimination, mais aussi une Commission spécifique de lutte contre le harcèlement et la discrimination. 

Concernant les notaires, pour Maître Sophie Sabot-Barcet, les nouvelles technologies ont beaucoup participé, selon elle, à l’égalité femmes-hommes. « Le notariat est très avancé dans ce domaine » a-t-elle affirmé. Dans son cas, les nouvelles technologies lui permettent de travailler à la fois dans son étude en Haute-Loire, et en tant qu’élue au Conseil supérieur du notariat à Paris. 

« Cela m’a donné la volonté d’aller dans les instances, d’aller chercher un peu ce pouvoir », a-t-elle confié. « Personnellement, a-t-elle poursuivi, je n’ai jamais eu de difficultés, j’ai avancé, j’ai eu des opportunités que j’ai su saisir. » Enfin, Aida Kemelmajer de Carlucci, ancienne présidente de la Cour de cassation de Mendoza et amie de Mustapha Mekki, a évoqué son expérience et son combat pour les droits des femmes en Argentine, et notamment des femmes dans les métiers du droit. 


Maria-Angélica Bailly


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