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Justice : comment améliorer la réponse pénale et l’exécution des peines ?

Justice : comment améliorer la réponse pénale et l’exécution des peines ?
Publié le 02/08/2021 à 11:54

En septembre prochain, le Sénat examinera le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » adopté en première lecture à l’Assemblée, le 25 mai 2021. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, sénateur du Rhône, a invité Damien Savarzeix, procureur de la République près le tribunal de Chalon-sur-Saône, représentant la conférence nationale des procureurs de la République ; Jean-Olivier Viout, magistrat honoraire, ancien procureur général près la cour d’appel de Lyon ; Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire ; Ivan Guitz, président de l’association nationale des juges d’application des peines ; et Virginie Peltier, professeure de droit privé et sciences criminelles, Faculté de droit et de science politique de l’université de Bordeaux à exprimer leurs observations.

 

Les réseaux sociaux et les chaînes d’information continue mettent périodiquement en exergue des faits divers concernant des récidivistes. Faut-il réviser les principes du droit pénal et de la procédure pénale au motif que des gens, des minorités influentes, ou des syndicats le souhaitent ? Par exemple, depuis quelque temps, la présomption d’innocence fait épisodiquement l’objet d’une remise en cause préoccupante. Considérons la réaction des policiers suite à l’acquittement de huit jeunes au bénéfice du doute dans l’affaire de Viry-Châtillon, le 18 avril 2021. Il n’y avait pas de preuves contre certains des accusés. L’acquittement qui en résulte est l’application de la présomption d’innocence. Pour ces accusés, insistons, il n’a pas été possible de renverser la présomption d’innocence qui les protégeait. Ont surgi une déferlante de critiques et de réactions politiques : « pas de jugement », « des peines automatiques sans aménagement », au mépris du principe d’individualisation des peines. Dans un autre périmètre, des associations de victimes ont tenté de faire instaurer une présomption de véracité irréfragable de la parole de l’enfant dans des affaires d’infraction sexuelle. Qu’advient- il dans cette hypothèse de la présomption d’innocence ? Alors, s’il faut absolument essayer de rapprocher la population de la justice pénale, gare à ne pas aller trop loin. Virginie Peltier, professeure de droit privé et sciences criminelles, rappelle que le prononcé des peines inférieures à un mois d’emprisonnement n’est plus possible, et qu’au-dessous d’un an, celle-ci doit être aménagée obligatoirement. « À propos de l’impression de laxisme ressentie par la population, ce qu’elle retient, c’est qu’au- dessous d’un an, on ne va pas en prison. La loi de programmation et de réforme pour la justice (LPJ) ne propose pas le schéma attendu par l’opinion publique » en déduit-elle.

 

L’INCOMPRÉHENSION DE L’OPINION PUBLIQUE

L’appréciation de nos concitoyens sur l’efficacité de notre justice pénale est négative. Le sentiment d’inefficacité, voire de laxisme repose-t-il sur la réalité ? Les chiffres bruts infirment l’accusation de laxisme. Au Beauvau de la sécurité, le procureur de la République de Clermont-Ferrand Éric Maillard rappelait qu’en 2019, 132 000 peines de prison ferme ont été prononcées, contre 88 000 en 2010 et 76 000 en 2000. Les chiffres témoignent du fait que les juridictions prononcent plus de peines d’incarcérations aujourd’hui. Pourtant, la conviction d’une insuffisante répression des atteintes aux personnes et aux biens est aujourd’hui bien ancrée dans les esprits. Certes des décisions de justice choquent par les faibles peines qu’elles contiennent et la répression paraît à géométrie variable selon le ressort judiciaire. De plus, la mollesse de quelques décisions ne s’explique pas seulement par la nécessité d’individualisation de la peine, relève Jean-Olivier Viout, ancien procureur général près la cour d’appel de Lyon. Mais c’est bien pourquoi il existe un double degré permettant au parquet de faire appel des décisions qu’il estime ne pas apporter une réponse adéquate aux faits poursuivis.

S’agissant spécifiquement des forces de l’ordre, outre la voix des organisations syndicales des personnels en tenue, il faut aussi entendre celle, beaucoup plus modérée, des agents et officiers de police judiciaire, conseille Jean-Olivier Viout. Engagés dans l’avancement des procédures, ils sont en contact permanent avec l’autorité judiciaire. Le dialogue avec eux enseigne que les affirmations sur la disparition de la confiance entre la police et la justice ne reposent pas sur la réalité quotidienne. Ces personnels comprennent la logique de telle ou telle décision qui semblerait insuffisamment sévère à d’autres. Quoi qu’il en soit, face à une décision notoirement insuffisante, les enquêteurs, agents et officiers de police judiciaire et les parquets communiquent pour apprécier l’opportunité d’utiliser les voies de recours.

La critique principale de la justice pénale provient de l’absence de lisibilité à trois niveaux distincts : le recueil et le traitement des plaintes ; le recours aux alternatives aux poursuites par les parquets ; et l’écart entre la peine prononcée et celle réellement exécutée. La réflexion doit se focaliser sur ces trois éléments. Les plaintes et signalements sont traités très différemment selon le service de police ou de gendarmerie qui l’enregistre. Beaucoup de plaignants viennent déposer une plainte en bonne et due forme et se voient répondre qu’une main courante suffira. Le contenu des mains courantes échappe au parquet, sauf si un procureur attentif et disponible se fait régulièrement présenter les registres pour l’évaluer. Ainsi, le rapport sénatorial d’information du 7 juillet 2020 dressant un bilan de la lutte contre les violences au sein de la famille pointait que n’était que très imparfaitement appliqué sur le territoire le protocole de novembre 2014, signé entre les ministères de l’Intérieur, de la Justice et du droit des femmes, qui préconisait, pour ce type d’infraction, l’abandon de toute main courante et la systématisation d’un procès- verbal de plainte. Le parquet est destinataire des plaintes dans des délais très variables, mais il ne l’est pas des mains courantes. L’enregistrement d’une plainte et la mention en main courante amène vers des processus de traitement divergents. C’est une première explication de l’illisibilité de la logique de la réponse pénale, car l’égalité des citoyens devant la loi passe par l’égalité d’écoute des victimes effectuant la démarche de signalement des faits et par les réactions qui en découlent.

Un procureur de la République connaît imparfaitement la réalité des encours au sein des commissariats. Précisons que la hiérarchie policière ne sait pas toujours elle-même ce qu’il y a en stock et dans les portefeuilles de ses enquêteurs. Les procureurs ont demandé une action forte aux chefs de service pour que le comptage et l’identification des procédures traitées par les enquêteurs soit consultables. Les compagnies de gendarmerie ont mis en place des bureaux d’ordre aujourd’hui opérationnels. Avec les services de police, ce travail est plus long mais il est effectué avec plus d’égalité. Comme le flux de plaintes est énorme, un système d’enregistrement, de comptage et d’attribution des dossiers par enquêteurs est devenu central pour mesurer et caractériser le stock.

La seconde cause d’incompréhension provient de la quantité de recours aux alternatives aux poursuites qui totalise près de 47 % de la réponse pénale. Cette voie nourrit le sentiment d’incompréhension lorsque l’alternative aux poursuites est vidée de toute substance. Le classement sous conditions, le travail non rémunéré, l’éloignement de l’auteur de l’infraction, la médiation pénale ont un impact incontestable, mais qu’en est-il aujourd’hui du rappel à la loi ? En 1999, le législateur l’a consacré dans notre Code de procédure pénale. Très rapidement, il a été dévolu à l’officier de police judiciaire, sans convocation en maison de justice. Finalement, l’enquêteur, qui rédige son procès-verbal, téléphone au parquet et indique d’une simple mention en pied de page que l’affaire se solde par un rappel à la loi. Le rappel à la loi par officier de police judiciaire ressemble à une variable d’ajustement de l’évacuation des flux pénaux, estime l’ex-procureur général, car en France, on compte plus de 1 300 000 affaires à poursuivre par an, et il faut bien que les parquets gèrent ce volume selon la faculté d’absorption par leur juridiction. C’est pourquoi les rappels à la loi par officier de police judiciaire se sont transformés en classements sans suite statistiquement avantageux.

Un courant anglo-saxon de réflexion sur l’efficacité de la réponse pénale est né il y a 30 ans au Canada, puis s’est propagé aux États-Unis. Il imprègne tous les programmes les plus efficaces de traitement de la récidive et s’appelle le what works (qu’est-ce qui marche). Cette analyse très pragmatique détermine ce que doit être l’activité judiciaire : qu’est-ce qui marche, pour qui, et à quelles conditions ? L’un des enseignements de cette recherche universitaire est qu’avant d’agir efficacement, il faut d’abord évaluer le risque présenté par la personne, puis définir un niveau de traitement qui soit indexé sur cette donnée. Concrètement, pour les délinquants à très faible risque de récidive, le rappel à la loi, c’est-à-dire le traitement minimal, constitue la réponse judiciaire optimale. À sa création, le rappel à la loi répondait à un besoin. Il a son utilité, même si incontestablement, il sert d’instrument d’ajustement dans la gestion des flux. L’apparence de laxisme ou de simplicité ou de manque de fermeté n’est qu’une apparence. Le rappel à la loi donne des résultats pour la délinquance à faible risque.

Le dernier sujet qui nourrit la critique de laxisme tient à la conviction que les peines sont de plus en plus souvent aménagées avec une tolérance et une souplesse non justifiées. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation, depuis les cinq ou six dernières années, ne cessent de recevoir des missions nouvelles, avec des dispositions très généreuses d’aménagement de peine et de méthodes de probation. Aujourd’hui, ils se trouvent au seuil de la rupture.

 

DÉLAI = VOLUME/CAPACITÉ

« Ce qui donne la meilleure chance à la peine d’être exécutée, c’est que l’auteur rencontre son juge. Notre système judiciaire est organisé de telle manière que lorsque la personne comparait à l’audience du tribunal, elle fait l’objet d’une convocation ultérieure pour la deuxième phase qui est l’exécution de la peine » explique Damien Savarzeix, procureur de la République. La chronologie naturelle suggère qu’elle s’effectue dans le prolongement direct du prononcé de la sanction. Parvenir à amener l’auteur à comparaître sans délai devant son juge enclenche le contexte qui favorise un bon taux d’exécution de la peine. Pour que le rythme fonctionne valablement, le temps qui s’écoule entre la date de commission du fait et celle de la convocation devant le juge doit rester raisonnable. Pour l’heure, aucune étude scientifique n’a démontré de corrélation entre le taux d’absence ou de carence, et le délai qui court depuis le délit jusqu’à la comparution de son auteur. Cependant, dans la pratique, les juges observent qu’en-deçà de 18 mois, 75 % des auteurs se présentent à l’audience, entraînant une exécution en prolongement direct avec la convocation d’un juge d’application des peines (JAP), le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ou un écrou. Au-delà, le taux de carence est proportionnel au temps écoulé. À trois ans, moins de la moitié du public pénal passe devant son juge, et les difficultés d’exécution sont alors massives. Donc, comment fait-on pour assurer un délai raisonnable ? Il se décompose en trois phases. D’abord celle des investigations, puis celle de la prise de décision par le parquet, et enfin arrive la convocation devant le juge.

Deux ans deviendraient le délai de droit commun dans le traitement des enquêtes préliminaires. Heureusement, certaines sont traitées plus vite. Pour un délit de droit commun, l’enquête peut être traitée en six mois, même avec une expertise à réaliser, un examen médical à pratiquer, des constatations à faire, des témoins et des protagonistes à entendre. La durée dépend des moyens. L’enquêteur n’a pas un dossier à traiter mais une multitude. Au fond, il divise son temps entre plusieurs procédures. L’allongement vient de là. De plus, les traitements extra départementaux induisent des latences supplémentaires. Un dossier subit celles de son service des enquêtes locales, mais lorsqu’un témoin à entendre (et c’est très fréquent) ou un acte à réaliser se trouve en dehors de son département, alors il est adressé à l’extérieur. Là-bas, il va rejoindre le dessous de la pile. Suivant l’ordre chronologique, il n’est pas pris en charge immédiatement. Cela entraîne finalement une accumulation de retards dans nombre de procédures pourtant sans complexité. Le jeu additionnel de ces attentes dans les différents endroits où circule la plainte se solde par des délais supérieurs à deux ans. La demande des procureurs de la République d’étendre la durée de l’enquête préliminaire répond à cette réalité concrète.

Pendant la première phase – celle de l’enquête – se pose le problème d’adéquation des moyens par rapport aux besoins et au nombre de procédures à traiter. Par exemple, le plus gros commissariat du ressort du tribunal de Chalon-sur-Saône reçoit à peu près 500 plaintes par mois quand il a une capacité de traitement de 350, témoigne Damien Savarzeix. En conséquence, mécaniquement se constitue un stock de procédures non traitées. Si l’enquête dure trop longtemps, le public pénal, par nature extrêmement volatile, devient impossible à localiser. Dans ce cas, adresser la convocation relève du challenge chronophage, et le délai de rencontre avec le juge augmente de façon exponentielle. Un palliatif consiste à essayer de prioriser l’activité des services d’enquête. D’ailleurs, un mouvement organisé par la Direction des affaires criminelles et des grâces, la Direction générale de la police nationale et la Direction générale de la gendarmerie nationale entend réduire les stocks et redimensionner le portefeuille des enquêteurs.

La deuxième phase, celle de la prise de décision par le parquet, pêche aussi par manque de matériel et de personnel. Avec un quart de la médiane européenne en termes de moyens et de magistrats du parquet, la solution adoptée repose sur la prise de décision rapide à partir d’un minimum d’informations. Un magistrat de permanence en produit 50 à 100 par jour avec trois éléments : le compte rendu du service des enquêtes qui peut se résumer à quelques minutes, ou quelques lignes ; les antécédents judiciaires ; et la politique pénale. C’est une façon de gérer des flux intenses et de délivrer des réponses quasi instantanées. Toutefois, la vitesse de réalisation nuit à l’aspect qualitatif. La considération des questions comme le profil de l’auteur, celui de la victime, l’analyse prospective de risque, l’attente des territoires, la nocivité sociale d’un individu totalement détaché de la gravité de ses actes, demanderaient davantage de temps. Ce schéma de prise de décision rapide rend inaccessible le sur-mesure, malgré la demande très forte de la société d’une réponse affinée. À cause de la faiblesse de leurs moyens, les parquets ne peuvent que rarement satisfaire cette attente. Le temps de prise de décisions a vertigineusement diminué.

La dernière phase – celle de la convocation – est directement liée à la capacité de jugement pénal de la juridiction. Pour essayer de la préserver, les procureurs de la République, maîtres de l’orientation, développent les formules qui évitent le recours au juge. Deux périmètres sont envisageables. 50 % des orientations sont dévolues à celui des alternatives aux poursuites au nombre desquels figure le rappel à la loi, « la troisième voie ». Suite à un rappel à la loi, plus de 65 % des primo délinquants ne récidivent pas. C’est donc une réponse efficace, indispensable au maintien de la capacité de jugement pénal. Le second périmètre est celui des poursuites simplifiées. Elles se classent en deux types : les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et l’ordonnance pénale.

Au total, les parquets dirigent à peu près 75 % de leurs procédures ailleurs qu’à l’audience correctionnelle. Dans nombre de petites juridictions, cela permet de réduire drastiquement les délais de convocation à 2 mois, 4 mois, 6 mois. La durée ainsi obtenue entre la date des faits et la rencontre avec le juge permet une exécution de la peine dans le prolongement direct de la réponse judiciaire. Dans les plus grosses juridictions, la capacité de jugement pénal, en dépit des efforts de gestion des flux, reste insuffisante. L’accroissement des délais de convocation semble mécanique, 10 mois, 15 mois, 2 ans parfois. Sans surprise, lorsqu’un jugement intervient trois ans après les événements, ne sont présentes que la moitié des personnes. Les intéressés auraient pourtant intérêt à venir au tribunal parce que, absents, s’ils ont des antécédents, la sanction prononcée est très souvent une peine ferme. Cet enchaînement explique l’accumulation de peines fermes non exécutées.

Pour augmenter la capacité de jugement pénal des juridictions, concentrer la totalité des moyens de jugement sur la fonction pénale signifierait abandonner d’autres contentieux, le civil, les affaires familiales ou l’activité des cabinets spécialisés… ce n’est donc pas une solution. C’est pourquoi il faut plus de juges et de procureurs. Le magistrat français, aussi impliqué et imaginatif qu’il soit, n’est pas plus performants que ses homologues européens. Si nos voisins installent deux juges là où nous n’en avons qu’un, quatre procureurs là où nous n’en mettons qu’un, il y a bien une raison, constate le procureur.

 

EXPLOITER LE TEMPS DE LA PEINE OU PUNIR ?

Le juge d’application des peines (JAP) est un peu occulté dans les échanges entre le tribunal correctionnel et l’administration pénitentiaire. Dans la pratique, il travaille avec des policiers peut-être moins que les parquetiers et les juges d’instruction. Il est en contact avec les services d’escorte, il délivre des mandats d’amener, des mandats d’arrêt. Son rôle ne se cantonne pas à sortir les condamnés de prison. Il les y remet aussi lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations. Le JAP demande au cas par cas des enquêtes sur des promesses d’embauche pour des détenus et sur des projets des libérations conditionnelles. L’application des peines dans la chaîne pénale correspond

à la face cachée de la justice pénale. Nul communiqué, nulle caméra dans le prétoire lorsque se prend une décision d’aménagement de peine, fait remarquer Ivan Guitz, président de l’Association nationale des juges d’application des peines.

Le JAP adopte deux circuits de fonctionnement. Le circuit court, où l’intéressé ressort avec une convocation ou deux. L’une devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation, et le cas échéant l’autre, devant le juge d’application des peines, si c’est, par exemple, une peine ferme aménageable. Le circuit long s’impose si l’intéressé n’est pas là, ou s’il n’est pas domicilié dans le même ressort. C’est du temps gâché par rapport au sens qu’on peut donner à une peine. La difficulté tient surtout au côté erratique des procédures qui arrivent jusqu’au stade de l’application des peines. Les juges se trouvent face à un énorme problème de numérisation et de communication des décisions par des logiciels sans interface. Cassiopée, API, Genesis n’offrent pas forcément de passerelles entre eux. Il faut ressaisir les procédures pénales. Cette activité n’avance pas par manque de personnel. Le retard sur ce point justifie de repenser le nombre de greffiers, de juges, et de procureurs dans notre pays. L’outil informatique performant manque pour afficher rapidement les situations pénales purgées. Aucun souci avec une seule condamnation, mais avec plusieurs contre des auteurs à signifier qui ne l’ont pas été, qui ont des condamnations oubliées aux quatre coins du territoire, c’est plus complexe. Il arrive que, une fois l’intéressé sorti d’une peine d’incarcération avec ou sans aménagement, ressorte à son encontre un dossier du type conduite sans permis et refus d’obtempérer datant de cinq ou six ans, alors que le quidam a éventuellement passé son permis depuis. Pourquoi conserver dans le circuit de vieilles condamnations « éteintes » ? Dénuées d’actualité, elles n’ont plus de sens en termes d’exécution. Le juge devrait disposer de toutes les informations pertinentes en temps réel. Un effort financier sur les moyens informatiques alloués est vraiment vital.

Pour Ivan Guitz, au cours d’une peine de trois mois en mandat de dépôt avec incarcération, il ne se passe rien. Le délai est trop court pour que l’intéressé s’inscrive dans des dispositifs pénitentiaires. Suite à cet enfermement avec des réductions de peine ou pas, l’intéressé ressort dans le même état, voire pire parce qu’il s’est découvert de « nouveaux amis ». La peine est exécutée, certes, mais dans cette conjoncture, que penser du risque de récidive ? Soulignons que la notion de choc carcéral, à laquelle certains croient encore, ne dissuade que les honnêtes gens. Il est bien plus intéressant de mettre à profit la durée de la peine pour la prévention et contre la récidive. Elle peut être aménagée en peine de travail d’intérêt général ou autrement. Les critères de décisions sont nombreux. Quel est le stade de réflexion de l’intéressé par rapport aux faits, par rapport à son passé pénal ? Est-ce qu’on peut encore essayer de compter sur un changement positif et une prise en charge de probation réelle, ou est ce qu’il n’y a rien en tirer ? Auquel cas, effectivement, le JAP demandera l’incarcération sans hésitation.

Actuellement, une grosse partie des peines d’emprisonnement fermes exécutées se déroulent sous forme de peines aménagées. Selon la législation (LPJ, 23 mars 2019), pour toute condamnation jusqu’à un an, le principe est l’aménagement. La Cour de cassation a renforcé cette disposition par différents arrêts. En dernier lieu, le 11 mai dernier, la Chambre criminelle a indiqué que jusqu’à six mois fermes, l’aménagement est obligatoire. La difficulté pour les juges correctionnels désormais est devenue non pas de motiver le une peine d’emprisonnement ferme, mais, si elle n’est pas aménagée, de motiver pourquoi. En conséquence, de nombreuses peines aménagées ab initio par le tribunal arrivent au juge d’application des peines et le mettent en difficulté par leurs incohérences. Sont par exemple aménagées des peines sous forme de bracelet électronique pour des personnes qui ne sont même pas domiciliées...

 

L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE, DERNIÈRE MAIN TENDUE

À propos du travail au sein de la justice, notamment sur de l’humain compliqué, le risque zéro n’existe pas, estime Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire. Il accompagne le magistrat et le fonctionnaire pénitentiaire. Assigner à la justice et à l’administration pénitentiaire une obligation de résultat serait parfaitement illusoire et de plus contre-productive pour ses acteurs. Quant à l’obligation collective de moyens renforcés, elle engage le pouvoir politique, le législateur, l’exécutif, le directeur de l’administration centrale et l’ensemble des responsables. L’opinion publique, après chaque drame, met en cause la justice et s’offusque qu’elle n’ait pas réussi là où tout le reste a échoué. L’administration pénitentiaire est souvent le bout du cheminement d’individus pour lesquels, en termes de processus de socialisation, rien n’a marché : ni la famille, ni l’école, ni les dispositifs sociaux. Pour ces personnes, réclamer une réussite systématique n’est pas un objectif.

Des études précises manquent sur les questions de récidive, de réitération, dans toute l’Europe. Les chiffres bruts relatifs à la réitération nous placent dans la moyenne. Moins d’un délinquant sortant de prison sur deux y retourne dans les cinq ans qui suivent. Compte tenu des caractéristiques des publics accueillis, ce résultat n’est pas si lamentable, indique le directeur. L’administration pénitentiaire retient actuellement 67 000 détenus et suit à peu près 165 000 personnes en milieu libre à travers les SPIP. L’ensemble représente plus de 230 000 personnes surveillées aujourd’hui par l’administration pénitentiaire sur mandat judiciaire. Le taux d’incarcération en France, hors pandémie, est de l’ordre de 105 détenus pour 100 000 habitants ; c’est exactement la moyenne européenne. Nous sommes légèrement au-dessus, en termes d’incarcération, de l’Allemagne et de l’Espagne, mais en deçà de l’Angleterre et de l’Italie. Il n’y a donc pas d’exception française. Nos magistrats recourent autant que leurs homologues européens à la prison et à la probation. Notre exception se situe dans l’encombrement de nos établissements pénitentiaires. Nous sommes la cinquième nation du Conseil de l’Europe à avoir le taux d’encombrement le plus élevé après la Belgique, Chypre et d’autres pays qui ne respectent pas les mêmes standards.

La construction de sites a pris du retard. Le plan en cours fournira 15 000 places dont certaines ouvriront cette année. Elles sont indispensables. Sur la question de la réalité des sanctions mises en œuvre, un indicateur simple donne une information éclairante. La durée moyenne des séjours en détention augmente considérablement en France : sept mois en 2006, huit mois en 2016, un an en 2021. L’érosion des peines de prison est donc une contre vérité. Mais encore faut-il que le dispositif d’exécution des sanctions judiciaires soit accepté par tout le monde. Avant 2019, un tribunal correctionnel pouvait condamner à deux ans de prison ferme un individu qui quittait l’audience libre. La procédure passait par le JAP puis par le SPIP. Pendant ce temps, l’auteur des faits pouvait recroiser sa victime dans la rue. Quelquefois, plusieurs années après, l’affaire se soldait par un travail d’intérêt général ou un bracelet électronique. Nos concitoyens ne pouvaient pas l’admettre.

La loi de 2019 a redonné de la crédibilité au dispositif. Les courtes peines de prison sont maintenant considérées comme inutiles. En conséquence, les peines inférieures à un mois ne sont plus prononcées, et le tribunal correctionnel doit, sauf impossibilité à la barre, aménager les peines d’emprisonnement jusqu’à un an : semi-liberté, bracelet électronique, libération conditionnelle, etc. Au-delà d’un an d’emprisonnement, la peine est vue comme importante. Il y a écrou et mise en détention.

Pour que notre paradigme soit efficace, le temps de prise en charge pénitentiaire doit être utile à la prévention de la récidive. Cette dernière se travaille sous deux aspects : son aspect criminologique englobe la prise de conscience du passage à l’acte, le respect de la victime, la connaissance des règles sociales, son aspect intégration sociale s’adresse aux délinquants qui cumulent de multiples handicaps sociaux.

Pour cela, il faut des moyens, alors que, déjà, les places d’accueil manquent. Néanmoins, combien de détenus ont retrouvé le chemin du médecin, de la santé physique, mentale en détention ? Combien d’entre eux ont appris à lire en prison ? Combien ont suivi des programmes de prévention de la récidive ? Combien de radicalisés ont entamé un chemin critique envers l’embrigadement ? Oui, la prison est un lieu utile, assure Laurent Ridel, à condition de surmonter la difficulté de la surpopulation qui sape beaucoup d’efforts engagés. Sur ce point, on ne peut d’ailleurs pas opposer personnels et détenus, puisque les conditions de détention des uns sont les conditions de travail des autres. Tous en partagent les carences.

S’agissant du milieu ouvert, les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ont développé depuis 20 ans une méthodologie d’intervention en matière de criminologie opérationnelle. Les effectifs ont augmenté de 20% en trois ans et augmenteront encore de 20 % d’ici 2023. L’objectif est de disposer d’un Conseiller d’insertion et de probation (CPIP) pour environ 60 personnes. Parallèlement, la collaboration en équipe progresse réunissant des éducateurs, des psychologues, des assistants de services sociaux, etc. Les services pénitentiaires proposent aux magistrats une offre pénitentiaire dans chaque département. Elle se compose de places de prison et de dispositifs en milieu ouvert : bracelet électronique, semi-liberté, stage de citoyenneté ou de prévention des violences, bracelet anti rapprochement. Le magistrat a besoin de cet ensemble d’options au moment de trancher pour prendre une décision adaptée et personnalisée, conscient que le risque zéro n’existe pas.

Notre société assume mal sa justice. L’esprit de concorde fait défaut. Les magistrats et les fonctionnaires pénitentiaires analysent des situations, prennent des risques mesurés, pour diminuer le nombre de récidives. Le sens des sorties aménagées, préparées, contrôlées réside là. Toutes les études internationales prouvent qu’elles limitent la réitération et la récidive de façon permanente et structurelle. Malgré tout, en cas d’échec, les décideurs sont conspués par les médias. A contrario, si un individu récidive suite à une sortie sans aucune préparation, ni contrôle organisé, tout le monde l’accepte. Le populaire « il a payé, il a purgé sa peine jusqu’au bout » ne délivre pourtant pas le permis de recommencer. La presse ne devrait-elle pas se concentrer sur ces cas-là avec une égale virulence?

C2M

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