La
profession d’avocat est au cœur du cyclone de la révolution numérique. Cette
adaptation du métier au progrès est porteuse de nombreux questionnements quant
à son opportunité. L’objectif ici est d’en souligner les manifestations, comme
l’inclusion de la blockchain, l’adoption de l’intelligence artificielle, mais
aussi les outils futurs, afin de délimiter les contours d’un mariage heureux.
Au
cénacle, des outils ont vocation à accompagner l’avocat dans le changement de
paradigme de sa pratique quotidienne : par l’enrichissement de sa prestation
judiciaire, la stimulation de sa créativité et la pérennité des solutions
négociées, les nouvelles technologies sont en première ligne. C’est sous cet
angle que s’impose l’analyse de l’intervention des nouvelles technologies dans
le métier d’avocat, cette dernière s’inscrivant dans un mouvement progressiste
plus large visant à restructurer profession. Historiquement, l’Incubateur lancé
par l’Ordre des avocats de Paris le 1er janvier 2014 avait pour objectif la
promotion de l’innovation et l’esprit d’entreprise chez les avocats, et la
poursuite d’une réflexion prospective sur l’avenir de la profession. En effet,
l’introduction de la fonction aux nouvelles technologies est rattachable à un
ensemble de mesures applicables aux évolutions du marché du droit. La
numérisation de la profession en est une des manifestations.
Métier
enclavé dans l’histoire, profession prestigieuse en raison de sa position
sociale, l’avocature est transformée, sous l’impulsion du numérique, du support
papier à l’informatique, à la révolution numérique et enfin à l’avènement de
l’intelligence artificielle. Rarement une profession réglementée a été
confrontée à autant de défis. Ce corps de métier souvent perçu comme
conservateur et réfractaire aux changements s’est adapté à un mouvement vers
plus de modernité, particulièrement durant la pandémie. Ce glissement est
parfaitement illustré par l’image de l’avocat inscrit au barreau dans les
années 90, à la carte professionnelle en cuir marouflée d’or, qui assiste,
penaud, à son remplacement par une carte électronique. L’écriture judiciaire
classique laisse place aux actes prérédigés avec l’aide de générateurs et
d’autres outils de documentation juridique et de justice prédictive. Voilà par
le menu les manifestations extérieures de ce changement, mais la question est
plus profonde : comment s’organisent les liens entre la technologie numérique
et la fonction d’avocat, et pour quelle efficacité ? Quelles sont les
évolutions que connaîtra la profession d’avocat ? C’est dans la mise en exergue
des relations entre ces deux entités que se loge l’essence de cette étude.
L’avocat
assisté par les nouvelles technologies
La
blockchain et les avocats : un ennemi devenu allié
La
blockchain est d’abord perçue comme une menace pour l’avocat en raison de son
caractère libertaire qui ambitionne la suppression des tiers de confiance.
Force est de constater que, dans un mouvement de résilience, les avocats ont
réussi à retourner l’outil en leur faveur. Cette technologie peut avoir quatre
fonctions qui sont mises au service des avocats. Il s’agit de l’enregistrement
des données, de la preuve de la traçabilité, de la création de l’identité
numérique, et enfin du fait de favoriser la création de smart contracts.
Autrement dit, la formation ou l’exécution automatisée des contrats grâce à la
technique du codage. Les avocats peuvent profiter de ces fonctions pour eux ou
pour leurs clients afin d’enregistrer et de valider des documents. Cela peut
être utile pour les datas rooms. La blockchain est une technique de preuve pour
établir des antériorités dans le domaine de la propriété intellectuelle, et
permet également d’utiliser la possibilité d’inscrire et de transmettre des
titres de sociétés non cotées. Les avocats peuvent les nantir par cette voie.
Ainsi, la blockchain devient, dans ce contexte, une preuve supplémentaire au bénéfice
des experts.
Les
smart contracts sont encore peu développés mais suscitent de l’espoir. Le
codage peut favoriser l’exécution automatisée de certains contrats ou de
certaines clauses comme des clauses d’agrément dans les pactes d’actionnaires.
Il est sans doute possible d’imaginer un smart contract permettant un versement
immédiat de l’indemnité d’aide judiciaire dès lors que la décision concernée
est rendue. Il est aussi possible d’envisager un paiement automatisé des
honoraires en fonction de la production de documents préalablement définis. Les
avocats pourraient aussi devenir les oracles ou les tiers de confiance
nécessaires au fonctionnement des blockchains. Les premiers sont indispensables
pour valider ou produire des informations essentielles au fonctionnement des
smarts contrats. Les tiers de confiance peuvent être nécessaires pour régler
les litiges ou pour devenir détenteurs de clés privées pour le compte de leurs
clients. Cela fait partie des possibilités à explorer. Du point de vue de l’expertise,
de la recherche des preuves et de fiabilité des preuves recueillies, cette
position de tiers de confiance est une garantie.
La
blockchain fera ainsi partie des outils qui, progressivement, aideront les
professionnels dans leurs missions. Il est révélateur que des cabinets ou des
départements de structures importantes se soient spécialisés dans ce domaine.
Il est vrai qu’une crypto économie se met en place avec des acteurs nouveaux,
et que les acteurs du droit ne peuvent l’ignorer.
L’intelligence
artificielle et l’avocat : un avocat augmenté
L’avocat
trouve à son service des outils d’intelligence artificielle qui augmentent ses
compétences. L’IA peut être définie comme « la recherche de moyens
susceptibles de doter les systèmes informatiques de capacités intellectuelles
comparables à celles des êtres humains ». À ce titre, les générateurs de
contrats ou le robotic process automation (RPA), au sujet desquels le cabinet
de conseil en stratégie McKinsey estime jusqu’à 23 % les tâches que les avocats
pourraient automatiser, en sont une bonne illustration. Cette automatisation
déjà en cours se concrétise principalement dans le droit des contrats. Elle est
cependant mise à l’épreuve par l’apparition permanente de technologie
disruptive qui la condamne à l’adaptation afin de coller au mieux aux
situations que les contrats doivent régir. Il en va de l’image, de la
compétitivité et de la solidité du travail d’avocat qui doit proposer aux
entreprises des contrats exhaustifs résistant aux contrôles de conformité multiples
au sein des structures. L’inventaire détaillé des dispositions juridiques de
tous bords applicables dans les cas d’espèces est donc une étape indispensable,
ainsi que la prise en compte des particularités des technologies impliquées.
Dans ce contexte, le recours à l’automatisation, et donc au smart contract,
fait sens. Ainsi délestés de cette tâche, les avocats peuvent s’adonner à des
activités à plus forte valeur ajoutée.
Par
ailleurs, la partie laborieuse de recherche et d’autres tâches d’ordre
bibliographique peuvent aussi être dévolues à l’intelligence artificielle via
des chatbot, des robots, ou autres avancées technologiques qui peuvent en être
chargées.
Les
logiciels de justice prédictive sont aussi un appui pour l’avocat. Un accès
différencié aux outils de justice prédictive est susceptible de créer une
fracture au sein de l’exercice de la profession d’avocat, qu’il faudra
nécessairement prévenir. L’accès à ces outils peut essentiellement prendre
trois formes : libre et gratuit, comme pour les décisions de justice, ce qui
implique la mise à disposition d’un outil public ; sous la forme d’une licence
auprès du titulaire des droits de propriété intellectuelle et détenteur du
savoir-faire non protégeable, qu’il s’agisse d’un éditeur juridique ou d’une
legaltech ; limité à une structure en particulier, tel un cabinet d’avocats,
qui aura développé en interne un outil pour ses besoins propres. L’intelligence
artificielle doit demeurer un outil d’aide à la décision, et non un outil de
décision. Cependant, son développement dans le domaine judiciaire est utile,
car l’intelligence artificielle peut permettre aux professionnels du droit
comme aux justiciables de mieux savoir, voir et pouvoir. Les algorithmes
peuvent être une solution d’analyse allant même jusqu’à proposer des
conclusions : c’est le principe même de l’outil d’aide à la décision. Se pose
toutefois la question de la saisie des données, des biais possibles, ainsi que
de la complexité de prendre en compte les évolutions de jurisprudence.
Le
procès peut être une illustration de la synergie homme/machine dans une
complémentarité au bénéfice de la pratique du droit. L’avocat peut prendre en
charge la partie créative et de réflexion de la procédure et l’intelligence
artificielle peut être un atout de taille pour une hiérarchisation des voies de
recours afin d’obtenir des résultats efficaces. Dans cette configuration, si
l’impact de l’intelligence artificielle est certain, les contours précis de la
relation du couple se dessineront au gré de la pratique. Néanmoins, cette union
doit se réaliser dans un cadre juridique stable et équilibré pourtant contraire
à la nature et au fonctionnement de l’intelligence artificielle. Elle se
perfectionne dans le temps, ce qui la rend intrinsèquement porteuse de lacunes
qui doivent être comblées par la pratique. Les caractéristiques de
l’intelligence artificielle et les exigences du monde du droit et de sa
pratique sont en contradiction. Cette remarque mérite un grand intérêt lors de
l’utilisation de cette technique par les avocats. Pour finir, il convient de
spécifier que la règlementation européenne sur l’intelligence artificielle
n’est pas encore en vigueur.
Les
outils de compliance numérique peuvent aussi être un renfort pour l’avocat en
raison de l’importance de la conformité. Ces outils ont vocation à jouer un
rôle central tant les règles applicables sont nombreuses.
L’avocat
transformé par les nouvelles technologies
La
mutation dans les activités
L’autorisation
d’activités connexes à la profession d’avocat permise par le décret Macron n°
2016-882 du 29 juin 2016 a ouvert aux avocats des domaines nouveaux, comme la
possibilité de mettre en place une structure pour exercer une activité
commerciale dans divers secteurs : l’édition juridique, la formation
professionnelle, mais aussi le coaching, le management de transition ou encore
la médiation. Cette diversification permet aux avocats de proposer à leurs
clients des prestations plus larges, de nouveaux services tels que le
développement d’un logiciel ou d’une plateforme dans le domaine juridique ou
des propositions de modèles d’actes en ligne, des informations juridiques, des
accomplissements de formalités en ligne. Les cabinets d’avocats, libérés de certaines
tâches et dans le cadre d’un exercice assoupli, glisseront vers des activités
différentes.
La
mutation dans les outils
Le
no code est aussi la trend du futur proche, dans lequel il ne sera plus
nécessaire de savoir coder pour pouvoir créer des applications. Le code
laissera la place au machine learning et aux process commandés par la voix.
Les
concepts comme Flex desk, Atawad et mobiquité s’inscrivent dans la même lignée,
à l’heure de l'hyper-connectivité et des objets connectés, alors que le « Any
Time, Anywhere, Any Device » permettra d’apporter le cabinet aux clients
avant la démocratisation des hologrammes. Cette vision est confortée par les
avocats dans le métavers qui dévoile une vision du cabinet fondée sur la
gamification.
Dans
le cadre des prévisions pour le futur, une convergence entre nanotechnologies,
biotechnologies, sciences de l’information et sciences cognitives (NBIC) est
sans doute à prévoir. La convergence entre technologies robotiques et l’IA,
elle, va conduire aux robots intelligents, marquant le développement d’une
intelligence artificielle plus autonome et donc plus forte.
Ghizlane Loukili
Juriste d’affaires et directrice de l’école Les Talents de
Mozart
Doctorante en droit du numérique à l’université Hassan-1er
de Settat (Maroc)