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L’avocature à l’épreuve des nouvelles technologies : « Du vent sous la robe ? »

L’avocature à l’épreuve des nouvelles technologies : « Du vent sous la robe ? »
Publié le 06/12/2022 à 17:23

La profession d’avocat est au cœur du cyclone de la révolution numérique. Cette adaptation du métier au progrès est porteuse de nombreux questionnements quant à son opportunité. L’objectif ici est d’en souligner les manifestations, comme l’inclusion de la blockchain, l’adoption de l’intelligence artificielle, mais aussi les outils futurs, afin de délimiter les contours d’un mariage heureux.

 

Au cénacle, des outils ont vocation à accompagner l’avocat dans le changement de paradigme de sa pratique quotidienne : par l’enrichissement de sa prestation judiciaire, la stimulation de sa créativité et la pérennité des solutions négociées, les nouvelles technologies sont en première ligne. C’est sous cet angle que s’impose l’analyse de l’intervention des nouvelles technologies dans le métier d’avocat, cette dernière s’inscrivant dans un mouvement progressiste plus large visant à restructurer profession. Historiquement, l’Incubateur lancé par l’Ordre des avocats de Paris le 1er janvier 2014 avait pour objectif la promotion de l’innovation et l’esprit d’entreprise chez les avocats, et la poursuite d’une réflexion prospective sur l’avenir de la profession. En effet, l’introduction de la fonction aux nouvelles technologies est rattachable à un ensemble de mesures applicables aux évolutions du marché du droit. La numérisation de la profession en est une des manifestations.

 

Métier enclavé dans l’histoire, profession prestigieuse en raison de sa position sociale, l’avocature est transformée, sous l’impulsion du numérique, du support papier à l’informatique, à la révolution numérique et enfin à l’avènement de l’intelligence artificielle. Rarement une profession réglementée a été confrontée à autant de défis. Ce corps de métier souvent perçu comme conservateur et réfractaire aux changements s’est adapté à un mouvement vers plus de modernité, particulièrement durant la pandémie. Ce glissement est parfaitement illustré par l’image de l’avocat inscrit au barreau dans les années 90, à la carte professionnelle en cuir marouflée d’or, qui assiste, penaud, à son remplacement par une carte électronique. L’écriture judiciaire classique laisse place aux actes prérédigés avec l’aide de générateurs et d’autres outils de documentation juridique et de justice prédictive. Voilà par le menu les manifestations extérieures de ce changement, mais la question est plus profonde : comment s’organisent les liens entre la technologie numérique et la fonction d’avocat, et pour quelle efficacité ? Quelles sont les évolutions que connaîtra la profession d’avocat ? C’est dans la mise en exergue des relations entre ces deux entités que se loge l’essence de cette étude.

 

L’avocat assisté par les nouvelles technologies

La blockchain et les avocats : un ennemi devenu allié

 

La blockchain est d’abord perçue comme une menace pour l’avocat en raison de son caractère libertaire qui ambitionne la suppression des tiers de confiance. Force est de constater que, dans un mouvement de résilience, les avocats ont réussi à retourner l’outil en leur faveur. Cette technologie peut avoir quatre fonctions qui sont mises au service des avocats. Il s’agit de l’enregistrement des données, de la preuve de la traçabilité, de la création de l’identité numérique, et enfin du fait de favoriser la création de smart contracts. Autrement dit, la formation ou l’exécution automatisée des contrats grâce à la technique du codage. Les avocats peuvent profiter de ces fonctions pour eux ou pour leurs clients afin d’enregistrer et de valider des documents. Cela peut être utile pour les datas rooms. La blockchain est une technique de preuve pour établir des antériorités dans le domaine de la propriété intellectuelle, et permet également d’utiliser la possibilité d’inscrire et de transmettre des titres de sociétés non cotées. Les avocats peuvent les nantir par cette voie. Ainsi, la blockchain devient, dans ce contexte, une preuve supplémentaire au bénéfice des experts.

 

Les smart contracts sont encore peu développés mais suscitent de l’espoir. Le codage peut favoriser l’exécution automatisée de certains contrats ou de certaines clauses comme des clauses d’agrément dans les pactes d’actionnaires. Il est sans doute possible d’imaginer un smart contract permettant un versement immédiat de l’indemnité d’aide judiciaire dès lors que la décision concernée est rendue. Il est aussi possible d’envisager un paiement automatisé des honoraires en fonction de la production de documents préalablement définis. Les avocats pourraient aussi devenir les oracles ou les tiers de confiance nécessaires au fonctionnement des blockchains. Les premiers sont indispensables pour valider ou produire des informations essentielles au fonctionnement des smarts contrats. Les tiers de confiance peuvent être nécessaires pour régler les litiges ou pour devenir détenteurs de clés privées pour le compte de leurs clients. Cela fait partie des possibilités à explorer. Du point de vue de l’expertise, de la recherche des preuves et de fiabilité des preuves recueillies, cette position de tiers de confiance est une garantie.

 

La blockchain fera ainsi partie des outils qui, progressivement, aideront les professionnels dans leurs missions. Il est révélateur que des cabinets ou des départements de structures importantes se soient spécialisés dans ce domaine. Il est vrai qu’une crypto économie se met en place avec des acteurs nouveaux, et que les acteurs du droit ne peuvent l’ignorer.

 

L’intelligence artificielle et l’avocat : un avocat augmenté

 

L’avocat trouve à son service des outils d’intelligence artificielle qui augmentent ses compétences. L’IA peut être définie comme « la recherche de moyens susceptibles de doter les systèmes informatiques de capacités intellectuelles comparables à celles des êtres humains ». À ce titre, les générateurs de contrats ou le robotic process automation (RPA), au sujet desquels le cabinet de conseil en stratégie McKinsey estime jusqu’à 23 % les tâches que les avocats pourraient automatiser, en sont une bonne illustration. Cette automatisation déjà en cours se concrétise principalement dans le droit des contrats. Elle est cependant mise à l’épreuve par l’apparition permanente de technologie disruptive qui la condamne à l’adaptation afin de coller au mieux aux situations que les contrats doivent régir. Il en va de l’image, de la compétitivité et de la solidité du travail d’avocat qui doit proposer aux entreprises des contrats exhaustifs résistant aux contrôles de conformité multiples au sein des structures. L’inventaire détaillé des dispositions juridiques de tous bords applicables dans les cas d’espèces est donc une étape indispensable, ainsi que la prise en compte des particularités des technologies impliquées. Dans ce contexte, le recours à l’automatisation, et donc au smart contract, fait sens. Ainsi délestés de cette tâche, les avocats peuvent s’adonner à des activités à plus forte valeur ajoutée.

 

Par ailleurs, la partie laborieuse de recherche et d’autres tâches d’ordre bibliographique peuvent aussi être dévolues à l’intelligence artificielle via des chatbot, des robots, ou autres avancées technologiques qui peuvent en être chargées.

 

Les logiciels de justice prédictive sont aussi un appui pour l’avocat. Un accès différencié aux outils de justice prédictive est susceptible de créer une fracture au sein de l’exercice de la profession d’avocat, qu’il faudra nécessairement prévenir. L’accès à ces outils peut essentiellement prendre trois formes : libre et gratuit, comme pour les décisions de justice, ce qui implique la mise à disposition d’un outil public ; sous la forme d’une licence auprès du titulaire des droits de propriété intellectuelle et détenteur du savoir-faire non protégeable, qu’il s’agisse d’un éditeur juridique ou d’une legaltech ; limité à une structure en particulier, tel un cabinet d’avocats, qui aura développé en interne un outil pour ses besoins propres. L’intelligence artificielle doit demeurer un outil d’aide à la décision, et non un outil de décision. Cependant, son développement dans le domaine judiciaire est utile, car l’intelligence artificielle peut permettre aux professionnels du droit comme aux justiciables de mieux savoir, voir et pouvoir. Les algorithmes peuvent être une solution d’analyse allant même jusqu’à proposer des conclusions : c’est le principe même de l’outil d’aide à la décision. Se pose toutefois la question de la saisie des données, des biais possibles, ainsi que de la complexité de prendre en compte les évolutions de jurisprudence.

 

Le procès peut être une illustration de la synergie homme/machine dans une complémentarité au bénéfice de la pratique du droit. L’avocat peut prendre en charge la partie créative et de réflexion de la procédure et l’intelligence artificielle peut être un atout de taille pour une hiérarchisation des voies de recours afin d’obtenir des résultats efficaces. Dans cette configuration, si l’impact de l’intelligence artificielle est certain, les contours précis de la relation du couple se dessineront au gré de la pratique. Néanmoins, cette union doit se réaliser dans un cadre juridique stable et équilibré pourtant contraire à la nature et au fonctionnement de l’intelligence artificielle. Elle se perfectionne dans le temps, ce qui la rend intrinsèquement porteuse de lacunes qui doivent être comblées par la pratique. Les caractéristiques de l’intelligence artificielle et les exigences du monde du droit et de sa pratique sont en contradiction. Cette remarque mérite un grand intérêt lors de l’utilisation de cette technique par les avocats. Pour finir, il convient de spécifier que la règlementation européenne sur l’intelligence artificielle n’est pas encore en vigueur.

 

Les outils de compliance numérique peuvent aussi être un renfort pour l’avocat en raison de l’importance de la conformité. Ces outils ont vocation à jouer un rôle central tant les règles applicables sont nombreuses.

 

L’avocat transformé par les nouvelles technologies

La mutation dans les activités

 

L’autorisation d’activités connexes à la profession d’avocat permise par le décret Macron n° 2016-882 du 29 juin 2016 a ouvert aux avocats des domaines nouveaux, comme la possibilité de mettre en place une structure pour exercer une activité commerciale dans divers secteurs : l’édition juridique, la formation professionnelle, mais aussi le coaching, le management de transition ou encore la médiation. Cette diversification permet aux avocats de proposer à leurs clients des prestations plus larges, de nouveaux services tels que le développement d’un logiciel ou d’une plateforme dans le domaine juridique ou des propositions de modèles d’actes en ligne, des informations juridiques, des accomplissements de formalités en ligne. Les cabinets d’avocats, libérés de certaines tâches et dans le cadre d’un exercice assoupli, glisseront vers des activités différentes.

 

La mutation dans les outils

 

Le no code est aussi la trend du futur proche, dans lequel il ne sera plus nécessaire de savoir coder pour pouvoir créer des applications. Le code laissera la place au machine learning et aux process commandés par la voix.

 

Les concepts comme Flex desk, Atawad et mobiquité s’inscrivent dans la même lignée, à l’heure de l'hyper-connectivité et des objets connectés, alors que le « Any Time, Anywhere, Any Device » permettra d’apporter le cabinet aux clients avant la démocratisation des hologrammes. Cette vision est confortée par les avocats dans le métavers qui dévoile une vision du cabinet fondée sur la gamification.

 

Dans le cadre des prévisions pour le futur, une convergence entre nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information et sciences cognitives (NBIC) est sans doute à prévoir. La convergence entre technologies robotiques et l’IA, elle, va conduire aux robots intelligents, marquant le développement d’une intelligence artificielle plus autonome et donc plus forte.

 

Ghizlane Loukili

Juriste d’affaires et directrice de l’école Les Talents de Mozart

Doctorante en droit du numérique à l’université Hassan-1er de Settat (Maroc)

 

 

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