Les coopératives demeurent,
pour nombre de praticiens, une curiosité exotique dont les particularités
juridiques suscitent curiosité, intérêt et parfois aussi perplexité.
D’abord, leurs principes
fondamentaux sont très éloignés des pratiques de création de sociétés :
décorrélation entre la gouvernance et la détention du capital (une personne =
une voix), mais aussi entre la détention de capital et les profits et
importance de la décision collective dans la gouvernance. Ensuite, à cause des
multiples spécificités juridiques attachées prévues par la loi n° 47-1775 du 10
septembre 1947 portant statut de la coopération : sociétés commerciales,
civiles ou ad hoc, sociétés à capital variable, ristourne coopérative,
double qualité de l’associé coopérateur, contrats d’activité et
impartageabilité des réserves.
Cette apparente complexité
est accrue par la structure du droit coopératif. En effet, aux règles générales
prévues par la loi du 10 septembre 1947, qui sont déjà des règles dérogatoires
au droit des sociétés, s’ajoutent des règles coopératives spécifiques pour
chaque famille coopérative, déterminée en fonction de la qualité de l’associé
coopérateur : coopératives agricoles (X), coopératives de commerçants (X),
coopératives d’artisans (X) ou coopératives ouvrières de production (SCOP, loi
n° 78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des sociétés coopératives de
production), etc.
La qualification des éléments
constituant le capital social des coopératives fait cependant partie des
principes qui demeurent communs à toutes les coopératives.
Le capital des coopératives
est toujours divisé en parts sociales coopératives
En principe, la qualification
des éléments du capital dépend de la nature juridique de la société. Les parts
sociales représentent une fraction du capital d'une société de personnes (ex :
SNC, SARL, SCI) où l'intuitu personae est souvent présent, où la
personnalité des associés compte autant que leur apport en capital. Les actions
sont émises par les sociétés par actions (ex : SAS, SA) dont la finalité est
d’être négociées et transmises.
Nature
juridique de la société
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Qualification
des éléments du capital
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Société
à responsabilité limitée (SARL)
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Actions
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Société
anonyme (SA)
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Actions
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Société
en nom collectif (SNC)
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Parts
sociales
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Société
civile
|
Parts
sociales
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Société
en commandite simple
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Parts
sociales pour les commandités et commanditaires
|
Société
en commandite par actions (SCA)
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Actions
pour les commanditaires, parts sociales pour les commandités
|
En toute logique, une société
coopérative constituée sous forme de société anonyme devrait être constituée
d’actions et bénéficier du régime des sociétés anonymes, par exemple de la
possibilité de procéder à des offres aux publics de titre financier dans la
cadre juridique prévue par les articles L.411-1 et suivants du Code monétaire
et financier.
Force est de constater que la
loi du 10 septembre 1947 n’indique jamais clairement que la
qualification : « parts sociales » se substitue à la
qualification liée à la forme juridique de la coopérative.
Cependant, la loi du 10
septembre 1947, en particulier son article 11, prévoit que les coopératives
disposent de « parts sociales » nominatives et soumises à un régime
particulier :
- Leur cession est soumise à
l’approbation de l’assemblée générale, des administrateurs ou des
gérants ;
- Le nombre de parts sociales détenues n’a pas de conséquence sur le poids dans
la gouvernance de la coopérative ;
- Les droits liés aux parts sociales ne peuvent pas être modifiés par les
statuts, en dehors de l’émission de parts sociales à avantages
particuliers ;
- Elles sont remboursées à la valeur nominale, sous réserve de la
responsabilité de l’associé pour les pertes survenues au cours de l’exercice
social de départ (article 18) ;
- Les parts sociales donnent droit à un intérêt plafonné à un taux au plus égal
à la moyenne, sur les trois années civiles précédant la date de l'assemblée
générale, du taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées,
majorée de deux points (article 14).
Les régimes statutaires
particuliers évoquent uniquement les « parts sociales », sans faire
de différence entre les différentes formes juridiques. C’est le cas pour les
SCOP, dont l’article 21 de la loi du 19 juillet 1978 indique que « le
capital des sociétés coopératives de production est représenté par des parts
sociales souscrites par les associés. » Les coopératives de
commerçants constituées sous forme de société anonymes peuvent, en application
des articles L.124-12 du Code de commerce, « transformer en parts
sociales tout ou partie des ristournes bloquées en comptes
individualisés ». Il en est de même pour les coopératives d’artisans,
dont l’article 11 de la loi n°83-657 du 20 juillet 1983 relative au
développement de certaines activités d'économie sociale prévoit que le capital
est « représenté par des parts sociales nominatives ». Les
articles L.521-1 du code rural et de la pêche maritime divisent également le
capital des coopératives agricoles en parts sociales, bien que ces coopératives
soient des sociétés sui generis.
L’article 19 quaterdecies de
la loi du 10 septembre 1947 précise en particulier qu’en cas de transformation
d’une société en SCIC « ses parts ou
actions sont converties en parts sociales ».
Le capital des coopératives
qui bénéficient d’un régime juridique ad
hoc est également divisé en parts sociales. C’est par exemple le cas des
coopératives agricoles, en application des articles L.521-1 et suivants du Code
rural et de la pêche maritime.
Il existe des textes
statutaires qui viennent contredire cette règle générale, de manière cependant
restreinte. Ainsi, la loi du 7 mai 1917 ayant pour objet l'organisation du
crédit aux sociétés coopératives de consommation envisage que le capital soit divisé
en actions ou en capital social. Cependant, cette distinction date de la
version d’origine du texte et cet alinéa n’a jamais été modifié, ce qui peut
expliquer l’absence de concordance par rapport aux autres textes juridiques
traitant des statuts coopératifs.
Les articles L.213-6 et
L.213-11 du Code de la constriction et de l’habitation évoquent « les parts ou actions » de la
société coopérative de construction. Cependant, l’article L.213-11 évoque lui
la libération des parts sociales, sans faire référence aux actions. Là encore,
il nous semble que cette mention relève d’un défaut d’harmonisation légistique.
En effet, ces textes ont codifié en 1978 (1) la loi n° 71-579 du 16 juillet
1971 relative à diverses opérations de construction, et notamment les règles
relatives aux coopératives de construction. Ils n’ont pas été modifiés ou mis à
jour depuis. La formulation « parts ou actions » se retrouve dans au
moins un autre texte du secteur de la construction, la loi n° 86-18 du 6
janvier 1986 relative aux sociétés d'attribution d'immeubles en jouissance à
temps partagé. Cette formulation vise à s’adapter aux différentes formes de
division du capital existant dans les sociétés commerciales. Par conséquent, il
nous semble que cette formulation pour les coopératives de construction relève
d’une erreur de plume plus que de la volonté de créer un régime spécifique pour
la division du capital des coopératives de construction. C’est d’ailleurs
l’avis de la doctrine (2) et de la pratique, les statuts des coopératives de
construction existantes divisant leur capital en « parts sociales ».
On peut conclure de cette
analyse que le capital d’une société coopérative est divisé en parts sociales,
quelle que soit sa nature juridique et quel que soit le statut s’appliquant à
la coopérative. On pourrait d’ailleurs préciser qu’il est divisé en « parts
sociales coopératives », pour prendre en compte l’existence d’un régime
juridique particulier emportant des conséquences spécifiques pour les associés
liés au principe fondamental de la société coopérative : la décorrélation
entre le capital et la gouvernance.
La qualification des éléments
du capital des coopératives confrontée au régime des offres au public de titres
financiers
Un exemple récent peut nous
éclairer sur la qualification et le traitement du capital de société
coopérative.
L’article 11 de la loi du 10
septembre 1947, qui s’applique à toutes les coopératives, prévoit que « les
sociétés coopératives constituées sous la forme d'une société anonyme peuvent
procéder à une offre au public, telle que définie pour les titres financiers
aux articles L. 411-1 à L. 411-4 du Code monétaire et financier, de leurs parts
sociales. » Les trois derniers alinéas de cet article ont été
introduits, sur demande des acteurs du financement de l’économie sociale et
solidaire, afin de clarifier le régime applicable aux coopératives concernant
les offres au public de titres financiers (plus loin « OPTF »).
En effet, avant l’insertion
de ces articles dans la loi de 1947 par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019
relative à la croissance et la transformation des entreprises, les acteurs de
la finance solidaire et l’Autorité des marchés financiers ont été confrontés à
notre problématique : les éléments du capital d’une coopérative sous forme
de société anonyme doivent-ils être considérés comme des actions, soumises au
droit commun des OPTF défini aux articles L. 411-1 à L. 411-4 du Code monétaire
et financier, ou doivent-ils être considérés comme des parts sociales et donc
être soumis à l’interdit prévu par ces articles ?
L’AMF a considéré que le
capital des coopératives est constitué de parts sociales, quelle que soit leur
nature juridique. Cette qualification écrase, en quelque sorte, la
qualification d’origine et emporte avec elle toutes les conséquences juridiques
attachées, notamment l’impossibilité de procéder à des OPTF.
Face à cette clarification,
l’écosystème du financement des coopératives et en notamment les sociétés
coopératives d’intérêt collectif (Scic), particulièrement concernées par les
OPTF du fait de la présence de bénéficiaires des activités de la société dans
leur sociétariat, s’est mobilisé. Les trois derniers alinéas de l’article 11 de
la loi du 10 septembre 1947 permettent l’application aux sociétés coopératives
sous forme de sociétés anonymes des règles en matières d’OPTF applicables aux
sociétés anonymes.
La conséquence de cette
qualification pour les coopératives
La qualification de
« parts sociales » a des effets juridiques à prendre en compte lors
de la création et au cours de la vie d’une société coopérative.
Tout d’abord, comme évoqué
précédemment, les sociétés coopératives constituées sous la forme de société
anonyme sont soumises au régime prévu par le Code des marchés financiers pour
les sociétés anonymes pour la réalisation d’OPTF du fait de l’existence d’une
règle dérogatoire spécifique prévue à l’article 11 de la loi du 10 septembre
1947. À défaut, elles seraient soumises aux limitations prévues pour les
sociétés dont le capital est divisé en parts sociales.
Ensuite, les divisions du
capital des sociétés coopératives sont soumises au régime fiscal applicable aux
parts sociales, notamment en ce qui concerne les droits d’enregistrement à
percevoir en cas de cession. L’article 761 du Code général des impôts prévoit
un taux de droit d’enregistrement de 0,1% pour les actions et de 3% pour les
parts sociales. Ce même article précise que le taux de 0,1% est applicable pour
les cessions « de parts ou titres du
capital, souscrits par les clients, des établissements de crédit mutualistes ou
coopératifs. »
Ainsi, si les établissements
de crédit coopératifs (crédit coopératif, banques populaires, caisses
d’épargnes et crédit agricole) ont obtenu une dérogation permettant de limiter
les droits d’enregistrement en cas de cession, pour les autres sociétés coopératives
le taux applicable sera de 3%.
L’impact réel pour une
coopérative constituée sous forme de société anonyme sera, cependant, limité,
car les coopératives étant pour la plupart des sociétés à capital variable, les
modifications de leur gouvernance se réalisent par la souscription de parts
nouvelles ou l’annulation des parts des associés sortant. La cession de parts
de gré à gré demeure une exception.
Ainsi, en règle générale,
quelle que soit la forme juridique en droit des sociétés de la coopérative, le
praticien devra respecter le régime applicable aux parts sociales, en omettant
le fait que la coopérative soit constituée sous forme de société anonyme ou de
société par action simplifiée.
Raphaël
Dhont
Avocat au Barreau de Paris
Delsol Avocats
1/ Décret n° 78-621 du 31 mai
1978 portant codification des textes concernant la construction et
?l'habitation
2/ En ce sens, Jurisclasseur Sociétés Formulaire, Fasc. S-500 Sociétés
coopératives de construction – commentaires, Benoît Marchand, 1er
juillet 2022