DROIT

L'ONI s'autosaisit contre les infirmiers non-inscrits : les Ordres de santé, entre représentation et régulation

L'ONI s'autosaisit contre les infirmiers non-inscrits : les Ordres de santé, entre représentation et régulation
Publié le 07/09/2024 à 17:00

En juillet 2024, l’Ordre national des infirmiers (ONI) s’est auto-saisi contre les infirmiers non-inscrits à l’Ordre. Une action radicale qui met la lumière sur les procédures à la disposition des sept ordres des professions de santé médicales et paramédicales (médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, sage-femmes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes et pédicures-podologues).

 

Si les Ordres ont pour mission de représenter leur profession et de participer à leur réglementation, il leur incombe également de veiller au respect, par leurs membres, de leur code de déontologie. Nous vous proposons ici un point d’une part sur les procédures disciplinaires possibles et d’autre part sur les affaires portées devant les juridictions ordinales, soit par les patients soit par les professionnels eux-mêmes.

Quels sont les pouvoirs disciplinaires donnés aux Ordres des professions de santé ?

Les Ordres sont dotés d’instances disciplinaires nationales et départementales chargées d’évaluer et de sanctionner le cas échéant d’éventuels manquements déontologiques et uniquement ceux-ci. « Les Ordres n’ont pas pour rôle d’évaluer ou d’indemniser les préjudices résultant d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins, rappelle France Assos Santé, l’instance représentative des associations de patients agréées, dans sa fiche pratique dédiée à « la procédure disciplinaire devant les Ordres des professions de santé ». Ceux-ci relèvent, selon leur gravité, de la compétence des commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI) ou des juridictions de droit commun. En revanche, le non-respect des règles de déontologie à l’occasion d’un accident médical peut être porté à la connaissance de l’Ordre, compétent pour ce qui concerne les conditions d’exercice des professions médicales. »

Les juridictions ordinales peuvent être saisies par un patient (ou ses ayants-droits), un professionnel de santé mais également une administration (la CNAM ou une ARS, par exemple) ou un organisme. A ce titre, un Ordre de santé peut donc tout à fait s’auto-saisir comme vient de le faire l’Ordre national des infirmiers (ONI), pour engager une procédure disciplinaire à l’encontre d’un professionnel de santé.

Ainsi, les instances disciplinaires des Ordres de santé sont des juridictions autonomes par rapport aux juridictions de droit commun et une action civile, pénale ou administrative peut tout à fait être intentée parallèlement à une action disciplinaire devant les Ordres.

Privilégier la voie de la conciliation

Une procédure disciplinaire débute dès lors « qu’un justiciable, qu’il soit patient ou professionnel de santé, fait une saisine du Conseil départemental de l’Ordre professionnel auquel est rattaché le professionnel de santé mis en cause », explique Maître Arnaud de Lavaur, avocat au Barreau de Paris et associé fondateur du cabinet Peacock Avocats, spécialisé dans l’accompagnement des professionnels de santé libéraux.

La première étape consiste en un dépôt de plainte, même succincte, par courrier et doit entrer dans le cadre d’un manquement au code de déontologie, le cadre juridique de base de toute procédure disciplinaire.

« Vient ensuite une conciliation menée par les élus locaux ordinaux du département pour essayer de trouver une issue entre le plaignant et le mis en cause, parfois accompagné(s) d’un conseil ou d’une personne de son choix, détaille Arnaud de Lavaur. Notons qu’une procédure de médiation existait également jusqu’il y a peu mais, trop complexe, elle a été supprimée au profit de la seule conciliation qui consiste en un simple échange dans lequel l’Ordre local agit finalement comme un arbitre ».

Dans le cas où l’une des deux parties ne se présente pas, un PV de carence est dressé et le dossier, bien que transmis à la chambre disciplinaire, est considéré comme abandonné. Si la conciliation aboutit, la procédure prend fin, souvent de manière très rapide, c’est-à-dire un à deux mois après la saisine de l’Ordre local.

Les instances de la phase contentieuse

En cas de non-conciliation, le dossier est transmis à la chambre disciplinaire de l’Ordre mais le plaignant doit avoir, a minima, confirmé sa plainte. Et Maître de Lavaur de constater ces derniers temps « une réelle augmentation des plaintes, notamment en raison d’une meilleure connaissance de cette procédure. Si les cas pour lesquels les plaignants sont des patients ne sont pas les plus nombreux, il y a en revanche une explosion des cas opposant des professionnels de santé entre eux, notamment dans le cadre de conflits entre associés ».

La raison ? Une procédure simple et peu coûteuse à quoi s’ajoute le fait que les professionnels de santé n’ont pas le droit, d’un point de vue déontologique, de se rendre directement au procès. « Cette première étape amiable et obligatoire agit comme un catalyseur pour trouver une solution rapidement », résume Arnaud de Lavaur.

En cas d’échec de la conciliation, le dossier est transmis à la chambre disciplinaire régionale de l’Ordre. « Cependant, l’instruction prend un certain temps en raison du nombre de dossiers traités par cette instance et il faut compter au moins un an avant d’obtenir une audience puis environ un mois pour la décision, certaines procédures pouvant aller toutefois jusqu’à deux ans », prévient Arnaud de Lavaur.

En cas de volonté de faire appel de cette première décision, l’échelon supérieur est la chambre disciplinaire nationale, comparable à une Cour d’appel, et dont le fonctionnement est similaire à la procédure de la chambre disciplinaire régionale. Le cas est ainsi rejugé et la décision, rendue environ un mois après, après un an à un an et demi de procédure. Ultime possibilité : le dossier peut ensuite être renvoyé devant le Conseil d’État.

De la nécessité d’être – bien ! – accompagné dès le début

Si un accompagnement juridique n’est pas obligatoire lors des premières étapes de la procédure, il est cependant recommandé. « Il est important d’être accompagné et ce, dès la première phase de tentative de conciliation parce que tout part de là et, très souvent, les plaintes peuvent être désamorcées dès cette étape, relate Maître Diane Delcourt, avocate au Barreau de Marseille et associée du cabinet Rosenfeld & Associés où elle est en charge des dossiers relatifs à la responsabilité médicale et à la réparation du dommage corporel. De mon expérience, c’est le cas de très nombreuses plaintes, surtout lorsqu’elles concernent des griefs purement déontologiques, c’est-à-dire sans lien avec la qualité des soins. Par exemple, lorsque mon cabinet est saisi de plaintes visant le contenu d’un certificat médical, nous parvenons à concilier dans 90 % des cas. »  Arnaud de Lavaur confirme : « Être accompagné dès l’étape de la conciliation ordinale permet très souvent d’éviter tout le reste de la procédure. Ainsi, il est très important de mentionner qu’il s’agit d’une plainte et pas seulement d’un signalement (même si la plainte tient en quelques lignes) car, dès lors, le Conseil départemental est obligé de se saisir du dossier, lequel sera quasiment toujours instruit, quel que soit le degré de gravité du motif. Or, peu de gens le savent... »

Il est également essentiel de se présenter et de ne pas faire défaut à cette conciliation mais aussi d’être pleinement conscient de ce en quoi consiste cette étape : « En n’étant pas accompagné par un avocat spécialiste de la question, le professionnel de santé risque de décrédibiliser sa requête. Par exemple, nombreux sont les professionnels de santé qui, lors d’un différend avec un confrère associé, font souvent des demandes chiffrées de dédommagement… qu’ils n’obtiennent évidemment pas puisque cela ne relève pas des procédures disciplinaires devant les Ordres », rappelle Arnaud de Lavaur. L’Ordre n’est pas juge des contrats, ni des questions financières. En revanche, les instances ordinales prononcent une sanction d’ordre disciplinaire qui peut aller de l’avertissement à la radiation et à l’interdiction d’exercer avec ou sans sursis. Pour d’éventuels dédommagements financiers, il faut aller au tribunal. 

« Être assisté, c’est aussi le gage d’être conseillé pour éviter de faire des erreurs qui pourraient aggraver son cas, complète Maître Diane Delcourt. Par exemple, un médecin ne doit pas rédiger de certificat postdaté ni transmettre à un tiers des éléments relatifs à l’état de santé d’un patient sinon c’est une violation du secret professionnel. Or, les professionnels de santé ne le savent pas toujours... »

Un degré de technicité proche des contentieux administratifs

Par ailleurs, au fur et à mesure des étapes d’une procédure disciplinaire, le degré de technicité devient de plus en plus élevé. Pour Arnaud de Lavaur, à partir du moment où le dossier part au niveau régional, « il devient difficile de traiter le dossier seul, sans conseil car la procédure, proche du tribunal administratif, revêt un certain formalisme. D’ailleurs, le président de cette chambre disciplinaire est un magistrat des tribunaux administratifs. Il y a de nombreux échanges d’écritures et de pièces et l’audience se déroule très souvent dans le contexte solennel voire intimidant d’un tribunal. »

En outre, « l’assurance en RCP (Responsabilité civile professionnelle) obligatoire prend presque systématiquement en charge les frais d’avocat dès la conciliation. Il n’y a donc aucun intérêt à y aller seul, pointe Maître Diane Delcourt. Et cela, beaucoup de professionnels de santé l’ignore malheureusement. »

Camille Grelle
Pi+

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