Le 30 mars 2021, la Banque de
France a publié son Rapport investissement responsable 2020. Le document se divise en trois axes : le
climat ; les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ; les
engagements. Anne Mongodin et Benjamin Bonnin ont participé à sa rédaction. Ils
nous éclairent sur les démarches de l’institution.
Le monde de la finance a le pouvoir de soutenir ou de bouder des
secteurs d’activité au gré des priorités d’une époque. La Banque de France
(BdF) s’est ainsi engagée dans une démarche ESG depuis 2018. Que signifie cet
acronyme ?
Benjamin
Bonnin : tout d’abord, il ne s’agit pas de suivre une
mode passagère, mais de tenir compte d’enjeux climatiques et environnementaux
structurels, dont nous savons désormais qu’ils posent des défis fondamentaux
pour notre avenir collectif. Ces enjeux s’imposent donc aux investisseurs, en
même temps qu’ils leur confèrent une responsabilité.
S’agissant de la Banque de
France, et plus particulièrement des portefeuilles d’actifs que nous gérons
pour notre compte propre (donc hors politique monétaire, qui fait actuellement
l’objet d’une revue stratégique dans le cadre de l’Eurosystème), nous avons
choisi d’intégrer ces enjeux à notre gestion depuis 2018. Nous avons donné la
priorité aux questions climatiques, mais dès le départ nous avons souhaité
aller au-delà, en couvrant les sujets environnementaux, sociaux et de
gouvernance (dits ESG).
Outre cette
démarche d’investissement responsable, la Banque de France a multiplié les
initiatives, telles que le lancement du réseau des banques centrales et
superviseurs pour le verdissement du système financier (NGFS) ou, plus
récemment, la création d’un centre sur le changement climatique pour coordonner
l’action de ses différents métiers en matière de climat.
Êtes-vous tenu de communiquer régulièrement votre empreinte
environnementale ? Existe-t-il un standard universellement adopté par tous
les acteurs de la finance pour la mesurer ?
Benjamin
Bonnin : s’agissant des actifs gérés par des
institutions financières, les législateurs français et européens développent depuis plusieurs années un cadre de publication d’informations ESG : en France, il s’agit de
l’article 173 VI de la loi de 2015 relative à la transition énergétique
pour une croissance verte, texte pionnier qui est désormais remplacé par
l’article 29 de la loi de 2019 relative à l’énergie et au climat. Ces deux
textes prévoient que les investisseurs institutionnels français publient des
informations sur la façon dont ils intègrent les risques ESG à leur gestion et
sur leur impact environnemental. Ces dispositions ont désormais leur pendant
européen : le règlement SFDR (dit « disclosure »).
Notons que pour les entreprises, le législateur européen avait élaboré en 2014
une directive dite NFRD, qui sera bientôt remplacée par une directive appelée
CSRD. Il faut aussi mentionner, entre autres, le règlement européen de 2020 dit
« taxonomie », qui vise à définir les activités pouvant être
considérées comme durables. Chacun de ces textes s’accompagne de détails
techniques sur les modalités de publication : décret d’application, actes
délégués, lignes directrices, etc. Bref, on assiste à une effervescence du
législateur pour encadrer les publications d’informations en matière
environnementale. À ce cadre législatif et réglementaire, s’ajoutent les labels
(par exemple, en France, Greenfin ou ISR), référentiels (par exemple ICMA et
CBI sur les obligations vertes), recommandations (par exemple celles de la task-force
on climate-related financial disclosures, dite TCFD) ou guides (par
exemple celui que nous sommes en train d’élaborer avec le NGFS concernant les
publications climatiques des banques centrales).
Il y a
encore beaucoup à faire, et notamment pour harmoniser les standards, y compris
en dehors de l’Europe. La Banque de France, elle, n’est assujettie à aucun de
ces cadres, mais, institution de la République, elle souhaite se les appliquer
autant que possible. C’est pourquoi nous publions depuis 2019 un rapport annuel
d’investissement responsable, qui est en ligne avec les dispositions
législatives françaises, la TCFD et les recommandations du NGFS. Le rapport
présente notre démarche, nos méthodologies et nos résultats.
"Nous pouvons privilégier les entreprises
qui
réalisent de gros efforts pour réduire
leurs émissions carbone."
Quelle est la température estimée des portefeuilles de la BdF ? À
quel rythme la faire baisser et comment ?
Anne Mongodin : nous nous
sommes fixés pour objectif n°1 d’aligner les poches actions de nos
portefeuilles sur une trajectoire de réchauffement climatique inférieur à 2°C.
C’est la cible qui a été définie par l’Accord de Paris de 2015. Nous avons
commencé par notre portefeuille dédié aux fonds propres, qui est passé de plus
de 3°C à moins de 2°C en 2019. Nous ferons de même avec le portefeuille dédié à
nos engagements de retraite d’ici 2022.
La température induite des
portefeuilles n’est ni plus ni moins que celle des entreprises dont nous
détenons des actions : les entreprises doivent réduire leurs émissions de
gaz à effet de serre pour lutter contre le dérèglement climatique, et celles
qui ne les réduisent pas suffisamment peuvent être sous-pondérées voire exclues
de nos investissements. À l’inverse, nous pouvons privilégier les entreprises
qui réalisent de gros efforts pour réduire leurs émissions carbone.
Le
changement climatique entraîne des épisodes météo violents répétés, synonymes
de risque pour les portefeuilles. À quel point êtes-vous exposés ?
Anne
Mongodin : ces phénomènes correspondent à ce qu’on
appelle les risques climatiques physiques. On les distingue de deux autres
types de risques climatiques : les risques de transition et les risques de
responsabilité. Nous mesurons l’exposition de nos portefeuilles aux risques physiques
à travers un indicateur calculé par un prestataire de données spécialisé.
D’après celui-ci, notre exposition à ces événements climatiques est modérée
pour notre portefeuille dédié aux fonds propres, mais plus élevée pour le
portefeuille dédié aux engagements de retraite. En particulier, comparé à notre
benchmark, la poche obligations souveraines de ce portefeuille est plus
exposée au risque d’inondations et de montée du niveau de la mer en Europe et
en Amérique du Nord, et au risque de stress hydrique en Europe du Sud.
L’impact sur la biodiversité va rejoindre la liste des facteurs à prendre
en compte. Comment abordez-vous ce nouveau volet ?
Benjamin
Bonnin : la perte de biodiversité est devenu un enjeu
environnemental majeur, et il n’est pas sans lien avec le dérèglement
climatique : d’un côté, la lutte contre le changement climatique peut
contribuer à la préservation de la biodiversité (par exemple, contenir le
réchauffement contribue à limiter la mort des coraux et des espèces qui y
vivent), de l’autre la préservation de la biodiversité contribue à la lutte
contre le changement climatique (pensons aux puits de carbone, qu’il s’agisse
de forêts ou de certaines espèces telles que les baleines). Nous avons donc
souhaité commencer à intégrer la biodiversité à notre démarche d’investissement
responsable : en mars dernier, nous avons publié une première analyse dans
notre rapport annuel d’investissement responsable 2020. Notre stratégie
contribue déjà à la lutte contre la perte de biodiversité (via la lutte contre
le dérèglement climatique ou encore via un fonds finançant la réduction de
pollutions marines), et d’après le prestataire spécialisé qui a étudié nos
portefeuilles, il n’y a pas d’anomalie ou d’impact négatif majeur sur la
biodiversité. Nous approfondirons notre démarche dans les prochaines
années, d’autant que la biodiversité va être intégrée au cadre de publication
ESG : elle vient de l’être en France avec l’article 29 LEC, elle le sera
sans doute en Europe avec l’acte délégué du règlement SFDR, et elle le sera au
niveau international avec les futures recommandations de la task-force on
nature-related financial disclosures (TNFD), qui sera l’équivalent pour la
biodiversité de la TCFD.
Concernant l’impact social des choix de la BdF, quels sont les éléments
pris en considération ?
Anne
Mongodin : dès la structuration de
notre stratégie d’investissement resp onsable
en 2019, nous avons souhaité calculer des indicateurs de performance sociale de nos
portefeuilles : ils portent sur la santé-sécurité au travail et sur
l’absence de discriminations dans les entreprises dont nous achetons des
actions. En 2020, nous avons voulu renforcer le volet social de notre stratégie
(le « S » de ESG) : en investissant dans des obligations
sociales et dans des obligations durables (c’est-à-dire vertes et/ou sociales),
et en calculant des indicateurs supplémentaires, qui portent sur la
contribution au développement des territoires d’implantation des entreprises et
sur la contribution sociétale des produits vendus. Nos indicateurs témoignent
de bonnes performances, presque toutes meilleurs que nos indices de références,
et surtout nous sommes désormais des financeurs de dépenses sociales.
À la page 31 du Rapport investissement responsable à la rédaction auquel
vous avez participé, il est indiqué : « En 2020, elle [la BF] a
ainsi interrogé une grande entreprise sur l’intégration des performances
extra-financières dans le calcul de la rémunération variable de ses
dirigeants. » Faut-il généraliser cette pratique ?
Benjamin
Bonnin : nous avons fait de ce point une disposition
de notre politique de vote. Nous attendons de toutes les entreprises dont nous
sommes actionnaires qu’elles intègrent leur performance ESG dans la
rémunération variable de leurs dirigeants. Il faut en effet marcher sur nos
deux jambes : le financier et l’extra-financier, puisque les deux sont
liés. C’est tout le sens des travaux menés depuis plusieurs mois par Patrick de
Cambourg pour la Commission européenne sur les standards de publications
d’informations : les standards relatifs à l’information financière sont
bien connus, il faut désormais développer leur équivalent pour l’information
non-financière.
Propos recueillis par C2M