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La Banque de France et les enjeux environnementaux : entretien avec Anne Mongodin et Benjamin Bonnin, experts investissement responsable à la Banque de France

La Banque de France et les enjeux environnementaux : entretien avec Anne Mongodin et Benjamin Bonnin, experts investissement responsable à la Banque de France
Publié le 27/05/2021 à 09:50

Le 30 mars 2021, la Banque de France a publié son Rapport investissement responsable 2020. Le document se divise en trois axes : le climat ; les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ; les engagements. Anne Mongodin et Benjamin Bonnin ont participé à sa rédaction. Ils nous éclairent sur les démarches de l’institution.



 

Le monde de la finance a le pouvoir de soutenir ou de bouder des secteurs d’activité au gré des priorités d’une époque. La Banque de France (BdF) s’est ainsi engagée dans une démarche ESG depuis 2018. Que signifie cet acronyme ?

Benjamin Bonnin : tout d’abord, il ne s’agit pas de suivre une mode passagère, mais de tenir compte d’enjeux climatiques et environnementaux structurels, dont nous savons désormais qu’ils posent des défis fondamentaux pour notre avenir collectif. Ces enjeux s’imposent donc aux investisseurs, en même temps qu’ils leur confèrent une responsabilité.

S’agissant de la Banque de France, et plus particulièrement des portefeuilles d’actifs que nous gérons pour notre compte propre (donc hors politique monétaire, qui fait actuellement l’objet d’une revue stratégique dans le cadre de l’Eurosystème), nous avons choisi d’intégrer ces enjeux à notre gestion depuis 2018. Nous avons donné la priorité aux questions climatiques, mais dès le départ nous avons souhaité aller au-delà, en couvrant les sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance (dits ESG).

Outre cette démarche d’investissement responsable, la Banque de France a multiplié les initiatives, telles que le lancement du réseau des banques centrales et superviseurs pour le verdissement du système financier (NGFS) ou, plus récemment, la création d’un centre sur le changement climatique pour coordonner l’action de ses différents métiers en matière de climat.

 

 

Êtes-vous tenu de communiquer régulièrement votre empreinte environnementale ? Existe-t-il un standard universellement adopté par tous les acteurs de la finance pour la mesurer ?

Benjamin Bonnin : s’agissant des actifs gérés par des institutions financières, les législateurs français et européens développent depuis plusieurs années un cadre de publication dinformations ESG : en France, il s’agit de l’article 173 VI de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour une croissance verte, texte pionnier qui est désormais remplacé par l’article 29 de la loi de 2019 relative à l’énergie et au climat. Ces deux textes prévoient que les investisseurs institutionnels français publient des informations sur la façon dont ils intègrent les risques ESG à leur gestion et sur leur impact environnemental. Ces dispositions ont désormais leur pendant européen : le règlement SFDR (dit « disclosure »). Notons que pour les entreprises, le législateur européen avait élaboré en 2014 une directive dite NFRD, qui sera bientôt remplacée par une directive appelée CSRD. Il faut aussi mentionner, entre autres, le règlement européen de 2020 dit « taxonomie », qui vise à définir les activités pouvant être considérées comme durables. Chacun de ces textes s’accompagne de détails techniques sur les modalités de publication : décret d’application, actes délégués, lignes directrices, etc. Bref, on assiste à une effervescence du législateur pour encadrer les publications d’informations en matière environnementale. À ce cadre législatif et réglementaire, s’ajoutent les labels (par exemple, en France, Greenfin ou ISR), référentiels (par exemple ICMA et CBI sur les obligations vertes), recommandations (par exemple celles de la task-force on climate-related financial disclosures, dite TCFD) ou guides (par exemple celui que nous sommes en train d’élaborer avec le NGFS concernant les publications climatiques des banques centrales).

Il y a encore beaucoup à faire, et notamment pour harmoniser les standards, y compris en dehors de l’Europe. La Banque de France, elle, n’est assujettie à aucun de ces cadres, mais, institution de la République, elle souhaite se les appliquer autant que possible. C’est pourquoi nous publions depuis 2019 un rapport annuel d’investissement responsable, qui est en ligne avec les dispositions législatives françaises, la TCFD et les recommandations du NGFS. Le rapport présente notre démarche, nos méthodologies et nos résultats.

 



"Nous pouvons privilégier les entreprises

qui réalisent de gros efforts pour réduire

leurs émissions carbone."



 

Quelle est la température estimée des portefeuilles de la BdF ? À quel rythme la faire baisser et comment ?

Anne Mongodin : nous nous sommes fixés pour objectif n°1 d’aligner les poches actions de nos portefeuilles sur une trajectoire de réchauffement climatique inférieur à 2°C. C’est la cible qui a été définie par l’Accord de Paris de 2015. Nous avons commencé par notre portefeuille dédié aux fonds propres, qui est passé de plus de 3°C à moins de 2°C en 2019. Nous ferons de même avec le portefeuille dédié à nos engagements de retraite d’ici 2022.

La température induite des portefeuilles n’est ni plus ni moins que celle des entreprises dont nous détenons des actions : les entreprises doivent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre le dérèglement climatique, et celles qui ne les réduisent pas suffisamment peuvent être sous-pondérées voire exclues de nos investissements. À l’inverse, nous pouvons privilégier les entreprises qui réalisent de gros efforts pour réduire leurs émissions carbone.

 


Le changement climatique entraîne des épisodes météo violents répétés, synonymes de risque pour les portefeuilles. À quel point êtes-vous exposés ?

Anne Mongodin : ces phénomènes correspondent à ce qu’on appelle les risques climatiques physiques. On les distingue de deux autres types de risques climatiques : les risques de transition et les risques de responsabilité. Nous mesurons l’exposition de nos portefeuilles aux risques physiques à travers un indicateur calculé par un prestataire de données spécialisé. D’après celui-ci, notre exposition à ces événements climatiques est modérée pour notre portefeuille dédié aux fonds propres, mais plus élevée pour le portefeuille dédié aux engagements de retraite. En particulier, comparé à notre benchmark, la poche obligations souveraines de ce portefeuille est plus exposée au risque d’inondations et de montée du niveau de la mer en Europe et en Amérique du Nord, et au risque de stress hydrique en Europe du Sud.

 


L’impact sur la biodiversité va rejoindre la liste des facteurs à prendre en compte. Comment abordez-vous ce nouveau volet ?

Benjamin Bonnin : la perte de biodiversité est devenu un enjeu environnemental majeur, et il n’est pas sans lien avec le dérèglement climatique : d’un côté, la lutte contre le changement climatique peut contribuer à la préservation de la biodiversité (par exemple, contenir le réchauffement contribue à limiter la mort des coraux et des espèces qui y vivent), de l’autre la préservation de la biodiversité contribue à la lutte contre le changement climatique (pensons aux puits de carbone, qu’il s’agisse de forêts ou de certaines espèces telles que les baleines). Nous avons donc souhaité commencer à intégrer la biodiversité à notre démarche d’investissement responsable : en mars dernier, nous avons publié une première analyse dans notre rapport annuel d’investissement responsable 2020. Notre stratégie contribue déjà à la lutte contre la perte de biodiversité (via la lutte contre le dérèglement climatique ou encore via un fonds finançant la réduction de pollutions marines), et d’après le prestataire spécialisé qui a étudié nos portefeuilles, il n’y a pas d’anomalie ou d’impact négatif majeur sur la biodiversité. Nous approfondirons notre démarche dans les prochaines années, d’autant que la biodiversité va être intégrée au cadre de publication ESG : elle vient de l’être en France avec l’article 29 LEC, elle le sera sans doute en Europe avec l’acte délégué du règlement SFDR, et elle le sera au niveau international avec les futures recommandations de la task-force on nature-related financial disclosures (TNFD), qui sera l’équivalent pour la biodiversité de la TCFD.

 


Concernant l’impact social des choix de la BdF, quels sont les éléments pris en considération ?

Anne Mongodin : dès la structuration de notre stratégie d’investissement resp onsable en 2019, nous avons souhaité calculer des indicateurs de performance sociale de nos portefeuilles : ils portent sur la santé-sécurité au travail et sur l’absence de discriminations dans les entreprises dont nous achetons des actions. En 2020, nous avons voulu renforcer le volet social de notre stratégie (le « S » de ESG) : en investissant dans des obligations sociales et dans des obligations durables (c’est-à-dire vertes et/ou sociales), et en calculant des indicateurs supplémentaires, qui portent sur la contribution au développement des territoires d’implantation des entreprises et sur la contribution sociétale des produits vendus. Nos indicateurs témoignent de bonnes performances, presque toutes meilleurs que nos indices de références, et surtout nous sommes désormais des financeurs de dépenses sociales.

 


À la page 31 du Rapport investissement responsable à la rédaction auquel vous avez participé, il est indiqué : « En 2020, elle [la BF] a ainsi interrogé une grande entreprise sur l’intégration des performances extra-financières dans le calcul de la rémunération variable de ses dirigeants. » Faut-il généraliser cette pratique ?

Benjamin Bonnin : nous avons fait de ce point une disposition de notre politique de vote. Nous attendons de toutes les entreprises dont nous sommes actionnaires qu’elles intègrent leur performance ESG dans la rémunération variable de leurs dirigeants. Il faut en effet marcher sur nos deux jambes : le financier et l’extra-financier, puisque les deux sont liés. C’est tout le sens des travaux menés depuis plusieurs mois par Patrick de Cambourg pour la Commission européenne sur les standards de publications d’informations : les standards relatifs à l’information financière sont bien connus, il faut désormais développer leur équivalent pour l’information non-financière.

 

Propos recueillis par C2M



 

 

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