Dans son rapport publié mardi
30 juin, la Cour des comptes s’inquiète d’une explosion de la dette
publique qui deviendrait insoutenable et enjoint le gouvernement à mettre en
place, le plus tôt possible, une stratégie de redressement de ses comptes.
« La Cour sera bienveillante, mais elle ne peut pas être laxiste »,
prévient tout de go Pierre Moscovici, nouveau Premier président de la Cour des
comptes dans une interview au Parisien. Le ton est donné alors que la vigie des
comptes publics rendait son rapport annuel sur la situation et les perspectives
des finances publiques ce mardi 30 juin. La Cour des comptes comprend les
circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie de Covid-19, mais il est de
son devoir d’insister sur la nécessaire maîtrise de la dépense publique pour
retrouver un équilibre au plus vite. En effet, comme on pouvait s’y attendre,
en pleine pandémie mondiale, et alors que les mesures de relances inédites
s’enchaînent, « le choc subi par les
finances publiques est massif » et « exceptionnel », constatent les Sages de la rue Cambon.
Une dette de 120 % du PIB
« Au total, face à l’urgence, l’État a joué le rôle d’assureur en dernier
ressort” de l’économie et des revenus », reconnaît le rapport. Et
d’ajouter que « si pour certains la
crise a déjà eu des conséquences dramatiques, l’essentiel de son coût
économique n’a pas encore été “payé” :
il a été transféré sur la dette publique » dont la soutenabilité
est un « enjeu essentiel ».
Le rapport insiste très
fortement sur la question de la dette. Selon ses prévisions, elle devrait
exploser à près de 270 milliards d’euros en 2020 et dépasser les
120 % du PIB d’ici la fin de l’année. Ce qui équivaut à une « dette sur le berceau » de près de
40 000 euros pour chaque nouveau-né en France. Le déficit public,
lui, devrait monter en flèche à 250 milliards euros (contre 50 milliards
avant la crise), ce qui représente 11,4 % du PIB.
L’occasion pour la Cour de
rappeler que tous les pays ne partaient pas égaux pour affronter la crise
économique. Elle relève notamment le retard de la France quant à la réduction
de la dépense publique et du déficit avant même la crise, soulignant que,
contrairement à d’autres pays, elle « n’a
pas abordé cette crise avec des finances publiques restaurées ». Une
mauvaise gestion qui lui coûte donc cher aujourd’hui. Le rapport recommande que « la croissance des dépenses publiques
soit significativement plus faible que celle constatée ces dernières années ».
Pas de rééquilibrage spontané
Pour ce qui est des solutions,
le gouvernement a déjà annoncé qu’il n’y aurait pas de hausse d’impôt. Pour
l’instant, l’exécutif semble miser sur la reprise de la croissance et un retour
de l’activité à la normale en 2021 pour que les finances françaises se
rééquilibrent naturellement. Une stratégie critiquée par la Cour des comptes.
« Le rééquilibrage spontané des
comptes publics ne sera, selon toute vraisemblance, que très partiel »,
s’inquiète le rapport.
Selon ses recommandations, le
gouvernement ne devrait pas attendre pour programmer, le plus tôt possible et
« dans la durée », un
effort de désendettement des finances publiques. La rue Cambon appelle le
gouvernement à définir une trajectoire dans ce sens dans la future loi de
programmation des finances publiques « au
plus tard » au printemps prochain. Ce plan devra notamment prévoir un
« examen en profondeur »
des dépenses publiques pour privilégier les dépenses d’investissement,
notamment dans la transition écologique et la santé. En parallèle, il faudra
fournir un « effort accru de
maîtrise des autres dépenses ». « Sans action de redressement, le déficit risque d’être durablement très
élevé, nettement supérieur au niveau d’avant-crise. La trajectoire de dette ne
serait alors pas maîtrisée », avertissent les magistrats.
Dans une interview
au Parisien, Pierre Moscovici explique : « Si les taux d’intérêt grimpaient brutalement – cela fait partie des
scénarios possibles – alors le poids de la dette contraindrait toute action
publique. Considérons la dette pour ce qu’elle est : une charge pour le
pays, qui pèse sur les générations futures. Une dette ne s’ignore pas, ne se
méprise pas, elle se rembourse toujours ! La trajectoire de nos finances
publiques doit avoir pour boussole la soutenabilité à moyen terme de cette
dette. »
Des séquelles économiques durables
Dans cette perspective, le
futur plan de relance annoncé pour la rentrée devra être « ciblé et ne pas être financé par de la dette » nationale,
préconise la Cour des comptes, recommandant de s’appuyer sur les financements
prévus dans le cadre de la relance européenne de 750 milliards
d’euros.
Esquissant trois scénarios à
partir de 2021, elle estime que, dans le pire des cas, le déficit
resterait durablement supérieur à 6 %, avec une dette
à 140 % du PIB. Dans le meilleur, la France retrouverait le déficit
public prévu pour cette année avant le coronavirus, c’est-à-dire sous la barre
des 3 %, mais avec une dette publique qui dépasserait toujours
les 100 %. « Il apparaît
plus vraisemblable que la crise laissera sur nos capacités économiques des
séquelles durables, avec un impact persistant sur les ressources
publiques », a estimé le président de la Cour des comptes.
Maïder Gérard