SÉRIE
« RESTRUCTURING » (8). Dans cet article, le maître de conférences Vincent
Perruchot-Triboulet souligne la
jurisprudence qui finalement amène à considérer les bénéfices du
cumul des règles de l’insaisissabilité de droit de la résidence principale et
de la séparation des patrimoines des entrepreneurs individuels.
Cass. com. 11 septembre 2024,
n° 22-13.482
La protection de
l’entrepreneur individuel est l’objet d’une attention soutenue du législateur.
La loi Dutreil (loi n° 2003-721 du 1er août 2023 pour l’initiative
économique) avait autorisé les entrepreneurs individuels à opérer une
déclaration notariée d’insaisissabilité pour protéger leur résidence
principale. La loi LME (loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de
l’économie) a étendu à tout bien foncier, bâti ou non bâti non affecté à
l’exploitation, la possibilité d’une protection notariée. La loi Macron (loi n°
2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances
économiques) a ensuite offert la possibilité d’une insaisissabilité de plein
droit de la résidence principale de l’entrepreneur et laissé la possibilité
d’une déclaration notariée complémentaire pour les autres immeubles non
affectés à l’exploitation. Sans remettre en cause ce dispositif, la loi sur
l’activité professionnelle indépendante (loi n° 2022-172 du 14 février 2022) a
ouvert aux entrepreneurs la perspective d’une distinction généralisée entre
patrimoine professionnel et personnel à opposer aux créanciers (voir Jean-Noël
Stoffel sous la dir., Le nouveau visage de l’entrepreneur individuel,
PUAM, 2023).
Comment articuler toutes ces
règles qui créent une insaisissabilité relative au profit de leurs
bénéficiaires avec celles du livre VI du code de commerce sur le traitement des
difficultés des entreprises ? La Cour de cassation depuis 2011 a posé le principe
que le liquidateur judiciaire ne peut pas saisir l’immeuble protégé de
l’entrepreneur, résidence principale ou immeuble ayant fait l’objet d’une
déclaration d’insaisissabilité, qui échappe à l’effet réel des procédures
collectives (Cass. com. 28 juin 2011, n° 10-15.482). Il doit être considéré, en
quelque sorte, comme « hors procédure ». Les créanciers auxquels
l’insaisissabilité est inopposable pourront donc librement faire saisir
l’immeuble.
La Cour de cassation le dit avec une belle constance. Encore
dernièrement, elle a ainsi rappelé que : « le créancier auquel
l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur est
inopposable peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour
insuffisance d'actif, exercer son droit de poursuite sur l'immeuble qui n'est
pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire »
(Cass. com. 17 janvier 2024, n° 22-10.185, Rev. proc. coll. 2024, n° 58, obs.
A. Cerati). Pour être exact, plus que d’une insaisissabilité, il est en réalité
davantage question d’une technique de division patrimoniale par restriction du
droit de gage opposable sous conditions à certains créanciers. Toutes les
discussions tournent donc désormais sur la question de savoir si
« l’insaisissabilité » orchestrée par les articles L. 526-1 et
suivants du code de commerce est opposable aux créanciers de l’entrepreneur
individuel et correspond au périmètre précis de la protection législative.
En témoigne encore un
intéressant arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 11
septembre 2024 (n° 22-13.482, JCP éd. E 2024, 1347, note A. Cerati, Dalloz
actualité 20 septembre 2024, obs. B. Ferrari, Revue des sociétés 2024, p. 741,
obs. F. Reille, BJS décembre 2024, p. 40, obs. B. Saintourens, Defrénois 2024,
n°37, note G. Grave-Renaud). En l’espèce, un artisan cesse son activité
professionnelle en décembre 2017 et fait l’objet d’une radiation du répertoire
des métiers (aujourd'hui, on dirait du registre national des entreprises). En
septembre et octobre 2018, il est mis en redressement puis en liquidation
judiciaire. Le liquidateur judiciaire demande au juge-commissaire d’ordonner la
vente aux enchères publiques de l’immeuble d’habitation appartenant à l’artisan
et son épouse alors même qu’il constitue leur résidence principale. Les juges
en appel font droit à la demande en considérant que liquidateur judiciaire
pouvait passer outre l’insaisissabilité de la résidence principale dans la mesure
où, radié du répertoire des métiers depuis neuf mois à la date à laquelle une
procédure collective avait été ouverte à son encontre, l’artisan ne pouvait
bénéficier des dispositions protectrices instituées par la loi compte tenu de
la rédaction restrictive du texte et ce même si ses dettes professionnelles
avaient effectivement été contractées quand il était en activité.
La Cour de
cassation sanctionne le raisonnement et prend un parti clairement contraire au
visa de l’article L. 526-1 du Code de commerce dans sa rédaction issue de
la loi du 6 août 2015 car, « selon ce texte, l'insaisissabilité de
plein droit des droits de la personne immatriculée à un registre de publicité
légale à caractère professionnel sur l'immeuble où est fixée sa résidence
principale n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent à
l'occasion de l'activité de cette personne. Il en résulte que les effets de
l'insaisissabilité subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers
auxquels elle est opposable ne sont pas éteints, de sorte que la cessation de
l'activité professionnelle de la personne précédemment immatriculée ne met pas
fin, par elle-même, à ses effets. »
Il est exact qu’en matière
d’insaisissabilité de droit de la résidence principale de l’entrepreneur
individuel, le Code de commerce n’a pas prévu ce qui pouvait advenir en cas de
cessation d’activité alors que le divorce ou le décès sont envisagés. Fallait-il
considérer, comme le liquidateur, que dès la radiation du registre national des
entreprises, la protection devait cesser ? Ce n’est pas l’avis de la Cour, qui considère que la protection de l’entrepreneur demeure et note d’ailleurs incidemment
que les créances sont nées à l’occasion de l’activité professionnelle et que la
protection légale était bien opposable aux créanciers professionnels. La
solution pouvait se déduire d’un précédent rendu sous l’empire du droit
applicable avant la loi du 6 août 2015, au temps où il convenait de procéder à
une déclaration notariée pour que l’entrepreneur individuel puisse jouir d’une
protection particulière de la résidence principale (Cass. com. 17 novembre
2021, n° 20-20.281, Dalloz actualité 1er décembre 2021, note B.
Ferrari, D. 2022, p. 1672, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli, JCP
éd. E 2022, 1233, note C. Lebel, Rev. proc. coll. 2022, n° 6, obs. F.
Reille, BJE janvier 2022, p. 12, obs. Martineau-Bourgninaud).
La Cour de
cassation relevait que la déclaration notariée d'insaisissabilité n'avait
d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, après sa
publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant et surtout
la chambre commerciale en déduisait « que les effets de cette
déclaration subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels
elle est opposable ne sont pas éteints, sauf renonciation du déclarant
lui-même, de sorte que la cessation de son activité professionnelle ne met pas
fin, par elle-même, aux effets de la déclaration ». Ce qui valait pour
la déclaration notariée d’insaisissabilité vaut donc désormais pour
l’insaisissabilité légale de la résidence principale. La volonté législative de
protection du débiteur prime sur l’intérêt de la procédure. Une solution
contraire aurait peut-être conduit des entrepreneurs à tenter de maintenir
artificiellement une inscription au registre national ou à lancer une nouvelle
entreprise après la cessation de leur première activité pour pouvoir prétendre
à la continuation de la protection légale.
L’arrêt de 2024 ne fait pas
mention de la réserve liée à la renonciation par l’entrepreneur individuel au
bénéfice de la protection qui annihile la protection, mais cela semble aller de
soi. Plus compliquée sera la situation de l’entrepreneur individuel qui, depuis
la loi du 14 février 2022, peut prétendre à une distinction entre patrimoine
professionnel et personnel. Quid en cas de cessation d’activité ?
Le législateur prévoit expressément que dans le cas où un entrepreneur
individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le patrimoine
professionnel et le patrimoine personnel sont réunis (art. L. 526-22 al. 9, C.
com.). La question est alors de savoir si dès la réunion des patrimoines tous
les créanciers, professionnels et personnels, vont pouvoir se faire payer sur
le patrimoine réuni et saisir l’immeuble et si les actifs ont vocation à être
aspirés par la procédure ou si la réunion des patrimoines n’aura d’effet que
pour l’avenir et que les créanciers professionnels antérieurs devront se
contenter des actifs professionnels au sein de la masse patrimoniale unique.
Faudra-t-il, en quelque sorte, opérer un « gel des gages » ? Ce
serait assez conforme à l’esprit protecteur des textes qui sont plus maladroits
dans leur rédaction que volontairement malveillants à l’égard des
entrepreneurs. Le débat sur cette question est en tout cas ouvert en doctrine
(voir L. Watrin, Le début et la fin de l’activité professionnelle, in Jean-Noël
Stoffel, Le nouveau visage de l’entrepreneur individuel, PUAM, 2023, p.
47). La question du cumul des règles de l’insaisissabilité de droit de la
résidence principale et de la séparation des patrimoines des entrepreneurs
individuels (art. L. 526-22 al. 5 C. com.) pourrait trouver là un intérêt car
si les patrimoines peuvent être réunis la protection de la résidence principale
demeure en cas de cessation d’activité.
Vincent
Perruchot-Triboulet