Le bilan, établi à un instant
« T », ne permet pas de déterminer avec précision la cessation de
paiement d’une entreprise qui survient, bien souvent, plusieurs mois après son
établissement. Les postes de bilan n’ont donc pas pour fonction de rendre
compte de l’état de cessation de paiement.
Liaison entre bilan et cessation de paiement
Peut-on déterminer la cessation des paiements à partir du
bilan ? La réponse est non. Le bilan représente la photographie comptable
à un instant « T », mais ne peut en aucun cas démontrer ni déterminer
l’état de cessation de paiement qui
advient, la plupart du temps, plusieurs mois après
l’établissement du bilan.
En effet, le bilan ne laisse pas apparaître les réserves
de crédit tels qu’un découvert bancaire autorisé non utilisé, la possibilité
accordée par la banque d’émettre des billets financiers, les possibilités
d’escompte ou de Dailly, ou encore une ligne de crédit pour financement
d’investissements.
L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 5 juin
1987 situe bien le problème : « la cessation de paiement n’est pas une notion
comptable. C’est plutôt une notion de trésorerie dont aucune trace ne figure au
bilan, tels que des crédits temporaires de campagne, des découverts passagers,
et pour laquelle les échéances, tant de rentrées que de sorties de trésorerie,
sont primordiales. »
Les postes de bilan n’ont donc pas pour fonction de
rendre compte de cette réalité (CA – Aix-en-Provence 05/06/1987,
n° 87/1157).
En outre, la cessation de paiement ne résulte pas d’une
comparaison ou d’un face à face des postes d’actif et passif du bas du bilan
(CA Paris 18/02/2000).
Cessation de paiement et réserve de crédit
La réserve de crédit est une notion récente et
importante dans l’évaluation de l’actif disponible qui peut caractériser ou non
l’état de cessation de paiement de l’entreprise. Étant précisé que lors de
l’ouverture d’une procédure collective, les réserves de crédit sont, souvent,
consommées.
Notons
que les réserves de crédit doivent permettre le paiement des dettes par des
moyens normaux, qui ne doivent pas être des moyens ruineux…
Il a
été jugé qu’un moratoire obtenu pour ses dettes sociales peut être déduit du
passif exigible (Cass. Com. 18/03/2008 n°06-20.510 et Cass. Com. 16/12/2008 n°
07-16.178).
Dans tous les cas, il revient au débiteur d’apporter la
preuve d’avoir obtenu un moratoire de ses créanciers (arrêt Cass. Com. 27/02/2007 n° 06-10.170).
Bilan positif
Une
entreprise peut être en cessation de paiement alors que son bilan comprend des
actifs immobiliers importants mais qu’elle n’est pas en mesure de régler son
passif échu.
La
lecture du bilan peut en revanche aider à confirmer un état de cessation de
paiement par le constat :
• de
fonds propres négatifs ;
• de résultats déficitaires importants (ce sont les
résultats bénéficiaires qui participent à l’autofinancement qui permet de
rembourser les emprunts) ;
• d’un endettement élevé ;
• ou encore d’une trésorerie obérée et « à bout de
souffle ».
L’ordonnance du 18 décembre 2008, en
modifiant l’article 631-1 du Code de commerce, permet de préciser que
l’actif disponible peut être majoré ou bonifié des réserves de crédit et le
passif exigible, réduit des moratoires obtenus, et ce sous la condition que
réserves et moratoires n’aient pas pour but de soutenir l’entreprise dans un
« contexte » de cessation de paiement (soutien abusif…).
La
détermination des nouveaux montants d’actif disponible et de passif exigible
permet d’établir s’il y a ou non cessation de paiement.
Des résultats déficitaires
indiquent-ils une cessation des paiements ?
Précisons en effet que ce n’est pas parce qu’une
entreprise est en déficit, même sur plusieurs exercices, que celle-ci est en
cessation de paiement (Cass. Com. 03/11/1992 n° 92-17.054). Il peut
toutefois y avoir un lien étroit entre le manque de rentabilité et la
défaillance de l’entreprise…
Cessation de paiement en termes
comptables
Éléments comptables de la cessation
de paiement
L’article L.
631-1 du Code de commerce permet de distinguer les trois éléments qui
caractérisent la cessation de paiement :
• un passif exigible ;
• un actif disponible ;
• une impossibilité de
faire face au passif exigible avec l’actif disponible.
Étant précisé que les notions d’actif disponible et de
passif exigible sont des termes habituellement utilisés dans le langage
comptable, et n’ont pas le même sens visé par le droit des entreprises en
difficulté.
Le
dictionnaire académique français définit cet actif disponible comme « les
disponibilités, les fonds dont on peut immédiatement disposer ». Définition qui correspond à la notion de
cessation de paiement du livre VI du Code de commerce. Étant rappelé que cette
notion de cessation de paiement est aujourd’hui élargie par les moratoires et
réserves de crédit mis en avant lors de l’ordonnance du 18 décembre 2008.
En matière comptable, l’actif disponible est souvent appelé
« actif réalisable et disponible » ou « actif circulant ».
L’actif
circulant correspond à un ensemble d’actifs qui, en raison de leur destination,
de leur nature et de leur rotation, n’ont pas vocation à rester durablement
dans l’entreprise.
Il se compose des éléments des avances et acomptes
versés sur commandes, des créances, des valeurs mobilières de placement, des
disponibilités et des charges constatées d’avance. Des éléments qui ne
répondent pas tous à un critère de disponibilité immédiate.
L’actif
circulant est mis en regard des dettes circulantes afin de déterminer le besoin
en fonds de roulement.
Quant
au passif exigible, en termes comptables, deux notions sont distinguées :
la première notion correspond à l’ensemble des dettes financières et non
financières dont le terme est à un an au plus (souvent appelé dettes à court
terme). De son côté, la seconde se rapproche quant à elle de la définition de
la cessation de paiement qui comprend les dettes fournisseurs, organismes
sociaux, trésor public, etc. qui doivent normalement être réglées à leur
échéance.
Le
non-paiement de ce passif échu est un révélateur et un des éléments du critère
de la cessation de paiement.
Origine de la cessation de paiement
et l’excédent de trésorerie d’exploitation (ETE)
L’excédent
de trésorerie d’exploitation (ETE) représente la trésorerie générée par le
cycle d’exploitation de l’entreprise au cours de l’exercice. Cet ETE correspond
au différentiel entre le flux de trésorerie des produits d’exploitation
encaissés et le flux de trésorerie des charges d’exploitation décaissées ;
différentiel qui permet d’alimenter la trésorerie de l’actif disponible.
Dès
lors que les charges décaissées sont supérieures aux produits encaissés,
l’entreprise consomme de la trésorerie au lieu d’en produire, et n’alimente
donc plus les disponibilités nécessaires.
En
clair, si le flux de trésorerie dégagé par l’exploitation n’est pas ou n’est
plus suffisant pour financer la variation du besoin en fonds de roulement
d’exploitation, ou encore si le flux de trésorerie est négatif et consomme de
la trésorerie, au lieu d’en produire (ce qui revient à financer de la
perte, en prélevant de la trésorerie de l’actif disponible ou par accroissement
du passif, en faisant appel, la plupart du temps, au découvert bancaire, ce
besoin, qui correspond à un mauvais emploi de fonds, devant dans tous les cas
être financé), les difficultés de trésorerie et la cessation de paiement sont
inéluctables.
Passif exigible et passif exigé
Dans
un premier temps, pour caractériser la cessation de paiement, la jurisprudence
avait retenu la notion de passif exigible et exigé. La Cour de cassation ayant
même précisé « que le créancier était
libre de faire crédit à son débiteur ».
Toutefois,
à partir de 2004, par plusieurs arrêts, la Haute Cour a modifié sa position
pour ne plus retenir que le critère de passif exigible.
Dans
un article publié dans la Gazette du
Palais du 30 avril 2005, le président de la Chambre commerciale de la Cour
de cassation avait déclaré : « La Cour de
cassation n’a pas remplacé la notion de passif exigible par celle de passif
exigé. (…) Une entreprise peut démontrer que l’actif disponible, tel qu’il
paraît établi, est accru par l’effet d’une réserve de crédit, ou que le passif
exigible, tel qu’il résulte de la somme des dettes échues, doit être réduit du
montant de ce qui n’est plus exigé… la vérité commande d’admettre que si
l’actif disponible éventuellement recalculé, permet de payer le passif
exigible, lui-même corrigé, il n’y a pas de cessation des paiements. »
Dans
la réalité des faits, on peut difficilement faire accepter à une entreprise de
se déclarer en cessation de paiement bien que son actif disponible ne couvre
pas son passif exigible, dès lors qu’une partie de son passif exigible n’est
pas exigée et réclamée par ses créanciers ; ceux-ci accordant à
l’entreprise un moratoire informel.
Nous
savons très bien que le défaut des chefs d’entreprise est de toujours attendre
le dernier moment… Le passif exigible n’a pas à être exigé pour être dû. Il
correspond à l’ensemble des dettes échues, certaines et liquides, au jour où le
tribunal statue (Cass. Com. 15/02/2011 – 2011 – n° 10-13625).
La
cessation de paiement doit être appréciée en fonction d’éléments démontrés et objectifs
et non des motifs du débiteur (Cass. Com. 03/07/2012 – n° 11-18026).
Actif disponible et passif exigible
Pour
déterminer l’actif disponible, il convient de prendre en compte les sommes dont
l’entreprise peut immédiatement disposer ; il s’agit des sommes et
dépôts en banque, des espèces en caisse, des placements rapidement réalisables,
du poste client « Daillysable », des effets de commerce escomptables, du
découvert autorisé et non utilisé et des stocks immédiatement réalisables.
Sont
exclus : les actifs immobiliers, matériels, mobiliers, fonds de commerce,
stocks, participations, etc. La Cour de cassation rappelle qu’un fonds de
commerce non encore vendu n’est pas un actif disponible (Cass. Com.
15/02/2011 – n° 13.625) ; une créance
à recouvrer non plus, sauf à titre exceptionnel. « La détermination de l’actif disponible est technique
et restrictive. Seule la notion d’immédiateté prévaut pour qualifier un bien
d’actif disponible, afin de prendre en compte pour l’opposer au passif
exigible, afin de déterminer la cessation de paiement »,
souligne le professeur Delattre.
La
notion d’actif disponible est une notion restrictive qui a été approfondie par
l’ordonnance de 2008 en ce que les notions de réserves de crédit et de
moratoires ont été ajoutées pour affiner la définition. L’actif disponible
traduit la possibilité pour le débiteur de pouvoir disposer d’une trésorerie,
de liquidités quasiment sur le champ.
Les
disponibilités se situent en bas de l’actif du bilan. À ce titre, la Cour de
cassation a déjà eu l’occasion de préciser qu’un immeuble, situé en haut de
l’actif du bilan, n’est pas un actif disponible (Cass. Com. 27/02/2007 –
n° 06-10170).
Une
réalisation d’immobilisation effectuée plus ou moins rapidement ne saurait également
constituer un actif disponible (Cass. Com. 11/07/1988 – n° 86-11191).
Encore
faut-il que face à un passif exigible, il y ait un actif disponible existant.
En ce
qui concerne le passif, celui pris en compte dans la définition de la cessation
de paiement ne comprend pas la totalité du passif du débiteur, mais seulement
le passif exigible, c’est-à-dire le passif échu qui doit donner lieu à un
paiement immédiat ou rapide.
Une
dette exigible mais non exigée d’un créancier peut résulter de la tolérance ou
d’un moratoire informel accordé par ce dernier.
Sont
exclus du passif exigible les comptes courants d’associés, les
emprunts à long et moyen terme, toutes les dettes non exigées, les dettes
contentieuses et les concours bancaires autorisés et renouvelables.
Pour
la Cour de cassation, « il n’y a pas à
rechercher si le passif exigible a été effectivement exigé dès lors que le
débiteur n’a pas allégué qu’il disposait d’une réserve de crédit ou d’un
moratoire de la part de ses créanciers » (Cass. Com. 12/11/2011 – n°
10-12625).
Notons
qu’un découvert autorisé n’est pas du passif exigible ; un découvert non
autorisé peut en revanche rapidement le devenir… En outre, le passif exigible
ne correspond pas aux dettes du bilan.
Le
passif exigible doit être entendu comme le passif non exigé, mais échu et
normalement à payer à l’échéance. Le passif exigible correspond au passif qui
doit normalement être payé à l’échéance prévue. L’exigibilité du passif est
liée au règlement après une demande (qui peut être forcée…).
Michel
Di Martino,
Expert-comptable,
Commissaire
aux comptes,
Docteur
en droit privé