ACTUALITÉ

La coopération policière face à la criminalité internationale

La coopération policière face à la criminalité internationale
Publié le 26/07/2021 à 14:08

La Direction de la coopération internationale (DCI) du ministère de l’Intérieur, créée en 2010, est née de la fusion du service de coopération technique internationale de police (SCTIP) et de la sous-direction de la coopération internationale de la gendarmerie. Le 8 juin dernier, Gaëtan Gorce et David Weinberger, co-directeurs de l’Observatoire des Criminalités Internationales (ObsCI), ont invité Sophie Hatt, directrice de la DCI, à présenter l’activité de ce service pionnier des directions police/gendarmerie lors de sa naissance.

 

 

Sous l’autorité de deux directeurs généraux (police et gendarmerie), la direction de la coopération internationale (DCI) agit au profit d’un ensemble de directions. Outre la Direction générale de la Police nationale (DGPN) et la Direction Générale Gendarmerie Nationale (DGGN), elle appuie également la direction générale des étrangers en France, celle de la sécurité civile, et les collectivités locales. La direction de la coopération internationale participe à la stratégie internationale du ministère de l’Intérieur en lien avec la Direction des affaires européennes et internationales (DAEI) placée sous l’autorité du secrétaire général du ministère. La DAEI rédige la stratégie internationale mise en œuvre par la DCI. Le service anime et coordonne coopérations technique et opérationnelle. La première concerne l’échange réciproque de bonnes pratiques, de compétences et de formations avec les partenaires étrangers. La seconde, très axée sur la criminalité internationale, touche le renseignement, autrement dit toutes les informations captées par le réseau, mises à disposition des services d’enquête français.

 

 

Action de la DCI

Le maillage du réseau de la DCI est géographiquement plus ou moins fin. Certains agents ont des compétences régionales étendues. Pour exemples, l’attaché de sécurité intérieure (ASI) en Afrique du Sud exerce sur huit pays ; celui en Argentine assume aussi l’Uruguay et le Chili. Ils veillent donc sur de larges zones. Les ASI sont épaulés par des officiers de liaison thématiques, membres de services : enquête, lutte contre les stupéfiants, lutte contre la criminalité organisée. Ils bénéficient par ailleurs de l’aide des experts techniques internationaux et des coopérants de gendarmerie. Ce vaste ensemble collecte des informations de terrain sur les cinq continents (en Australie depuis septembre 2020). Sa présence est particulièrement forte sur le continent africain où le SCTIP a vu le jour après la décolonisation.

La DCI, en relation avec le ministère de la Justice, échange avec 16 magistrats de liaison répartis dans les pays où la coopération judiciaire est la plus aboutie. Ils sont placés sous l’autorité des ambassadeurs de la même façon que les attachés de sécurité intérieure. Dans tous les autres pays, ce sont les ASI qui remplissent le rôle de magistrat de liaison. Ils assistent les juges et les enquêteurs en déplacement dans le cadre d’une commission rogatoire internationale.

L’action menée suit des axes prioritaires, ceux de la lutte contre le terrorisme, l’émigration irrégulière, et la criminalité organisée. Plusieurs zones géographiques font l’objet d’efforts accrus. C’est le cas du Sahel (terrorisme ramifié), du Burkina Faso, de la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient (ANMO) (terrorisme, immigration, le trafic de migrants), des Balkans (cybercriminalité, trafic d’armes).

En 2020, le service a répondu à 3 631 demandes d’enquête de police internationales et françaises, s’est opposé à 7 031 embarquements. Il a mené 389 assistances à interpellation. 1 500 personnes recherchées en France ont été appréhendées grâce aux informations de ses fichiers, etc.

Juridiquement, la DCI a plusieurs outils à sa disposition pour intervenir. En matière de lutte contre le terrorisme, elle obéit aux Conventions de New York ; contre les stupéfiants, c’est la Convention de New York de 1961 et la Convention de Vienne ; contre la traite des êtres humains, les Conventions de Lake Success et de Palerme ; et contre la corruption, la Convention de Mérida. Dans le cadre européen, les services utilisent les décisions d’enquête européenne. Les Commissions rogatoires internationales servent hors UE. Europol et Interpol, en contact avec la direction centrale de la police judiciaire, jouent des rôles déterminants.


 

 




Spécificités des mafias

Sophie Hatt, directrice de la DCI, indique que six organisations criminelles internationales commandent des subdivisions majeures en France.

• La mafia italienne, présente dans le monde entier, est très implantée en France, voisine, notamment la « ’Ndranghetta ». Cette structure active dans toute la péninsule, déploie des branches en Ligurie, région frontalière de la Provence-Alpes-Côte d’Azur. Elle opère principalement dans le trafic de stupéfiants (cocaïne, cannabis…), mais elle s’investit aussi dans le proxénétisme et le trafic d’êtres humains. La mafia italienne fait des alliances avec le grand banditisme traditionnel quand cela sert ses intérêts. Elle a profité de la pandémie pour multiplier les blanchiments en investissant dans le foncier de son pays d’origine et ailleurs. Elle a acquis des ensembles immobiliers, des magasins, des commerces.

• La criminalité balkanique privilégie les trafics d’armes, de migrants, et celui de stupéfiants. Les Albanais ont mis la main sur tout le commerce illégal de stupéfiants dans la ville de Londres et asphyxient la capitale britannique. Leurs conflits finissent souvent par des règlements de comptes extrêmes.

• Les criminalités russophones, qu’elles soient géorgiennes, ukrainiennes, moldaves, tchétchènes, ou d’Asie centrale, se livrent entre elles une forte concurrence. Elles se disputent des parts de marché légal, notamment dans le milieu de la nuit. Elles s’infiltrent en France et dans l’UE par le biais d’entreprises transnationales structurées. Chaque nationalité a sa spécialité. Les Ukrainiens s’occupent de recel d’objets d’arts, les Lituaniens sont dans le proxénétisme et le trafic de tabac, etc. Néanmoins, si une activité devient plus attractive, un gang n’hésite pas à se l’accaparer aux dépends d’un autre.

• La criminalité africaine se concentre sur le trafic d’êtres humains, de migrants, de stupéfiants et sur l’atteinte aux biens. Les groupes nigériens, très actifs dans le sud de la France, sont basés à Marseille et dans les villes alentour. Violents, ils opèrent également des éliminations sanglantes entre concurrents. Ils n’ont aucun état d’âme quant à l’immigration de mineurs non accompagnés (MNA). Ces derniers finissent en bandes de MNA totalement sous l’emprise des stupéfiants. Nombreux en banlieue parisienne, à Bordeaux, à Nantes, ils posent des problèmes de sécurité liés à leur forme de délinquance. Ingérables, ils sont même agressifs entre eux.

• Les triades asiatiques touchent la prostitution, les stupéfiants, l’immigration irrégulière, les contrefaçons de cigarettes. Surtout fabriqués en Chine, les paquets de tabac contiennent des substances nocives. Ils sont vendus deux fois moins cher que chez un buraliste et sont le résultat d’une activité illicite de grande échelle. Côté blanchiment d’argent, des réseaux de jeunes filles ont été démantelés. Payées une misère, elles venaient en France avec des sommes d’argent considérables pour acquérir foulards, montres, sacs, bijoux et autres produits luxueux de marque. Puis, elles rentraient (avant la pandémie) en République populaire pour les revendre. En matière de cybercriminalité également, les hackers chinois représentent une menace sérieuse.

• La criminalité sud-américaine s’occupe de proxénétisme, de stupéfiants, d’atteintes aux biens, d’escroqueries et d’orpaillage illégal. Elle impacte la France métropolitaine nettement moins que les territoires d’outre-mer à travers la prostitution, le racket, le vol, et le cambriolage.

Les gangs de motards criminalisés ne concernent pas la France. En Europe, ils existent en Allemagne et aux Pays-Bas. Ils sont extrêmement brutaux en Australie et aux États-Unis.

 


Activités combattues

Le trafic de stupéfiants

Sophie Hatt prend un exemple : « grâce aux attachés de sécurité intérieure (ASI), une opération a été menée au Brésil en 2019. Au commencement, en relation avec les autorités locales, un container chargé d’une lourde cargaison de cocaïne à destination de l’Union européenne a été détecté sur le port de Santos. Équipé par nos soins d’une balise espionne pour le tracer, le chargement est arrivé jusqu’au port de Hambourg. Là, dans le cadre d’une décision d’enquête européenne, des pains leurres dotés de moyens de géolocalisation, de sonorisation, et de captation d’image ont été substitués aux drogues initiales. La piste de la marchandise, lorsqu’elle a été récupérée par les petites mains des commanditaires, a donné lieu à l’interpellation de neuf individus dont deux Néerlandais. Cette enquête se poursuit dans le cadre d’une commission rogatoire internationale. Le démantèlement de cette filière avance. »

Une autre coopération efficace a pris place avec la Colombie, premier producteur mondial de cocaïne. Le travail des enquêteurs privilégie trois points :

• le recueil d’informations opérationnelles exploitables par les services répressifs français. Le chef de file en la matière est l’Office anti-stupéfiants (OFAST),

• l’assistance des services français en mission en Colombie. Les attachés de sécurité interne accompagnent les enquêteurs et les magistrats dans le pays au titre d’une commission rogatoire internationale,

• l’exploitation des informations issues de la Fiscalia (Parquet) sur place et l’appui aux investigations. Cette collaboration a déjà permis de disloquer un laboratoire de raffinage de cocaïne en février 2020, ou encore d’interpeller en Colombie un couple en possession de plus de 2 kg de poudre quasi pure qui s’apprêtait à livrer à Paris. L’enquête a mis à jour le centre de production implanté à quelques dizaines de kilomètres de Bogota. La police du pays, soutenue par la DCI, a saisi une tonne de cocaïne et détruit le site en capacité de fournir plusieurs tonnes par mois.

La coopération sert par ailleurs à surveiller les mules. Rappel : au péril de leur vie, pour une somme misérable, ces individus ingèrent des boulettes de cocaïne sous plastique et les transportent ainsi jusqu’en France ou dans l’UE. Ce sont des ressortissants brésiliens, surinamiens ou guyanais qui voyagent par les vols directes entre Cayenne et Paris.

 

L’immigration irrégulière

La DCI dispose de 26 officiers de liaison immigration répartis dans le monde, intégrés dans les directions centrales des polices aux frontières de ses partenaires étrangers. À cela s’ajoute 18 conseillers sûreté immigration qui sont dans les aéroports ou dans les directions générales de l’aviation civile, l’équivalent de la DGAC. Ils utilisent les renseignements soit en vue d’oppositions à l’embarquement, soit de recueil d’informations pour démonter des filières. La destruction d’une filière est du ressort de l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière (OCRIEST) qui fait partie de la direction centrale de la police aux frontières. L’OCRIEST élimine environ 300 filières d’immigration irrégulière par an. Les officiers de liaison immigration sont à la source d’un tiers des renseignements exploités dans cette lutte. L’information, quelquefois infime, sur l’activité d’un délinquant dans un pays, caractérise un des maillons de la chaîne complète, passant par ses relais, ses pays de transit avant de finir à destination. Ainsi, les Syriens et les Afghans n’ont pas comme intention de rester sur le territoire français. Ils espèrent rejoindre le Royaume-Uni ou l’Allemagne. L’Hexagone ne représente qu’une escale pour eux.

En Asie du Sud-Est, en Amérique du Sud et sur le continent africain, la coopération technique déployée vise à partager les savoir-faire avec les polices locales. Au Niger, par exemple, une équipe commune d’investigation travaille sur le démantèlement des filières d’émigration clandestine et sur la traite d’êtres humains. Des personnels français et espagnols recueillent des renseignements et participent à la formation des enquêteurs nigériens. La source migratoire part du Niger ou y fait escale à destination de l’Occident. Les premières victimes sont les migrants floués par les passeurs, quand ils ne sont pas purement et simplement asservis. Les pays d’émigration, vidés de leur forces vives, sont une deuxième victime qui, pour les plus instables, risquent de sombrer dans le terrorisme. Les pays d’immigration, incapables d’intégrer le volume des flux, forment la troisième victime. L’ensemble du problème apparaît comme multilatéral. Notons qu’un policier français à l’étranger n’a pas de pouvoir direct de police. Il agit seulement avec l’accord des autorités sur place. La relation gagnant-gagnant fonctionne quand les deux parties y trouvent leur compte. Le métier d’attaché de sécurité intérieure ressemble à celui de commissaire de police, mais il demande aussi de la diplomatie, des partenariats, des développements dans le cadre de la stratégie locale de la présence française.

Sophie Hatt considère qu’il y a autant de profils de trafiquants que de filières. Le Français qui, avec sa camionnette, fait franchir la frontière à des Afghans à Vintimille (Italie) une fois par semaine, peut-être par humanisme, est un trafiquant d’habitude, un petit passeur. La migration qui part des côtes sénégalaises ou mauritaniennes en direction des Canaries, transporte des centaines de milliers de personnes. Celles-ci naviguent dans des canots de fortune au péril de leur vie. Ce trafic-là est organisé, professionnalisé. Les migrants qui cherchent à accéder à Lesbos via la Turquie, ceux qui traversent les Balkans pour atteindre l’Allemagne puis le Royaume-Uni, bref tous ces flux témoignent de la multiplicité des ramifications. Grand, petit, mono tâche ou pas, la diversité de ce trafic est proportionnelle au nombre de nationalités impactées. L’OCRIEST essaye difficilement d’en créer une classification.

 

La pédophilie et la pédopornographie

L’exploitation sexuelle des mineurs connaît une croissance exponentielle. En Asie du Sud-Est prioritairement, le tourisme sexuel et le « live streaming » se propagent. Les réseaux sociaux et la facilité de visionner des images pédopornographiques sur le darknet laissent la faculté aux délinquants sexuels de rétribuer des individus pour commettre des viols sur des enfants de tous âges. Lâchement installé face à sa tablette ou son ordinateur en France, ou ailleurs, le commanditaire de la torture en cours donne directement ses instructions perverses au violeur situé à des dizaines de milliers de kilomètres.

L’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) a un groupe spécialisé sur ces agissements. Les ASI assurent le relai auprès des enquêteurs sur place. Ils y parviennent en leur apportant des informations. Mais dans certaines zones comme le Népal, il n’y a pas d’ASI. C’est alors celui d’une autre région à proximité (New Delhi en l’occurrence) qui traite les affaires. Dans cette situation, les organisations internationales et les associations apportent un soutien crucial. En l’espèce, le ministère de l’Intérieur travaille régulièrement avec l’ONG Saathi (amis en népalais). Sur le terrain, les membres de Saathi recueillent de multiples témoignages d’enfants victimes de ces exactions et les portent à la connaissance de l’attaché de surveillance intérieure le plus proche en Inde qui remonte les données.

Aux Philippines, la pornographie et la prostitution infantile prospèrent. La DCI entend y ouvrir un poste d’expert technique international en 2022. La police du pays semble très favorable à ce projet. Actuellement, les Philippines sont du ressort de l’ASI en poste à Singapour. Il est clair que le contexte de la pandémie a mis un coup d’arrêt à ses rencontres avec les enquêteurs sur place.

Le Cambodge constitue une autre zone prioritaire d’action. Là aussi les policiers locaux sont demandeurs et la DCI favorise les échanges. Témoin de leurs équipements souvent limités, elle leur prodigue des formations et, en fonction de ses possibilités, du matériel, c’est-à-dire des ordinateurs et des moyens d’exercer leurs missions de façon non sédentaire.

 

Les escroqueries

Dans l’escroquerie au faux président, un individu bien renseigné sur sa cible se fait passer pour le PDG ou le directeur d’une entreprise, rappelle Sophie Hatt. En général l’escroc met sous pression le responsable comptable, expliquant que le président doit acheter en urgence un équipement cher. Le demandeur sait exactement le plafond jusqu’auquel sa proie peut faire un virement à l’étranger. Il réclame donc juste quelques euros de moins pour ce faux virement. Il fournit toutes les coordonnées bancaires, connaît souvent le nom, le prénom, et des éléments personnels sur l’interlocuteur qu’il tourmente. Typiquement, le virement soutiré passe par différents pays (souvent la Hongrie), et achève ses transits par un dernier, en Israël, où se situent beaucoup d’auteurs. Il en repart vers d’autres destinations, parfois la Chine. Pour avoir l’opportunité de tenir en échec cette subtilisation, il faut une réaction rapide. Or, la difficulté est que, souvent, la DCI n’a pas connaissance d’une plainte, car le comptable de l’entreprise lui-même n’a pas conscience d’avoir subi d’attaque. Il ne signale donc rien aux services de police. L’argent file vite et disparaît sur des comptes inaccessibles. À partir de là, solliciter la police d’une nation comme la Chine pour qu’elle bloque l’argent ne donne rien. En revanche, si une plainte est déposée, alors la DCI, par le réseau des attachés de sécurité intérieure et de ses relations, sans demande d’entraide internationale, ni document réglementaire, saisit les autorités. Et la Chine ne veut pas que l’image de sa moralité soit entachée. En conséquence, le nécessaire est fait pour retenir les fonds et les remettre sur les comptes français. La restitution tient à la lucidité et à la réactivité des victimes.


La recherche de fugitifs

En 2020, le service a permis la localisation à l’étranger de 144 individus qui faisaient l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par la justice française. Les Émirats arabes ont récemment été cités sur ce sujet parce qu’ils servent de région de villégiature à des responsables de trafics de stupéfiants sur le sol français. Nos malfrats s’exportent. La coopération mise en place entre l’ASI et la police émirienne a entrainé huit interpellations, puis des extraditions vers la France. Une neuvième arrestation est en instance. Ces derniers mois, quatre Français ont été appréhendés dans une même affaire à Dubaï et au Portugal sur la base d’informations rapidement communiquées. Ce fonctionnement donne la satisfaction de mettre un terme à l’insouciance de nos ressortissants qui organisent leur industrie illégale, abrités dans un palace à l’étranger où ils profitent de la vie.

La Direction de la coopération internationale participe à la lutte contre la criminalité organisée depuis les 73 postes qu’elle occupe en lien avec tous les services français de police et de gendarmerie. La DCI recueille des quantités de renseignements qu’elle transmet aux services en charge de les exploiter.

 

La corruption

« Il faut discuter avec tout le monde sans naïveté. Certains partenaires, explique la directrice, ont des liens avec le milieu criminel. Il s’agit de chefs, de dirigeants majeurs. La DCI est contrainte de faire avec, sinon elle fermerait boutique dans plusieurs pays. Personne n’est dupe et il est toujours possible de proposer d’y installer des dispositifs de contrôle. Abandonner les lieux au prétexte de corruption serait un échec. Parfois, une intelligentsia profite de la situation, mais en général, chacun sait qui il a face à lui. Dans un régime contaminé, tout le personnel n’est pas malhonnête. »

Il convient donc d’élaborer des méthodes pour identifier au sein des bureaux les personnes toxiques, afin de composer plutôt avec leurs collaborateurs. Il y a toujours des correspondants avec une éthique et de la volonté. Une fois repérés, il faut les épauler pour améliorer la déontologie de leur environnement, les inviter à observer comment les Français organisent des inspections de service.

Autre cas, si on prend l’exemple d’une zone comme les Balkans, la corruption, certes non négligeable, ne constitue pas le seul facteur à considérer. En effet, nombre de pays de cette région souhaitent intégrer l’Union européenne. Or l’objectif de rejoindre les 27 commande des prérequis. Un État candidat doit se soumettre à des obligations dont celle de professionnaliser certaines missions. Concrètement, il doit rendre plus claires ses règles de fonctionnement et mettre en place des unités de lutte contre la corruption, le blanchiment, etc. C’est du donnant-donnant. Les services français se heurtent à quelques nations où manque une volonté affichée de coopération contre la criminalité internationale. Elles se déclarent pourtant prêtes à perfectionner leurs moyens et à échanger. Cependant, si l’activité illégale nourrit leur peuple englué dans un marasme économique historique (Amérique du Sud), elle forme alors un pilier indestructible. Dans ce cas, la DCI intervient modestement, empêchée de passer à une vitesse supérieure qui risquerait de déstabiliser la société. Gardons à l’esprit que l’ASI et l’ambassadeur de France sont des étrangers affectés à un pays. Invités, agréés par l’hôte, leur statut peut changer du jour au lendemain. Ils doivent se conformer aux usages, faire preuve de réserve et de discrétion, ne jamais critiquer le régime. Les Français sont tolérés comme d’ailleurs ils tolèrent leurs homologues en France puisqu’il y a évidemment des attachés de sécurité intérieure étrangers résidents sur notre territoire. Si les agents français deviennent gênant, ils doivent prendre garde à éviter la rupture. Ce frein limite épisodiquement des coopérations. Sans réseau ni coordination, la lutte contre la criminalité organisée contemporaine manque d’intelligence. Dans les années 1950, mener à bien une enquête Paris-Marseille n’était pas simple. Au 21e siècle, les forces de l’ordre et la justice, pour comprendre les systèmes qu’elles affrontent, doivent disposer de la faculté de se projeter sur la planète. Ce pouvoir fait la différence. Les échanges collaboratifs entre les autorités se situent désormais au centre des méthodes d’investigation.

C2M




0 commentaire
Poster

Nos derniers articles