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La fraude sur les médicaments, ce fléau inquiétant

La fraude sur les médicaments, ce fléau inquiétant
Publié le 30/05/2023 à 17:11

Bernard Meunier, membre de l’Académie nationale de pharmacie, est intervenu à la Maison de la chimie le mois dernier sur le sujet de la fraude aux médicaments. Il ressort de son analyse qu’aucun pays n’est immunisé contre ce trafic ni contre le détournement de traitements.

Les médicaments contrefaits constituent évidemment un danger pour la santé. Ils peuvent se classer dans deux périmètres distincts. Dans le premier, la contrefaçon « classique », le fabricant reproduit correctement un principe actif, mais il contourne les droits de propriété intellectuelle de l’auteur de la formule.

Le deuxième, bien plus grave, est la falsification. Dans ce cas, le faux est produit en dehors des normes de qualité. Il présente divers biais : sous-dosage voire absence de principe actif, mauvaise formulation, présence d’impuretés, etc. Il contient même quelquefois des éléments toxiques dans sa composition. Son aspect et son emballage ressemblent à ceux de l’original. Le patient, confiant, achète donc en pharmacie un médicament en réalité inefficace, ou pire, dangereux.

Une fraude internationale

Ce fléau entraine des situations tragiques et des décès. En 2017, l’OMS considérait qu’un médicament sur dix dans les pays en développement était de qualité inférieure ou falsifié.

Les pays africains, aux populations importantes et aux milieux propices à de multiples maladies, sont particulièrement impactés. D’autant que tous n'ont pas de structures spéciales pour lutter contre cette délinquance. 25 à 50 % des médicaments y sont considérés comme frauduleux, y compris dans les officines. En effet, les pharmaciens ne disposent pas des moyens pour contrôler les médicaments qui leur sont livrés par les grossistes. Or ces derniers peuvent se trouver sous l’emprise de groupes criminels.

Même s’il s’agit du continent le plus touché, il ne faut pas croire que le sinistre se limite à l’Afrique. Le trafic, lucratif, est organisé par des groupes mafieux. Les chiffres, invérifiables – les cas avérés demandent des autopsies et des enquêtes de médecine légale –, annoncent environ 120 000 morts par an. Contenu ou contenant, tout est faux. Les retombées financières (200 milliards de dollars) à l’échelle planétaire donnent d’énormes capacités, notamment en matière de corruption.

Les pays européens pensent eux être à l’abri. Il est vrai qu’en France par exemple, le circuit de distribution des médicaments est très encadré. Selon les articles L.716-9 et 10 du Code de la propriété intellectuelle, le trafic de faux médicaments sur notre territoire est passible d’une sanction de 750 000 € et de 7 ans d’emprisonnement. Les contrefacteurs évitent donc de produire dans l’hexagone… mais ils importent via internet depuis des pays « plus faciles ».

Car depuis une vingtaine d'années, les consommateurs achètent sur la toile. Là, un produit échappe aux contrôles. Les agents de la répression des fraudes peuvent difficilement repérer dans un océan de colis ceux qui renferment de faux médicaments. Les Américains occupent la position de leader sur ce point. Aux États-Unis, pourtant pays aux institutions dotées de remarquables laboratoires d'analyses, la tendance serait d’imaginer que le phénomène est contenu. Il n’en est rien : la majorité des médicaments vendus sur le Net aux USA sont estimés comme falsifiés.

Les antibiotiques parmi les médicaments plus contrefaits

Parmi les familles de médicaments les plus contrefaites, on retrouve les antibiotiques, le viagra, les antidouleurs, les antipaludiques, les antidiabétiques et les traitements cardiaques.

Si les antibiotiques occupent la tête du classement, c’est parce que la désindustrialisation des années 1990 n’a pas épargné les pôles de chimie jugés polluants, notamment ceux du secteur pharmaceutique. Par conséquent, aujourd’hui, seules la Chine et l'Inde restent les deux producteurs majeurs d’antibiotiques. Or, les autorités chinoises concentrent leurs contrôles sur les médicaments destinés à leur marché intérieur. Ceux destinés à l'exportation sont moins directement visés, offrant une opportunité aux trafiquants. Pour une organisation criminelle qui distribue des drogues, munie d’une logistique et d’un réseau, le faux médicament offre une activité supplémentaire encore plus rentable.

Zoom sur la fraude à l'ordonnance

Grâce à une fausse ordonnance, il est en outre possible de détourner des médicaments de leur usage, ou de les revendre à des acheteurs après se les être procurés de façon indue. La falsification d’ordonnance s’observe dans tous les pays, notamment en France où l’article L.114-13 du Code de la sécurité sociale sanctionne ces comportements d’une amende de 5 000€, à laquelle s’ajoutent 5 ans d’emprisonnement en présence d’escroquerie.

Le fentanyl fait partie des médicaments les plus détournés. Cet opioïde antidouleur est extrêmement puissant, 50 à 100 fois plus que la morphine. Sa marge de sécurité entre la dose toxique et la dose pharmacologiquement active est très faible. Il est normalement réservé aux patients pour lesquels la morphine a perdu son efficacité. Il s’agit de cas très précis, suivis en milieu hospitalier, dans le cadre strict de la législation sur les stupéfiants. Toutefois, aux États-Unis, la prescription de fentanyl obéit à un régime plus souple. Il fait l’objet d’un mésusage. Concrètement, des consommateurs, qui ne trouvent pas les drogues classiques assez puissantes, peuvent se procurer du fentanyl sur le marché parallèle. En 2021, ce mouvement que les autorités américaines nomment « la crise des opioïdes » a fait plus de 71000 morts selon le National Institute on Drug Abuse.

Cyrille de Montis

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