La juridiction rassemblant
pour l’heure 17 États européens et visant à simplifier la gestion des brevets
pour les entreprises a vu officiellement le jour jeudi 1er juin, au
palais de justice de Paris. La capitale accueille par ailleurs le siège de la
division centrale de la JUB.
Dix ans après la signature de
l’accord prévoyant sa création, la juridiction unifiée du brevet (JUB) est
enfin devenue opérationnelle, jeudi 1er juin. À cette occasion, la
prestation de serment des juges de la première instance a eu lieu au sein du
palais de justice de Paris, en présence du garde des Sceaux. Éric Dupond-Moretti
s’est réjoui d’un « jour historique », après de nombreuses
années de préparation à ce lancement. Le ministre a d’ailleurs pu citer Victor
Hugo lors de son discours : « Il n’est rien au monde d’aussi
puissant qu’une idée dont l’heure est venue. »
88 juges originaires des 17
pays de l’accord
Ce sont donc 88 juges qui ont
intégré la juridiction unifiée du brevet. Des juges qui exerceront au siège de
la division centrale à Paris présidée par la Française Florence Butin, dans une
section de cette division à Munich, dans des divisions locales (comme à
Bruxelles, Copenhague ou Hambourg), ou à la cour d’appel à Luxembourg dirigée
par l’Allemand Klaus Grabinski. 81 d’entre eux, affectés au tribunal de la
première instance, ont ainsi prêté serment à Paris ce 1er juin.
Et qui dit nouvelle
juridiction dit nouveau texte de prestation de serment qui a dû s’adapter au
droit de chaque pays. La voici telle qu’elle a pu être prononcée, selon chaque
juge, en français, en anglais ou en allemand conformément aux langues
officielles de la JUB : « Je jure que j'exercerai mes fonctions en
toute impartialité et conscience, et que je préserverai le secret des
délibérations de la juridiction, conformément à l'accord et au statut de la
juridiction unifiée du brevet, au droit de l'Union européenne et aux principes
du droit généralement reconnus dans les États membres contractants. » Certains
juges ont également pu terminer leur prestation de serment par la phrase « avec
l'aide de Dieu » ; des mots que l’on n’a plus l’habitude
d’entendre en France, où la laïcisation du serment judiciaire est en vigueur
depuis plus de 50 ans.
Une procédure plus rapide et
moins coûteuse
Avant cette prestation de serment,
Éric Dupond-Moretti a également vanté les avantages du brevet européen à effet
unitaire qui accompagne la nouvelle juridiction : « Plus de
simplicité, plus de rapidité, plus d’efficacité aux entreprises et à moindre
coût », a-t-il assuré.
Ces quatre atouts devraient
en effet, au moins sur le papier, être au rendez-vous, puisqu’un seul brevet
pourra dorénavant servir pour protéger une même invention dans 17 pays
différents de l’Union européenne, avec un coût réduit. De plus, chaque décision
de la JUB devra être rendue dans un délai maximal d’un an, par des juges
spécialisés dans des domaines précis (par exemple, les juges de Paris sont
spécialisés entre autres dans l’électricité, le transport, le papier et la
construction, et ceux de Munich dans l’armement et l’éclairage). En outre, la
procédure devant la JUB sera entièrement dématérialisée. « C'est
indispensable alors que vous êtes répartis sur tout le territoire de
l'Union », a affirmé Éric Dupond-Moretti auprès des tout premiers
juges de cette juridiction. La Commission européenne considère que l’obtention
d’un brevet unitaire et son maintien pendant une durée standard coûtera près de
six fois moins cher.
Un nouvel outil bien utile pour
la lutte contre la contrefaçon et qui devrait bénéficier principalement aux
secteurs à forte activité en propriété intellectuelle qui représentent 45 %
du PIB européen et 30 % des emplois.
La France, très active dans
le processus de lancement de la JUB
La juridiction unifiée du
brevet voit le jour à Paris, siège de la division centrale. Un lieu qui ne doit
rien au hasard, d’après Isabelle Jégouzo, conseillère aux Affaires européennes
et internationales au ministère de la Justice : « La France a joué
un rôle de soutien politique qui ne s’est jamais démenti, avec une diplomatie
française très active pour aboutir à la naissance de cette juridiction. »
L’ancienne magistrate affirme par ailleurs que le garde des Sceaux est un
fervent partisan de la JUB, lui qui a exprimé sa « fierté » de
voir la juridiction s’installer dans la capitale : « Il est
investi dans ce projet depuis 2020 et a régulièrement évoqué ce sujet avec des
intermédiaires européens. »
La France met également à
disposition des locaux à proximité du palais de justice, ainsi que du
personnel. Mais« le pays contribue aussi au budget en tant que deuxième
pays en termes de dépôts de brevets, en étant également le deuxième contributeur
financier de la JUB », précise Isabelle Jégouzo.
L’aboutissement d’un long processus
semé d’embûches
Ce lancement est l’achèvement
de 50 ans de construction d’un brevet uniformisé. Ses fondations remontent à
1973, lorsque la Communauté économique européenne a souhaité renforcer
l’intégration des différents pays qui la composent. L’Office européen des
brevets et le brevet européen ont donc été créés. « Ils n’était qu’un
achèvement très parcellaire », tempère Isabelle Jégouzo. Car s’il « a
permis la mise en place d’un guichet unique », ajoute le ministre de
la Justice, le brevet éclatait en plusieurs brevets nationaux au moment de sa
délivrance, chacun possédant ses propres règles. En cas de contentieux là
aussi, les décisions des juridictions nationales, que l’on devait saisir dans
chaque pays, pouvaient varier, et parfois être totalement opposées selon les
pays.
Les réflexions à propos de la
création d’une juridiction unifiée du brevet avaient démarré au début des
années 90, au moment de la mise en place du marché unique. Mais il a fallu
attendre 2013 pour que l’accord sur la JUB entre en vigueur, signé par 24 des
27 membres de l’UE de l’époque. La Croatie, qui ne faisait pas partie de
l’Union européenne au moment de la signature, n’a pas pu participer à l’accord.
L’Espagne et la Pologne, qui ont exprimé leurs réticences (notamment, pour
l’Espagne, en raison de l’absence de la langue espagnole dans les langues
utilisées par la juridiction) ont refusé d’y adhérer, transformant ce qui
devait être un accord européen en une coopération renforcée entre certains
États membres.
Il a finalement fallu dix années
supplémentaires pour que le nombre minimum requis de pays ayant ratifié
l’accord soit atteint (soit 13 États dont l’Allemagne et la France),
aboutissant ce 1er juin 2023 à son application dans 17 pays :
Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne,
Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et
Suède. Les sept pays restants (Chypre, République tchèque, Grèce, Hongrie,
Irlande, Roumanie et Slovaquie) pourront toujours le ratifier dans les années à
venir.
Alexis
Duvauchelle