Instaurée
en 1913 afin de protéger notre patrimoine remarquable, la loi Monument
Historique est assortie d’un volet fiscal particulièrement incitatif : sous certaines
conditions, il est possible de déduire de son revenu imposable 100 % des
travaux de restauration. Modalités et enjeux.
La France compte environ 45 immeubles protégés au titre des
Monuments Historiques, dont la moitié appartient à des propriétaires privés.
Or, près de 40 % d’entre eux sont dans un état considéré comme défectueux, et
20 % sont carrément en péril. Il est donc indispensable de favoriser leur
restauration, nécessairement coûteuse au demeurant.
UNE FISCALITÉ D’EXCEPTION
D’un point de vue fiscal, le régime des Monuments
Historiques est régi par les articles 156 et 156 bis du Code général des impôts
(CGI).
Pour les propriétaires occupants, il convient
de distinguer deux cas :
si le bien est ouvert au public, 40 jours par an minimum, les
travaux éligibles sont déductibles du revenu global (en réalité il s’agit alors
d’un déficit foncier déplafonné), pour la partie ouverte au public ;
si le bien n’est ni loué ni ouvert au public, seuls 50 % des
travaux éligibles sont déductibles (du revenu global, mais pas des revenus
fonciers). Sauf si les travaux ont fait l’objet d’une subvention de
l’Administration des affaires culturelles. Auquel cas le montant total restant
à la charge du contribuable est déductible.
Par travaux éligibles, il convient d’entendre
la totalité des travaux si toutes les façades et toitures sont classées ou
inscrites. À défaut, seules les parties protégées sont concernées. Les travaux
d’agrandissement, de construction ou reconstruction, s’il y en a, ne sont pas éligibles.
Il n’y a aucun plafond. Si les travaux de restauration
excèdent votre revenu imposable, le solde est reportable six ans. Les avantages
fiscaux sont soumis à un engagement de conservation de 15 ans.
En matière successorale, la transmission est
exonérée de droits si le bien est ouvert au public, au moins 60 jours par an,
et que l’héritier passe une convention prolongeant cette ouverture.
Mais il existe aussi le cas des investisseurs
se portant acquéreurs d’un logement à usage locatif dans un Monument
Historique, appelé à être entièrement restauré, en copropriété et généralement
en centre-ville. Pour peu que, après travaux, leur bien soit loué trois ans en
location nue, comme pour les biens ouverts au public, les travaux éligibles
sont alors intégralement déductibles du revenu global. Il s’agit du seul
dispositif fiscal permettant de défiscaliser sans aucun plafond. C’est ainsi
qu’ont pu être sauvés de la ruine un certain nombre d’anciens couvents et
hospices notamment, accaparés la République à la Révolution.
DES TRAVAUX PARTICULIÈREMENT ENCADRES
Les monuments classés dérogent aux procédures
du Code de l’urbanisme. Les travaux de restauration sur un bâtiment classé sont
soumis à l’accord de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles), pilotée
par l’ABF (Architecte des Bâtiments de France) départemental. De ce fait, ils ne
font pas l’objet d’un Permis de Construire, mais d’une Autorisation de Travaux.
Il convient d’adresser au STAP (Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine)
du département un formulaire Autorisation sur Classés (AC). Les monuments inscrits
doivent également soumettre à la DRAC tout projet de restauration. Ce n’est que
muni d’un APD (Avant-Projet Définitif) que le maître d’ouvrage pourra déposer un
Permis de Construire en mairie.
Pendant toute la durée des travaux Monuments
Historiques, le contrôle scientifique et technique de l’État s’exerce « sur pièces
et sur place ». À l’issue des travaux, le maître d’ouvrage transmet au préfet
un DDOE (Dossier Descriptif des Ouvrages Exécutés), qui donnera lieu à un certificat
de conformité.
S’il ne joue plus le rôle de maître d’œuvre, l’ABF
intervient avec un rôle de conseil et de contrôle. Si, dans la majorité des cas,
il n’y a pas de difficulté pour remplacer un élément existant détérioré, comme une
fenêtre, toutefois, si celle-ci est très ancienne et qu’elle peut être restaurée,
il faudra la conserver. Un double vitrage ne pouvant s’insérer dans la feuillure,
une double fenêtre, en retrait, pourra être envisagée. Et, d’une façon
générale, si l’existant présente un intérêt particulier, mais peut ou doit être
remplacé, un remplacement au plus proche des dispositions d’origine sera requis.
S’il a été dénaturé, une restauration globale se devra de lui rendre son dernier
aspect conforme. La France a ratifié la Charte de Venise, datant de 1964. En substance,
celle-ci établit que, sur un Monument Historique, la restauration se fera « sur
le respect de la substance ancienne ».
Concernant les intérieurs, selon qu’ils font,
ou pas, l’objet d’une protection, les travaux afférents seront soumis ou pas à
ces contraintes.
Pour la maîtrise d’œuvre, depuis 2009, un
propriétaire privé peut faire appel à l’ACMH (Architecte en Chef des Monuments
Historiques) de son choix, ou, même sur un bâtiment classé, à un Architecte du
Patrimoine (DSA) ayant dix ans d’expérience, après acceptation par la DRAC. Il
soumettra à cette dernière, et donc à l’ABF, son projet. Contrairement à l’ABF,
l’ACMH est un fonctionnaire d’exercice libéral.
Les immeubles étant rarement classés ou
inscrits en totalité, il est fréquent qu’un architecte non spécialisé
intervienne en parallèle, de façon à associer des compétences complémentaires,
par exemple pour des aménagements techniques spécifiques, des parties neuves
indépendantes ou pour assurer un suivi rapproché du chantier.
Concernant les abords des Monuments
Historiques, jusqu’à la loi CAP de 2016, ils étaient protégés dans un rayon de
500 mètres. Depuis quelques années, des exceptions étaient toutefois possibles.
Désormais l’exception devient la règle : les périmètres de protection autour
des édifices nouvellement classés seront créés « par décision de l’autorité
administrative, sur proposition l’ABF ». À défaut, la règle des 500 mètres
s’appliquera.
UN COÛT FISCAL NÉGLIGEABLE
En 2019,
un rapport de l’Assemblée nationale,
établi par Gilles Carrez, établissait que la « dépense fiscale » liée
aux Monuments Historiques était de 83 millions, dont 40 millions pour ceux
procurant des recettes (ouverts au public, ou mis en location après restauration).
Une goutte d’eau dans l’océan des prélèvements obligatoires (plus de 1 100
milliards).
POUR UN PATRIMOINE À L’IMPACT CONSIDÉRABLE
Nous l’avons vu, parmi les 45 000 immeubles
protégés au titre des Monuments Historiques, environ la moitié appartient à des
propriétaires privés, transformés de fait en « Conservateurs bénévoles »,
et 20 % sont carrément en péril. Trois milliards d’euros seraient nécessaires
pour entreprendre les travaux de première urgence rien que sur ces monuments en
péril.
Or, les crédits du ministère de la Culture
affectés aux travaux de restauration des Monuments Historiques étaient de 540 M
€ en 2000. En 2019 ils étaient de 326 M €, dont environ 5 % affectés au
patrimoine privé, en baisse de 60 % depuis 2000. On voit bien que sans une
fiscalité particulièrement incitative pour la restauration des Monuments
Historiques, le combat serait perdu d’avance.
En parallèle, il ressort d’une étude du
ministère de la Culture que la restauration et l’ouverture au public de nos
monuments, au sens large, entraînent des retombées économiques d’un montant de
21 milliards d’euros et représentent plus de 500 000 emplois directs et
indirects.
Rappelons qu’avec plus de 90 millions de
visiteurs étrangers en 2019, grâce notamment à son patrimoine inestimable, la France
est le pays le plus visité au monde.
Hugues de Tappie
Dirigeant du cabinet Jedefiscalise.com
Auteur d’un Livre blanc sur les Monuments
Historiques, téléchargeable gratuitement sur le site web du cabinet.
Également auteur d’un Livre blanc sur la loi Malraux, cf JSS n° 50
du 15/08/20, p. 8.