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La photo de l’œuvre d’art dans l’espace public

La photo de l’œuvre d’art dans l’espace public
Publié le 10/01/2021 à 09:30

La photographie bénéficie d’une place aujourd’hui non contestée autant dans nos vies et dans les médias que sur le marché de l’art. Cette « écriture de lumière » (1), procédé particulier de création dont l’histoire est en grande partie française, permet entre autres de rendre compte de la réalité telle qu’elle est vue, ressentie et comprise par le photographe à travers l’objectif de l’appareil de prise de vue.



L’œuvre d’art, dans son acception commune, est classiquement comprise comme une sculpture, une peinture, un dessin ou une estampe. Rien ne permet toutefois aujourd’hui d’en exclure les œuvres street art ou œuvres urbaines, ni les installations voire les photographies présentes dans l’espace public.


Aujourd’hui omniprésente sous toutes ses formes, la photographie est donc non seulement multiforme, mais également et potentiellement en interaction avec tous les autres acteurs et espaces de la société, qu’ils soient privés ou publics. Or l’espace public pose des questions juridiques particulières, et notamment pour les situations de rencontres de droits différents, connexes, concurrents ou étant en interaction.


Comment donc la photographie d’une œuvre d’art se trouvant dans l’espace public peut-elle interroger le droit et, le cas échéant, quel domaine du droit ? Afin de tenter une approche de réponses, nous proposons d’abord, afin de nous pencher sur les aspects juridiques, de revenir sur les spécificités du moyen d’expression qu’est la photographie, et, surtout, sur sa particularité à pouvoir être à la fois contenu et contenant. Cette première étape permet de chercher si, et dans l’affirmative comment, leurs relations s’expriment notamment juridiquement.






Photoquai 2009, le monde en bord de Seine : Bittencourt, Naji, Jimènez, Sher (D.R.)



 


La photographie, à la fois contenu et contenant


Une des spécificités de la photographie est sa richesse. Dotée d’une fonctionnalité hors pair et notamment à des fins historique et documentaire, elle est également souvent artistique. En tant que mode d’expression visuelle, elle peut soit jouer le rôle d’objet, soit de sujet.


Ainsi, une photographie exposée sur l’espace public, comme pourrait l’être une sculpture, serait elle-même le contenu de la photographie que prendrait un passant, par exemple lors d’évènements en plein air, comme celui du Musée du Quai Branly (Photoquai : biennale des images du monde). Ici, la photographie exposée au public préexiste à la seconde à celle qui la documente, qui la représente visuellement dans son contenu. La prise de vue aboutit donc à ce qu’il y ait une photographie d’une autre photographie. Quant à la photographie créée ensuite, elle assume bien la fonction de contenant du premier. La photographie peut ainsi à la fois reproduire et être reproduite.


C’est toutefois et de toute évidence la plupart du temps en tant que contenant que la photographie est le plus utilisée pour le sujet qui nous intéresse ici. Sa fonction documentaire, pour représenter visuellement l’existant, reste sa fonction la plus commune. C’est probablement aussi celle qui parle à chacun d’entre nous en tant que propriétaire de smartphones se transformant à souhait en outil de prise de vue ou de caméra, et ce pour tous nos usages, privés, publics, à partager ou juste pour notre propre référence ou plaisir.


Sommes-nous pour autant toutes et tous sous le coup d’un problème juridique lorsque nous prenons une photographie d’une œuvre d’art que nous avons croisée, voire cherchée, dans un espace public comme sur un quai parisien ? Quelles pourraient être les hypothèses rencontrées et quid des aspects juridiques de celles-ci ?


 


La relation juridique variable


De nombreuses situations de rencontres entre photographie et œuvre d’art ne posent en effet pas de problèmes, et leurs acteurs ne seront pas dans un questionnement ou un conflit, notamment l’œuvre d’art photographiée n’est pas protégée par le droit d’auteur.


Afin que la protection du droit d’auteur s’applique à une œuvre d’art comme une sculpture ou une photographie, le critère de l’originalité doit en effet être satisfait. Des choix personnels doivent être effectués par l’auteur de l’œuvre lors de la création, exprimés par les formes, angles, lumières, etc. Ces choix constituent ce que la jurisprudence qualifie d’« empreinte personnelle » dans l’œuvre protégée au titre du droit d’auteur. L’auteur d’une telle œuvre jouit quant à lui d’une protection juridique très étendue à la fois dans le temps (70 ans post-mortem) et dans les prérogatives données (monopole d’exclusivité et attributs du droit moral tel le droit au nom notamment).


Il n’en est toutefois pas de même lorsque le monopole d’exploitation est expiré et que l’œuvre est « tombée dans le domaine public ». En effet, il est important de rappeler que les attributs du droit moral sont imprescriptibles, c’est-à-dire qu’ils s’appliquent sans limite dans le temps. Le droit au nom, aussi appelé le droit de paternité, exige par conséquent que le nom de l’auteur de l’œuvre d’art soit toujours mentionné à proximité de la reproduction, et que doit être respectée l’intégrité de l’œuvre, à la fois dans sa forme et dans son esprit. Une photographie dont le contenu produit l’image d’une œuvre d’art se doit donc, lorsqu’elle quitte l’appareil photo pour être utilisée, d’indiquer le nom de l’artiste de l’œuvre d’art reproduite.


Après l’étape de la prise de vue, le contexte et les détails de l’utilisation faite de photographies reproduisant une œuvre d’art se révèle être de première importance. Ainsi, un usage pour fond d’écran d’ordinateur personnel, un usage pour une édition de carte postale, un usage pour un article de presse ou dans une création publicitaire ne mettent pas en œuvre les mêmes règles. La gestion juridique à mettre en place est ainsi très variable. Pour certaines situations, c’est la liberté d’expression qui permet certains usages à titre strictement privé ou informatif sans nécessiter l’accord de l’auteur. Il en va assez logiquement différemment dans une situation où la photographie de l’œuvre d’art dans un espace public sert un but commercial, soit directement, soit indirectement. Ainsi, en fonction du contexte d’utilisation, une même photographie peut se voir appliquer des règles différentes et, partant, doit être appréhendée en fonction.


Dans la majorité des cas, la coexistence entre photographie et œuvre d’art n’est donc pas conflictuelle. Cela est bien le cas notamment lorsqu’un visiteur des jardins du Palais Royal immortalise tout ou partie de l’œuvre d’art de Buren pour la garder dans son smartphone en souvenir de sa visite. L’auteur de l’œuvre d’art en question ignore probablement la prise de vue. En outre, le visiteur-photographe jouit clairement ici d’une des exceptions aux prérogatives économiques de l’auteur de l’œuvre d’art protégée par le droit d’auteur, celle de l’utilisation à titre (strictement) privé.


Si le visiteur de notre exemple se permettait de poster la même photographie sur son site Internet par lequel il vend des produits, la situation serait différente, et le monopole de l’auteur trouverait pleinement à s’appliquer. En l’absence d’une cession de droits dans les formes consenties par l’auteur, une telle utilisation serait qualifiée de contrefaçon, susceptible de poursuites civiles et pénales.


Par ailleurs, la démocratisation des smartphones aux appareils photos performants ainsi que l’exception de « panorama » existant dans d’autres pays a récemment changé les règles dans certaines situations très précises. Ainsi, jusqu’à septembre 2018, l’utilisation d’une photographie prise par une personne physique, d’une œuvre d’art dans l’espace public dont le monopole d’exploitation n’était pas épuisé ne jouissait pas en droit français d’une exception propre. Dorénavant, l’article L. 122-5 11° du CPI (Code de la propriété intellectuelle) énonce clairement comme une exception aux prérogatives d’exploitation du droit d’auteur « les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ».


Il convient de bien noter que les œuvres d’art qui y seraient placées de façon temporaire ne sont pas concernées par cette exception.


Il convient en outre de rester très vigilant pour la « photographie d’une photographie exposée dans l’espace public », car elle n’est donc pas incluse dans l’exception de l’article L. 122-5 11° du CPI. Toutes les règles habituelles du droit d’auteur s’appliqueront alors.


Il reste par conséquent crucial de bien analyser un projet qui implique une photo d’une œuvre architecturale ou de sculpture posée dans l’espace public, de surcroît pour les photographies exploitées par une personne morale et/ou utilisées dans un contexte professionnel ou dans un but commercial voire publicitaire.


Relativement communes, les situations conflictuelles sont pour beaucoup liées à une mauvaise analyse en amont des droits à la fois du photographe mais aussi de l’auteur de l’œuvre d’art, et qui sont mis en œuvre dans l’usage prévu. Une gestion juridique précautionneuse en matière de photographie est donc toujours nécessaire.


 


La possible réponse pragmatique


Une autre solution pourrait apporter un éclairage, voire une réponse pragmatique, à la relation entre photographie et œuvre d’art présente dans l’espace public mais en dehors des « voies publiques ». Ainsi, le lieu de l’emplacement pourrait-il avoir une incidence sur leur relation juridique, notamment si l’œuvre d’art se trouve dans un musée ? 


La question a longtemps agité les acteurs, en partie pour des raisons commerciales. En situation de concurrence avec les agences photographiques pour la distribution de ces photographies, certaines institutions pouvaient être tentées d’opposer un droit de propriété à la prise de vue par des photographes d’agences. Cet argument a toutefois été perçu comme non-recevable pour plusieurs raisons, et ce que les œuvres d’art soient « tombées dans le domaine public » ou non. La question s’est donc posée de savoir si les institutions propriétaires des œuvres d’art exposées au public pouvaient interdire l’accès aux photographes amateurs ou professionnels et/ou interdire d’en faire des prises de vues en dehors des raisons techniques tenant à l’état de l’œuvre d’art (fragilité, photosensibilité au flash…) ?


Sans répondre à cette question, une prise de conscience de la situation a mené à une collaboration entre les parties, aboutissant à l’élaboration d’une charte de bonnes pratiques appelée « Tous photographes ! (2) ». Destinées à clarifier la situation et éviter les conflits, les règles de la Charte permettent ainsi à l’institution, lors d’importantes sessions de prises de vue pouvant nécessiter de lourds matériels mais également des déplacements d’œuvres, de faire respecter les contraintes que cela lui occasionne. Ainsi gérées en amont par des demandes d’autorisations de prises de vue et l’organisation de la prise de vue, une bonne communication permet à tous les droits d’être respectés.


De toute évidence et par ailleurs, il convient ici de rappeler que l’utilisation de la photographie ainsi obtenue avec ou sans flash, demandera les précautions d’usage. À titre d’exemple, une utilisation Internet sur un blog personnel constitue en réalité « une communication au public » et non pas l’exception d’usage à titre privé.


À notre sens, la photographie reste un mode d’expression particulièrement complexe et riche. Sa rencontre avec l’œuvre d’art dans l’espace public permet de nombreuses réflexions intéressantes, probablement sujettes à évolutions.


Il est fort à parier en effet que la marche résolue des innovations technologiques s’intensifiera, intervenant à la fois sur la création des œuvres que sur la prise de vue des photographies. De nouveaux moyens d’accéder aux œuvres et leurs détails dans l’espace public seront créés, à l’instar de l’efficacité des drones pour documenter visuellement les choses. La capacité des smartphones et autres objets à prendre des images perfectionnées continueront à évoluer tout comme les moyens d’effectuer des modifications des photographies prises, déjà aujourd’hui très avancées. De là à brouiller les pistes sur qui a créé quelle œuvre et quand, et à brouiller les pistes quant à l’emplacement de l’œuvre, espace public ou privé, il n’y aura peut-être qu’un pas, quitte pour le droit à imaginer ou réimaginer alors l’articulation des droits des uns et des autres ainsi que leurs relations.


 


NOTES :


1) Du grec photos = lumière et graphein = peindre, écrire.


2) https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Documentation-administrative/Tous-photographes-!-La-charte-des-bonnes-pratiques-dans-les-etablissements-patrimoniaux


 


Sara Byström,


Avocate en Droit de la photo et Droit de l’art,


Membre de l’Institut Art & Droit


 


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