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La poubelle, un doux parfum d’inventivité

La poubelle, un doux parfum d’inventivité
Publié le 07/05/2020 à 10:00


Né le 15 avril 1831, Eugène Poubelle est connu pour être l’inventeur du dispositif dont il impose l’usage et auquel il laisse son nom… la poubelle ! Mais est-il vraiment à l’origine de cette invention ? À l’occasion de ses 180 ans, retour sur les innovations en matière de traitements des ordures ménagères, à travers les brevets conservés aux archives de l’Institut national de la propriété industrielle. 

Le 24 novembre 1883, Eugène Poubelle, alors préfet de la Seine, prend un arrêté obligeant les propriétaires d'immeubles parisiens à mettre à disposition de leurs locataires des « récipients communs et munis d'un couvercle, d'une capacité suffisante pour contenir les déchets ménagers ». « L’arrêté Poubelle » s’inscrit comme un tournant historique dans la gestion des ordures ménagères et marque la naissance de la poubelle. Mais si son nom est resté, nombreux sont ceux qui auparavant, s'étaient déjà intéressés à la question. 

Depuis longtemps, une foule de chiffonniers passe dans les villes et villages pour acheter des produits usagés ou mis au rebut, et les revendre à des entreprises de transformation. En 1829, Maurice André Chaumette décrit dans son brevet d’invention pour un nouveau système de nettoiement des rues, le mode d’intervention des chiffonniers : « ils sont répartis sur chaque quartier comme les cantonniers sur les routes. Ils y circulent constamment, traitant à bord de légers chariots à quatre roues basses portant huit paniers mobiles, une pelle, un balai et deux longues corbeilles. Ces femmes et enfants ont chacun une jatte sur le dos, et une corbeille dans laquelle ils mettent ou reçoivent les résidus pour faire le choix de tous les articles de chiffonnage ». Mais l’arrêté Poubelle met en péril l’activité et la principale source de revenus des chiffonniers, qui s'insurgent contre cette nouvelle mesure. 

De nombreux inventeurs, s’élevant contre l’insalubrité dans les grandes villes, imaginent dès le début du XIXe siècle un quotidien plus propre, grâce à un ramassage des ordures ménagères réalisé avec du matériel adapté et localisé à des endroits spécifiques. L’urbanisation galopante entraîne le développement des premières idées d’aménagement des espaces, prenant en compte la gestion des ordures ménagères. En 1854, Walter Mac-Farlane, un Anglais, dépose par exemple un brevet qui consiste « à arranger des établissements de commodité publique pour les rues, les marchés et les grands établissements, consistant en un seul bâtiment, qui réunit une série de cabinets d’aisance, des lavoirs, des urinoirs, des réduits à ordures, et en outre une alimentation d’eau potable. On peut utiliser les angles jusqu’alors inoccupés par des réduits à ordures ».

Mais c’est surtout suite à l’arrêté Poubelle que les inventions vont se multiplier et qu’un grand nombre de brevets seront déposés. Ils proposent des solutions ingénieuses, simples, rapides et pratiques, aussi bien pour les usagers que pour les personnes chargées de collecter les déchets. 

En 1884, Alfred Le Masson et Eugène Derveloy brevètent une « boîte ménagère à ordures pliante ». La description est explicite notamment sur les nouvelles règles imposées par Poubelle : « les règlements de police obligent actuellement les propriétaires à disposer le matin devant leurs maisons des boîtes dont les dimensions sont déterminées pour contenir les ordures des locataires, ces boîtes qui ne servent qu’une heure chaque jour à peine sont assez volumineuses et malpropres, et dans bien des cas, notamment dans les maisons qui n’ont pas de cour, on ne sait pas où mettre ces boîtes pendant toute la journée. C’est pour éviter cet embarras que nous avons eu l’idée de combiner une boîte à ordures ménagères qui, tout en donnant satisfaction aux règlements, puisse, lorsqu’elle ne sert pas, être réduite à un très petit volume et n’occupe guère plus de place qu’une simple planche. Dans ces conditions, la boîte à ordures n’est plus un embarras puisqu’on peut la suspendre derrière la porte de la maison ou la remiser dans un endroit quelconque ».

En 1893, un certain Gustav Adolf Scholsky invente un « appareil pour la réception et le transport des ordures », sorte de sac poubelle avant l’heure, dont le but « est d’effectuer le transport des ordures au moyens de sacs qui, aussi longtemps qu’ils sont en emplissage, sont contenus par des cages ou châssis spéciaux et qui sont ensuite chargés sur les voitures de transport après avoir été retirés du châssis. Ce système est très simple et très rapide, il a l’avantage d’écarter tout danger d’incendie, il permet en outre d’effectuer le chargement et le transport sans faire aucune poussière. De plus, il ne nécessite pas l’emploi d’un genre particulier de voitures, les sacs pouvant être chargés sur un véhicule quelconque. Enfin, il présente l’avantage de permettre une distribution rapide et commode des ordures sur les champs et les prairies ».

Si l’arrêté Poubelle imagine la collecte des déchets à heures fixes, certains constatent que cette contrainte horaire ne sied pas à tout le monde. Le vide-ordures permettant de se débarrasser de ses déchets à toute heure apparaît alors dans les constructions modernes. Son inventeur, Louis Larcher, dépose un brevet en 1888 qu’il intitule « système de colonne à ordures ménagères ». Il explique les problématiques du système de traitement des ordures de l’époque et met en avant les avantages de son innovation : « dans les grandes villes comme à Paris, des règlements de police obligent les locataires d’une maison à descendre à des heures déterminées les ordures d’appartements dans des boîtes ou récipients spéciaux. Ces prescriptions ont pour conséquence fâcheuse de suggérer à la ménagère, pour se débarrasser des ordures aussitôt qu’elle a l’occasion de les rencontrer, tous les moyens imaginables qui la dispenseront d’attendre les heures réglementaires et de descendre et remonter aux deux, trois, quatre, cinq même six étages ; tous ces moyens aboutissent à porter les ordures et les détritus de toutes sortes aux cabinets d’aisance, qui sont peu faits pour convenir à une semblable destination. J’ai pensé qu’en installant pour les habitations une conduite à ordures, spéciale et indépendante, je ferais disparaître tous les inconvénients précisés. Il n’y a pas de doute que les maisons pourvues de mon système seront recherchées par les bons locataires : ils y trouveront toutes les facilités d’évacuer de leurs demeures les ordures ménagères, quelles qu’elles soient, à toute heure de la journée, sans dérangement, comme sans fatigue ni perte de temps ».

Pour la collecte des ordures, l’arrêté Poubelle prévoit par ailleurs l’aide de voitures tirées par des chevaux. Des véhicules spécifiques aux formes variées sont alors mis au point, puis très vite les premiers véhicules à moteur apparaissent. En 1897, la société Wessel et Compagnie propose une « voiture hygiénique automobile destinée à l’enlèvement des détritus et des ordures ménagères ». Ses inventeurs précisent que « l’enlèvement des détritus des villes se fait généralement au moyen de voitures à chevaux laissant beaucoup à désirer au point de vue de l’œil, mais encore plus au point de vue de l’hygiène, de la commodité, de la rapidité et de l’économie. Nous avons pensé que nous pourrions modifier ce mode d’enlèvement en nous servant de voitures automobiles, construites de façon à pouvoir marcher à des vitesses différentes sur les routes ordinaires, rues, ou sur les voies ferrées, par le moyen de roues spéciales ou de roues supplémentaires. Ces voitures dont l’extérieur serait d’un aspect agréable, seraient disposées à présenter à l’intérieur toutes les conditions de propreté et de facilité de nettoyage que réclame l’hygiène ». Si cette invention tend à ressembler à ce que l’on connaît aujourd’hui, on ne parlera néanmoins véritablement de « camion-poubelle » qu’au tournant du XXe siècle, quand la collecte des déchets s’impose en France, aussi bien en ville qu’à la campagne. 

Les innovations relatives à la gestion des ordures ménagères ont perduré tout au long du XXe siècle. Durant les années d’après-guerre et jusque dans les années 1970, la vie quotidienne se modifie durablement et la poubelle suit son évolution, principalement à l’intérieur des habitations : la poubelle s'impose à l’intérieur/au sein même des habitations, notamment dans la cuisine. Ainsi, en 1957, Simon Marcot crée « un dispositif pouvant être fixé avec avantage dans un placard de meubles ou buffets de cuisine. Ainsi, le réceptacle est présenté automatiquement à la ménagère à volonté et à son choix, dès qu’elle pousse légèrement la porte pour l’ouvrir du genou, coude ou pied, donc en conservant ses mains libres pour éplucher des légumes ou vider les ordures directement au-dessus de cette poubelle amovible ».

Brevet d’invention n°1168836 déposé le 5 mars 1957 par Simon Marcot pour une boîte à ordures et poubelle perfectionnée pour meubles de cuisines


Objet d’innovation depuis plus de deux siècles, la poubelle s’est transformée au fil du temps. Perfectionnée pour devenir plus pratique, plus robuste ou pour se faire plus discrète, elle fait désormais partie intégrante de notre quotidien. Le tri des déchets étant par ailleurs l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle, la poubelle n’a pas fini de se réinventer. 



Steeve Gallizia,

Chargé de la valorisation des archives patrimoniales de l’INPI

 

 

 


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