La France, fille aînée de
l’Église, a une longue tradition chrétienne dont les prémices remontent au IIe
siècle. Mais en 2025, les catholiques semblent de moins en moins nombreux et
l’image du clergé est entachée d’affaires sordides. Dans ce contexte âpre, les
hommes de Dieu ont encore beaucoup de choses à apporter à notre société. C’est
du moins la conviction du cardinal François Bustillo Ripodas.
Le cercle vient de fêter ses
quinze ans au cours d’un 110e dîner. Son président, Jean Castelain a
chaleureusement remercié à cette occasion les fidèles qui portent
l’association. François Bustillo Ripodas, cardinal-prêtre de Santa Maria
Immacolata di Lourdes a Boccea était l’invité d’honneur de cette soirée. Il a
détaillé quelques observations sur la société actuelle avant d’exposer ce que
la religion peut y apporter.
29 % de nos concitoyens se
déclarent catholiques. Notre pays compte plus de 42 000 églises, pour la
plupart mises à la disposition de la nation par décret du 2 novembre 1789. Ce
maillage nationalisé par la révolution témoigne de la proximité historique des
curés avec la population française.
Aujourd’hui, les médias
diffusent le sentiment que notre démocratie est fragile, qu’elle a besoin de
personnes engagées dans l’économie, la politique, ou la religion pour
subsister. Les scandales s’y répandent comme une trainée de poudre, sous le
coup d'émotions, sans réflexion. Pour le prélat, « souvent, notre
réaction première, face à une pensée, est plus commandée par l’émotion que
guidée par la réflexion. S’accorder du temps, prendre du recul et débattre dans
des rencontres comme celle de ce soir contribue à former les consciences et les
intelligences ». François Bustillo Ripodas souhaite partager deux
analyses : son regard vers la société, et son regard vers l'Église.
La société ordonnée a besoin
de valeurs humaines
« Notre civilisation a
reçu un héritage étonnant. Au début du 20e siècle (1917), le
sociologue Max Weber nous parle d’un monde désenchanté. Il dit qu’avec la
science et la technique, sans spiritualité, le monde risque d'être froid. Puis,
nous avons vécu 2 guerres mondiales. Et à la fin du siècle, nous avons connu,
ce que les théologiens ont appelé une société sécularisée. » Effectivement,
la société occidentale et française est sécularisée. Le défi quotidien pour un
prêtre consiste à proposer des réponses simples, claires, modernes, sans
vouloir imposer ou endoctriner, un peu comme un cuisinier qui énoncerait ses
recettes. Par ailleurs, quand il parle, s’immisce souvent dans l’auditoire l'appréhension qu’il soit là pour manipuler ou dominer les consciences.
À propos de manipulation, le
cardinal développe : « Nous avons vécu une période, après mai
1968, où on a beaucoup parlé de liberté, mais une forme de liberté. Cette
liberté était un peu adolescente. Nous avons adopté la devise anarchiste :
ni Dieu, ni maître. Dieu a été évacué. On a eu des maîtres – je
m’adresse à des avocats – dans beaucoup de domaines. Ces personnes ont proposé
un idéal qui s’est quelquefois transformé en idéologie. » François
Bustillo Ripodas précise qu’il est important d’orienter notre tendance
naturelle à développer nos idées. Car, une idée peut faire tendre vers l'idéal,
et tant mieux. Néanmoins, attention à ne pas sombrer dans « l'idéologie
qui n’a pas de cœur ».
51 % des Français se disent
sans religion. Sans Dieu, l’espace vacant est rempli par l'avoir, le pouvoir,
le savoir ou le faire. Tout cela compte, mais néglige la dimension de l'être
humain, l'être tout simplement. Qui soigne l’être aujourd'hui ? Qui
l’accompagne ?
Pour le prélat, « les
valeurs sont devenues floues. On a perdu une forme de colonne vertébrale, un
référentiel des valeurs. Pour avancer, la société a besoin de retrouver cette
structure solide qui lui donne sa stabilité et permet sa mobilité. L’humain qui
perd sa solidité intérieure, qu’il soit croyant, peu croyant, pas croyant,
croyant autrement, perd sa stabilité ».
Le cardinal prend pour
exemple « le paraitre ». Il observe que nous vivons dans une société
où « la peur de disparaitre nous pousse à nous afficher face aux
autres. Nous avons très peur de l’abandon. Ne pas être considéré ou invité
blesse. Il faut de la force intellectuelle et spirituelle pour affronter ces
moments ». Paraitre implique de se montrer, et de parler.
Cette caractéristique
constitue peut-être un catalyseur à la multitude des polémiques qui fracturent
la société. D’une pensée, d'une idée, d'une vision peut très vite surgir la
controverse. « Il est normal d'avoir des visions divergentes, mais
pourquoi tomber si facilement et parfois d'une manière violente dans des
affrontements ? », demande le prêtre.

Le cardinal François Bustillo Ripodas (3e en
partant de la droite) entourés des membres du cercle
La société semble fatiguée
moralement et intellectuellement. Nous sommes atteints « d’une espèce
de virus social », note le cardinal : « si tu ne penses
pas comme moi, je vais le dire d'une manière forte, presque agressive. Le
danger associé à cette attitude, c’est de détruire l'autre. Comme une maladie,
la dispute se nourrit de ce qui ne va pas et se transmet entre les personnes. »
Les médias relatent
constamment des faits de violences. Il est vrai que la sécularisation,
l’évacuation de Dieu et de ses valeurs spirituelles, favorisent un monde qui,
entre autres, s’abstient de pitié. Et sans pitié, toute démarche peut devenir
brutale. Les réseaux sociaux en donnent quotidiennement l’exemple. Ils sont
durs, ils ignorent l’indulgence. Des individus sans compassion s’y prononcent
sur autrui sans avoir ni les éléments, ni les arguments. Aujourd'hui, la
pratique relève presque de l’inquisition médiatique. « L’enfer, c’est
les autres » dénonçait déjà Jean-Paul Sartre.
« Malheureusement, ces
comportements irrespectueux, froids, cassants provoquent l’érosion de la
fraternité, alors qu’elle devrait au contraire s’enrichir de nos
différences », complète le cardinal. « La
fraternité n’est pas juste un mot gravé sur les mairies. Elle a besoin d’être
incarnée et se traduit par les actes. Elle se vit comme une expérience dont une
qualité est d’inclure la diversité. »
Les Français portent un
regard superficiel sur l'Église
Comme la démocratie, l’Église
est fragile, « mais toujours là ». François Bustillo Ripodas
entend les Français : « il n’y a que des mémés à la messe, il n’y a
plus de vocation, on ne vous écoute plus, les évêques sont mous, etc ».
Il interroge fréquemment les candidats au mariage ou au baptême sur leurs
motivations. En général, leur position est sur la défensive : « oui,
on vient à l’église, mais on n’est pas d’accord avec elle, parce que les
croisades, les prêtres pédophiles, la richesse du Vatican, ... » Ce
qui attriste le prélat, c’est que les réponses parlent de la politique de
l’Église, de son organisation, de sa logistique, mais que personne ne voit « son
âme », et il le déplore : « pourtant, si un homme
s'engage auprès de Dieu, ce n'est pas pour intégrer le système ecclésiastique
et maintenir sa machinerie. Le moine, le prêtre, l’évêque veut donner sa
vie. »
Il est ulcéré par les abus,
les affaires où « l’homme du sacré a massacré des vies », et
déclare : « Notre vocation n'est pas de prendre la vie des
autres ! Et surtout les personnes les plus vulnérables ! Mais de
donner notre propre vie. C’est notre mission. »
La plupart des jeunes n’ont
pas de point de vue religieux, et peu de connaissances sur la foi, les
cérémonies, les curés. Le cardinal considère que l’Église peut ouvrir leur goût
pour la vie depuis la naissance jusqu’à la mort et pour la spiritualité, car « l’homme
a besoin de travailler et d’alimenter sa vie intérieure ».
Certaines enseignes du
tourisme proposent d’ailleurs sur leur catalogue des voyages spirituels. Les
clients partent loin, au Tibet, en Amazonie, en Inde, ou ailleurs pour vivre
cette expérience, « alors qu’ils ont des églises et des monastères à
côté », ponctue François Bustillo Ripodas. « Pourquoi aller
dans ces lieux exotiques lointains ? L’aspect positif est leur soif de
spiritualité. C’est une mission pour le prêtre d’entendre leur quête et de s’y
associer. »
Il semble que nous vivons une
mondialisation de la superficialité. « Serait-il opportun de créer une
mondialisation de la profondeur ? » interroge-t-il « Cela
afin d’éviter les lectures rapides et épidermiques de la vie sociale. »
Des préceptes catholiques
pour pacifier la société ?
La messe ne se réduit pas à
une leçon de morale. Pour le croyant, c’est un moment de communion, une
célébration où sont répétées des phrases que tout le monde a déjà
entendues : « allez dans la paix du Christ, aimez-vous les uns les
autres, aimez vos ennemis, donnez, pardonnez, ne jugez pas, ne condamnez
pas », etc. Ces paroles décrivent un idéal à incarner qui, à l’évidence,
devrait modérer l’ambiance contemporaine agressive. Et le défi est immense, car
la Corse en particulier a été le siège de 16 homicides et 17 tentatives
d’homicide en 2024.
Conscient de l’omniprésence
de la violence, le prélat se montre combatif : « l’amour chrétien
est exigeant. Il ne s’agit pas de l’amour peace and love où tout va bien, tout
le monde est gentil. C’est un amour qui va jusqu’au bout. Il pardonne tout. Il
donne tout. La spiritualité évite à la société d’être polluée par des rapports
dominant/dominé, des rapports de force. Elle apaise les relations. L’esprit de
Dieu prône la paix, la joie, l’amour, le don de soi, la maitrise de soi. Avoir
l’esprit de Dieu en soi, c’est faire le plein et tendre vers la plénitude, un
peu en opposition avec la méditation qui invite à faire le vide pour atteindre
la sérénité. »
André Malraux prophétisait :
« le 21e siècle sera religieux ou ne sera pas. » Dans le
lourd climat international et national en cours, l’Église, veut
humaniser les regards et faire comprendre que « l’autre n’est pas
un fardeau, mais un cadeau ». Elle prêche l’espérance et veut refaire
rêver comme par le passé.
Le cardinal conclut sur le
thème du rêve : « C’est aux catholiques de réveiller ce désir.
Pour saint Bonaventure, "le désir est le moteur de l’âme". L’Église
doit délivrer une bonne nouvelle à la société. L’Évangile, ce que Jésus a dit,
ce que Jésus a fait est très peu connu. Voilà un beau défi, transmettre la
passion de croire. Quand on croit, on vit. Et quand on vit, on espère. »
C2M