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La répression pénale aux fins de protection des intérêts financiers de l’Union européenne

La répression pénale aux fins de protection des intérêts financiers de l’Union européenne
Publié le 11/05/2020 à 14:30
Dans un contexte de pénalisation de la vie des affaires, il a été jugé nécessaire d’organiser une réponse pénale aux agissements de fraude commis par les justiciables peu scrupuleux au détriment de l’Union européenne. Cette réponse a pris la forme de l’ordonnance n° 2019-9631 promulguée le 18 septembre 2019, venant transposer la directive (UE) 2017/1371 du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal (dite directive PIF)2. Tandis qu’aujourd’hui le droit français a intégré le mécanisme de « transaction pénale », via la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) et la comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), sorte de « justice sans juge » puisque mise en œuvre par les parquets, ces nouvelles mesures répressives devront naturellement faire l’objet d’une application éclairée, conduisant le juge pénal à agir avec discernement afin de ne sanctionner que les agissements qui le méritent. Pascal Schiele, Avocat Associé, EY Société d’Avocats

 

Partenariat entre l’Université Paris-Dauphine et le Journal Spécial des Sociétés

L’Université Paris-Dauphine et le Journal Spécial des Sociétés ont mis en place un partenariat concernant la rédaction régulière de commentaires d’arrêts ou de décisions de jurisprudence par les étudiants du master II droit des affaires. Ces commentaires sont rédigés par les étudiants, sous la supervision d’enseignants dans le Master.



Les intérêts de l’UE sont définis comme « l’ensemble des recettes perçues et des dépenses relevant soit du budget de l’Union, soit du budget des institutions, organes et organismes institués dans le cadre des traités ». La Commission européenne estime que la fraude à la TVA, à elle seule, représenterait près de 50 milliards d’euros de pertes budgétaires par an. Désormais, le nouvel article 113-14 du Code pénal définit ces intérêts comme ceux étant liés « aux recettes perçues, aux dépenses exposées ou aux avoirs qui relèvent du budget de l’Union européenne, des budgets des institutions, organes et organismes de l’Union européenne ou des budgets gérés et contrôlés directement par eux ».

Néanmoins, la gravité des sanctions pénales prononcées à l’égard de tels comportements pouvant varier d’un État membre à un autre, permettaient aux potentiels fraudeurs de contourner les règles du jeu et de réaliser leurs manœuvres frauduleuses. Aussi, l’effet dissuasif des mécanismes répressifs nationaux devait être uniformisé afin de permettre une meilleure appréhension de ces pratiques. Cela nécessitait, pour ce faire, d’intervenir sur deux points : (1) l’aggravation de la répression et (2) la création d’un délit intentionnel de fraude douanière.

 

I. L’AGGRAVATION DE LA RÉPRESSION PAR ALOURDISSEMENT DES PEINES

Alourdissement des sanctions et création de nouvelles infractions

Suite à l’ordonnance précitée du 18 septembre 2019, de nombreuses infractions ont vu leur sanction s’alourdir. C’est par exemple le cas de l’abus de confiance portant atteinte aux intérêts de l’Union européenne, pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, contre trois ans pour un abus de confiance simple3. Cette peine est en outre renforcée en cas d’agissements en bande organisée, passant à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende. Plus encore, la simple tentative d’abus de confiance pouvant porter atteinte aux intérêts de l’Union européenne est désormais réprimée par ces nouveaux textes du Code pénal.

À l’instar de l’abus de confiance, la répression du détournement de fonds publics européens commis en bande organisée est également renforcée, l’amende pouvant aller jusqu’à 2 000 000 euros, ou le double du produit de l’infraction4. La sanction a donc doublé par rapport à l’ancien régime. Elle s’applique également aux cas de corruption et de trafic d’influence commis en bande organisée. Enfin, la soustraction et le détournement de biens appartenant à un dépôt public européen commis en bande organisée sont désormais sanctionnés par une amende de 750 000 euros.

Ainsi, le renforcement de la répression se caractérise par la création de nouvelles peines ainsi que par un allongement des peines déjà existantes, notamment par l’ajout de la circonstance aggravante de bande organisée, démontrant la volonté des institutions de se montrer plus sévères avec les cas de délinquances économiques et financières.

 

Les enjeux de la nouvelle répression

Ce mouvement répressif qui est dans l’air du temps répond en réalité à plusieurs logiques. Tout d’abord, il s’inscrit dans une volonté de lutter contre les infractions en chaîne. En effet, la fraude sur le marché unique affectant les finances de l’Union présente un danger en termes de sécurité publique, puisqu’elle est une source de revenus pour la criminalité permettant, in fine, de financer d’autres activités criminelles. En pratique, il n’est pas rare de constater, dans les schémas de fraude, que les fonds obtenus grâce à la réalisation d’une première infraction permettent de financer la réalisation d’autres infractions, telles que la corruption ou encore le blanchiment d’argent.

Le second enjeu de cette réforme est lié à l’avènement du numérique, puisque de nombreuses plateformes de paiement en ligne se sont développées à travers le monde, en optimisant leurs résultats grâce à l’inadaptation des réglementations des États, sur lesquels elles avaient juridiquement un temps d’avance. Cette fragilité réglementaire n’a pas échappé aux fraudeurs et Internet est devenu un redoutable outil de fraude. Aussi, face à ces pratiques criminelles, la protection des consommateurs et des intérêts financiers des institutions est devenue une priorité.

Le troisième enjeu, quelque peu différent des deux premiers, est lié à la compétence matérielle des États membres pour lutter contre les « fraudes communautaires ». Ainsi, en ce qui concerne la France, l’article 113-6 du Code pénal dispose que la réglementation française trouve application pour les délits commis par des Français hors du territoire national, mais seulement lorsque le pays où les faits ont été commis les réprime également. Il s’agit du principe de « compétence personnelle active ».

Autrement dit, l’application de la loi française est conditionnée par l’existence d’une législation locale prévoyant une répression de ces mêmes faits.

Ainsi, lorsque le droit local ne prévoyait pas une telle répression, la loi française ne pouvait pas entrer en application. Or, aujourd’hui, lorsque le délit réprimé porte atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, la loi française trouve application en toute circonstance et ce, que ce délit soit commis par un Français, un résident ou une personne ayant une activité économique en France, même lorsque le droit local ne le réprime pas (article 113-14 du Code pénal). Il s’agit alors d’une dérogation au principe précité de compétence personnelle active.

Il est alors possible de penser être en présence ici d’une situation de double incrimination puisque en théorie, deux États membres pourraient sanctionner un comportement criminel sur le fondement des intérêts de l’Union européenne. La justification d’un tel cumul de sanctions pourrait trouver sa source dans l’idée que les intérêts protégés sont ceux de plusieurs personnalités juridiques, à savoir les États impliqués ainsi que l’Union européenne.

Il faut rappeler ici que le fait qu’une personne soit poursuivie et sanctionnée en France en ayant été jugée à l’étranger n’est pour l’heure pas interdit. En attestent d’ailleurs les innombrables situations de double répression auxquelles font face les entreprises françaises en matière de délinquance économique (sur ce point, citons le cas récent de Airbus, ayant fait l’objet d’une sanction en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis).

Aussi, une telle situation nécessiterait de renforcer la coopération entre les États impliqués – point en cours de développement grâce à la création du Parquet européen qui sera compétent en matière économique affectant le budget de l’Union européenne.

Ces dispositions générales ayant été abordées, il convient désormais de se pencher sur l’angle plus spécial de ce texte, à savoir la matière douanière.

 

II. LA CRÉATION D’UN DÉLIT INTENTIONNEL DE FRAUDE DOUANIÈRE

L’article 3 de l’ordonnance permet la création d’un nouveau délit venant sanctionner la fraude douanière intentionnelle à l’exportation et à l’importation comme en atteste le nouvel article 414-2 du Code des douanes5. Ledit article généralise l’infraction de fraude comme le démontre l’utilisation des termes « tout faits de contrebande » et « tout fait d’importation ou d’exportation » conduisant ainsi à faciliter la répression. À l’instar de l’ajout d’une circonstance aggravante telle que mentionné précédemment, le délit de fraude intentionnelle se voit appliquer la circonstance aggravante de bande organisée. Par conséquent, ce nouveau délit vise un large spectre de comportements frauduleux et intentionnels.

La fraude à la Taxe sur la Valeur Ajoutée constitue une fraude aux recettes budgétaires. Les recettes budgétaires dont il est ici question sont notamment issues du tarif douanier et du système commun de la TVA. Ces intérêts se retrouvent affectés par la fraude à la TVA dès lors que cette dernière consiste en la création de montage frauduleux pour ne pas s’acquitter de cette TVA en jouant sur les différences de taux entre États membres. Une partie de cette TVA n’étant pas payée, cela se répercute nécessairement sur le budget de l’Union européenne puisqu’une partie de ses recettes provient de la TVA récupérée par les États membres, entraînant un manque à gagner de recettes fiscales à plusieurs milliards d’euros par an.

Ainsi, la fraude à la TVA, relative à une fraude sur les recettes directement mentionnée par l’ordonnance de 2019, est réprimée par le délit de contrebande et d’importation des biens ou des marchandises sans déclaration et par fausse déclaration dont il est fait mention au Code de la douane, ainsi que par le délit d’escroquerie dans le Code pénal.

En atteste la rédaction de l’article 3 de l’ordonnance de 2019 créant l’article 414-2 du Code des douanes français et dont la lettre est la suivante : « Est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l’objet de fraude, lorsqu’il est commis intentionnellement et qu’il se rapporte à des marchandises qui ne sont pas mentionnées à l’article 414, tout fait de contrebande ainsi que tout fait d’importation ou d’exportation sans déclaration. » L’article, aux alinéas suivants, sanctionne des mêmes peines les faits intentionnels de fausse déclaration, utilisation de document faux, inexact ou incomplet ou de non-communication d’un document avant de finir sur la circonstance aggravante de bande organisée.

Cette création de délit de fraude douanière intentionnelle n’est pas sans conséquence puisqu’elle entraine des modifications en matière douanière. À titre d’illustration, et par effet d’entraînement, cet article se répercute sur l’article 426 du Code des douanes, relatif aux réputations d’importation ou exportation sans déclaration de marchandises prohibées reprenant, sur ce sujet, l’article 3 de l’ordonnance de 2019.

Cette réforme intervient notamment afin de contrer la fraude carrousel, par laquelle les réseaux criminels empêchent les montants de TVA d’être perçus par les administrations et estimés à plus d’un tiers du budget de l’UE. Cette démarche s’inscrit dans un contexte où les institutions souhaitent sévèrement sanctionner ceux qui ne respectent pas leurs obligations déclaratives. On précisera tout de même que la matière douanière et la TVA en règle générale sont déjà très fortement pénalisées en France, et qu’il conviendra donc de suivre avec attention comment ces différentes poursuites nationales et européennes pourront se combiner utilement.

 

III. LA CRÉATION D’UN PARQUET EUROPÉEN

Les difficultés rencontrées dans la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l’Union européenne ont permis de mettre en lumière le manque de coordination entre les États membres. En effet, selon les traités européens, les États ont l’obligation de poursuivre de tels faits et de les sanctionner pénalement.

Néanmoins, les États membres ont une compétence pénale exclusive entrainant des divergences dans les modes de répression d’un État à un autre. Ainsi, la création d’un organe décentralisé, tel que le Parquet européen, est une réponse à ce manque de coopération. Celui-ci s’organisera autour de procureurs européens délégués situés dans chaque État membre.

Il sera alors intéressant de voir quelle sera la dynamique en place entre procureur européen délégué et procureur de la République. Il est prévu que le Parquet européen soit une instance indépendante avec des compétences judiciaires propres ayant pour rôle de diriger les enquêtes et les poursuites pénales contre la fraude aux intérêts de l’Union européenne. Néanmoins, il devra exercer l’action publique directement devant les juridictions nationales, lesquelles auront donc compétence en la matière pour appliquer les textes nationaux relatifs à la fraude aux intérêts de l’Union européenne. La mise en œuvre de ces procédures engageant les actions combinées du Parquet européen et des autorités judiciaires nationales pourra être suivie avec attention et sera riche d’enseignements.

 

CONCLUSION

Dans un mouvement d’unification des règles en matière répressive, et afin de protéger les intérêts de l’Union européenne, les règles pénales se trouvent donc renforcées, les infractions multipliées et les sanctions de plus en plus sévères. Ce mouvement se trouve être d’autant plus fort qu’il entraine la création d’un Parquet européen pour lutter contre la fraude financière. Par ailleurs, le 30 janvier 2020, l’avis consultatif du Conseil d’État sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée a été rendu public, marquant un pas de plus dans la lutte contre la délinquance économique et financière.


Kenza Hamache, master II droit des affaires de l’université Paris-Dauphine, supervisée par Pascal Schiele, Professeur de droit privé à l’université Paris-Dauphine.


1) https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039110172&categorieLien=id

2) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32017L1371&rid=2

3) C. pén., art. 314-1-1.

4) C. pén., art. 432-15.

5) Article 414-2 du Code des douanes.

 

 




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