Partenariat entre l’Université
Paris-Dauphine et le Journal Spécial des Sociétés
L’Université Paris-Dauphine
et le Journal Spécial des Sociétés ont mis en place un partenariat concernant
la rédaction régulière de commentaires d’arrêts ou de décisions de
jurisprudence par les étudiants du master II droit des affaires. Ces
commentaires sont rédigés par les étudiants, sous la supervision d’enseignants
dans le Master.
Technique de financement apparue aux États-Unis en 1950, le LBO a été
introduit en France dans les années 1980. Ces dernières années, des LBO d’une
ampleur considérable ont été montés en France, comme le rachat de SFR par
Numéricâble1. En 2018, l’activité représentait 582 milliards
d’euros à l’échelle mondiale2.
Le LBO est un montage juridico-financier visant à acquérir une cible via
une société holding. Cette acquisition peut se faire de deux façons : soit
par recours à l’endettement financier en sollicitant des banques ou des
professionnels de l’investissement (ex : fonds de Capital-Investissement)
soit sur fonds propres, ce qui supposera que les investisseurs dotent la
holding d’acquisition d’un capital social suffisant. Nous circonscrirons notre
étude au financement par recours à l’endettement.
Les prêteurs dans cette hypothèse exigeront bien souvent que la holding
sécurise de manière optimale le financement qu’elle sollicite. Elle devra donc
recourir à une diversité d’instruments, afin d’apporter de la solidité et de la
stabilité à la relation contractuelle future qui naîtra du contrat de prêt.
Cela passera par la mise en place d’un security package, dont la composition
sera la fonction de l’objet et du montant du financement.
Dans un contexte de crise économique, les banques prêteuses ont tendance à
rehausser leur niveau d’exigence et les modes de sécurisation du financement
seront de plus en plus complexes.
Il convient donc de se demander : quelles sont les techniques
juridiques à utiliser afin de sécuriser les LBO ? Si le droit des suretés
devrait en principe à lui seul répondre à cette question (I), il n’en demeure
pas moins que face à la complexité des opérations de LBO, la pratique a mis en
place des schémas contractuels sui-generis toujours plus sophistiqués (II).
I. Des outils de sécurisation perfectibles
A. L’impossibilité d’octroyer
des sûretés en vue de sa propre acquisition
Dans les opérations de LBO, les dividendes distribués par la société cible
doivent permettre de rembourser le prêt contracté par la holding, ce qui
suppose des garanties au profit des prêteurs.
Les holdings ne disposent pas forcément d’actifs à offrir en garantie, car
elles ne sont généralement constituées que pour la réalisation d’une opération
précise. Il peut donc être tentant pour elles de donner les actifs de la cible
en garantie du financement escompté. Cependant, l’article?L. 225-216?du Code de
commerce interdit à toute société de consentir des suretés en vue de l’acquisition
ou l’achat de ses propres titres par un tiers. Une hypothèque sur un immeuble
de la cible afin de garantir le LBO n’est donc pas envisageable.
Face à cette interdiction, les praticiens ont mis en place une
parade : la cible va financer les distributions de dividendes vers la
holding en contractant un emprunt auprès de l’établissement bancaire ayant
accordé le crédit servant à son acquisition. Les banques prêteuses pourront
prendre en garantie des biens de la cible. Néanmoins, il faudra veiller à ce
que les suretés consenties viennent bien garantir les prêts que la cible a
contractés pour financer la distribution des dividendes et non le financement
ayant servi à son acquisition3.
On note toutefois que l’interdiction faite à la cible ne s’applique pas à
la holding d’acquisition.
B. L’octroi de garanties par
la holding
S’il n’est pas possible pour la cible d’octroyer des suretés en vue de son
acquisition, rien n’empêche la holding d’apporter les titres qu’elle détient
sur la cible en garantie dudit emprunt. Cela prendra donc la forme d’un
nantissement sur comptes-titres prévu à l’article?L. 211-20?du Code
monétaire et financier.
Toutefois, on peut souligner que le nantissement n’est pas d’une efficacité
absolue car « il n’a de valeur que
celle de son sous-jacent »4. En effet, dans l’hypothèse où
cette garantie devrait être mise en œuvre, les titres de la société se seront
bien souvent dépréciés. Il sera donc nécessaire d’assortir le nantissement de
comptes titres de garanties additionnelles telles que la fiducie ou le
nantissement de créances prévu à l’article?2355?du Code civil. Ce dernier consisterait à nantir
les flux de créances présents ou futurs de la holding sur la cible (ex. :
créance résultant d’une avance en compte courant).
Il peut arriver que le LBO soit financé non pas par une seule banque, mais
par un ensemble de banques réunies sous la forme d’un syndicat bancaire.
Comment dès lors articuler crédit syndiqué et suretés ? Avec qui la
holding contracterait la sureté projetée ? Généralement les membres du
syndicat vont confier un mandat à une « banque chef de file », afin
de constituer des suretés au nom et pour le compte de l’ensemble des membres du
syndicat.
Les outils mis à la disposition des créanciers par le législateur tels que
les suretés, ne sont généralement pas suffisants pour sécuriser les opérations
de financement. D’où la nécessité de les assortir de mécanismes
complémentaires.
II. Des mécanismes de sécurisation supplétifs
A. Les clauses courantes au
sein des contrats de financement des LBO
On constate qu’au fil du temps, les prêteurs ont eu tendance à durcir les
conditions de leur participation à ces opérations financières. À côté des
suretés contractées par l’emprunteur, se multiplient de nombreuses clauses
courantes au sein des contrats de financement afin de limiter le risque pris
par les prêteurs (clause d’exigibilité anticipée, obligation de ne pas faire…).
Dans le financement des LBO, cohabitent habituellement trois types de
créanciers : le prêteur senior, souvent un établissement financier, le
prêteur mezzanine qui bénéficie de moins de sécurité que le prêteur senior, ce
qui va induire une rémunération plus forte pour celui-ci, et in fine le prêteur
junior qui bénéficie des mêmes garanties que le prêteur senior.
Comment est géré l’ordre entre les différents créanciers, qui est payé en
premier ? Généralement le prêteur senior va conclure avec le prêteur mezzanine
une convention de subordination, cette convention prévoyant que le
« Mezzaneur » ne sera pas payé tant que le « Senior » n’est
pas intégralement remboursé. La question que l’on peut se poser est de savoir
si cette convention de subordination est opposable aux autres prêteurs comme le
prêteur junior. A priori, aucune réponse claire et précise n’a jamais été
apportée à cette question par la jurisprudence ; elle reste donc posée.
De plus, les banques n’hésitent pas à repousser les limites de l’ingénierie
juridique dans un souci de protection, en ayant recours à des montages « empreint de forum shopping »5,
comme le recours à la double Lux.Co.
B. Le recours à la double Lux. Co.
Les créanciers financiers sont partis du constat des lacunes du droit
français des entreprises en difficultés. À titre d’exemple, en France, en cas
de procédure de sauvegarde judiciaire affectant la holding, les prêteurs
peuvent se voir imposer des mesures visant à restructurer la dette comme des
abandons de créances. Désireux d’être couverts contre toute défaillance de leur
débiteur, les conseils juridiques des établissements crédits ont donc mis en
place un montage juridique très sophistiqué, réputé infaillible, appelé « double Lux.Co. ».
Le montage se présente de la manière suivante : une société holding
française (la French Co.) est constituée afin d’acquérir une cible. Cette
holding française est détenue à 100 % par une première holding
luxembourgeoise (Lux. Co. 2), le capital de cette dernière étant lui-même
détenu à 100 % par une deuxième holding luxembourgeoise (Lux. Co. 1).
C’est la Lux. Co. 1?qui s’endettera pour les besoins du financement du
LBO, et ce sera son capital qui sera détenu par les investisseurs, elle va par
la suite prêter les fonds à la première holding française pour qu’elle puisse
acquérir la cible. L’objectif est de répondre tant aux conditions du règlement
européen du 29 mai 2000?que de celui du 29 mai 2015?et
permettre ainsi l’ouverture d’une seule procédure collective au Luxembourg. D’après
les textes européens, les suretés ne seront donc pas réalisables vu que la
procédure n’est pas ouverte en France.
Dans la mesure où, à chaque étage des liens capitalistiques, il y a un
nantissement (les titres de la Lux. Co. 1?sur la Lux. Co. 2?sont
nantis, ceux de la Lux. Co. 2?sur la French. Co. le sont également), les
garanties dont bénéficient les créanciers seraient alors à l’abri des fourches
caudines des procédures de traitements des difficultés des entreprises françaises.
En pratique, de nombreuses entreprises ont eu recours à ce type de
montages. Cependant, la « double
Lux.Co » n’est pas aussi infaillible qu’il n’y paraît. En effet,
n’ayant encore jamais fait l’objet d’un recours devant le juge, son efficacité
n’a pour l’instant pas été testée. En cas de litige, on pourrait aisément
objecter que le recours à ce type de montage constitue une fraude à la loi
française en vertu de l’adage « fraus
omnia corrumpit » et étendre la procédure d’insolvabilité française à
la Lux. Co 1. En outre, les coûts engendrés par ce montage sont assez
élevés et ne sont pas supportés par les prêteurs, mais par la holding.
Lorsque l’on fait un bilan coûts/avantages, il n’est pas certain que le
recours à la double Lux. Co. soit ce qu’il y a de plus indiqué pour les
prêteurs afin de sécuriser au mieux leur financement. D’autres alternatives
moins coûteuses et tout aussi efficaces existent comme la fiducie, dans la
mesure où le contrat de fiducie ne peut être appréhendé par la procédure
collective en vertu de l’article?L. 622-13?du Code de commerce s’il a
été conclu avant l’ouverture de la procédure. Dans cette hypothèse, on ne
pourrait donc obtenir restitution des droits transmis au fiduciaire.
Note par Christopher
Wembonyama, master 214 droit des affaires de l’université Paris-Dauphine,
supervisée par Sophie Schiller, professeur de droit privé à l’Université
Paris-Dauphine.
1) BFM Business, « SFR & Numéricâble, le plus gros LBO monté en
France », publié le 26?mars 2014.
2) La Tribune, « 2?000?milliards de dollars, le capital-investissement
regorge de réserves de cash », publié le 27 février 2019.
3) Richard Marty, « Mutualisation des sûretés ou
cross-collateralization lors des opérations de LBO et des financements de groupe »,
Revue de Droit bancaire et financier, Mai 2019, n° 3.5
4) Lola Chammas, Denis Marcheteau, Camille-Maya Hurel, Pierre-Louis
Sevegrand, Christpohe Moreau, « LBO (Leverage Buy Out). – Création »,
JCl Banque - Crédit - Bourse, Fasc. N° 2310, juin 2019.
5) Xavier Couderc-Fani et Philippe Thomas, « Incertaine efficacité et
alternatives aux doubles Lux. Co », Revue de Droit bancaire et financier,
Juillet 2015, n° 4.