« Le but final de toute activité plastique est la
construction ! » C'est ainsi que débute le Manifeste du Bauhaus de Walter
Gropius en 1919.
À travers cette déclaration, on perçoit le lien tant historique
qu'organique qui existe entre l'artiste et l'architecte – cette
coexistence entre la décoration d'une construction constituant l'apothéose d'un
« grand art ». Selon Gropius, il s'agit de ramener les œuvres à « l'esprit
architectonique qu'elles ont perdu dans l'art de salon ».
On peut ainsi retrouver dans l'obligation de décoration des bâtiments
publics un écho à cette déclaration artistique. Imaginée en France, dès 1936,
dans le cadre d'un arrêté dit « loi du 1 % » qui visait à
soutenir un secteur artistique en difficulté – mais n'a pas été mis en
application –, cette perspective ne s'est finalement concrétisée qu'à
l'occasion de l'arrêté du ministre de l'Éducation nationale du 18 mai 1951.
D'abord limitée aux bâtiments de ce ministère, cette obligation de
décoration des constructions publiques a progressivement été étendue à
l'ensemble des services de l'État (en ce compris ses établissements publics
administratifs), puis aux collectivités publiques (dans le cadre du transfert des
compétences issu de l'article 59 de la loi du 22 juillet 1983).
Il en résulte que toutes les opérations immobilières dont la maîtrise
d'ouvrage est assurée par l'État ou par les collectivités publiques, soit
directement, soit par mandataire, sont concernées par l'application de cette
mesure qui porte non seulement sur la construction neuve de bâtiments publics,
mais également sur leur extension et même leur réhabilitation lorsqu'elle donne
lieu à un changement d'usage ou d'affectation.
Dans cette perspective, la commande publique constitue un instrument
efficace pour l’État et les collectivités publiques pour « faire
sortir » l’œuvre d’art ou plutôt pour l’incorporer, l'insérer à la sphère
publique ; une sorte de res publica au sens originel du terme. En
effet, le « visiteur » de l’espace public, du lieu public, n’a pas de
démarche active à faire. Il peut, en quelque sorte, se laisser séduire, plus ou
moins consciemment et en fonction de sa sensibilité, par cette rencontre
décomplexée avec l’art qui s’invite alors, naturellement, avec plus ou moins de
succès et, parfois, plus ou moins de bonheur, dans son paysage, qu'il soit,
d'ailleurs, quotidien, occasionnel ou totalement fortuit. Tout le territoire
national (parfois jusqu'à l'étranger...) est concerné, permettant ainsi de
pallier un peu à un risque de désert culturel dont on peut avoir le sentiment
au fur et à mesure que l'on s'éloigne des grands centres de création.
UNE COMMANDE PUBLIQUE... PAS COMME LES AUTRES
Le « 1 % artistique » se présente comme une
procédure ad hoc qui est désormais régie par le décret n° 2002-677 du 29 avril 2002 modifié (et les arrêtés
spécifiques à certains ministères), une circulaire du 16 août 2006 ayant également contribué à en expliciter les contours.
Quant à ses modalités de mise en œuvre, elles ont été codifiées, le 1er avril
2019, aux articles L. 2172-2 et R 2172-7 à 19 du Code la commande publique.
L'obligation de décoration se traduit par l'attribution d'une somme
destinée à faire réaliser, par une (ou plusieurs) œuvre(s) pour un bâtiment
public donné. Le pourcentage de 1 % s'applique alors sur le montant hors
taxes du coût prévisionnel des travaux établi par le maître d'œuvre (hors
certaines dépenses) dans la limite d'un plafonnement de deux millions d'euros. La somme allouée doit permettre non seulement de
couvrir les contributions de l'artiste (ou des artistes) de la conception à
l'installation de la (ou des) œuvre(s), mais aussi les indemnités dues aux
artistes présélectionnés lorsqu'ils n'ont pas été finalement retenus par le
comité artistique.
Suivant le montant de la réalisation artistique envisagée, la procédure
(qui doit être déterminée dès le stade de l'avant-projet sommaire) diffère.
Ainsi, si le montant est inférieur à 30 000 euros (hors taxes), le
maître de l'ouvrage a le choix de recourir à la procédure d'achat ou à celle de
la commande. S'il opte pour la procédure d'achat, il peut choisir d'acquérir
une (ou des) œuvre(s) à un (ou des) artiste(s) vivant(s), après avoir recueilli
l'avis du maître d'œuvre, de l'utilisateur de l'ouvrage et du directeur
régional des affaires culturelles. En revanche, s'il s'agit d'une commande
(procédure qui s'impose au-delà du seuil de 30 000 euros), alors le
maître d'ouvrage doit préalablement recueillir l'avis d'un comité artistique
(composé du maître de l'ouvrage, du maître d'œuvre, du directeur régional des
affaires culturelles, d'un représentant des utilisateurs et de trois
personnalités qualifiées dans le domaine des arts plastiques). C'est ce comité
qui élabore le programme de la commande et détermine la nature et l'emplacement
de la réalisation artistique. En cas de projet important ou innovant, la
commission nationale peut également être sollicitée.
À CHAQUE LIEU... SON ŒUVRE
Les œuvres doivent non seulement être créées par des
artistes vivants (personnalités déjà reconnues ou artistes émergents – français
ou étrangers) mais également respecter une exigence d'adéquation au lieu de
contextualisation. À cet effet, le maître d'ouvrage peut fixer, lors de la
sélection de(s) l'artiste(s), des prescriptions particulières. Cela peut
notamment concerner la localisation de l'œuvre et l'expression artistique
(autrement exprimé, le message véhiculé). Il s'agit de respecter l'identité des
lieux en la transposant dans l'œuvre (par exemple la vocation de transmission
et d'acquisition du savoir attaché au lieu pour les établissements
d'enseignement – dont on peut d'ailleurs observer qu'ils sont surreprésentés
pour l'application du « 1 % »). Dès lors, loin d'être autonome,
l'œuvre d'art doit former un tout avec le bâtiment (comme le préconisait
Gropius). Elle vient, en quelque sorte, rehausser la destination du lieu en la
mettant en exergue. L'artiste doit nécessairement engager un échange approfondi
avec l'architecte pour obéir à ce souci de cohérence en s'inscrivant,
finalement, dans la longue tradition de la décoration des grands projets
architecturaux. Si ce dialogue entre l'artiste contemporain et l'architecte –
aussi bien que celui qui marque l'œuvre et l'édifice dans lequel elle a vocation
à s'inscrire durablement –, n'est pas chose nouvelle dans l'histoire de
l'architecte, c'est la définition d'une procédure spécifique et d'une
allocation financière systématique et obligatoire qui fait l'originalité du « 1 %
artistique ».
Un assouplissement a, toutefois, permis à l'œuvre de
gagner en indépendance par rapport au bâtiment dans l'hypothèse, assez
fréquente, où elle peut être installée aux abords de celui-ci. Dans ce cas, de
l'œuvre, bien que contextualisée, s'éloigne alors naturellement de la notion de
décor pour afficher une existence plus autonome.
Malgré la « contrainte » nécessairement
liée au lieu, la forme de l'œuvre d'art est assez libre, dans la mesure où elle
peut s'inspirer de formes plastiques traditionnelles ou s'orienter vers une
réalisation plus novatrice. Toutefois, il ne doit pas s'agir d'une performance,
dans la mesure où elle ne permettrait pas, alors, d'assurer la permanence de
l'œuvre dans le temps. Est ainsi sous-jacente l'idée d'une adéquation entre la
longévité de l'œuvre et celle de la construction à laquelle elle est attachée.
Elle est en quelque sorte « assignée à résidence » in situ et
n'a pas vocation à être déplacée. C'est, à proprement parler, une collection
permanente. Il faut garder à l'esprit qu'une fois réalisée, sa présence dans
l'espace public ne fait pas pour autant disparaître les droits moraux de
l'artiste sur son œuvre.
UNE PISTE… DE DÉCOLLAGE ?
Malgré les louables intentions initialement attachées
au « 1 % artistique », son intérêt s’est quelque peu émoussé
depuis le foisonnement qui a accompagné l'essor des « Villes
Nouvelles » dans les années 80 et l'extension de ce dispositif aux grands chantiers. Au début des
années 90, l'idée d'une nécessaire relance de ce programme avait déjà
émergé, et ce jusqu'à ce que le décret du 29 avril 2002 ne vienne résoudre
certaines difficultés d'application. Ceci étant, l'absence de tout régime de
sanction est encore pointée du doigt, même si elle est potentiellement de
nature à raviver la critique d'une forme d'« art de
fonctionnaire » qui l'avait déjà frappée compte-tenu de son caractère
obligatoire.
Depuis 2014, une initiative sur le modèle des
Journées du patrimoine, baptisée « Journées du 1 % artistique »,
a vu le jour afin de contribuer à mettre en valeur ces nombreuses réalisations
artistiques (elles sont près de 12 500 et ont appelé la contribution de plus de 4 000 artistes). De fait, l'on
compte, parmi elles, des œuvres d'artistes aussi renommés que Matisse,
Dubuffet, Picasso, Buren, Lurçat ou encore Calder... Au-delà des indispensables
inventaires, c'est aussi la prise de conscience de la nécessité de mieux
connaître et – surtout – de mieux faire connaître ce patrimoine artistique qui
affleure. Demeure néanmoins la problématique du coût de l'entretien d'œuvres parfois
soumises à rude épreuve ; entretien qui incombe en principe au maître de
l'ouvrage (ou à la personne publique responsable).
C'est plus récemment, à l'occasion du projet de loi
de finances pour 2020 (1), qu'a refait surface l’idée « qu’en matière
d’arts visuels, des efforts devraient être réalisés pour relancer la politique
du "1 % artistique (2) ». Ce bref constat a été réitéré,
dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, par le rapport de la
Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat qui
déplore également une « efficacité aujourd’hui réduite en raison de
l’absence de sanctions lorsqu’il n’est pas respecté ». Le document
prône, outre une relance de la commande publique en général, une application
plus rigoureuse afin que le « 1 % artistique » devienne
l’un des instruments d'un rebond pour les artistes visuels qui sont
particulièrement affectés par la crise sanitaire. Ce contexte si particulier
pourrait, finalement, contribuer à ramener le dispositif à ses origines et à
une revalorisation du statut de l'artiste.
ART PUBLIC... ART URBAIN
Enfin, et alors que l'ambition première du « 1 %
artistique » était de garantir une présence artistique minimum dans
l'espace public, elle pourrait également trouver une source de jouvence dans le
mouvement street art. Moins institutionnel – mais tout aussi vivifiant
pour l'espace public, si l'on n'y attache pas exclusivement l'image parfois
caricaturale qui le reléguerait à une force de vandalisme sauvage, voire
totalement décadent –, il déploie l'art dans la ville tout en incarnant très
concrètement l'air du temps. L'on peut se demander si, finalement, une
rencontre entre ces « deux mondes » ne serait pas possible – voire
souhaitable – alors que le dispositif approche de son 70e
anniversaire et semble chercher à se réinventer. Ni subversion de l'espace
public, ni mort annoncée de l'art urbain, il se présenterait alors comme le
résultat d'une rencontre naturelle dans la ville. Pour reprendre les propos de
Christian Guémy (alias C215), « Le
street art trouve sa place naturelle dans un ancrage territorial. On ne peut
pas passer commande d’une fresque sans réfléchir à son emplacement, son utilité
esthétique, symbolique dans la ville. » Des réalisations de
cette nature existent déjà, mais la mobilisation du « 1 %
artistique » reste un outil pertinent pour affirmer ces voies de
l'expression contemporaine (finalement plus complémentaires qu'antinomiques), à
l'instar de l'œuvre réalisée par Jace, en 2010, à l'Institut Universitaire de Technologie
(IUT) de Saint-Pierre à La Réunion.
Pour conclure, alors que l’espace public a quasiment
été déserté pendant plusieurs semaines de confinement et qu'il en est résulté
une situation totalement inédite, il faut sans doute se poser la question d’un
réenchantement tant de ce cadre de vie collectif que du secteur culturel et
probablement le considérer comme une nécessité à part entière. Rappelons-nous,
à la suite d'André Malraux, que « l’art, [c’]est le plus court chemin
de l’homme à l’homme » !
NOTES :
1) Voir avis
n° 145 (2019-2020) de Madame Sylvie Robert, fait au nom de la
commission de la culture, de l’éducation et de la communication, déposé le 21 novembre 2019.
2) Il
propose également de réfléchir à « l’opportunité de rendre obligatoire
la présence d’artistes au sein des équipes d’architectes chargés de projet de
rénovation ou d’aménagement urbains. »
Anna Remuzon,
Juriste - Spécialiste Mobilité et protection des biens culturels,
Membre de l’Institut Art & Droit