Le contrat de travail prend sa place dans l'architecture complexe des
relations de travail. De longue date, le contrat de travail, contrat
synallagmatique, lie l'employeur et le salarié dans une relation qui échappe
très largement aux règles contractuelles civilistes (la notion de bonne foi des
parties au contrat a été transférée du Code civil au Code du travail)1.
La spécificité de la relation de travail et son encadrement légal ou
conventionnel résultent de la volonté de protéger les travailleurs dans une relation
économiquement déséquilibrée par nature. Cette protection s’est développée dans
tous types de relations de travail et toutes formes de contrats (du contrat à
durée déterminée au contrat de mission) ou d’exécution de prestations à
finalité d’employabilité (contrat d'apprentissage, contrat de
professionnalisation)2.
Les articulations des règles en droit du travail sont complexes. À la hiérarchie des normes s'ajoute une
jurisprudence attentive aux déséquilibres économiques. Les contrôles de
l’administration, des médecins du travail et les sanctions des juges complètent
ce dispositif.
Si le contenu du contrat de travail lui-même « fait la loi des
parties », c’est à la condition de rester dans un cadre déterminé par
la loi, les conventions et accords collectifs et autres règles de l’entreprise
auxquelles peuvent s’ajouter des chartes et codes de conduite d’entreprise sur
des questions particulières. Le contrat contient des dispositions qui ne
peuvent être en principe modifiées sans l'accord des parties et particulièrement
du salarié. Le contentieux sur les modifications est abondant et porte sur des
ruptures de contrat ou des indemnisations dues au refus du salarié.
Le contrat de travail devrait donc sécuriser la relation de travail entre
l'employeur et le salarié par un échange de consentement sur le contenu du
contrat. Dans ce rapport singulier, l’employeur a l'obligation de fournir du
travail, le salarié de l'exécuter avec pour contrepartie une rémunération dans
un lien de subordination. Toutefois, des suspensions de contrat peuvent aussi
intervenir, que ce soit du fait du salarié (maladie, accident du travail, arrêt
pour raisons familiales ou autres prévus par la convention collective) ou de
l’employeur (décision d'activité partielle). De nombreuses décisions de
l’employeur impliquent les représentants du personnel (CSE) et l’administration
du travail.
Pendant la suspension du contrat, le salarié cesse sa prestation et perçoit
une indemnisation dont le montant varie selon les motifs. Le contrat de travail
confère aussi divers droits et avantages consentis pour tous les salariés de
l'entreprise (congés, repos, formation, prévoyance, assurance complémentaire…).
L’épidémie de Covid-19 a profondément bouleversé cette architecture et la
relation professionnelle elle-même. Le but était de permettre à la fois la
protection de la santé et la préservation de l’emploi, et imposait une
organisation du travail de nature à prioriser la santé et amortir le choc
économique. Cette équation, dans le monde du travail, a eu un impact important
sur le contrat et la relation de travail. Cette situation a révélé
l'adaptabilité de tous les acteurs dans des situations certes différentes selon
les branches d'activité, la taille de l'entreprise, la catégorie de personnel
et les possibilités ou non de maintenir une activité.
Il résulte d'un sondage OpinionWay de mai 20203 que deux
tiers des salariés étaient en activité pendant le confinement, dont 37 %
en télétravail et 29 % sur les lieux habituels, alors que 33 %
étaient en chômage partiel. Dans les trois cas, des règles adaptées à la
situation, inspirées par le Code du travail, mais néanmoins transformées et
souvent innovantes, ont modifié le contrat de travail hors la volonté du
salarié.
Certaines règles du Code du travail ont été modifiées dans le but d'une
efficacité immédiate en raison de l'urgence sanitaire. Tous les acteurs en
droit du travail ont été concernés, employeurs, salariés, représentants du
personnel, administration du travail.
Avant même la décision gouvernementale du confinement, la question
prioritaire concernait la protection de la santé. Les premières précautions
sanitaires qui ont permis aux entreprises de continuer à fonctionner ont été
mises en place et, très vite, des règles d'hygiène, des gestes barrières, des
mesures de distanciation. Des salariés ont manifesté le souhait d’interrompre
leur travail en faisant valoir un droit de retrait4.
Le droit individuel du salarié de faire valoir son retrait et suspendre son
contrat de travail n’avait déjà pas été retenu par la jurisprudence en cas
d'épidémie de grippe. Le ministère de la Santé et de la Solidarité5 a
déclaré que le gouvernement considérait que dès lors que les mesures de
prévention et de protection nécessaires ont été prises par l'employeur
conformément aux recommandations du gouvernement, il ne pouvait y avoir de
droit au retrait. Quelques initiatives de demandes de retrait ont alors cessé
au profit d'autres actions critiquant la mise en œuvre des gestes barrières ou
des mesures de santé et sécurité, mais particulièrement, l'absence de
consultation du CSE (affaire Amazon, CA Versailles, 24 avril 2020,
RG : 20/01993).
La CFDT rappelait de son côté que la rémunération étant maintenue lorsque
la suspension du contrat est due à un droit de retrait si, ultérieurement, il
était jugé que les conditions de retrait n’étaient pas réunies, il y aurait une
retenue sur le salaire selon la jurisprudence existante.
Les arrêts de travail contraints pour motifs
personnels
La fermeture des écoles a contraint un certain nombre
de salariés à devoir suspendre leurs activités afin de garder les enfants. La
mesure immédiate a été de considérer que cette catégorie de salariés
bénéficierait d'un arrêt de travail, financé par la Caisse primaire d'assurance-maladie.
Ces mêmes mesures se sont appliquées aux personnes dites vulnérables ou celles
devant aider des personnes vulnérables. Dans le cadre de la préservation de
l'emploi, mais aussi de la préservation du pouvoir d'achat, les employeurs ont
été vivement incités à maintenir le salaire au-delà des indemnités journalières
de maladie perçues par le salarié. Ce dispositif est appliqué « à
défaut de télétravail ».
Pour les personnes vulnérables ou en arrêt de travail
en raison de l'aide apportée à une personne vulnérable, il faut justifier de
l’impossibilité de se rendre sur le lieu de travail par un certificat médical
attestant de la nécessité d'isolement.
Depuis le 1er mai, que ce soit un
arrêt pour garde d'enfants ou pour vulnérabilité, le régime de l'indemnisation
par le chômage du fait d'une activité partielle est désormais retenu. Pour la
garde d'enfants, il suffit d'une simple déclaration du salarié à son employeur
pour que l'indemnisation au titre de l'activité partielle se substitue à la
précédente.
Pour des raisons précises, directement liées à la
Covid-19, avec souplesse et rapidité, le contrat de travail a été suspendu à
l'initiative du salarié déclarant la situation dans laquelle il se trouve avec
une contrepartie qui indemnise la perte de rémunération.
Est mis en place un arsenal de mesures avec des règles
spécifiques pour le télétravail, l'activité partielle, l'aménagement des jours
de repos et des congés payés, la durée du travail, avec une série d'ordonnances
prises de mars à avril 2020 assorties
de questions-réponses sur le site du ministère à un rythme quasi journalier.
Nous sommes entrés le 11 mai, puis le 2 juin, dans la phase de
déconfinement, et la loi du 17 juin 2020 ainsi que le nouveau protocole de
déconfinement prolongent et modifient les précédentes mesures6.
L’impact du télétravail sur le contrat de travail
Dans le Code du travail, le recours au télétravail est
prévu et organisé. Un accord d'entreprise ou une charte doit notamment préciser
les conditions de passage en télétravail, les modalités d'acceptation par le
salarié et les conditions de mise en œuvre. Viendront ensuite les modalités de
contrôle du temps de travail, de régulation de la charge de travail et la
détermination des plages horaires durant lesquelles il est possible de
contacter le salarié en télétravail7. Toutefois, en cas d'épidémie,
la mise en œuvre du télétravail est considérée comme un « aménagement
du poste rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de
l'entreprise et garantir la protection des salariés »8. À
défaut d'accord collectif ou de charte, le Code prévoit un accord entre le
salarié et l'employeur pour cette modification du contrat de travail, même si
les parties ont le choix de le formaliser « par tous moyens ».
Les conditions d’urgence rencontrées ont effectivement laissé peu de temps pour
formaliser des avenants aux contrats de travail ou pour préciser un dispositif
général par un accord ou une charte.
Tout refus de la part du salarié sur la décision de
télétravail de l’employeur pour épidémie est exclu du fait de « l'aménagement
du poste » visé expressément dans ce texte. Ce terme est inspiré de la
jurisprudence dans certains cas de refus où le salarié a été débouté de sa
demande de rupture.
Les conditions sanitaires n’ont pas pour autant
autorisé le télétravail dans toutes les activités pendant le confinement. Le
Code du travail impose à l'employeur qui refuse d'accorder le bénéfice du
télétravail à un salarié qui occupe un poste « éligible à un mode
d'organisation en télétravail dans les conditions prévues par accord collectif
ou, à défaut, par la charte » de motiver sa réponse.
La motivation suppose un motif valable ; celui validé par le ministère
dans les questions/réponses9 concerne
l’impossibilité d'un aménagement technique. Parmi les différentes questions qui
ont été posées aux praticiens, il ne semble pas qu'il y ait eu de différends
sur ce point.
Dès le confinement, des revendications sont apparues
sur la prise en charge de tous les coûts découlant du télétravail à fin
d’indemnisation. Une ordonnance du 22 septembre 2017 avait supprimé la disposition du Code du travail
laissant à la charge de l'employeur tous les coûts issus directement de
l'exercice du télétravail. Cela a été sobrement rappelé par le ministère.
Le télétravail et l'activité partielle :
l’alternance entre l'exécution et la suspension du contrat
Ces deux dispositifs ont été articulés. La charge de travail étant
insuffisante ou susceptible de diminuer au fil des jours en raison du
confinement et du ralentissement de la vie économique, l’employeur ne pouvait
respecter les obligations du contrat de « fourniture du travail dans un
volume constant ». Ainsi, dans le but de la préservation de l’emploi,
il a fallu aménager les conditions de recours à l’activité partielle pour tous
ceux qui pouvaient néanmoins travailler pour partie en télétravail. Le cumul du
télétravail et de l’activité partielle est interdit, mais l’alternance a été
créée pour la Covid-19. Le « chômage partiel » s’est accru en avril.
Ainsi, les questions spécifiques du travail à distance, telles que le droit
à la déconnexion, la détermination de plages horaires pour contacter le
salarié, l’organisation du contrôle du temps de travail, vont s’articuler avec
la suspension du contrat pendant la période de non-activité, selon chaque
situation.
L’activité partielle elle-même a été particulièrement
adaptée à la situation (voir ci-dessous). Spécifiquement, concernant cette
alternance entre télétravail et activité partielle, des contrôles seront
effectifs et attentifs et imposent aux catégories de personnel concerné de
noter le temps consacré au travail à distance et la « non-activité ».
Le temps est mesuré par référence au temps de travail habituel. Ce mécanisme,
très exceptionnel en l’état de Covid-19, n’a pas eu pour effet, généralement,
de réduire la rémunération, contrepartie habituelle du travail pour le salarié
en cas de recours à cette activité partielle.
Le retour à la « normale » va-t-il susciter
un intérêt accru pour le télétravail des entreprises et des salariés ?
Cette expérience devrait inciter les entreprises concernées à passer des
accords ou élaborer une charte sur le télétravail. Hors ces circonstances
exceptionnelles, ne devrait-on pas réfléchir aux « postes éligibles » ?
L’accélération et la généralisation du télétravail du
fait de la Covid-19, imposent une réflexion approfondie sur l'organisation du
travail à distance (les syndicats, avant même la fin du confinement, ont
annoncé une importante négociation dans le domaine du télétravail) dans le respect
de la volonté contractuelle du salarié.
Dans un avenir plus lointain, cette nouvelle
orientation de modes d'activité se conjugue aussi avec des aspirations
collectives d'un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie
personnelle, ainsi qu'avec la réduction de l'usage des modes de transport, qui
est aussi, pour les grandes agglomérations, une question complexe à impact
environnemental.
L’activité partielle, la suspension du contrat10
12 millions
de salariés ont bénéficié du dispositif « le plus généreux d'Europe »,
appelé communément « chômage partiel ».
En principe, il s'agit d'aides aux salariés placés en activité partielle
qui subissent une perte de rémunération, soit du fait de la fermeture
temporaire, soit de la réduction d'horaire en deçà de la durée légale. C’est
une mesure collective. Le recours est fondé sur des motifs dont l'employeur
doit justifier pour solliciter l'autorisation de l'inspection du travail après
transmission de l’avis formulé lors de la consultation du CSE. Le texte
concernant le droit de recours à l'activité partielle vise parmi ces motifs les
« circonstances de caractère exceptionnel ».
En conséquence, le motif de la Covid-19 est une cause de
suspension du contrat de travail avec en contrepartie une indemnisation. À
l’origine, les mesures Covid-19 ont aussi prévu l’éligibilité à l’activité partielle
dans le cas de l’impossibilité de mettre en place des mesures de prévention nécessaires
pour la santé des travailleurs, telles que le télétravail ou les gestes barrières
(on se souviendra qu’en général, les masques étaient indisponibles et
indispensables pour certaines activités).
L’urgence a aussi justifié que le gouvernement s’inspire des cas de
suspension d'activité dus à des sinistres ou des intempéries. Les procédures et
délais de demandes d'autorisation ont été considérablement réduits, au point
que l’activité partielle et donc la suspension des contrats de travail ont été
immédiates. La demande d’autorisation pouvait être formulée dans les
30 jours qui suivent la mise en activité réduite. L’administration avait
48 heures pour refuser ; à défaut, la validation était implicite. Ce sont
précisément ces conditions qui justifient l’instruction ministérielle du
14 mai 2020 détaillant les modalités de contrôle qui vont être
exercées par l'administration. Pour le cas où l'accord tacite aurait été donné
« par erreur ou après un examen sommaire » compte tenu du
délai, le contrôleur peut revenir sur l'autorisation si l'entreprise n'avait
pas droit à ce dispositif. Le retrait de l'autorisation entraînera la nullité
des demandes d'indemnisation, donc le remboursement par l’employeur et autres
conséquences, soit l'obligation de payer les cotisations sociales précédemment
exonérées (à l'exception de la CSG maintenue) et la régularisation des
bulletins de salaire. Il s’expose à d’éventuelles demandes des salariés sur les
conséquences d’une mise au chômage illégale.
La mise en activité partielle ne requiert pas l'accord du salarié, le CSE
n’étant lui-même consulté que postérieurement à la validation implicite de la
demande d’activité partielle par l'administration.
Pour les salariés protégés eux-mêmes, aucune modification des conditions de
travail n'a été retenue de nature à leur permettre un refus contrairement au
droit commun11.
Au caractère collectif de l'arrêt ou de la réduction de l'activité
affectant tous les salariés de l'entreprise, d'un service ou des ateliers, a
été substituée en avril la possibilité d'une activité réduite individualisée12,
laquelle ne peut intervenir qu'après consultation du CSE ou accord d'entreprise
ou d'établissement, à défaut de convention ou accord de branche.
Dans les entreprises de moins de 20 salariés, un
référendum proposé aux deux tiers du personnel peut être envisagé, les délais
de consultation étant réduits. Il s'agit de faciliter la flexibilité dans la
reprise progressive de l'activité. L'absence de caractère collectif devrait
remettre en vigueur la jurisprudence concernant les salariés protégés auxquels
aucune modification des conditions de travail ne peut être imposée13.
La rémunération et l’indemnisation de l’activité
réduite
S’agissant de la rémunération, les employeurs ont été
vivement incités à maintenir la totalité de la rémunération et donc à verser
une indemnisation équivalente à la totalité de la réduction d’activité. Les
exonérations de charges sociales ont eu pour effet, lors du remboursement de
l'indemnisation par l'État, de porter les 70 % prévus à 84 % du
salaire dans la limite de 4,5 SMIC.
Les compléments au-delà de 84 % ont pu être exonérés de charges sociales
dans la limite des plafonds, le but étant de maintenir le salaire. À compter du
1er mai, le remboursement est de 60 % et plafonné à 3,5 SMIC (sauf pour les secteurs encore interdits d’ouverture).
Congés payés et repos14
La législation sur les congés payés impose au salarié
de prendre des congés, il ne peut les monétiser et cette période de suspension
de contrat de travail au regard de son employeur, elle est soumise à une durée
et à des périodes. Le passage aux 35 heures a également créé le droit à
des repos compensateurs, de même que les temps de travail forfaitaires. Les
temps de suspension de contrat de travail ouvrent, eux-mêmes, des droits à
congés (la maladie, le chômage).
Sous condition d'un accord d'entreprise ou de branche,
cette modification du contrat de travail a porté sur six jours ouvrables de
congés imposés dans l'urgence, avec un préavis « d'au moins un jour
franc » avant la mise en congé, alors que le Code du travail autorise
les conditions de fractionnement des congés payés après l'accord du salarié.
L'employeur a aussi l'obligation de tenir compte des congés du conjoint ou du
partenaire travaillant dans la même entreprise.
Sans l'accord du salarié, l’employeur a donc pu (sous
réserve d'un accord d'entreprise ou de branche) fractionner les congés payés et
suspendre aussi le droit à congés simultanés des conjoints ou partenaires dans
la même entreprise.
À défaut d’un accord d'entreprise, l'employeur a pu
imposer des journées de congés pris sur des RTT ou des CET (compte
épargne-temps).
L'ensemble de ces mesures a un caractère exceptionnel
souligné par le texte. La seule limitation concerne la possibilité du salarié
de refuser plus de 10 jours de repos ou une modification des dates de congés
dont il bénéficie encore. L'employeur ne peut l’imposer, mais le salarié peut
accepter contractuellement. On pense aux branches d'activité dans lesquelles
les droits à congés sont accumulés, par l'accord des deux parties, depuis des
années. Ceci pourrait être un creuset de négociations pour la période de
déconfinement post Covid. Si l'on connaît la date de la fin de protection
sanitaire prévue à ce jour le 10 juillet, pour autant, toutes les mesures
exceptionnelles auront des échéances diverses qui ne devraient pas dépasser le
31 décembre.
L'employeur faisant usage d'au moins une des
dérogations doit en informer le CSE ainsi que la Direction régionale des
entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi
(Direccte).
Le temps de travail et la présence sur les lieux de
travail
Les salariés exerçant leur activité sur les lieux de travail
ont été particulièrement sollicités. Chacun leur en est reconnaissant. Les
règles relatives à la durée du travail ont été modifiées pour permettre de
répondre aux impératifs dans ce contexte.
L’amplitude d'une durée quotidienne par jour est
passée à 12 heures (au lieu de 10). La durée maximale de travail de nuit,
12 heures, sous réserve de l'attribution de repos compensateur égal au
dépassement de la durée (maximale de 4 heures). Parallèlement, le repos
quotidien a été diminué de 2 heures pour le travail journalier, sous
réserve de l'attribution de repos compensateur. De 44 heures pour la durée
hebdomadaire pour une période de 12 semaines constitutives (jusqu’à
48 heures) avec un maximum de 60 heures pour un travail sur une même
semaine. Se sont ajoutées l'autorisation automatique de travail le dimanche et
la baisse du repos compensateur entre deux journées de travail (2 heures).
On peut penser que ces dispositions exceptionnelles,
qui ont donc été imposées pour partie, sans même qu'il y ait un accord
d'entreprise ou de branche, ne seront pas maintenues, alors que le nouveau
dispositif en cours d'élaboration vise des accords collectifs ou un plan
d'activité réduite pour le maintien de l'emploi, qui ne vise que les réductions
d'horaires de travail.
Il est vrai que le dépassement a concerné des branches
spécifiques où l’activité était d’intérêt public et des secteurs d’activité et
catégories de dérogations admises.
Le déconfinement et les mesures provisoires
La reprise progressive met en place, au moment où cet
article finit
d'être rédigé, un dispositif alternatif au « chômage partiel » dans
le but d'éviter des licenciements massifs en France, « ce dispositif
est de nature à permettre à des entreprises dans les prochaines semaines d’être
en capacité d’arbitrer durablement en faveur du maintien dans l’emploi des
salariés plutôt qu’en faveur d’une réduction des effectifs15 ».
Ainsi, le dispositif alternatif, très important dans
certains secteurs, dépendra d'un accord collectif ou d'un « plan
d'activité réduite pour le maintien de l'emploi »16.
Celui-ci devra préciser l'activité partielle spécifique, les réductions
d'horaires et les mesures pour la mise en place de l’indemnisation.
En effet, le but est évidemment de ne pas procéder à
des licenciements en contrepartie de la prise en charge, l’employeur doit s’y
engager. La validation ou l'homologation de l'autorité administrative
intervient après la vérification de l’adéquation des mesures avec la situation
de l'entreprise.
Ainsi, des diminutions de temps et de rémunérations,
après accord avec les organisations syndicales, concerneront les contrats de
travail de chaque salarié. La « modération salariale » pourra
être abordée, la condition étant le maintien total de l'emploi. L'État, de son
côté, s'engage à une aide pour « rattraper une partie de la perte du
pouvoir d'achat », « gagnant pour tout le monde »
(déclaration de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, au Sénat le
28 mai 2020)17.
Monétisation des congés et repos
Le contrat de travail pourra être
impacté par des mesures envisagées jusqu'au 31 décembre 2020 (à l’heure de la rédaction de cet article). À la
condition d'un accord d'entreprise ou de branche, l'employeur pourrait imposer
à ceux qui bénéficient du maintien intégral de leur rémunération de donner des
jours de repos conventionnels (qui seront monétisés) ou leur cinquième semaine
de congés à ceux qui subissent une perte de rémunération.
De la même façon, à titre
individuel, un accord de l'entreprise ou de branche pourrait autoriser la
monétisation des jours de repos conventionnels ou de la cinquième semaine de
congés pour le salarié qui en fait la demande et qui est placé en chômage
partiel afin de compléter sa rémunération. Autant de dérogations importantes à
l'interdiction de renoncer à des congés et les convertir en euros18.
Un certain nombre d’avantages a
pour base le règlement des rémunérations perçues par le salarié en raison de
son activité. Les « revenus d'activité » (mentionnés dans la
plupart des contrats d'assurance) concernent les contrats de prévoyance.
Insérer l’indemnité brute d'activité partielle versée au salarié aura un effet
bénéfique sur des droits issus du contrat de travail19.
En conclusion
Ce panorama de mesures
exceptionnelles dues à la Covid-19 établit que le contrat de travail a été véritablement
modifié dans quasiment tous ces éléments sans accord préalable du salarié :
modification de son contrat, contenu et volume de son activité, lieu de son
travail, temps de travail, organisation du travail, prise de congés, mise en
activité partielle. La plupart de ces situations permettent en principe au
salarié de constater la rupture du contrat de travail et d’en tirer des
conséquences, voire une indemnisation réparatrice.
Dans cette période, tant la
continuité du contrat de travail que sa suspension ont été aménagées en
fonction des impératifs sanitaires urgents.
Dans de nombreux cas, la
situation était soumise à des accords collectifs qui n’ouvraient pas la
possibilité aux salariés de refuser. Il peut être remarqué que dans les
entreprises de moins de 20 salariés, et plus particulièrement celles où il
n’y a pas d’élus (de 11 à 20 salariés), l’employeur peut proposer
directement un projet d'accord sur l'ensemble des thèmes par voie de référendum
(majorité de deux tiers). Ces dispositifs sont d'ailleurs mis en place aussi
pour les entreprises d’au moins 50 salariés qui ne disposent pas de CSE ou
de 11 à 49 salariés. Un accord peut être passé avec
plusieurs salariés expressément mandatés par un ou plusieurs syndicats
représentatifs dans la branche ou, à défaut, au niveau national et
interprofessionnel.
Ce panorama Covid-19 confirme que la palette des accords et conventions
concerne de nombreuses mesures de nature à répondre aux difficultés économiques
et aux risques de licenciements massifs.
Le recours aux accords de
performance collective, déjà dans le passé, a évité des licenciements dans la
mesure où ces accords peuvent répondre à des opportunités et nécessités
d'organisation de l'entreprise en vue de préserver l’emploi20.
Ces accords peuvent aménager la
durée du travail, ses modalités d'organisation de répartition, la rémunération
au sens large21, les conditions de la mobilité professionnelle ou
géographique interne à l'entreprise. En contrepartie, l'employeur prend
obligatoirement des engagements pour le maintien de l'emploi, il peut aussi
envisager, à terme, des compensations. L’accord s’impose au salarié et modifie
automatiquement son contrat de travail. En application de ce texte, son refus
entrainerait alors son licenciement et le paiement d’un préavis, d’une
indemnité de licenciement à l’exclusion de toute autre indemnité.
Les mesures précitées envisagées dans le projet de loi
à venir pourraient maintenir l’absence de consentement du salarié pour
certaines de ces dispositions, maintenant donc ces cas d’exception.
La Covid-19 a certes transformé toutes les relations de travail et le
contrat de travail, actualisant les possibilités offertes par les mesures qui
étaient inscrites dans le Code du travail depuis 2017. En revanche, les
innovations liées à la nécessité d'une adaptation, si elles sont pérennisées ou
inspirent l’avenir dans le cadre de négociations, ne pourraient imposer aux
salariés ces modifications de contrat qu’à la condition que la loi le prévoie.
La Covid-19 s'est aussi attaqué aux dispositions du Code du travail,
en raison de l'urgence sanitaire qui, sauf prorogation, se termine le 10 juillet
2020. La situation créée dans cette période post-Covid engendreront d’autres
ordonnances. Les dates d’échéance des précédentes dispositions varient dans le
temps.
Toutefois, la protection et
l'intérêt général ont été si forts qu’à titre individuel les salariés n’ont pas
argué de modifications de leur contrat de travail. Cette flexibilité
survivra-t-elle à la Covid-19 ? Diverses tendances relevant de l'ordre
sociologique ou de responsabilité sociale peuvent être évoquées.
D’abord, l'adaptabilité à des
situations de crise par le recours à des solutions innovantes et une réactivité
qui n'était pas perçue ainsi dans le monde du travail. Puis, des accélérations
de la mise en place de solutions d'organisation du travail adaptées. Les
questions climatiques pourraient susciter ce type de réactions.
Mais aussi l'exigence renforcée
de protection de la santé par l'employeur. Sur ce point, des notes de service
renforceront le règlement intérieur de l'entreprise sur les mesures de
protection post Covid-19 prises de façon à être respectées sous peine de
sanctions. Les accords à venir seront protecteurs de l'intérêt général à
l’égard de tous risques de santé.
Devront-ils s'imposer au salarié
et modifier, le cas échéant, son contrat de travail contre sa volonté ?
La liberté individuelle de refus
de nombreux salariés pourrait mettre en échec l'intérêt collectif de
l'entreprise dans un certain nombre de cas. Ainsi, l'équilibre sera difficile à
trouver et dépendra d'une hiérarchie des finalités que chaque règle vise, mais
aussi du niveau de dialogue dans l’entreprise et de la qualité de ses
représentants. Les accords de performance ont, pour partie, tenté cette
recherche de respect de l'intérêt collectif laissant pour seule part de liberté
au salarié, dont le contrat est modifié, celle de la rupture de son contrat de
travail.
Dominique de La Garanderie,
Ancien bâtonnier de Paris,
La Garanderie Avocats
(avec le concours de Grégoire Silhol, avocat, et Miren
Amigot, assistante)
1)
L’obligation de bonne foi : art L.1122-1 du Code du travail.
2)
Contrat et employabilité « Pour une épistémologie des politiques de
l’emploi et du travail » JY Kerbourc’h, Droit social mai 2020.
3)
Sondage OpinionWay de mai 2020 pour La Garanderie Avocats (https://www.challenges.fr/entreprise/vie-de-bureau/sante-emploi-ces-bombes-a-retardement-de-l-apres-covid-pour-les-entreprises_711962#xtor=EPR-1-[ChaActu10h]-20200529).
Les
Échos (https://business.lesechos.fr/directions-ressources-humaines/ressources-humaines/bien-etre-au-travail/0603304768547-deconfinement-ce-qu-attendent-les-salaries-de-leurs-employeurs-337865.php#xtor=EPR-3-[envoi-ami]).
Causeur
(https://www.causeur.fr/dominique-de-la-garanderie-confinement-177363).
4)
Article L 4131-1 et L 4151-1 du Code du travail (droit de retrait en cas de
danger grave en raison du caractère imminent de la survenance d’un danger).
5)
Avis du ministère de la Santé Covid-19 « Retrait ».
6)
Loi n°2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la
crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni
de l’Union européenne ; protocole national de déconfinement pour les
entreprises pour assurer la santé et la sécurité des salariés.
7)
Art 1222-11 du Code du travail.
8)
Art L 1222-9 du Code du travail.
9) « FAQ
Coronavirus réponses par thème », www.travail.emploi.gouv.fr.
10)
Ordonnance n°2020-346 du 27 mars 2020, Ordonnance n° 2020-428 du 15 avril
2020. Ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020.
11)
Ordonnance du 27 mars 2020.
12)
Ordonnance du 22 avril 2020.
13)
Cassation Sociale 2 mai 2001 n° 98-44.624 (par exemple).
14)
Ordonnance du 25 mars 2020.
15)
Au moment de la parution de cet article, la loi n°2020-734 du 17 juin 2020 est
promulguée le 18 juin 2020.
16)
Art. 53 de la loi n°2020-734 précitée.
17)
Art. 53 de la loi précitée renvoie au décret sur le contenu de l’accord.
18)
Art. 6 de la loi précitée.
19)
Art. 12 de la loi précitée.
20)
Art L 1254-2 du Code du travail.
21)
Art L 3221-3 du Code de travail.