Partenariat entre l’Université Paris-Dauphine et le
Journal Spécial des Sociétés
L’Université
Paris-Dauphine et le Journal Spécial des Sociétés ont mis en place un
partenariat concernant la rédaction régulière de commentaires d’arrêts ou de
décisions de jurisprudence par les étudiants du Master II droit des affaires.
Ces commentaires sont rédigés par les étudiants, sous la supervision
d’enseignants dans le Master.
Plus de 20 milliards de dollars ont été levés1
dans le cadre des « Initial Coin Offerings » (ICO)2,
définies comme des opérations de levées de fonds par émission de jetons numériques
(« tokens »), via la technologie blockchain ou tout autre dispositif
d’enregistrement électronique partagé. Elles permettent le financement de
projets « early stage » par le grand public, en contrepartie de quoi,
les investisseurs obtiennent des jetons d’utilisation du service faisant
l’objet du projet (« utility tokens »). L’ICO est à la blockchain ce
que l’introduction en Bourse appelée « Initial Public Offering »
(IPO) est à la Bourse.
Apparue en 2014, cette « token économie » a
donné lieu à une surmédiatisation produisant un engouement certain, voire une
frénésie autour des ICO. Cette révolution qui a permis à de jeunes entreprises
de bénéficier d’un financement important en phase d’amorçage a également attiré
certains grands groupes industriels (Havas, Thalès et Airbus, sponsors du
projet « Talao »).
Néanmoins, bien que considérée pour beaucoup comme le
mode de financement de l’avenir, l’émission de jetons via la blockchain
présente certains dangers. Le premier risque est lié à la grande volatilité du
cours du token et des cryptomonnaies. En 2017, l’engouement autour de la
blockchain a eu pour effet des valorisations élevées et déraisonnables d’ICO
(affaire Tezos). Avec des valeurs aussi décorrélées de la réalité, la bulle
spéculative a fini par dégonfler peu à peu, produisant des pertes pour les
investisseurs. L’intérêt substantiel pour la blockchain s’est alors amoindri au
regard de ce risque lié à la volatilité du token. Un autre facteur a freiné
l’engouement autour des crypto-actifs et constitue le deuxième risque des ICO.
Il s’agit de la prolifération d’arnaques et de fraudes avec, en l’absence de
cadre juridique idoine, une protection inadaptée des investisseurs. Enfin, les
transactions via la blockchain favorisent le blanchiment de capitaux et le
financement du terrorisme. De manière générale, il subsiste un manque de
transparence sur le porteur de projet et les investisseurs.
Face à ces risques sérieux, certains pays ont décidé de
l’interdiction pure et simple des ICO (Corée du Sud, Chine). D’autres ont
soumis ces transactions au régime strict des offres au public de titres
financiers (États-Unis). D’autres encore ont fait le choix d’un guide pratique
(Suisse). La France, quant à elle, a été le premier pays à élaborer un cadre ad
hoc et optionnel pour l’émission de ces nouveaux instruments de mobilisation de
l’épargne. En effet, l’Autorité des marchés financiers (AMF) est intervenue en
proposant un cadre juridique adapté à ces offres au public de jetons, intégré à
la loi PACTE promulguée le 22 mai 20193. Le régulateur a créé
un visa optionnel octroyé sous certaines conditions aux porteurs de projets
(I).
L’AMF a cherché un moyen d’atteindre un juste équilibre
entre les intérêts des porteurs de projets et des investisseurs (II). En effet,
d’un côté, les émetteurs de jetons profitent, du fait de l’optionalité du visa,
d’une meilleure attractivité pour les projets innovants et sérieux et d’un
avantage compétitif par rapport aux fraudeurs. D’un autre côté, cela permet aux
investisseurs de bénéficier d’une protection contre les risques et de la
garantie d’un projet sérieux. Ce nouveau cadre juridique complet en matière de
crypto-actifs est susceptible de conférer à la France un avantage compétitif
significatif pour attirer l’innovation.
I.
La création par la loi PACTE d’un visa optionnel octroyé par l’AMF dans le
cadre d’une offre au public de jetons
Avant la loi PACTE, des porteurs de projets avaient
sollicité l’AMF, désireux de connaître le régime applicable aux offres au
public de jetons, en l’absence de clarté réglementaire et législative. Afin
d’attirer les projets sérieux en France par un régime favorable, mais également
de faire face à la frénésie médiatique et aux risques de prolifération de
projets douteux, l’AMF a souhaité encadrer les offres au public de jetons. Pour
ce faire, elle a entamé une démarche de dialogue avec les entrepreneurs à
l’aune d’une consultation publique, lancée le 26 octobre 20174.
Cette consultation a donné lieu à la construction des principales orientations
pour l’encadrement des offres au public de jetons. Cela a abouti à la
promulgation de la loi PACTE le 22 mai 2019 qui a fourni un cadre
juridique aux offres au public de jetons. Les articles L. 552-1 et s. du
Code monétaire et financier, créés par la loi PACTE, définissent en premier
lieu les jetons numériques (A), avant de préciser le régime correspondant (B).
A. La définition du jeton numérique par la loi
PACTE
« Une offre au
public de jetons consiste à proposer au public, sous quelque forme que ce soit,
de souscrire à ces jetons » (article L. 552-3 nouveau du Code
monétaire et financier). Afin d’attribuer aux offres au public de jetons un
régime idoine, l’enjeu préalable a été de fournir une qualification appropriée
des jetons, ce qui s’est avéré difficile, compte tenu du caractère hybride de
l’offre au public de jetons. En effet, elle présente certaines ressemblances
avec l’offre au public de titres financiers et de parts sociales, le capital
investissement et le financement participatif.
L’article L. 552-2 nouveau du Code monétaire et
financier a défini le jeton numérique comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou
plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen
d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier,
directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ». Le jeton
tel qu’il est visé par le Code monétaire et financier correspond au jeton dit
d’usage (« utility token »).
Il permet à l’investisseur de se voir octroyer un droit
d’utilisation des biens ou services promus par l’émetteur de l’offre. Cette
utilisation du service s’exerce ensuite à travers un droit sur une prestation,
un droit à être référencé sur une plateforme, ou encore à un tarif préférentiel
d’utilisation du service. Dès lors, le jeton consiste en une sorte de pré-achat
des biens ou des services proposés par l’émetteur des tokens.
Qualifiés de biens incorporels, les jetons visés par le
nouveau texte n’octroient pas à leur détenteur une créance envers le porteur de
projet. En outre, ils n’accordent à leur détenteur ni droits financiers ni
droits politiques. Autrement dit, l’investissement réalisé n’a pas d’effet
dilutif sur le capital social de l’émetteur et n’octroie pas non plus de droits
de vote au détenteur des jetons. Cela a été d’une importance capitale dans la
détermination du régime des ICO. En effet, l’étape préliminaire a consisté à
tenter d’assimiler les offres au public de jetons à un cadre juridique existant
et notamment celui des instruments financiers au sens de l’article
L. 211-1 du Code monétaire et financier. Du fait des caractéristiques des
jetons, de leur diversité et de leur caractère évolutif, ils ne peuvent être
qualifiés d’instruments financiers, contrairement aux « security tokens »
qui seront soumis à la réglementation européenne « prospectus ».
Comme les « utility tokens » n’ont pas été définis comme des
instruments financiers, l’offre au public de jetons n’a pu, par conséquent,
être soumise au régime de l’offre au public de titres financiers nécessitant la
rédaction d’un prospectus visé par l’AMF.
B. La création par la loi PACTE d’un régime ad hoc pour les offres au public de jetons
Lors de la consultation lancée par l’AMF, un constat a
été établi selon lequel, compte tenu des spécificités des opérations de
création de jetons, un régime sui generis et optionnel semblait être le
meilleur compromis. L’optionalité du visa, contrairement aux offres au public
de titres financiers et de parts sociales nécessitant un visa obligatoire, a été
préférable. En effet, cette optionalité accorde un avantage compétitif à
l’émetteur permettant ainsi d’attirer les projets innovants. De plus, un
encadrement obligatoire aurait impliqué un système de sanctions impossible à
mettre en place.
Dès lors, la loi PACTE a instauré un nouveau cadre
législatif et réglementaire pour les ICO, à savoir la mise en place d’un visa
optionnel octroyé par l’AMF aux projets présentant certaines garanties. Le visa
est déposé par l’AMF sur le document d’information à destination des
investisseurs lors d’une opération d’ICO. Afin d’avoir l’approbation de l’AMF,
le document contient « toute
information utile au public sur l’offre et sur l’émetteur » (article
L. 552-4 nouveau du Code monétaire et financier).
En examinant le document d’information, « l’AMF vérifie si l’offre envisagée présente
les garanties exigées lors d’une offre destinée au public, et notamment que
l’émetteur des jetons est constitué sous la forme d’une personne morale établie
ou immatriculée en France et met en place tout moyen permettant le suivi et la
sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre » (article
L. 552-5 nouveau du Code monétaire et financier).
En instaurant ce nouveau régime sui generis qui présente
la particularité de l’optionalité, l’AMF a souhaité concilier les intérêts du
porteur de projet et les intérêts de l’investisseur, afin de faire de Paris la
place mondiale en matière d’ICO.
II. Équilibre recherché par l’AMF entre avantage compétitif
et protection des investisseurs
L’AMF, qui avait pour ambition d’encourager le
développement de l’écosystème crypto-économique, a élaboré un visa optionnel à
la fois avantageux pour les émetteurs disposant du label sur une opération (A)
et protecteur des investisseurs (B).
A. L’avantage compétitif conféré aux projets
d’ICO disposant du visa de l’AMF
L’avantage compétitif conféré aux émetteurs de jetons
disposant d’un visa est sans nul doute un facteur d’attractivité de la France
en matière d’offre de jetons au public.
Dans un environnement intermédié, les banquiers
traditionnels manifestent une attitude frileuse lorsqu’il s’agit de financer
des projets à un stade précoce de développement, puisqu’ils présentent parfois
d’importants risques. De même, envisager une introduction en Bourse ou encore
se tourner vers le Private Equity ne semble pas compatible avec un projet
naissant qui comporte peu de garanties. De ce fait, de nombreuses start-up qui
peinent à trouver des financements early-stage par le biais des systèmes
traditionnels, s’orientent vers la technologie blockchain dont l’avantage est
de supprimer les intermédiaires et ainsi de créer un lien direct entre les
porteurs de projets et une communauté d’investisseurs. Le financement du projet
est alors ouvert à toute personne à condition qu’elle possède des
cryptomonnaies. Les initiateurs de projets ont ainsi pu lever des sommes
considérables en un temps record via la blockchain et, ce, pendant la phase de
démarrage. Cela aurait été moins facilité via les modes de financement
traditionnels. Par conséquent, en incitant tous les utilisateurs à investir
dans la « token économie », cet écosystème blockchain révolutionne la
finance.
Contrairement aux introductions en Bourse et au capital
investissement qui présentent de fortes contraintes, les ICO ont pour avantage
de représenter un mode de sollicitation des investisseurs plus facile. Grâce à
la désintermédiation propre à l’écosystème blockchain, les coûts sont minorés
et les délais d’exécution des investissements considérablement réduits. Il est
patent que cet aspect particulièrement avantageux fait concurrence aux autres
méthodes de financement.
Lorsque les ICO se sont déployées au cours de l’année
2017, certaines ont engendré en quelques minutes une mobilisation de dizaines,
voire de centaines de millions de dollars décorrélés de la réalité et induisant
un nombre conséquent d’escroqueries. La bulle spéculative et les risques
entourant la technologie blockchain formaient un frein à l’attractivité de
l’outil. Le nouveau cadre législatif et réglementaire des offres au public de
jetons permet donc de relancer l’attrait pour ce type d’opérations. Depuis la
loi PACTE, les investisseurs ont la possibilité de différencier les projets
sérieux et innovants disposant d’un visa et les autres projets qui représentent
potentiellement certains dangers pour les détenteurs de cryptomonnaies. Les
porteurs de projet sont incités à se doter du visa de l’AMF afin de démontrer
le sérieux de leur projet et de bénéficier d’un avantage compétitif par rapport
aux offres au public de jetons sans visa. Les émetteurs peuvent lever des fonds
sur un dispositif d’enregistrement électronique partagé sans disposer du label
AMF. C’est sur initiative du porteur de projets que le document d’information
est établi et examiné et le visa octroyé. Un régime obligatoire n’aurait pas
engendré cette dichotomie qui existe depuis la loi PACTE entre projets sérieux
et fraudes. Un régime obligatoire aurait risqué de faire fuir l’innovation. Le
nouveau régime optionnel attire un écosystème sérieux, innovant et prometteur
sur le territoire français. Plus il y aura de concurrence entre les projets,
plus ce visa représentera un avantage compétitif majeur.
Dans la mesure où les détenteurs d’« utility
tokens » sont généralement les utilisateurs du service futur, ces investisseurs
peuvent représenter des ambassadeurs de ce service, ce qui accroît
considérablement la légitimité du projet grâce à la publicité qui en est faite.
Obtenir le label AMF est un atout supplémentaire pour le porteur de projet dans
la stratégie de communication du service. Le visa accorde à l’émetteur de
l’offre le bénéfice de voir son offre au public de jetons figurer sur une
« liste blanche », communiquée par l’AMF sur son site Internet.
L’approbation par l’AMF de l’offre présentée agit comme une publicité qui
suscite ainsi la confiance des intéressés et incite à investir dans le service
agréé. Les offres au public de jetons disposant du label AMF se démarquent et
ont l’avantage sur les arnaques et escroqueries recensées quant à elles sur une
« liste noire ».
Enfin, la loi PACTE dote les émetteurs de jetons d’un
avantage considérable, à savoir un droit au compte renforcé. En raison de
certains risques entourant les ICO, à savoir le blanchiment de capitaux et le
financement du terrorisme, les établissements de crédit sont peu enclins à
donner aux émetteurs de jetons un accès aux services bancaires (article
L. 312-1 du Code monétaire et financier). Les émetteurs de jetons se
heurtent à de nombreux refus d’accès, ce qui freine l’attractivité de la France
en matière d’ICO. Depuis la loi PACTE, les porteurs de projet, en demandant le
visa AMF, doivent se soumettre aux obligations en matière de lutte contre le
blanchiment et le financement du terrorisme, qui nécessitent l’identification
des investisseurs (« know your
custumer »). En contrepartie, ils peuvent se prévaloir auprès des
établissements de crédit d’un droit au compte renforcé (article L. 312-23
nouveau du Code monétaire et financier), contrairement aux porteurs de projets
dépourvus du visa. L’établissement de crédit garantit l’absence de
discriminations à l’égard de l’initiateur de l’offre agréée. De surcroît, si
des entraves au droit au compte surviennent au détriment du porteur de projet,
l’établissement de crédit doit apporter une justification à ces entraves auprès
de l’AMF et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Ces émissions de jetons correspondent à un mode
particulièrement bénéfique de financement de l’économie. Elles favorisent
l’innovation, concourent à la création d’activité et à l’essor accéléré de la
technologie. Si les offres au public octroient un avantage compétitif aux
porteurs de projets disposant du label AMF, elles octroient dans le même temps
un avantage compétitif significatif à la France. En effet, afin d’obtenir ce
visa, le projet, s’il est initié par un émetteur étranger, devra démontrer un
lien de rattachement avec la France tel que l’existence d’un établissement ou
d’une immatriculation en France.
Un autre facteur d’attractivité permettant de développer
un écosystème innovant et sérieux sur le territoire français est garanti par la
loi PACTE. Il s’agit de la protection des investisseurs.
B. La protection des investisseurs garantie par le visa de l’AMF
Parmi les risques que présentent les ICO, les arnaques
prolifèrent sur le web décentralisé (ex. Bitcoin, Onecoin), la surmédiatisation
produit un effet de bulle spéculative et des projets voient le jour alors
qu’ils ne présentent aucune pertinence à être initiés sur la blockchain. Des
investisseurs non avertis sont démarchés de façon agressive à l’aide de
publicités leur promettant un rendement élevé et certain, alors que ces
plateformes sont parfois totalement fictives. Le risque pour les investisseurs
non avertis de perdre leur mise est conséquent. Cela engendre la désillusion du
grand public et à terme, un frein à l’activité en matière de développement de
l’innovation. Le bureau de protection de l’épargne de l’AMF recevant de
nombreux appels téléphoniques de la part d’investisseurs escroqués (forex,
options binaires, CFD, diamants d’investissement), l’AMF a dû prendre des
mesures. Que ce soit par l’information et l’accompagnement des investisseurs,
ou que ce soit par l’élaboration d’une réglementation protectrice, l’AMF a
toujours eu le souci de protéger les épargnants contre ces risques. Le visa
optionnel constitue un gage de sécurité pour les investisseurs, car il offre
certaines garanties. L’AMF est amenée à vérifier que l’offre présente ces
garanties et que l’émetteur est constitué sous la forme d’une personne morale
établie ou immatriculée en France (article L. 552-5 nouveau du Code monétaire
et financier).
La première garantie consiste à considérablement réduire
ces risques et le manque d’informations sur l’offre au public de jetons. Ce
label garantit à l’investisseur le sérieux d’un projet grâce à la transparence
et la communication autour des offres au public de jetons. En effet, la loi
PACTE prévoit que « les émetteurs
établissent un document destiné à donner toute information utile au public sur
l’offre proposée et sur l’émetteur. […] Ce document d’information et les
communications à caractère promotionnel relatives à l’offre au public
présentent un contenu exact, clair et non trompeur et permettent de comprendre
les risques afférents à l’offre » (article L. 552-4 nouveau du Code
monétaire et financier). Ce document doit présenter de manière exhaustive tous
les aspects de l’offre dont la description détaillée du projet, les
caractéristiques de l’offre (prix, nombre de jetons à émettre…), les risques
afférents à l’offre, les modalités de souscription, etc. Un contenu exhaustif
et compréhensible permet au public de prendre une décision d’investissement
éclairée. La transparence est essentielle parce qu’elle suscite la confiance
des acteurs et constitue ainsi une garantie pour l’investisseur. Enfin, le fait
que l’AMF examine le document en contrôlant la conformité du projet aux
exigences légales et réglementaires, qu’elle interroge l’émetteur de jetons,
demande des rectifications ou des précisions, et qu’elle délivre son visa,
représente une garantie importante pour les investisseurs. En effet, l’instruction
méticuleuse du projet par l’AMF apporte la certitude de la sécurité de
l’opération.
De surcroît, « si,
après avoir apposé son visa, l’Autorité des marchés financiers constate que
l’offre proposée au public n’est plus conforme au contenu du document
d’information ou ne présente plus les garanties prévues […], elle peut ordonner
qu’il soit mis fin à […] toute communication à caractère promotionnel
concernant l’offre, et retirer son visa dans les conditions précisées par son
règlement général » (article L. 552-6 nouveau du Code monétaire
et financier). En sus de la « liste noire » publiée pour mettre en
garde le public, des sanctions pénales pourront être prononcées à l’encontre de
l’émetteur diffusant des informations inexactes ou trompeuses ou laissant
croire qu’il a obtenu le visa de l’AMF. Enfin, les moyens de communication
agressifs (démarchage bancaire et financier) des prestataires sans agrément
sont interdits en matière de fourniture de services sur actifs numériques.
La deuxième garantie du label AMF vise à la sécurisation
des fonds levés par un mécanisme de séquestre. Dans le cadre de la protection
des investisseurs contre les risques de fraude, l’AMF devra s’assurer que les
émetteurs souhaitant obtenir le visa mettent en place « tout moyen permettant le suivi et la
sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre » (article
L. 552-5 nouveau du Code monétaire et financier). Pour ce faire, plusieurs
techniques sont pratiquées, telles qu’un séquestre au moyen d’un porte-monnaie
électronique verrouillé par plusieurs signatures, une fiducie ou un système de
clés cryptographiques.
Plus les garanties fournies au projet sont importantes,
plus l’investisseur sera enclin à accorder sa confiance au porteur de projet et
à investir, d’autant plus que le régulateur aura exercé un contrôle méticuleux.
Si l’AMF s’assure que l’offre remplit les conditions et présente les garanties
nécessaires, elle ne prétend toutefois pas évaluer la qualité intrinsèque du
projet. Le visa est un gage de sécurité, mais il n’est pas un gage de succès et
de profit pour l’investisseur. En effet, tous les projets n’ont pas forcément
un intérêt à être réalisés sur la blockchain et de ce fait, ils échouent. En
outre, certains émetteurs de jetons ont tendance à gonfler leurs ambitions, ce
qui peut constituer un risque de pertes pour l’investisseur qui n’a pas
l’opportunité d’évaluer la comptabilité de la société, s’agissant très souvent
de start-up. Ayant toujours le souci de la protection de l’épargnant, l’AMF
tient à informer les investisseurs de ces risques. Le document d’information
contiendra à ce titre un avertissement au public.
Les épargnants frileux à investir peuvent désormais être
rassurés, eu égard à la garantie du sérieux du projet par le visa de l’AMF. Ils
peuvent ainsi, en toute sécurité, être les premiers à miser sur des projets
innovants et prometteurs. L’investissement leur permet de bénéficier ensuite
d’un double avantage. Le premier intérêt est spéculatif, car dans l’hypothèse
où le token prend de la valeur, cela engendre une plus-value à la revente. Le
second intérêt est utilitaire dans la mesure où les investisseurs jouissent
d’un droit d’usage sur le service (« utility token »). De ce fait,
ils deviennent pleinement investis en tant qu’acteurs du financement de
l’économie.
Pour conclure
La clarté législative et réglementaire autour des offres
au public de jetons se traduit par un développement sain de projets qui
s’inscrivent dans une démarche de progrès des technologies et de l’innovation.
Grâce au visa optionnel délivré par l’AMF aux projets sérieux et innovants, on
s’oriente vers une professionnalisation de l’écosystème. Alors que l’AMF a
délivré son premier visa en décembre 2019, cette dernière est sollicitée,
depuis la promulgation de la loi PACTE, par des porteurs de projets désireux de
réaliser une offre au public de jetons et de bénéficier d’un avantage
compétitif. Le public est ensuite incité à investir dans ces projets exempts de
fraudes, car garantis par le visa de l’AMF. Ce nouveau cadre législatif et
réglementaire positionne la France comme l’un des grands acteurs mondiaux en
termes d’offres au public de jetons et comme un modèle pour la régulation
européenne à venir. Cette « token économie » est susceptible de
connaître un avenir très prometteur pour la France, et ce, grâce à la loi
PACTE.
Un autre levier de croissance se développe et fait
l’objet d’un intérêt exponentiel de la part du public. Les « Security
Token Offerings » (STO) représentent des émissions sur la blockchain
d’instruments financiers, contrairement aux ICO qui ne donnent lieu qu’à un
droit d’usage sur le service. La réglementation traditionnelle en matière
d’émission d’instruments financiers (règlement européen
« prospectus ») impose l’intervention d’intermédiaires professionnels
des marchés financiers, apportant ainsi une garantie aux investisseurs. Or, la
blockchain est un environnement dont le mode de fonctionnement est
décentralisé, c’est-à-dire dépourvu d’intermédiaires. Alors que la nécessité
d’un cadre juridique idoine aux opérations de STO se fait ressentir, l’AMF a
avancé une piste. La création d’un « Digital Lab » européen
permettrait aux autorités nationales de lever certaines exigences issues de la
réglementation actuelle (règlement européen « prospectus ») en
contrepartie de garanties adaptées à cette nouvelle technologie qu’est la
blockchain5. Quoi qu’il en soit, une réflexion est à mener afin de
poursuivre le développement de cet écosystème, tout en évitant de créer de
nouveaux risques pour les investisseurs.
Éléonore Mortini,
Master 214 Droit des affaires de l’université Paris-Dauphine, supervisée par
Sophie Schiller, professeure de Droit privé à l’Université Paris-Dauphine.
1) Principalement en 2017
et durant les trois premiers trimestres de 2018.
2) « ICO Françaises, un
nouveau mode de financement ? », Caroline Le Moign, site web de l’AMF, novembre
2018.
3) Loi n° 2019-486 du 22
mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
4) « Synthèse des
réponses à la consultation publique portant sur les Initial Coin Offerings
(ICO) et point d’étape sur le programme Unicorn », site web de l’AMF, 22
février 2018.
5) « Analyse juridique
sur l’application de la règlementation financière aux security tokens et
précisions sur les tableaux d’affichage », site web de l’AMF, 6 mars 2020.