Le
gouvernement a récemment annoncé son intention de modifier le projet de loi
consacré aux énergies renouvelables en supprimant l’article 3 et en intégrant
une nouvelle disposition relative à l’autoconsommation. A l’heure où nous
écrivons ses lignes, nous n’avons pas eu connaissance de ce nouveau texte.
S’il est un consensus en France aujourd’hui, c’est bien
celui de développer les énergies renouvelables (EnR). Non seulement les
partisans de l’atome reconnaissent depuis quelques mois cette nécessité, mais
les Français sont majoritairement d’accord sur cette ligne, même si,
évidemment, les oppositions à certains projets, généralement éoliens,
continuent à se manifester.
Un fort retard à rattraper
De fait, notre retard est abyssal et nous sommes le seul
pays en Europe à ne pas avoir atteint ses objectifs en matière d’énergies
renouvelables. Ce n’est pas un hasard. Ce retard résulte d’un choix politique
délibéré : celui de privilégier notre production nucléaire au détriment du
développement des énergies renouvelables.
Les partisans de cette énergie, c’est-à-dire tous les
gouvernements qui se sont succédé, ont depuis 25 ans tout fait pour empêcher
l’installation d’éoliennes d’abord, puis du photovoltaïque ensuite. Cette
politique s’est traduite par une réglementation abusive, un système de taxation
empêchant la rentabilité des opérations d’autoconsommation collective, une
politique de raccordement détestable…
La situation actuelle qui a fait de la France un grand
importateur d’électricité en raison de la faible production nucléaire n’est pas
tenable tant pour des raisons financières que pratiques… et juridiques !
Nous ne respectons effectivement pas nos engagements communautaires.
Nous sommes aujourd’hui – et de loin – le pays qui achète
le plus cher son électricité (le double des Allemands), et qui perturbe tout le
marché européen en raison de ses énormes besoins d’importation. Le changement
de cap est un impératif reconnu par tous, y compris la Commission de régulation
de l’énergie (CRE).
La volonté du gouvernement de (re)lancer le renouvelable
est donc tout à fait louable. Pour autant, le texte répond-il aux
attentes ?
Les prémisses de ce projet de loi
Il convient tout d’abord de souligner que ce projet de
loi repose sur deux prémisses qui posent problème, outre les difficultés
juridiques qu’il soulève.
Tout d’abord, il se place dans une perspective de crise
alors que ce que nous vivons est une transformation structurelle. La
massification des EnR doit être une politique pérenne et une accélération dans
la durée, et non une simple série de mesures dérogatoires sur quatre ans.
En second lieu, la faiblesse du développement est imputée
au public qui, par son opposition en amont et en aval, dans les phases de
concertation et au contentieux, bloquerait les projets. S’il est vrai qu’un
véritable « tir aux pigeons » a été orchestré contre les éoliennes,
l’acceptabilité des projets, lorsqu’ils sont portés localement, ne fait guère
de problèmes. En réalité, la situation est très largement imputable à des
procédures complexifiées volontairement et surtout à un manque de rentabilité
des opérations d’autoconsommations collectives en raison des taxes, et plus
précisément du Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE).
Or, sur l’aspect économique, le texte est muet. En
revanche, en autorisant un modeste partage de valeur et en simplifiant
certaines procédures, il pourrait faciliter une part de développement.
Les dispositions de ce texte
Les semaines qui viennent permettront bien évidemment
d’ouvrir le débat.
Le texte est construit autour de plusieurs
chapitres : deux ont une vocation assez générale, trois une vocation
spécifique :
• au titre des dispositions générales, le titre I et le
titre IV ;
• au titre des dispositions particulières, les articles
destinés au photovoltaïque, à l’éolien en mer et au gaz bas-carbone.
Le titre I
Les huit premiers articles qui
constituent le titre I sont destinés à faciliter les procédures en instaurant
un régime dérogatoire pour quatre ans. Il est intéressant de noter que
l’article premier, qui cite les activités et opérations concernées, est infiniment
plus large que les seules énergies renouvelables. Il vise non seulement les
activités de fabrication et d’assemblage destinées au développement des EnR et
de l’hydrogène, mais également les réseaux publics, la préparation des déchets
en vue de leur réutilisation, de leur recyclage ou de leur valorisation autre
qu’énergétique, toutes les activités couvertes par la taxonomie (ce qui
concerne la quasi-totalité des activités économiques qui s’inscrivent dans la
durabilité), et enfin la modification d’installations ou leur remplacement si
elles sont destinées à réduire l’empreinte carbone.
Compte tenu des coups de canif
violents faits aux règles de procédure environnementale, l’impact effectif de
ces dispositions pourrait être très notable, bien au-delà du développement des
seules EnR qui doit évidemment être accéléré.
Il y a donc un sujet, d’autant plus
que, comme précisé ci-dessus, il faut penser le système dans la durée et non
sous forme dérogatoire pour une durée de quatre ans.
L’article 2 comme l’article 5
« simplifient » les procédures dans la droite ligne des opérations de
déconstruction du droit de l’environnement engagées depuis 2017. La suppression
des enquêtes publiques et leur remplacement par des consultations digitales, la
possibilité d’engager des consultations ou des enquêtes publiques sans que tous
les avis aient été au préalable rendus, pourraient éventuellement être admis
pour réduire les délais d’installation des petits projets EnR, mais compte tenu
du contenu extrêmement vaste de l’article 1, ces mesures constituent une
régression considérable de la démocratie environnementale.
Il serait plus intéressant de réduire
drastiquement les délais d’instruction par l’État et laisser les parties
prenantes s’exprimer loyalement en amont des projets.
En revanche, l’article 5, qui ne vise
que les EnR, permet de ne pas passer par la révision du PLU mais par sa
modification, ce qui est une bonne mesure.
Pour leur part, les articles 3 et
6 sont très problématiques et il n’est pas certain qu’ils passent le cap du
Conseil constitutionnel si jamais le Parlement les votait en l’état.
L’article 3 permet de déroger au
principe de non-régression environnementale en considérant que ce principe
n’est pas mis en cause en raison de la modification des seuils de soumission
aux études environnementales. Si l’on peut effectivement admettre que le
développement des EnR est destiné à réduire les émissions de gaz à effet de
serre – ce qui favorise l’environnement y compris la biodiversité – on peut
arguer qu’il n’y a pas réellement de réduction de la protection de
l’environnement.
Toutefois, cet argument ne peut pas
fonctionner pour toutes les activités visées par l’article premier du projet de
loi. De plus, les questions de biodiversité sont essentielles, y compris pour
lutter contre le dérèglement climatique.
Il aurait été plus intéressant de raisonner comme la taxonomie, en fixant comme
objectif de ne pas nuire notablement aux autres intérêts environnementaux.
Quant à l’article 6, il est encore
plus problématique. Il vise à considérer qu’a priori, il y a une raison
impérative d’intérêt public majeur pour toutes les installations d’EnR et de
transport. Le texte assimile en réalité la raison impérative d’intérêt public
majeur à l’utilité publique, ce qui est juridiquement faux, et l’abondante
jurisprudence administrative ne corrobore absolument pas cette manière de voir
les choses.
De plus, la raison impérative
d’intérêt public majeur dépend du site choisi et de l’absence d’alternative. En
supprimant toute référence à ce critère, l’article 6 pose réellement un
problème juridique et pourrait ne pas être en conformité avec le droit
communautaire et la charte de l’environnement.
Les dispositions de procédure visées
aux articles 6?et 7?cherchent à mettre en échec la jurisprudence du Conseil
d’État en ce qui concerne l’impossibilité de remettre en cause la RIIPM une
fois la DUP devenue définitive, et en obligeant le juge administratif à
surseoir à statuer pour permettre la régularisation, sauf à motiver le refus de
surseoir.
Enfin, l’article?8?prévoit des
ordonnances concernant les réseaux et les règles de raccordement.
Au total, ces différentes dispositions
visent à réduire les procédures et les droits des citoyens tant au niveau de la
concertation et des enquêtes publiques qu’au niveau de la contestation des
projets. Si certaines d’entre elles, comme l’article?5, sont bienvenues et vont
effectivement faciliter le développement des EnR, la philosophie générale du
texte est tout à fait discutable, et ce d’autant plus que raisonner en termes
de dérogation n’est pas satisfaisant.
Mieux vaudrait repenser les procédures
pour effectivement faciliter l’installation des énergies renouvelables, mais
dans un esprit de concertation avec les parties prenantes, et non dans l’état
d’esprit qui consiste à considérer a priori les parties prenantes comme des
ennemies.
Le titre II
Le titre II traite des questions liées
au photovoltaïque. En réalité, les réformes sont utiles mais ne portent pas sur
l’essentiel. Seront désormais autorisés l’usage des délaissés routiers et
autoroutiers avec une simplification des systèmes de mise en concurrence,
l’utilisation des friches dans la zone littorale et l’utilisation des réserves
industrielles de saumures. L’article 11 simplifie les règles de procédure pour
réaliser des installations d’EnR en zones de montagne dans des communes dotées
d’une carte communale.
Un point important est l’obligation
mise à la charge des exploitants de parking de plus de 2 500 m² de
réaliser des ombrières sur au moins 50 % des parkings dans un délai de
trois ans pour les parkings existants, et de cinq ans pour les parkings de plus
de 10 000 m². L’exposé des motifs précise que cela permettrait de
créer entre 7 et 11 gigawatts le titre. En revanche, l’on constate aucune disposition
pour faciliter l’installation des toits solaires, encourager l’autoconsommation
collective, alléger le TURPE et réduire les coûts de raccordement.
Le titre III
Le titre III concerne l’éolien en mer.
Les articles 13 à 17 créent un véritable statut des éoliennes marines
flottantes en assimilant les installations et les îles à des navires, et en
généralisant les règles applicables aux éoliennes flottantes dans la mer
territoriale aux éoliennes à cheval sur la zone économique exclusive et la mer
territoriale. De plus, l’article 17 permet, nonobstant les règles de la loi
littorale, de mettre en place des installations de transport d’électricité.
Les dernières dispositions
particulières concernent le gaz bas-carbone avec la création d’un contrat
particulier d’expérimentation.
Le titre IV
Enfin, le titre IV intitulé « Mesures
transversales de financement des énergies renouvelables et de partage de la
valeur » contient deux types de dispositions :
• les premières ont pour objet d’ouvrir
le champ de la possibilité de la prise en charge des pertes en cas de vente
d’électricité à des particuliers et crée une forme de statut pour les PPA1,
en mettant en compatibilité ces contrats avec le Code de l’énergie. Est rendue
possible en particulier la prise en compte des variations de prix de manière à
maintenir la compétitivité des entreprises, par analogie avec ce qui se passe
dans le domaine des contrats dits Excellium ;
• les deuxièmes dispositions visent à
instituer un partage de valeurs par une ristourne sur les factures
d’électricité pour les voisins des installations d’énergie renouvelable et les
communes d’accueil. C’est une bonne initiative, mais il ne faut pas oublier que
l’acceptabilité est d’autant plus grande que les habitants et/ou les
collectivités locales sont porteurs de projets.
Il est certain que ce texte donnera
lieu à de très nombreuses discussions en amont du Parlement et durant les
débats.
Il allège incontestablement certaines
procédures et ouvre des parties du territoire au photovoltaïque. Il est
particulièrement efficient pour les grandes installations de l’éolien en mer et
pour l’instauration d’une obligation d’installer des ombrières sur les
parkings, deux techniques qui sont de nature à produire assez rapidement un
nombre important de mégawattheure. Cela correspond à plusieurs tranches de
centrales nucléaires.
En revanche, ils ne comportent pas les
mesures nécessaires à une massification du recours aux énergies renouvelables
alors que nombre de nos concitoyens et de nos entreprises souhaitent se tourner
vers la production décentralisée d’énergie. Or, c’est bien cette massification
qui permet de faire baisser la facture d’électricité pour les particuliers et
les entreprises de manière durable. S’agissant en particulier des PME, la
France pourrait légitimement s’inspirer de l’exemple allemand qui vient de
mettre en place un système de financement spécifique pour les PME, afin de leur
permettre d’investir vite et massivement dans l’efficacité et l’autonomie
énergétiques.
C’est précisément ce dont nous avons
besoin !
1) PPA
Power Purchase Agreement qui sont des contrats complexes de vente d’électricité
sur le long terme.
Corinne
Lepage,
Avocate
associée fondatrice du cabinet Huglo Lepage Avocats,
Ancienne
ministre de l’Environnement