JUSTICE

Les commissaires de justice à la conquête de nouveaux marchés

Les commissaires de justice à la conquête de nouveaux marchés
Publié le 07/08/2024 à 09:17

Marketplace de créances, assignations par QR codes, livraison assistée sur Vinted ou Le Bon Coin… Lors de la biennale de la profession, au début de l’été, sept groupes de travail uniquement composés de commissaires de justice ont présenté une série de services inédits dont pourraient s’emparer les études pour faciliter la vie des justiciables, sous condition d’aménagements législatifs. L’occasion aussi de renouveler leur image et d’attirer de nouveaux clients.

Au début de l’été, les commissaires de justice se sont réunis à Strasbourg lors de leur première biennale. Objectif : réfléchir à l’avenir de cette « toute jeune profession », a souligné le président de l’organe représentatif de cette dernière, Benoît Santoire, en écho au récent rapprochement (le mot « fusion » étant honni) des huissiers et des commissaires-priseurs judiciaires. 

Pendant deux ans, sept équipes ont planché sur une série de propositions pour améliorer le fonctionnement des offices, via l’introduction d’un statut de remplaçant ou encore d’un système de mentorat, et pour apporter de nouvelles cordes à l’arc des commissaires de justice, en imaginant des services inédits à destination des justiciables. Le 28 juin, une vingtaine de rapporteurs issus des quatre coins de la France ont ainsi présenté les résultats de leurs travaux. 

Travaux que le président de l’événement, Christophe Pelissier, a qualifiés d’ « audacieux ». Pas irréalisables pour autant : dans la lignée des efforts de communication entrepris par la Chambre nationale (CNCJ) afin de renouveler l’image des commissaires de justice, la plupart de ces mesures « win-win » savamment étayées pourraient bien faire mouche et ouvrir la porte à de nouveaux marchés. A condition bien sûr que la profession – qui s’auto qualifie volontiers de « caméléon » voire de « couteau-suisse » – s’en empare, et que les suggestions en question trouvent un écho auprès du gouvernement, pour celles d’entre elles qui impliquent des modifications législatives.

Avec cette opération dépoussiérage, la profession compte notamment bien montrer qu’elle a pris le virage du numérique. « Aujourd’hui, on fait déjà du constat par vidéo, par drone, voire du constat immersif à 360°, a rappelé Alexandre Speeg, commissaire de justice et délégué national de la cour d'appel de Colmar. Mais il y a plein de nouveaux secteurs où le commissaire de justice a vocation à intervenir (...) pour continuer à être un rouage essentiel ». Par exemple, en adaptant les moyens de recouvrement aux nouveaux flux financiers : parmi les propositions des rapporteurs, figure celle d’étendre la saisie-attribution aux crypto-monnaies, ou encore aux comptes Paypal. 

Cyberharcèlement, abandon de logement… Mieux répondre aux crises

Ressortent notamment des projets défendus par les experts un certain nombre de nouveautés destinées à parer aux urgences des justiciables. A commencer par la création d’un service de garde accessible 24h/24, 7j/7, « pour répondre aux crises », comme constater la preuve d’un pillage ou d’un incendie. A l’instar d’autres professions, ce système s’appuierait sur une liste de professionnels de garde volontaires et sur la mise en place d’un numéro vert. « Ce serait aussi bénéfique pour la profession, car il y a des jeunes confrères récemment installés qui ne demandent que ça », selon l’un des rapporteurs.

La profession propose également une procédure de lutte contre le harcèlement scolaire, dans les établissements ou en ligne. Dans ce cadre, le commissaire de justice pourrait dresser un procès-verbal de consignation des faits et adresser une sommation au chef d’établissement. Au-delà, les experts ayant travaillé sur ce sujet ont imaginé que le commissaire de justice pourrait directement intervenir sur les réseaux sociaux en postant un « commentaire dissuasif avec un rappel des textes légaux », afin de dissuader de potentiels harceleurs, voire dresser des rappels à la loi solennels. 

Toujours côté urgences, l’une des propositions vise à améliorer l’efficacité de la loi Béteille de 2010 s’agissant des abandons de logement. D’abord, en réduisant d’un mois à 15 jours le délai dont bénéficie le locataire pour répondre à sa mise en demeure. Par ailleurs, en l’absence de réponse, si aujourd’hui, la loi prévoit que le commissaire dresse un PV de constat d'abandon, que le juge constate la résiliation du bail, et que le locataire est informé dans un délai de deux mois, avec un mois pour contester, à la place, la procédure serait « déjudiciarisée en amont ». Le commissaire de justice signifierait directement le constat d’abandon du logement au locataire, et lui laisserait seulement 15 jours pour contester devant le juge. Le but étant que le propriétaire puisse reprendre son bien dans un délai de « un à deux mois » contre un délai « de quatre à six mois » actuellement.

Des mesures pour les créanciers 

Autre angle visé par les travaux : faciliter la vie des créanciers à travers une nouvelle plateforme, qui introduirait, entre autres, un système d’assurance des frais de procédure, avec la promesse de « transformer la manière dont les créanciers abordent les procédures ». Exploitant leur statut d’intermédiaire en assurance, activité jusque-là peu usitée, les commissaires de justice souhaitent donc proposer cette assurance, calculée en fonction du risque associé à chaque créance. But de la manœuvre : offrir une sécurité financière aux créanciers qui n’auront « plus à craindre des pertes importantes » en frais de justice en cas d’insolvabilité. Le dispositif a vocation à les « encourager à initier des procédures d'exécution à l’encontre de leurs débiteurs, tout en maîtrisant le budget alloué au titre des frais engagés dans leur dossier », d’après l’équipe de travail à l’origine de la plateforme.

En parallèle, le lancement d’une « market place de créances » – sorte de service de vente aux enchères pour vendre et acheter des créances non recouvrées « de manière éthique », promettent les rapporteurs – est également envisagé sur cette même plateforme. Selon le pitch, celle-ci fonctionnerait avec des algorithmes chargés d’évaluer les risques et la valeur des créances. Les créanciers pourraient ensuite mettre en vente leurs créances non recouvrées à des prix compétitifs, permettant l'encaissement de liquidités immédiates. Les acheteurs pourraient, eux, acquérir ces créances moins cher que leur valeur et réaliser un investissement – potentiellement – rentable. Quant aux débiteurs, ils pourront voir là une nouvelle chance de négocier leur dette. 

Enfin, la plateforme imaginée pourrait développer « des stratégies de recouvrement personnalisées plus efficaces », en ayant recours aux sciences comportementales. Elle prendrait en considération l’âge du débiteur et sa catégorie socio-professionnelle, afin de mieux comprendre « ses comportements et motivations ». Le but ici serait de proposer des messages personnalisés et des « approches empathiques » pouvant inciter les débiteurs à régler leurs dettes plus rapidement et avec moins de résistance. Une façon d’ « humaniser le processus de recouvrement et d’augmenter la coopération, en réduisant le stress pour toutes les parties impliquées », soulignent les commissaires de justice derrière cette idée. Ce n’est qu’en cas d’échec de la procédure amiable que la plateforme proposerait alors la mise en place d’un processus de certification et d’obtention simplifiée d’un titre exécutoire.

Les fraudes dans le viseur

Dans le viseur de la profession également, de nouveaux outils pour lutter contre les fraudes et les arnaques. Par exemple, à travers un service dématérialisé de consignation des fonds, via lequel professionnels et particuliers seraient protégés des entreprises malhonnêtes qui encaissent des arrhes mais ne fournissent pas la marchandise ou abandonnent leur chantier. L’idée : permettre qu’en quelques clics, les arrhes soient versés à un commissaire de justice, lequel paiera le fournisseur une fois que celui-ci aura apporté des preuves d’exécution (bon de commande, etc.). Les rapporteurs en appellent même à une évolution législative rendant obligatoire cette consignation à l’égard d’entreprises nouvellement créées. L’enjeu est d’éviter que des sociétés n’apparaissent pour faire de la trésorerie avec les fonds versés par leurs cocontractants, avant de fermer et de partir en liquidation – une pratique en plein boom, notamment en Île-de-France

En matière de e-commerce cette fois, face à l’explosion des contentieux, un groupe de rapporteurs plaide pour créer un mécanisme de certification des profils des utilisateurs sur les plateformes de vente en ligne type AliBaba, Amazon, Le Bon Coin... Estimant que le « KYC » (« know your customer », procédé privé servant à certifier l’identité) peut porter atteinte à la vie privée, et que certaines intelligences artificielles sont capables de falsifier des pièces d’identité, l’équipe brandit cette solution en guise d’alternative, pour « garantir une transaction sans fraude ». La personne souhaitant faire certifier son identité pour réaliser ses transactions serait orientée vers un commissaire de justice territorialement compétent. La certification, d’un montant d’une trentaine d’euros, serait valable pour une durée limitée, renouvelable annuellement. Et si l’opération est peu lucrative pour la profession, l’objectif est avant tout « de se faire connaître du grand public » avec ce « produit d’appel ».

Dans la même veine, les sites marchands – au premier rang desquels Vinted et Le Bon Coin, particulièrement sujets aux arnaques – proposeront peut-être bientôt une nouvelle option : la livraison assistée par commissaire de justice, réservée aux objets de valeur (montres de luxe, etc.). Cela fonctionnerait ainsi : les données de la commande puis les fonds arrivent chez le commissaire de justice le plus proche du lieu de la livraison. L’expert atteste alors de la remise, de la non altération de l’emballage, et de la correspondance entre le produit livré et celui commandé. Une fois la conformité établie, le commissaire de justice débloque les fonds ou établit un constat de non-conformité, et les fonds sont recrédités à l’acheteur. Simple comme bonjour, donc. A noter toutefois que ce contrôle serait limité, car le commissaire de justice, s’il pourra attester de certains éléments (numéro de série, marque, modèle), ne pourra pas attester de l’authenticité du produit, n’étant pas habilité à le faire… sauf à être expert en la matière.

Des actes plus compréhensibles

Axe fort des travaux présentés fin juin, on relève la volonté des commissaires de justice de se rendre plus compréhensibles des justiciables. La profession compte par exemple « simplifier le jargon », intégrer des solutions de traduction automatisée multilingues, ou encore améliorer l’accessibilité visuelle, en augmentant la taille de police des caractères dans les actes et en intégrant des options de zoom dans les documents électroniques. Il faut dire que l’arrêté du 21 mars 2023 fixant les normes de présentation des actes de la profession prévoit encore une taille de police à 10 pixels (contre 12 semble-t-il du côté des avocats), alors que 72 % des Français souffrent d’un problème visuel, avec une prévalence élevée chez les 50 ans et plus*, et que près de 1,7 million de personnes sont atteintes d’un trouble de la vision, selon la Fédération des aveugles de France. 

Par ailleurs, puisque les QR codes ont la cote, la profession surfe sur la vague et propose qu’un code-barres soit directement intégré sur les avis de passage et les significations d’actes – sous réserve toutefois d’une modification textuelle, les actes étant soumis à un formalisme bien spécifique. Ces derniers seraient envoyés sur un serveur sécurisé, avec notification du destinataire par mail. Une fois scanné, le code redirigerait vers une vidéo explicative, sous-titrée et doublée en langue des signes. La solution vise certes à limiter le risque d’erreur ; reste néanmoins la question de la sécurité, les QR codes étant fréquemment épinglés sur ce point, et celle de la fracture sociale. En effet, huit millions de personnes se trouvent en situation d’illectronisme en France. Selon l’Insee, en 2021, 15 % des Français ne se servaient pas d’Internet.

Quelques défis attendent donc au tournant les mesures proposées par les groupes de travail issus de la profession, qui ne promettent cependant pas de tout régler, mais d’apporter un certain nombre d’améliorations notables, avec l’espoir de booster leur vitrine au passage.

Bérengère Margaritelli

*chiffres OpinionWays

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