Marketplace de créances,
assignations par QR codes, livraison assistée sur Vinted ou Le Bon Coin… Lors
de la biennale de la profession, au début de l’été, sept groupes de travail
uniquement composés de commissaires de justice ont présenté une série de
services inédits dont pourraient s’emparer les études pour faciliter la vie des
justiciables, sous condition d’aménagements législatifs. L’occasion aussi de renouveler
leur image et d’attirer de nouveaux clients.
Au début de l’été, les
commissaires de justice se sont réunis à Strasbourg lors de leur première
biennale. Objectif : réfléchir à l’avenir de cette « toute jeune
profession », a souligné le président de l’organe représentatif de
cette dernière, Benoît Santoire, en écho au récent rapprochement (le mot « fusion »
étant honni) des huissiers et des commissaires-priseurs judiciaires.
Pendant deux ans, sept
équipes ont planché sur une série de propositions pour améliorer le
fonctionnement des offices, via l’introduction d’un statut de remplaçant ou
encore d’un système de mentorat, et pour apporter de nouvelles cordes à l’arc
des commissaires de justice, en imaginant des services inédits à destination
des justiciables. Le 28 juin, une vingtaine de rapporteurs issus des quatre
coins de la France ont ainsi présenté les résultats de leurs travaux.
Travaux que le président de
l’événement, Christophe Pelissier, a qualifiés d’ « audacieux ».
Pas irréalisables pour autant : dans la lignée des efforts de communication
entrepris par la Chambre nationale (CNCJ) afin de renouveler l’image des
commissaires de justice, la plupart de ces mesures « win-win »
savamment étayées pourraient bien faire mouche et ouvrir la porte à de nouveaux
marchés. A condition bien sûr que la profession – qui s’auto qualifie
volontiers de « caméléon » voire de « couteau-suisse »
– s’en empare, et que les suggestions en question trouvent un écho auprès du
gouvernement, pour celles d’entre elles qui impliquent des modifications
législatives.
Avec cette opération
dépoussiérage, la profession compte notamment bien montrer qu’elle a pris le
virage du numérique. « Aujourd’hui, on fait déjà du constat par vidéo,
par drone, voire du constat immersif à 360°, a rappelé Alexandre Speeg,
commissaire de justice et délégué national de la cour d'appel de Colmar. Mais
il y a plein de nouveaux secteurs où le commissaire de justice a vocation à
intervenir (...) pour continuer à être un rouage essentiel ». Par
exemple, en adaptant les moyens de recouvrement aux nouveaux flux financiers :
parmi les propositions des rapporteurs, figure celle d’étendre la
saisie-attribution aux crypto-monnaies, ou encore aux comptes Paypal.
Cyberharcèlement, abandon de
logement… Mieux répondre aux crises
Ressortent notamment des
projets défendus par les experts un certain nombre de nouveautés destinées à
parer aux urgences des justiciables. A commencer par la création d’un service
de garde accessible 24h/24, 7j/7, « pour répondre aux crises »,
comme constater la preuve d’un pillage ou d’un incendie. A l’instar d’autres
professions, ce système s’appuierait sur une liste de professionnels de garde
volontaires et sur la mise en place d’un numéro vert. « Ce serait aussi
bénéfique pour la profession, car il y a des jeunes confrères récemment
installés qui ne demandent que ça », selon l’un des rapporteurs.
La profession propose
également une procédure de lutte contre le harcèlement scolaire, dans les
établissements ou en ligne. Dans ce cadre, le commissaire de justice pourrait
dresser un procès-verbal de consignation des faits et adresser une sommation au
chef d’établissement. Au-delà, les experts ayant travaillé sur ce sujet ont
imaginé que le commissaire de justice pourrait directement intervenir sur les
réseaux sociaux en postant un « commentaire dissuasif avec un rappel
des textes légaux », afin de dissuader de potentiels harceleurs, voire
dresser des rappels à la loi solennels.
Toujours côté urgences, l’une
des propositions vise à améliorer l’efficacité de la loi Béteille de 2010
s’agissant des abandons de logement. D’abord, en réduisant d’un mois à 15 jours
le délai dont bénéficie le locataire pour répondre à sa mise en demeure. Par
ailleurs, en l’absence de réponse, si aujourd’hui, la loi prévoit que le
commissaire dresse un PV de constat d'abandon, que le juge constate la
résiliation du bail, et que le locataire est informé dans un délai de deux
mois, avec un mois pour contester, à la place, la procédure serait « déjudiciarisée
en amont ». Le commissaire de justice signifierait directement le
constat d’abandon du logement au locataire, et lui laisserait seulement 15
jours pour contester devant le juge. Le but étant que le propriétaire puisse
reprendre son bien dans un délai de « un à deux mois » contre
un délai « de quatre à six mois » actuellement.
Des mesures pour les
créanciers
Autre angle visé par les
travaux : faciliter la vie des créanciers à travers une nouvelle plateforme,
qui introduirait, entre autres, un système d’assurance des frais de procédure,
avec la promesse de « transformer la manière dont les créanciers
abordent les procédures ». Exploitant leur statut d’intermédiaire en
assurance, activité jusque-là peu usitée, les commissaires de justice
souhaitent donc proposer cette assurance, calculée en fonction du risque
associé à chaque créance. But de la manœuvre : offrir une sécurité financière
aux créanciers qui n’auront « plus à craindre des pertes importantes »
en frais de justice en cas d’insolvabilité. Le dispositif a vocation à les « encourager
à initier des procédures d'exécution à l’encontre de leurs débiteurs, tout en
maîtrisant le budget alloué au titre des frais engagés dans leur dossier »,
d’après l’équipe de travail à l’origine de la plateforme.
En parallèle, le lancement
d’une « market place de créances » – sorte de service de vente aux
enchères pour vendre et acheter des créances non recouvrées « de
manière éthique », promettent les rapporteurs – est également envisagé
sur cette même plateforme. Selon le pitch, celle-ci fonctionnerait avec des
algorithmes chargés d’évaluer les risques et la valeur des créances. Les
créanciers pourraient ensuite mettre en vente leurs créances non recouvrées à
des prix compétitifs, permettant l'encaissement de liquidités immédiates. Les
acheteurs pourraient, eux, acquérir ces créances moins cher que leur valeur et
réaliser un investissement – potentiellement – rentable. Quant aux débiteurs,
ils pourront voir là une nouvelle chance de négocier leur dette.
Enfin, la plateforme imaginée
pourrait développer « des stratégies de recouvrement personnalisées
plus efficaces », en ayant recours aux sciences comportementales. Elle
prendrait en considération l’âge du débiteur et sa catégorie
socio-professionnelle, afin de mieux comprendre « ses comportements et
motivations ». Le but ici serait de proposer des messages
personnalisés et des « approches empathiques » pouvant inciter
les débiteurs à régler leurs dettes plus rapidement et avec moins de
résistance. Une façon d’ « humaniser le processus de recouvrement
et d’augmenter la coopération, en réduisant le stress pour toutes les
parties impliquées », soulignent les commissaires de justice derrière
cette idée. Ce n’est qu’en cas d’échec de la procédure amiable que la
plateforme proposerait alors la mise en place d’un processus de certification
et d’obtention simplifiée d’un titre exécutoire.
Les fraudes dans le viseur
Dans le viseur de la
profession également, de nouveaux outils pour lutter contre les fraudes et les
arnaques. Par exemple, à travers un service dématérialisé de consignation des
fonds, via lequel professionnels et particuliers seraient protégés des entreprises
malhonnêtes qui encaissent des arrhes mais ne fournissent pas la marchandise ou
abandonnent leur chantier. L’idée : permettre qu’en quelques clics, les arrhes
soient versés à un commissaire de justice, lequel paiera le fournisseur une
fois que celui-ci aura apporté des preuves d’exécution (bon de commande, etc.).
Les rapporteurs en appellent même à une évolution législative rendant
obligatoire cette consignation à l’égard d’entreprises nouvellement créées.
L’enjeu est d’éviter que des sociétés n’apparaissent pour faire de la
trésorerie avec les fonds versés par leurs cocontractants, avant de fermer et
de partir en liquidation – une pratique en plein
boom, notamment en Île-de-France.
En matière de e-commerce
cette fois, face à l’explosion des contentieux, un groupe de rapporteurs plaide
pour créer un mécanisme de certification des profils des utilisateurs sur les
plateformes de vente en ligne type AliBaba, Amazon, Le Bon Coin... Estimant que
le « KYC » (« know your customer », procédé privé servant à
certifier l’identité) peut porter atteinte à la vie privée, et que certaines
intelligences artificielles sont capables de falsifier des pièces d’identité,
l’équipe brandit cette solution en guise d’alternative, pour « garantir
une transaction sans fraude ». La personne souhaitant faire certifier
son identité pour réaliser ses transactions serait orientée vers un commissaire
de justice territorialement compétent. La certification, d’un montant d’une
trentaine d’euros, serait valable pour une durée limitée, renouvelable
annuellement. Et si l’opération est peu lucrative pour la profession,
l’objectif est avant tout « de se faire connaître du grand public »
avec ce « produit d’appel ».
Dans la même veine, les sites
marchands – au premier rang desquels Vinted et Le Bon Coin, particulièrement
sujets aux arnaques – proposeront peut-être bientôt une nouvelle option : la
livraison assistée par commissaire de justice, réservée aux objets de valeur (montres
de luxe, etc.). Cela fonctionnerait ainsi : les données de la commande
puis les fonds arrivent chez le commissaire de justice le plus proche du lieu
de la livraison. L’expert atteste alors de la remise, de la non altération de
l’emballage, et de la correspondance entre le produit livré et celui commandé.
Une fois la conformité établie, le commissaire de justice débloque les fonds ou
établit un constat de non-conformité, et les fonds sont recrédités à
l’acheteur. Simple comme bonjour, donc. A noter toutefois que ce contrôle
serait limité, car le commissaire de justice, s’il pourra attester de certains
éléments (numéro de série, marque, modèle), ne pourra pas attester de
l’authenticité du produit, n’étant pas habilité à le faire… sauf à être expert
en la matière.
Des actes plus
compréhensibles
Axe fort des travaux
présentés fin juin, on relève la volonté des commissaires de justice de se
rendre plus compréhensibles des justiciables. La profession compte par exemple « simplifier
le jargon », intégrer des solutions de traduction automatisée
multilingues, ou encore améliorer l’accessibilité visuelle, en augmentant la
taille de police des caractères dans les actes et en intégrant des options de
zoom dans les documents électroniques. Il faut dire que l’arrêté du 21 mars
2023 fixant les normes de présentation des actes de la profession prévoit
encore une taille de police à 10 pixels (contre 12 semble-t-il du côté des
avocats), alors que 72 % des Français souffrent d’un problème visuel, avec
une prévalence élevée chez les 50 ans et plus*, et que près de 1,7 million de
personnes sont atteintes d’un trouble de la vision, selon la Fédération des
aveugles de France.
Par ailleurs, puisque les QR
codes ont la cote, la profession surfe sur la vague et propose qu’un
code-barres soit directement intégré sur les avis de passage et les
significations d’actes – sous réserve toutefois d’une modification textuelle,
les actes étant soumis à un formalisme bien spécifique. Ces derniers seraient
envoyés sur un serveur sécurisé, avec notification du destinataire par mail.
Une fois scanné, le code redirigerait vers une vidéo explicative, sous-titrée
et doublée en langue des signes. La solution vise certes à limiter le risque
d’erreur ; reste néanmoins la question de la sécurité, les QR codes étant
fréquemment épinglés sur ce point, et celle de la fracture sociale. En effet, huit
millions de personnes se trouvent en situation d’illectronisme en France. Selon
l’Insee, en 2021, 15 % des Français ne se servaient pas d’Internet.
Quelques défis attendent donc
au tournant les mesures proposées par les groupes de travail issus de la
profession, qui ne promettent cependant pas de tout régler, mais d’apporter un
certain nombre d’améliorations notables, avec l’espoir de booster leur vitrine
au passage.
Bérengère
Margaritelli
*chiffres OpinionWays