Etymologiquement, le responsable est celui qui répond (du
latin « respondere »). Par extension, la responsabilité est
l’obligation qu’a chacun de répondre de ses propres actes ou de ceux des
personnes dont il a la charge, de les assumer, d’en supporter les conséquences,
du fait de sa position.
Contrepartie naturelle du pouvoir de direction du
dirigeant, la responsabilité est aujourd’hui devenue un élément structurant de
la vie des entreprises.
En tant que responsable de la gestion et de la direction
de la société, qu’il représente et engage vis-à-vis des tiers, le dirigeant
doit en effet répondre non seulement de ses propres actes et décisions, mais
aussi, de plus en plus souvent, de ceux de ses employés et préposés dont il a
la charge.
Le dirigeant est susceptible d’engager sa responsabilité à
de multiples titres. Sur le plan civil, d’abord : vis-à-vis de la société,
s’il commet une faute de gestion, ou à l’égard des tiers en cas de faute
détachable de ses fonctions. Mais aussi sur le plan pénal, du fait des
infractions qu’il commet personnellement dans le cadre de ses fonctions, ou de
celles dont il doit répondre en tant que « chef d’entreprise »,
notamment en matière de sécurité environnementale, de gestion sociale ou
d’hygiène et de sécurité.
En cause : la perpétuelle inflation législative et
réglementaire
Cette inexorable multiplication des sources de
responsabilité trouve sa source dans la perpétuelle inflation législative et
réglementaire ; « qu’un scandale éclate, qu’un accident survienne,
qu’un inconvénient se découvre : la faute est aux lacunes de la
législation. Il n’y a qu’à faire une loi de plus », se lamentait le
professeur Jean Carbonnier à la fin du XXe siècle.
Ce mouvement s’est encore accéléré au cours des dernières
années, notamment au sein des « grandes » entreprises, dont les
dirigeants se sont ainsi vu imposer la mise en place, souvent à grands frais,
de divers programmes de conformité et mesures de vigilance propres à identifier
les risques de corruption (loi Sapin II de décembre 2016) et à prévenir les
atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, à la santé et la
sécurité des personnes, ou encore à l’environnement (loi sur le devoir de
vigilance de mars 2017).
Une nouvelle étape a encore été franchie en 2019 avec la
très vaste loi PACTE, qui a notamment hissé la responsabilité sociétale des
entreprises (RSE) au rang d’impératif catégorique, en l’inscrivant dans un
processus de judiciarisation progressive.
L’émergence d’un risque cyber toujours plus prégnant
fait, quant à elle, peser sur les dirigeants la lourde charge de protéger
l’entreprise contre les cyber-menaces, en instaurant des règles de
cybergouvernance afin de réagir immédiatement et avec des réponses adaptées
lorsqu’une attaque survient (c’est le cas toutes les 14 secondes).
Des outils juridiques pour faire face aux responsabilités
Les dirigeants disposent néanmoins d’outils juridiques
qui, s’ils sont bien maîtrisés et correctement utilisés, peuvent leur permettre
d’appréhender et d’affronter sereinement ces responsabilités toujours plus
nombreuses.
Sur le plan pénal, le mécanisme le plus répandu est celui
de la délégation de pouvoirs, qui opère un transfert de la responsabilité
encourue par le dirigeant du fait d’infractions auxquelles il n’a pas
directement participé, mais qui se rattachent au fonctionnement de
l’entreprise : l’employé délégataire devient responsable à la place du
dirigeant délégant, à la mesure du pouvoir et des obligations qui lui sont
déléguées.
La délégation de pouvoirs est, en revanche, inopérante sur
le plan de la responsabilité civile, le commettant demeurant civilement
responsable de son proposé, sauf si ce dernier n’a pas agi dans l’exercice
normal de ses attributions.
L’assurance de responsabilité civile des mandataires
sociaux (RCMS) permet par ailleurs de garantir les dirigeants des conséquences
financières dans tous les cas où leur responsabilité serait recherchée pour des
actes commis à l’occasion de leurs fonctions. L’assurance opère ainsi un
transfert de la dette indemnitaire de l’assuré à l’assureur.
Toutefois, dans un cas comme dans l’autre, la vigilance
est de mise, et certains dirigeants découvrent parfois à leurs dépens que la
protection ainsi obtenue n’est pas sans limite et dépendra, ici, d’une
délégation suffisamment précise, effective et raisonnablement circonscrite, du
périmètre exact de la police souscrite et du type de risque assuré (les
condamnations pénales pécuniaires issues d’infractions commises par l’assuré
sont, par exemple, inassurables).
Comme toujours en matière juridique, le diable se cache
dans les détails, et c’est le rôle du juriste que d’aider le dirigeant à
naviguer dans cet océan de risques, dont il n’a pas toujours connaissance.
Force est heureusement de constater que cet amoncèlement
de responsabilités ne semble pas, pour l’heure, décourager les dirigeants
français, ni dissuader les plus jeunes de se lancer hardiment dans l’aventure
entrepreneuriale, comme en atteste le million d’entreprises créé en 2021.
Les
dirigeants d’entreprise seraient-ils en définitive de grands intrépides ?
D’inexpugnables optimistes assurément.
Valérie Lafarge-Sarkozy,
Avocate,
ADVANT Altana
Benjamin Dors,
Avocat,
ADVANT Altana