Une étude réalisée par le Conseil national
des greffiers des tribunaux de commerce et l'institut Xerfi I+C met en exergue
une augmentation de 10 % du nombre de créations d’entreprises en juin/juillet
par rapport à 2019. Cependant, la chute du nombre d'entreprises en difficulté,
en raison des aides gouvernementales accordées, pourrait bien être suivie par
des défaillances en série ces prochains mois.
Les chiffres ont créé la surprise
: les greffes des tribunaux de commerce ont enregistré un rebond exceptionnel
de l'entrepreneuriat en juin et en juillet. En effet, avec près de 83 000
immatriculations sur ces deux mois, les créations d’entreprises ont explosé de
10 % par rapport à la même période l’an dernier.
Pourtant, au début du
confinement, elles s’étaient écroulées, allant même jusqu’à chuter de plus de
54 % – « une situation totalement inédite
qui traduisait la violence du choc économique auquel nous avons dû faire face,
avec une mise à l’arrêt totale dans certains secteurs, et deux mois d'activité
quasiment nuls en termes de rentrée de chiffre d’affaires », souligne
Laurent Frelat, directeur général de l'Institut Xerfi I+C, à l’occasion d’une
conférence de presse.
Comment expliquer alors ce
soubresaut entrepreneurial ? Tout d’abord par un effet de rattrapage. Certains
projets gelés pendant le confinement ont resurgi à partir du 15 mai, mais pas
seulement, puisqu’une dynamique nouvelle s’est également créée. Plusieurs
secteurs ont vu dans la crise l’occasion de se lancer dans un projet
entrepreneurial et ont bénéficié d’un fort courant d’affaires, d’une demande
soutenue de la part des consommateurs et de partenariats passés avec des
acteurs majeurs, ce qui a boosté la création de micro-entreprises. Un phénomène
déjà observé en 2019, mais amplifié par la crise.
Pour autant, « Il ne faut pas crier victoire, prévient
Laurent Frelat. Globalement, on reste sur un rythme annuel, avec une moyenne
mobile glissante » : sur l’ensemble du trimestre, si l’on compare à 2019,
le nombre de créations d’entreprise est en baisse de 5,5 %. Pour résumer, le
rebond de l’été ne suffit pas totalement à compenser le manque à gagner de la
période du confinement. Mais la tendance, si elle se poursuit, devrait
permettre d’arriver a minima à une année blanche – une situation «
exceptionnelle, compte tenu du contexte », estime-t-il.
Chute de 43 % des procédures collectives
Autre situation inattendue :
seules un peu plus de 6 000 ouvertures de procédures collectives ont été
enregistrées entre le 1er mai et le 31 juillet 2020, soit une baisse de 43 % à
un an d’intervalle. Avec 500 à 800 ouvertures par quinzaine pendant le
confinement, puis 1 000 depuis le déconfinement, les chiffres ont été
pratiquement divisés par deux par rapport à la normale. En cause : les mesures
gouvernementales prises face à la crise. Les prêts garantis par l’État, le gel
des cotisations et le chômage partiel sont ainsi venus soutenir les
entreprises, créer des liquidités et assainir la trésorerie. « Le pire a été évité alors que les faillites
en chaîne étaient plausibles », observe Laurent Frelat, qui souligne par
ailleurs que les entreprises se retrouvent aujourd’hui dans une « situation paradoxale d’excès de liquidités
des entreprises ». Au même titre d’ailleurs que pour les revenus des
ménages, puisque ces derniers ont constitué pas moins de 70 milliards d’euros
d’épargne de précaution.
En effet, alors que les dépôts à
vue dont disposent les entreprises constituent, en règle générale, 4 mois des
charges auxquelles ils doivent faire face, ils constituent actuellement plus de
6 mois de charges. Toutefois, si cette situation de trésorerie est plus
confortable qu’avant la crise, « ce n’est
pas pour autant une situation rassurante pour l'avenir, alerte le directeur
général de l'Institut Xerfi I+C. On est face à un certain nombre d’entreprises
zombies, qui ne survivent que parce qu’elles bénéficient des aides
gouvernementales, mais qui n’ont pas d’activité réelle, et pas de possibilité
de perdurer grâce à leur activité à proprement parler. »
En effet, alors que les dépôts à
vue dont disposent les entreprises constituent, en règle générale, 4 mois des
charges auxquelles ils doivent faire face, ils constituent actuellement plus de
6 mois de charges. Toutefois, si cette situation de trésorerie est plus
confortable qu’avant la crise, « ce n’est
pas pour autant une situation rassurante pour l'avenir, alerte le directeur
général de l'Institut Xerfi I+C. On est face à un certain nombre d’entreprises
zombies, qui ne survivent que parce qu’elles bénéficient des aides
gouvernementales, mais qui n’ont pas d’activité réelle, et pas de possibilité
de perdurer grâce à leur activité à proprement parler. »
Le nord de la France et les activités de
transport tirent leur épingle
Dans le détail, les résultats
régionaux indiquent que les régions les plus dynamiques en termes de création
d’entreprise et les moins affectées en termes de procédures collectives sont
des régions qui ont pu être, paradoxalement, durement affectées par la crise et
les mesures de confinement. L’Île-de-France et les Hauts-de-France figurent
ainsi parmi les régions qui rebondissent le plus fort à l’issue du 15 mai. À
l'inverse, les régions du sud connaissent aujourd’hui plus de difficultés,
enregistrent moins de créations d’entreprises et sont plus sujettes aux
défaillances, à l’instar de la Corse (-20,5 % d'immatriculations), de
l’Occitanie (-12,4 %), de la région PACA (-11,9 %)
Un phénomène qui s’explique
compte tenu du tissu économique, puisque les régions sud sont plus largement
dépendantes du tourisme, de la culture et du spectacle vivant, ou encore de
l’industrie aéronautique en Occitanie. Ce sont donc beaucoup plus les
structures de l’activité économique régionale qui justifient ces différences de
résultat que l’importance de la crise sanitaire jusqu’au mois de mai. Un
premier constat sera être étayé par le bilan national réalisé au mois de
janvier 2021.
Les résultats par secteur, en
termes de créations d’entreprises et d’ouvertures de procédures collectives,
mettent quant à eux en évidence de nouvelles données atypiques. Seuls secteurs
à avoir vu leur nombre de créations d'entreprises augmenter sur la période, le
transport et l'entreposage ont bénéficié du dynamisme des acteurs de la
foodtech (Uber Eats, Deliveroo, Just Eat). 10 % des entreprises créées entre
mai et juillet relèvent ainsi des activités de livraison de repas. À l'inverse,
le ralentissement de l'entrepreneuriat s’est confirmé dans les secteurs de
l'hébergement et de la restauration, qui ont vu leur nombre d'immatriculations
chuter de 29 % sur la période.
Des chiffres « à mettre en relation directe avec les
conséquences du confinement et de la crise sanitaire, puisqu’on retrouve la
volonté de faire venir jusque chez soi un certain nombre de produits
(d’alimentation) à travers les résultats d’hébergement et de restauration, un
des secteurs les plus affectés », note Laurent Frelat.
Bientôt des faillites en cascade ?
Quid de la suite, désormais ?
Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de
commerce (CNGTC), assure que les greffiers seront « très attentifs aux semaines
et aux mois décisifs qui arrivent, puisque les moratoires ont pris fin, et les
entreprises vont devoir faire face à leurs engagements ».
La présidente du CNGTC l’avoue :
il est encore « difficile de prévoir à
quel moment il y aura une vague de défaillances d’entreprises ». Sophie
Jonval espère cependant que cette vague sera limitée par « l’effet diffus des
mesures gouvernementales, qui ne vont pas s'arrêter brutalement » et forme le
vœu que les chefs d’entreprise « aient donc recours aux mesures préventives
plutôt qu’aux procédures collectives ». En effet, plus la situation est
anticipée, plus elle permet d’éviter des processus liquidatifs amenant à la fin
de l’entreprise. « Si vague il y a, il
est donc à souhaiter que ce soit une vague de mesures préventives ou de
sauvegardes. Espérons que les chefs d'entreprises n’hésitent pas à se tourner
vers leurs conseils », soutient-elle. Plusieurs possibilités peuvent alors
être envisagées, comme solliciter un mandat ad hoc, consistant en la nomination
d’un mandataire chargé de régler les difficultés qui pourraient amener
l’entreprise à la cessation des paiements. Ou alors la conciliation, dont le
champ est plus large, et qui peut regrouper un certain nombre de créanciers
importants pour l’entreprise. « Ces
procédures sont confidentielles, elles ne sont pas révélées au registre du
commerce et des sociétés, et ont vocation à intervenir en amont des difficultés
profondes », souligne Sophie Jonval.
Espérons que le message sera
entendu. Pour l’heure, et dans la perspective d’éventuelles faillites en
cascade, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a lancé le 10 septembre une
mission « flash ». La commission désignée devra livrer d’ici novembre une série
de recommandations pour améliorer la détection préalable des entreprises en
difficulté et mettre en place plus de mesures préventives. Objectif : éviter
les liquidations sèches.
Bérengère Margaritelli