Nous le constatons chaque jour, et plus encore depuis la crise sanitaire du
Covid-19, la dématérialisation a profondément changé nos modes de
fonctionnement et rendu l’outil informatique de plus en plus indispensable à
notre vie quotidienne.
La question de la protection et de l’accompagnement des utilisateurs
d’outils numériques handicapés a commencé à être traitée par la loi du 7 octobre 2016 dite « loi pour une République
numérique », qui a notamment créé pour les personnes handicapées des
mesures spécifiques d’accès aux services numériques (services téléphoniques,
sites Internet publics, service de traduction simultanée écrite et visuelle).
Mais cette prise en compte du handicap dans l’utilisation de l’outil
numérique est loin de couvrir toutes les situations.
Ainsi, la question de la transmission des identifiants fait l’objet d’un
véritable vide juridique.
Quel statut pour la personne qui agit pour la personne
handicapée ?
Sur de nombreux sites, et notamment des sites sur lesquels sont effectuées
des démarches administratives importantes, la personne qui assiste une personne
handicapée ou placée sous un régime de protection juridique (tuteur, curateur,
titulaire d’une habilitation familiale, mandataire de protection ou simple
aidant) ne peut s’identifier personnellement en tant que telle et doit
s’identifier comme étant la personne qu’elle assiste.
Pour ce faire, cette dernière doit lui transmettre soit les éléments
d’identification si elle les a, soit les éléments permettant de les créer.
Ainsi, la personne qui agit se fait passer pour son protégé auprès d’un tiers.
Cette situation peut s’analyser juridiquement sous deux angles :
•
celui de l’usurpation d’identité : l’article 226-4
du Code pénal a introduit un délit d’usurpation d’identité numérique.
Certes la qualification de ce délit ne devrait pas être retenue car, en
l’espère, la personne « représentée » est a priori
consentante, mais le texte prévoit tout de même que le simple usage d’une ou
plusieurs données permettant d’identifier une personne peut constituer le délit
d’usurpation d’identité ;
•
celui du mandat : le problème ne se pose pas entre la personne handicapée
et celle qui agit pour son compte. S’il n’y a pas de lien juridique de
représentation issu d’un régime de protection, on peut aisément considérer
qu’il y a un mandat entre elles pour réaliser ces démarches numériques. La
situation est plus complexe, en revanche, en ce qui concerne les relations avec
l’hébergeur du service numérique en question : en utilisant les éléments
d’identification de la personne protégée pour se connecter, la personne qui
agit se fait passer pour elle vis-à-vis de l’hébergeur. Agissant dans le cadre
d’un mandat ou en qualité de représentant légal, elle devrait pouvoir se
présenter elle-même et agir en son nom mais pour le compte de la personne
protégée. De surcroît, pour les services qui nécessitent une signature
numérique, la signature étant apposée par une personne différente du titulaire,
elle doit être considérée comme un faux.
Cette situation, on le comprend bien, n’est pas satisfaisante, et met
celui qui agit dans une position inconfortable.
Aussi, le dernier Congrès de notaires qui s’est tenu à Nice en septembre
dernier et dont le sujet était « le numérique » a proposé que les
services administratifs en ligne prévoient systématiquement la possibilité d’un
multi-accès aux comptes des majeurs placés sous un régime de protection avec la
possibilité de graduer les droits de chacun à ces accès.
Cette proposition, qui ne couvre pas tous les cas de figure, permettrait
au moins aux tuteurs et aux curateurs d’agir dans un cadre légal tout en
respectant le droit d’accès aux outils numériques de la personne protégée.
Souhaitons que le législateur avance sur cette question.
Agathe
Marbaud de Brénignan,
Notaire
associée,
Screeb
Notaires