Que peuvent attendre, en cette situation de crise, les citoyens comme les
entreprises du droit international qui est, comme on le sait, un droit
essentiellement de nature conventionnelle, c’est-à-dire l’œuvre des
États ?
On parle de droit bilatéral lorsque deux États s’accordent sur un traité,
et de droit multilatéral lorsqu’il est issu d’une convention de même nature.
C’est seulement ce type de droit qui va nous intéresser ici.
Il a déjà été souligné que la crise du coronavirus trouvait ses origines,
en bonne partie, dans l’effondrement de la biodiversité, et surtout dans la
faible attention que l’on prête au maintien de celle-ci face à une certaine
euphorie liée au développement du commerce mondial1.
Ce thème ne compose qu’une partie de ce qu’on peut appeler la
mondialisation, car elle existe également au niveau des crises écologiques et
sanitaires, même si elles ne veulent pas être perçues comme telles.
Ainsi, la crise du coronavirus a eu raison de l’effondrement du commerce
international qui s’établit selon l’OCDE par une perte prévisible de PIB de
2 points minimum2.
L’organisation mondiale du commerce (OMC) prévoit, quant à elle, une perte
en volume des exportations au niveau mondial à au moins deux chiffres, entre 13
et 32 %3. Cette fourchette, qui avait été annoncée en mars et a
été confirmée dans les communications les plus récentes, est sans surprise liée
au ralentissement de la croissance économique, qui a été entrainée par la
pandémie de Covid-19.
Sans doute le commerce a-t-il commencé à faiblir en 2019, avant que le
coronavirus ne se répande, mais le fait est que la crise de ces derniers mois
est l’une des plus importantes crises mondiales, largement supérieure de trois
fois à celle liée à la grande dépression des années 1929 et 1930 et supérieure
à la crise financière de 2009 qui avait fait reculer les échanges commerciaux
de l’ordre de 13 % en volume.
La situation que nous vivons est donc sans précédent et va surtout
entrainer demain des comportements économiques inédits sur la scène nationale
et mondiale liés aux restrictions des importations.
Des programmes d’aide d’urgence, visant d’ores et déjà à enrayer la crise
sanitaire et la recherche de projets structurants et à atténuer les impacts
économiques, ont été essentiellement l’œuvre des États qui ont agi en urgence
pour à la fois protéger la santé publique et limiter les conséquences sociales
liées au chômage de cette crise si spécifique, due à l’apparition d’un ennemi
invisible mais omniprésent.
S’il faut toutefois relever l’importance de cette nouvelle situation, il ne
faut pas perdre de vue que demeure parallèlement une préoccupation
fondamentale, également mondiale, visant à la fois la perte de biodiversité
déjà évoquée, et surtout le réchauffement climatique qui continue (malgré un
ralentissement qui en a surpris beaucoup et qui n’est évidemment que
temporaire) alors que la crise du coronavirus est réversible. Il est certain
que la crise climatique prévisible est, elle, sans retour, sans réversibilité
possible.
Compte tenu de ces considérations, il nous a paru utile de rechercher et de
vérifier, au plan mondial, comment les institutions internationales et les
organismes internationaux, tels que l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ont pu réagir de façon efficace
ou non.
De ce fait, cette étude doit donc être regardée comme un test par rapport à
des répétitions possibles de la Covid-19 ou à l’aggravation de la crise
climatique et de la biodiversité.
Sans doute et sur le fond du droit, la mondialisation a été mise en cause
pour imaginer jusqu’où pourrait nous conduire la tentation de la
relocalisation. Il est vrai que les États nationaux ont pris une part
prépondérante dans l’apport des éléments de solutions les plus immédiates à
mettre en œuvre, mais la cause et ses voies de solution dépassent le seul
territoire d’un État.
De plus, une telle analyse ne saurait se limiter à la question des
contrôles des régulations existantes, mais doit aborder la question des
responsabilités face à un tel fiasco. Il est important, pour les entreprises
comme pour les personnes qui ont pu perdre leur emploi du fait de cette crise
mondiale, de tenter, après avoir exploré des failles du système international,
de rechercher de nouvelles règles de fonctionnement possibles à travers
l’analyse de la question des responsabilités.
Celle-ci doit être très élargie, car elle concerne aussi bien le
fonctionnement des institutions internationales et celui des traités de
libre-échange, que celui des États qui sont accusés d’avoir pris, souvent avec
retard et en manquant de prévention, des mesures certes absolument nécessaires
sur le plan de la santé, mais qui ont aggravé parallèlement les dommages
économiques. Certaines institutions, certains États sont-ils plus responsables
que d’autres et quel droit pourraient estimer devoir faire valoir les victimes
de cette situation, sur le plan national comme international ?
Nous étudierons successivement la réponse inadaptée des institutions
internationales à la crise (I), puis l’obsolescence des conventions de
libre-échange (II), pour enfin porter une attention particulière sur les
responsabilités en jeu (III).
I Des institutions internationales qui ne peuvent répondre à la crise de la
Covid
L’Organisation mondiale du commerce
a pour objectif premier le « relèvement des niveaux de vie […]
l’accroissement de la production et du commerce des marchandises et services,
tout en permettant l’utilisation optimale des ressources mondiales conformément
à l’objectif de développement durable, en vue […] de protéger et préserver
l’environnement ».
Si l’objectif est honorable, la réalité est tout autre, et la crise de la
Covid-19 a achevé de démontrer l’inadaptation d’une institution qui n’a pour
objectif que de garantir des échanges commerciaux effrénés, loin des pieuses
paroles relatives à la protection de l’environnement présentes dans le premier
considérant de son accord fondateur.
Les fondements de cette inadaptation sont à rechercher dans les différents
accords entre les membres de l’institution qui ne permettent pas de répondre
efficacement à la réalité des crises actuelles, qu’elles soient sanitaires ou
environnementales.
Un accord en particulier traite des mesures que les membres de
l’Organisation peuvent prendre pour protéger la santé publique ou la sécurité
publique : l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires
(Accord SPS).
L’accord SPS affirme notamment qu’« aucun Membre ne devrait être
empêché d’adopter ou d’appliquer des mesures nécessaires à la protection de la
santé et de la vie des personnes […], sous réserve que ces mesures ne soient
pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire
ou injustifiable […], soit une restriction déguisée au commerce
international »4.
Or cette rédaction, dont l’objectif est de permettre de porter atteinte au
libre-échange pour des raisons sanitaires, est vivement critiquée en ce qu’elle
est trop restrictive et ne permet pas réellement de répondre aux urgences
sanitaires.
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme pointe en effet
du doigt un accord qui rejette le principe de précaution, « car
l’incertitude n’apparait pas comme une justification de la prise de mesure
provisoire ».
Ce principe de précaution, vivement décrié au sein de l’OMC5,
est pourtant une pierre angulaire du droit de l’environnement et de la santé6
et permet, malgré l’absence de certitudes à un moment donné, dues à un manque
de connaissances techniques, scientifiques ou économiques, de prendre des
mesures anticipatives de gestion de risques eu égard aux dommages potentiels
sur l’environnement et la santé.
Une application concrète de ce principe a pu être observée tout au long de
la crise du coronavirus, nombres de pays préférant se protéger de ses effets
potentiels avant même de connaître avec certitude la mortalité de la Covid-19
et sa transmissibilité. Ce principe sera d’autant plus important dans les
années à venir, pour pallier les effets du changement climatique et de la perte
de biodiversité qui ne sont, eux, ni temporaires, ni réversibles.
Il apparait en conséquence que l’OMC n’a jamais eu les capacités de
résister à une crise de l’ampleur de celle que nous vivons : l’objectif
premier de libre commerce prime et écrase tout sens commun du principe de
précaution.
Les failles de l’institution sont également soulignées par de nombreuses
associations qui décrient l’inadéquation de la réponse apportée à la crise et
la poursuite des sanctions économiques contre des pays qui peinent parfois à se
fournir en matériel médical nécessaire dans cette lutte.
Un collectif d’associations regroupant Greenpeace, Oxfam International ou
encore France Nature Environnement appelle ainsi l’OMC à « arrêter toutes les négociations de traités
commerciaux et d’investissement pendant l’épidémie de Covid-19 et se recentrer
sur l’accès aux fournitures médicales et le sauvetage de vies »7.
Le collectif soutient qu’il n’a été apporté aucune réponse par l’OMC à la
question d’abaisser les protections de propriétés intellectuelles instaurées
pour les vaccins et médicaments en cours d’élaboration contre la Covid-19, afin
de rendre ces derniers librement accessibles à tous, ou du moins financièrement
accessibles, dans un contexte où de nombreux États voient leurs ressources
fondre en soutien à un hôpital public inadapté : « La première et seule priorité pour les négociateurs commerciaux
à l’heure actuelle devrait être de supprimer tous les obstacles, y compris les
règles de propriété intellectuelle, dans les accords existants qui empêchent un
accès rapide et abordable aux fournitures médicales, telles que les
médicaments, les appareils, les diagnostics et les vaccins vitaux, et la
capacité des gouvernements à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire
face à cette crise »8.
Des règles du commerce international qui semblent, à la lumière de
l’urgence sanitaire actuelle, particulièrement inadaptées, pour ne pas dire
indécentes.
Les négociations qui demeurent sont autant de retards que de nombreux pays
en développement subissent du fait de la nécessité pour ces derniers de
concentrer leurs ressources sur la réponse à l’épidémie.
En somme, « les pays ne
devraient pas […] détourner leurs ressources pour négocier des règles pour un
monde qui sera complètement différent une fois que la pandémie se sera calmée »9.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a également été la cible de vives
critiques dans sa réponse à la crise de la Covid-19, alors que la gestion de la
crise du SRAS, qu’elle avait affrontée il y a quelques années, avait été
exemplaire10.
Outre les luttes intestines opposant la Chine et les États-Unis au sein de
l’Organisation11, l’institution a été vivement critiquée pour sa
gestion de la crise : en premier lieu lorsqu’elle refusait de prononcer
l’état de pandémie mondiale12, puis du fait de la visite du
Directeur Général de l’OMS en Chine pour féliciter son leader Xi Jinping de sa
transparence dans la gestion de la crise13. L’OMS est désormais vue
comme un organe qui n’a pas su saisir la gravité de la crise et dont la
contribution à sa résolution semble minime14.
Hélène de Pooter retrace par ailleurs la difficulté de la conciliation
entre la santé publique et la liberté des échanges, observable dans la conduite
de l’OMS : « Les avis émis sur
le SARS-CoV-2 par l’OMS les 5, 10, 12, 14, 16, 17, 21 et 30 janvier 2020 sont
très révélateurs à ce sujet. Dans chacun de ces avis, tout en reconnaissant que
les informations disponibles étaient insuffisantes (et ne permettaient donc pas
de procéder à une évaluation complète des risques), l’OMS a constamment
déconseillé de restreindre les voyages et les échanges commerciaux avec les
États ayant rapporté des cas. »15
De même, lorsque le porte-parole du Secrétaire général de
l’Organisation des Nations unies (ONU) réagissait à la déclaration du Directeur
général de l’OMS admettant la réalité d’une « urgence de santé publique de
portée internationale », cette déclaration était immédiatement suivie de
la précision suivante : « cette déclaration n’induit aucune restriction
aux voyages et au commerce, compte tenu des informations disponibles »16.
Enfin, dans ses recommandations du 29 février, l’OMS souligne à
nouveau que les mesures de restriction au commerce et aux échanges, si elles
sont justifiées par la « flambée
épidémique », doivent rester « de courte durée et être régulièrement
réexaminées en fonction de l’évolution de la situation »17.
Le commerce international prime, puisque les mesures prises ne doivent
aucunement entrainer des « restrictions
inutiles du commerce international pendant la flambée de Covid-19 »18.
Enfin, ses faibles marges de manœuvre face à des États comme les États-Unis
et la Chine ont achevé de convaincre de la décrépitude de l’Organisation.
Cette inadéquation des institutions internationales pour répondre
réellement aux crises sanitaires majeures doit être le dernier marqueur de
l’échec d’une mondialisation au libéralisme irréfléchi, et doit permettre
d’ouvrir la porte à une refonte de ces institutions en profondeur. Si nos
institutions ont montré leurs limites face à la Covid-19, elles ne pourront
qu’échouer dans la réponse nécessaire aux nombreuses, et sans cesse plus
dramatiques, crises environnementales à venir19.
Les mêmes difficultés dans l’appréhension et dans l’adaptation à de tels
événements s’observent du côté des traités de libre-échange à la fois acteurs
et victimes de ces crises.
II. La crise de la Covid-19 comme signe avant-coureur de l’essoufflement
des traités de libre-échange
Les derniers traités économiques en date, construits sur la base de
l’import/export généralisé de marchandises, assortis d’une réduction drastique
des droits de douane et des règles facilitant les investissements étrangers,
suivent un nouveau modèle dit de régionalisme économique20 qui s’est
largement intensifié dans la dernière décennie.
L’Union européenne en est un des moteurs principaux et a négocié un nombre
important d’accords de libre-échange (ALE) avec des États tiers à l’Union. Il
en existe aujourd’hui une dizaine, notamment avec des pays aussi divers que le
Japon, Singapour, le Vietnam, le Mexique, ou encore le Chili ainsi que des pays
aussi éloignés que l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Viennent également
s’ajouter à ces accords le très décrié CETA (qui réunit l’UE et le Canada) et
le MERCOSUR (qui réunit un certain nombre de pays d’Amérique Latine, qui
traitent avec l’UE au travers de cette alliance économique).
Les ALE se fondent sur le néo-libéralisme, dans l’idée d’opposer au libre
jeu du commerce aussi peu d’obstacles que possible. La Cour de justice de
l’Union européenne a précisé, dans un avis du 15 mai 201721,
combien ce type d’accords étaient bénéfiques à l’UE par leur caractère
éclectique et dans leur capacité à intégrer « des dispositions dans
diverses matières liées au commerce, telles que la protection de la propriété
intellectuelle, les investissements, les marchés publics, la concurrence et le
développement durable »22.
La Commission européenne, de son côté, est élogieuse de ces accords de
libre-échange qui permettraient d’accroître les exportations agroalimentaires
de l’UE de plus d’1 milliard d’euros en 2016 par rapport à 201523.
Toutefois la pertinence des ALE est largement questionnée, notamment par
l’opinion publique, et il n’y a qu’à voir l’échec du TAFTA pour s’en persuader,
en partie abandonné à cause du Brexit24, mais également et surtout
sous le coup des vives critiques qui lui étaient adressées.
Ces traités sont donc non seulement perçus négativement, mais souffre au
surplus d’une capacité d’adaptation finalement très relative au regard de la
crise sanitaire.
Si l’article 28.3 du CETA précise qu’« aucune disposition du présent
accord ne peut être interprétée comme empêchant l’adoption ou l’application par
une Partie de mesures nécessaires » notamment « à la protection de la
sécurité publique ou de la moralité publique, ou au maintien de l’ordre public,
à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la
préservation des végétaux », les mêmes problématiques précitées et
découlant du fonctionnement lourd de l’OMC se répercutent, et tous les
encadrements relatifs à la mise en concurrence de l’attribution des services
publics et aux droits de la propriété intellectuelle apparaissent bien désuets
dans une telle période.
La plupart des ALE sont soumis à l’arbitrage comme mode immanent de
règlements des litiges dans le droit international d’aujourd’hui. Le CETA a
développé de manière encore plus approfondie ce recours à l’arbitrage en
instituant un mécanisme de règlement des différends directement inspiré de
celui de l’OMC avec la création d’un tribunal permanent où siègent des
professionnels de l’investissement et du commerce.
On sait déjà tous les avantages de célérité et de souplesse que présente
l’arbitrage, mais également les dangers pour l’environnement qu’il est
susceptible d’entraîner lorsque le droit à l’investissement et l’intérêt privé
des investisseurs est directement opposé à un intérêt général de protection de
l’environnement25. Il faut néanmoins souligner que l’on peut
reprocher beaucoup de choses au CETA, mais celui-ci apporte tout de même un
certain nombre de garanties pour la préservation des législations spécifiques
des États membres26.
Toujours est-il que face à la crise mondialisée que nous connaissons, le
CETA n’a pas de réponse à apporter malgré les quelque 1 500 pages
qu’il contient et malgré son recours systématisé à l’arbitrage. La question est
globale et dépasse les intérêts des investisseurs et des États pris
individuellement.
Ces traités ont certainement des avantages économiques importants, mais ils
sont surtout au fondement même de l’intensification de la production
agroalimentaire et indéniablement de la déforestation. Ils figurent comme
encadrements juridiques d’activités intrinsèquement polluantes en ce qu’ils
favorisent et accroissent considérablement les allées et venues de marchandises
sur de très longues distances. Le dernier accord en négociation concerne des
échanges avec la Nouvelle-Zélande qui est a priori le pays le plus éloigné de
l’Europe et, cela va sans dire, l’empreinte carbone de cet accord s’annonce
démesurée.
Il suffit par ailleurs que ce type d’épidémie se reproduise pour se retrouver
à nouveau dans les mêmes problématiques de pénurie alimentaire et d’équipements
sanitaires avec la fermeture des frontières. Or, on l’a vu, la perte de
biodiversité et la pollution de l’air sont des facteurs aggravants des
pandémies, l’un favorisant la transmission du virus à l’Homme et l’autre sa
contagiosité27. Les traités participent donc à la facilitation
extrême des échanges, mais sont dans le même temps des facteurs exponentiels de
pollution et de destruction de la biodiversité. Le serpent se mord la queue.
L’Union européenne ne semble pas avoir retenu la leçon. Le nouvel accord
entre l’Union européenne et le Mexique relance totalement le même modèle
d’échec et de conséquences désastreuses à la fois sociales et
environnementales. Les contestations sont nombreuses alors que la Commission a
entériné le traité au moment où l’épidémie battait son plein, sous le sceau de
la reprise économique.
Le temps d’envisager les responsabilités est désormais venu alors que les
effets de la Covid-19 décroissent de jour en jour et que la crise semble
désormais derrière nous, mais peut toujours réapparaître sous une forme ou sous
une autre.
III. Des mécanismes de responsabilité
à définir
Il résulte des considérations qui précèdent que les principaux mécanismes
juridiques susceptibles d’être utilisés sont sujets à critique pour
insuffisance ou pour carence, que ce soit en cas de crise, pour obtenir une
régulation efficace et urgente, ou qu’il s’agisse de l’établissement de plans
de prévention par anticipation, susceptibles de s’imposer et d’être mis en
œuvre rapidement.
Une telle situation a évidemment entrainé une sorte de reflux de
l’hypermondialisation et la tentation de relocalisation comme celle de la mise
en avant de la prééminence de l’État.
Ceci n’est acceptable ni pour les citoyens ni pour les entreprises,
victimes à divers titres de l’impuissance du système international ou même de
la carence de l’État.
Bien entendu, la crise laissera des traces et, comme l’ont vu certains
observateurs perspicaces à l’image de Pascal Lamy, on risque de passer, dans le
discours international, d’une logique protectionniste au prévisionnisme28.
Des garanties de sécurité et de santé seront exigées pour le développement
ou le redéveloppement du commerce international.
L’idée que le droit, sous ses formes les plus accomplies, puisse apporter
des sécurités ou des garanties est pour nous évidemment essentielle.
Pour augmenter ce besoin de sécurité et de garantie, il nous a paru ici
intéressant de se livrer à une analyse globale des responsabilités à différents
niveaux.
On constatera qu’est inexistante la responsabilité des organisations
internationales vis-à-vis d’autres organisations nationales, des États ou même
des citoyens (A). Du côté des États, il existe effectivement une responsabilité
de ceux-ci vis-à-vis des citoyens sur le plan pénal et administratif (C), mais,
en l’espèce actuelle, la mise en cause de la Chine apparaît plus problématique
(B).
Une brève exploration de ces trois sujets permettra de faire cette
constatation que les voies de recours, sauf en droit interne, ne présentent pas
beaucoup de garanties d’effectivité ou d’efficacité. Il faudra sans doute
imaginer d’autres modes de règlement des conflits, pour des citoyens ou des
entreprises qui cherchent une issue contentieuse à travers la responsabilité
d’un État.
Examinons d’abord la responsabilité des organisations internationales
vis-à-vis d’autres organisations nationales ou des États.
A. La responsabilité des
institutions internationales
Sur ce point, la réponse doit être a priori négative, car toutes les
institutions internationales bénéficient d’une immunité de juridiction qui
permet « aux organisations sur le modèle du privilège reconnu aux états
souverains d’échapper aux actions judiciaires devant les tribunaux nationaux de
l’état du siège »29.
Il est donc impossible pour des particuliers de la mettre en œuvre. La
responsabilité d’organisations internationales vis-à-vis des États est en tous
cas, semble-t-il, totalement théorique.
Plus intéressante est la question de la responsabilité des États les uns
vis-à-vis des autres.
B. L’engagement peu évident de
la responsabilité de la Chine
Des entreprises, des dirigeants politiques, notamment anglo-saxons, ont
exigé de leur gouvernement des poursuites contre le gouvernement chinois.
On pourrait évoquer ici le contentieux qui avait été lancé par la Suisse,
la République fédérale d’Allemagne et l’Italie contre l’URSS à la suite de
l’accident de Tchernobyl, survenu en 1986. Il avait été reproché par ces États
à l’État soviétique son retard d’information et son manque de diligences. Des
accords d’indemnisation avaient été obtenus à l’amiable, mais non au
contentieux (la France s’étant abstenue d’y procéder, probablement pour le
motif selon lequel la radioactivité n’avait, selon ses dires et ses
affirmations, jamais franchi la frontière…).
La situation est-elle ici différente ? Peut-on chercher à invoquer des
fautes contre la Chine ?
En l’espèce, il existe effectivement un règlement sanitaire international
qui régit le droit mondial de la santé30.
Ce droit implique la notification rapide des informations et des données
utiles pour limiter la transmission du virus. Toute la question, de fait, est
de savoir quel délai de retard pourrait être considéré comme fautif. Comme on
l’a vu, l’OMS n’a pas été brillante sur ce terrain.
On imagine difficilement les tribunaux chinois engager la responsabilité de
l’État chinois et attraire devant un tribunal local un gouvernement pouvant
invoquer l’immunité du souverain. Une telle protection ne pourrait protéger, a priori,
une entreprise chinoise à condition qu’elle ne soit pas une entreprise d’État.
Quant à la Cour internationale de justice de la Haye, elle ne pourrait pas
être saisie à l’encontre de la Chine qui ne reconnait pas sa juridiction.
On ne voit pas non plus la compétence de la Cour pénale internationale être
applicable, et ce, car le délit de défaut d’information n’a pas de consistance
dans le Statut de Rome31.
Il est donc difficile d’envisager sur ces terrains des actions susceptibles
d’emporter un certain succès. L’analyse est différente dans la dernière
hypothèse envisagée.
C. La responsabilité des États
vis-à-vis de ses citoyens et entreprises
Reste évidemment la troisième possibilité de la responsabilité des États
par rapport à ses citoyens et ses entreprises. Deux possibilités existent,
l’une sur le plan pénal, l’autre sur le terrain du droit public.
Sur le plan du droit pénal, on peut songer effectivement à invoquer le
délit de la mise en danger de la vie d’autrui, mais encore faudrait-il
démontrer qu’il y a violation d’une loi ou d’un règlement qui, justement,
n’existait pas au début de la crise.
Plus sérieusement, pourrait être étudiée l’invocation d’un texte du Code
pénal incriminant la carence à combattre ou prévenir un sinistre de nature à
créer un danger pour la sécurité des personnes32.
Cependant, dans la mesure où la constitution de partie civile n’a pas cours
devant la Cour de justice de la République33, ces ouvertures pénales
au contentieux n’ont qu’une valeur de principe et non pratique.
En revanche, la question la plus sérieuse serait d’envisager la
responsabilité de l’État pour fait d’abstention, donc pour faute ou rupture
d’égalité, mais non sur ce terrain, car la condition de spécialité n’est pas
remplie, le droit public ne jouerait pas.
Comme on peut le constater, les possibilités de recours sont assez
minimales, mais existantes. Il resterait effectivement à solliciter les
assurances, qui agissent aujourd’hui pour la réparation des dommages et la
perte de chiffres d’affaires et devront bientôt agir pour la prévention de ces
dommages, mais il faudra un jour songer à sortir du système contentieux actuel
pour envisager une ouverture à la médiation. C’est un point que nous vous
proposons d’explorer dans un prochain article.
Le commerce international aura beaucoup de mal à se remettre de la crise,
notamment pour des questions matérielles liées au transport et au trafic
international, mais le système dit de recherche des responsabilités n’offre
rien de sûr, et c’est logique.
En effet, la seule solution envisageable pour l’avenir consistera à
regarder dans deux directions : le recours aux aides et subventions, et le
bénéfice des plans de relances, pour laquelle l’Europe est en position de
leader surtout dans la mise en œuvre de prévention et de précaution.
N’oublions pas qu’il y a derrière la crise du coronavirus la crise
climatique ; que la première est temporaire, mais que la deuxième ne l’est pas,
et elle est sans retour.
Il faut donc changer de modèle, et penser à la prévention et non à la
réparation.
Christian Huglo, Avocat à la
Cour, Docteur en droit, Huglo Lepage Avocats
Raphaël Gubler, Élève-Avocat
Joachim Guillemard, Juriste,
Huglo Lepage Avocats
1) Lire notamment Huglo, C., Gubler, R.,
« Biodiversité, climat et crise sanitaire – Une révélation qui devrait
conduire à une révolution », Journal Spécial des Sociétés n° 26, 18
avril 2020.
2) « Chaque mois de confinement amputera le PIB
de 2 points de pourcentage (OCDE) », Le Figaro, 27 mars 2020.
3) « Covid-19 : l’OMC prévoit une chute du
commerce mondial entre 13 % et 32 % en 2020 », News.un.org,
8 avril 2020.
4) Considérant n° 1 de l’Accord sur l’application
des mesures sanitaires et phytosanitaires.
5) Voir notamment à ce sujet le rapport de Food Watch
« CETA, TAFTA et le principe de précaution de l’Union européenne »,
juin 2016. Ce rapport illustre la façon dont l’Organe de règlement des
différends de l’OMC (ORD) a, à la demande du Canada et des États-Unis, et en
application des règles de l’OMC, déclaré illégale la réglementation de l’UE et
refusé le principe de précaution invoqué.
6) Ce principe a été défini lors du Sommet de Rio de
1992, dans le cadre de la Déclaration de Rio sur l’environnement, signée à la
Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio de
Janeiro, Brésil, et s’étant déroulée du 3 au 14 juin 1992.
7) « Il faut arrêter toutes les négociations de
traités commerciaux et d’investissement pendant l’épidémie de Covid-19 et se
recentrer sur l’accès aux fournitures médicales et le sauvetage de vies »,
Lettre ouverte aux ministères du Commerce et à l’Organisation mondiale du
commerce, 17 avril 2020.
8) Ibid.
9) Ibid.
10) « SRAS : interruption des chaînes de
transmission », Organisation mondiale de la santé, 5 juillet 2003.
11) V. Kiesel, « L’OMS, ring de catch entre la
Chine et les États-Unis », Lesoir.be, 17 mai 2020.
12) « Coronavirus : pandémie ou épidémie, quelles
différences ? », LeFigaro.fr, 11 mars 2020.
13) Déclaration du Directeur général de l’OMS relative
à la réunion du Comité d’urgence du RSI sur le nouveau coronavirus (2019-nCoV),
30 janvier 2020.
14) P. Haski, « Faut-il “brûler” l’OMS ? »,
France Inter, 9 avril 2020.
15) H., de
Pooter, « La pandémie de Covid-19 éclairée par l’histoire de la coopération
sanitaire internationale », The Conversation, 12 mai 2020.
16) Point de presse quotidien du Bureau du
Porte-parole du Secrétaire général de l’ONU, 31 janvier 2020.
17) Recommandations actualisées de l’OMS concernant le
trafic international en rapport avec la flambée épidémique de Covid-19, 29
février 2020.
18) Ibid.
19) Lire à ce sujet notamment la tribune
« Coronavirus et environnement : quelle sortie de crise ? » de
Greenpeace, ainsi que l’appel du 26 mai 2020 « Plus Jamais ça : 34
mesures pour un plan de sortie de crise » d’Attac, la CGT, la
Confédération paysanne et Greenpeace (entre autres) pour une réelle sortie de
crise.
20) H. Ruiz Fabri, Règlement des différends
économiques interétatiques, RDI, janvier 2018.
21) CJUE, Avis 2/15 – Accord de libre-échange avec
Singapour, 16 mai 2017.
22) A. Sabine, Le projet européen du président Macron
au regard de la politique commerciale extérieure de l’Union européenne, RUE,
2019, p. 72.
23) Commission européenne, Communiqué de presse, Les
accords commerciaux stimulent le secteur agroalimentaire de l’UE, 27 février
2017.
24) P. Y., Monjal, « Une désunion sans cesse plus
grande… », RUE, 2016, p. 545.
25) C. Huglo, Droit de l’environnement, Contentieux ou
arbitrage : Incompatibilité, complément ou supplément ? La lettre de
l’AFA, Décembre 2015, n° 18
26) J. Fouret, R. Beauchard, Le CETA offre-t-il des
garanties suffisantes pour la préservation des législations sociales et
environnementales ?, RDT, 2019, p. 378.
27) C. Huglo, R. Gubler., Biodiversité, climat et
crise sanitaire – Une révélation qui devrait conduire à une révolution des
perspectives, JSS, avril 2020, n°26.
28) J. Bouissou, « Pascal Lamy : "Le
Covid-19 va accélérer le passage du protectionnisme au
précautionnisme" », Le Monde, 9 avril 2020.
29) Dupuy, P.-M., Kerbrat, Y., Droit international
public, Dalloz, 13e édition, paragraphe 189, page 223.
30) Le Règlement sanitaire international (2005), ou
RSI (2005) est un instrument juridique international qui a force obligatoire
pour 196 pays dans le monde, dont tous les États membres de l’OMS.
Il a pour but d’aider la communauté internationale à
prévenir les risques graves pour la santé publique, susceptibles de se propager
au-delà des frontières et de constituer une menace dans le monde entier et à y
riposter.
31) Le Statut de Rome est le traité international qui
a créé la Cour pénale internationale. Il a été adopté lors d’une conférence
diplomatique des plénipotentiaires des Nations unies, dite Conférence de Rome,
qui s’est déroulée du 15 juin au 17 juillet 1998 à Rome, en Italie. Il est
entré en vigueur le 1er juillet 2002 après sa ratification par 60 États.
32) Article 223-7 du Code
pénal : « Quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de
provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de
combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des
personnes est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros
d’amende ».
33) L’article 13 de la loi organique n°93-1252 du 23
novembre 1993 sur la Cour de justice de la République dispose en effet qu’
« aucune constitution de partie civile n’est recevable devant la Cour de
justice de la République ».