Le constat, qui émane d'un rapport produit par le Conseil des barreaux européens, vient rappeler, selon ce dernier, la
nécessité d’adopter une Convention européenne protectrice ; projet en
passe d’être finalisé.
En juillet
2024, le site d’extrême droite « Réseau libre » diffuse une liste comportant
les noms d’une centaine d’avocats « à éliminer ». Les insultes et les menaces
de mort explicites disent répondre à la signature d’une tribune collective
publiée quelques jours plus tôt sur le site Marianne par ces mêmes auxiliaires de justice. Les
avocats s’y déclaraient contre le Rassemblement national (RN), alors en tête du
premier tour des élections législatives anticipées, « au nom des grands
principes du droit, des libertés fondamentales et des valeurs républicaines ».
En août de la
même année, au Royaume-Uni, une « liste noire » comportant les noms et adresses de soixante
cabinets d’avocats et de centres juridiques spécialisés en droit des personnes
étrangères est relayé via la messagerie Telegram par des groupes d’extrême
droite. Cet été-là, de violentes manifestations
anti-immigration secouent le pays. En Suède aussi, plusieurs attaques contre
des avocats sont relayées par la presse. Notamment celle de Lena Isaksson, agressée par son client (incarcéré pour
meurtre) en août dernier, ou celle de Marie-Louise Landberg, en avril, violemment frappée dans la cage
d’escalier de son immeuble par un homme mécontent de son travail, portant sur
un litige successoral. L’avocate a perdu un œil au cours de cette agression.
Des violences commises sur le territoire européen qui, sans atteindre
l’intensité et la gravité de celles parfois observées dans des pays où l’état
de droit est lui-même menacé, sont une réalité. Mais quelle est l'ampleur de ce
phénomène et quelles en sont les conséquences ?
C’est pour
répondre à ces questions - et parce que, jusqu’ici, aucune données européenne
ne venaient documenter ou chiffrer ces incidents - que le Conseil des barreaux
européens (CCBE) a initié, entre 2023 et 2024, un travail d’enquête pour
recueillir ces informations. L’aboutissement de ce travail, le rapport sur « les comportements menaçants et les
agressions envers les avocats » dans l’exercice de leur profession, a
finalement été publié, le 10 décembre 2024, à l’occasion de la Journée
internationale des droits humains.
Ce document
vient rappeler le soutien du CCBE au projet de Convention européenne sur la
protection de la profession d'avocat ; une initiative qui vise à garantir la
sécurité et l'indépendance des avocats dans l'exercice de leurs professions et
qui pourrait être adopté au Conseil de l’Europe au printemps prochain.
« L’idée,
c’était d’abord d’avoir une image globale de ce qui se passe à l’échelle du
territoire », précise
Nathan Roosbeek, le conseiller juridique du CCBE en charge de l’élaboration de
ce rapport. Souhait notamment motivé, continue le juriste, par le sentiment
grandissant, au sein de la profession, que la commission de ces faits, que l’on
pourrait scinder en « deux types d’attaques », augmentent : les menaces
et les agressions (verbales ou physiques) d’une part, la stigmatisation de la
profession d’avocat d’autre part.
Cette «
stigmatisation » multiforme serait notamment le fait, observe Nathan
Roosbeek, « des médias ou, très souvent, des politiques » : « Nous
constatons que des personnalités politique reprochent parfois à des avocats de
défendre telle ou telle personne - une personne étrangère, par exemple - et les
accusent de défendre une vision politique. On l’a vu récemment en Italie, mais
pas seulement. On observe aussi que les politiques s’immiscent parfois dans le
travail de l’avocat, en portant atteinte, par exemple, au secret professionnel.
» Des attaques qui participent, estime le juriste, « à une perte de
confiance du public envers la profession d’avocat », érodant au passage «
l’état de droit », puisque « l’avocat est, en principe, le défenseur de
la justice ».
Un rapport
incomplet mais important
Au total, vingt barreaux de dix-huit pays européens ont participé à cette
enquête ; plus précisément, 14 559 avocats ont répondu aux questions élaborées
par le CCEB. Précision : les barreaux
n’ont pas toujours relayé à leurs avocats l’ensemble des questions préparées
par le CCEB - une vingtaine au total -, nous indique Nathan Roosbeek, limitant
ainsi la finesse de l'analyse. Dans le rapport, cette analyse se concentre de facto sur
certaines réponses ; plus exactement, sur les réponses aux huit questions
auxquelles les pays ont tous répondu en commun. De plus, le taux de réponse
varie considérablement d'un pays à l'autre - certains affiche moins de 3 % de
participation - rendant difficile l'évaluation précise de la situation globale
de ces États.
Pour permettre la récolte de données plus précises, et les comparer à
celles déjà recueillies, une nouvelle enquête pourrait être déployée à
l’horizon 2026, annonce Nathan Roosbeek, qui a pu identifier, grâce à ce
premier exercice, certaines faiblesses méthodologiques. Elles résulteraient, selon lui, de «
difficultés techniques » ou structurelles rencontrées lors de la diffusion
du questionnaire. Conséquence, le rapport ne propose pas de statistique sur la
proportion d’avocats victimes de violences en rapport avec sa spécialité.
Notamment parce que la classification de ces catégories peut fortement varier
d’un pays à l’autre. Dans son introduction, le rapport souligne toutefois que
des exemples récents démontrent que les avocats, « dans des domaines tels
que l’immigration, la défense pénale, les droits humains et d’autres domaines
du droit, ont été pris pour cible de manière répétée : ils reçoivent des
menaces, subissent des agressions physiques et font face à la pression d’une
rhétorique publique qui porte souvent atteinte à leur rôle dans la défense de
l’état de droit. »
En dépit du caractère incomplet de ce premier travail d’enquête, les
résultats analysés offrent toutefois une ébauche importante de la condition
d’avocats en Europe. Sur la base des données récoltées dans dix pays, le
rapport établit notamment que 57,65 % des avocats ayant répondu au
questionnaire diffusé par le CCBE ont été victimes de comportement menaçant ou
d’une agression au cours de ces deux à trois dernières années. Dans les
dix-sept pays ayant répondu à la question du « type d’agression » dont
ils avaient été victimes, les données indiquent qu’il s’agit principalement
d’agressions verbale (à 64,36 %), mais aussi de faits de harcèlement (à 43,91 %),
des comportements menaçants (à 36,51 %), et des agressions physiques (à 11,86 %).
Si l’étude comporte peu de détails sur les circonstances de ces violences, «
elle soulève malgré tout des points intéressants sur les conséquences de ces
agressions, en particulier sur la santé mentale de nos confrères et consœurs »,
estime Me Laurence Roques, vice-présidente de la Commission des affaires
européennes et internationales du Conseil national des barreaux (CNB) et
trésorière de l’Observatoire international des avocats en danger (OIAD).
Particulièrement alerte sur les pressions auxquelles peuvent faire face les
avocats spécialisés en droit de l’environnement ou dans la défense des droits
humains - qui peuvent émaner des gouvernements, de la police, des industriels,
de groupe politiques, etc. - l’avocate rappelle que l’ampleur et la teneur des
agressions verbales peuvent être un premier glissement vers « l’avocat en
danger ».
Et que c’est parce qu’ils exercent dans des domaines « qui sont des
marqueurs de la démocratie » que les avocats sont pris pour cible. «
Il est extrêmement difficile de ne pas être fragilisé dans son exercice
professionnel lorsqu’on fait face à des menaces de poursuites ou à une
convocation de la police par exemple. Même si on sait que c’est du bluff, ça
fragilise, et ça peut décourager. » Selon le rapport, un tiers des avocats
auraient d’ailleurs déjà envisagé, à divers degrés, de quitter la profession
après une expérience d’agression, de harcèlement ou de menaces.
La nécessité d’une Convention européenne
Dans ce contexte, et ayant marqué par ce rapport que les avocats ne sont
pas seulement menacés dans les États non-démocratiques, le Conseil des barreaux
européens réitère son soutien au projet de Convention européenne sur la
protection de la profession d’avocat. « Un projet sur lequel nous
travaillons depuis 2015 et qui permettrait aux pays signataires
d’adopter un certains nombres de mesures contraignantes pour protéger le secret
professionnel et les données confiées par les clients à leurs avocats, garantir
l’exercice libre et indépendants de la profession ou encore, pour contraindre
les États à consulter les organisations professionnelles avant de voter des
lois qui pourraient impacter l’exercice de leur métier », précise Nathan
Roosbeek.
La Convention, entièrement rédigée après plusieurs années de discussions et
de négociations, pourrait être adoptée par le Conseil de l’Europe d’ici le
printemps 2025. Selon Laurence Roques, le texte présente plusieurs dispositions
intéressantes. « Parce qu’elle va au-delà de la protection des avocats et
incluent leurs collaborateurs dès lors que leurs activités sont en lien,
notamment en cas de pression ou de perquisitions par exemple ». Par
ailleurs, l’avocate se réjouit « de la création d’un mécanisme de contrôle
composé d’un groupe d’experts qui, en cas d'atteinte aux dispositions de
la Convention, pourraient se déplacer dans les pays pour, en quelque sorte,
voir ce qu’il se passe, constater les infractions. »
Pour être adoptée, la Convention doit désormais réunir l’approbation de 46
États membres qui composent le Conseil de l’Europe. Une étape pas gagnée
d’avance, considérant que les avocats de certains des pays qui y sont
représentés, comme la Turquie par exemple, font régulièrement l’objet de
répression, de menaces, d’emprisonnement ou de poursuites arbitraires des autorités.
Au-delà, considérant que ce projet de Convention a une portée
internationale, l’autre enjeu sera d’amener le plus grand nombre d’États
non-membres du Conseil de l’Europe à ratifier le texte. Celui-ci acte le fait
que les avocats sont des cibles, conclut Laurence Roques, mais aussi « la
nécessité de protéger des principes essentiels pour eux : l’indépendance, le
secret professionnel, la liberté d’expression ».
Chloé Dubois
(1) Le CCBE est composé de barreaux de 46 pays de l’Union
européenne, de l’Espace économique européen et de l’Europe élargie.
L’organisation comprend 32 pays membres et 14 pays associés et observateurs et
« assure représente les intérêts communs des barreaux européens auprès
des institutions européennes et internationales ».